Entretien téléphonique avec le professeur Jean-Luc Schmidt,
chef du service des pathologies infectieuses au CHU d’Amiens.
- En étudiant l’historique de la maladie et de sa lutte, on a remarqué
un terrible bouillonnement dans la recherche, mais, depuis les
tri-thérapies, on a l’impression que la pression est retombée, que la
bataille est moins féroce, qu’en pensez-vous ? Qu’est-ce qui a
vraiment changé depuis l’avènement des tri-thérapies ?
Jean-Luc Schmidt :
Non, je ne pense pas vraiment que la recherche ait ralenti depuis
l’apparition des tri-thérapies, en tout cas pas la recherche
thérapeutique.
Il faut savoir que, concernant le SIDA, il y a deux
types de recherches : la recherche thérapeutique et la
recherche
d’un vaccin préventif.
La recherche thérapeutique est réalisée en
grande partie par les laboratoires pharmaceutiques, qui mettent au
point des essais cliniques une fois qu’ils ont trouvé une molécule
intéressante.
Actuellement, l’essentiel des traitements réside
dans les anti-rétroviraux, ce sont des molécules qui empêchent le virus
de pénétrer dans les cellules, et donc arrêtent le développement de la
maladie dans l’organisme. Aujourd’hui, on a tout un éventail de
molécules […], mais l’objectif principal est de simplifier les
thérapeutiques – car les prises sont souvent très astreignantes – et
d’améliorer la tolérance, diminuer les effets secondaires.
Il faut savoir que la question du traitement est toujours une urgence,
si bien que les laboratoires ayant trouvé les molécules, GSK ou Roche
par exemple, ne peuvent pas déposer de brevet ; les fabricants
de
génériques copient tout de suite ces traitements pour les répandre le
plus rapidement et le plus largement possible.
Q° - Mais
alors, les laboratoires n’ont-ils pas de difficultés pour se
financer ?
J-L S :
Oh non! Dans des pays comme la France, les patients payent leur
traitements extrêmement cher. Pas plus tard qu’hier, j’ai prescrit à un
patient un médicament qui coûte 1600€ par mois. Comme c’était dans le
cadre d’une tri-thérapie, avec les deux autres molécules, le traitement
total revient à 2800€ par mois. Avec cet argent, on peut largement
financer la recherche et faire plaisir aux actionnaires…
Q° - Et le
vaccin préventif ?
J-L S :
Le vaccin préventif s’est fait remarquer par la quantité d’échecs des
laboratoires, à tel point qu’en début d’année, le gros laboratoire
américain Merck a annoncé qu’il abandonnait la recherche d’un tel
vaccin, parce que les risques financiers étaient trop gros pour les
chances de réussite. Du coup, les laboratoires privés ont tendance à
reporter les espoirs sur les agences nationales, comme l’ANRS, les
seules pouvant financer la recherche.
Q°
- Nous avons entendu parler de laboratoires délocalisant les essais
dans des pays moins développés, où les malades n’ont pas d’accès aux
tri-thérapies, de façon à avoir plus de volontaires, et d’avoir un
point de vue objectif sur l’efficacité de la nouvelle molécule, est-ce
que cela existe encore ? (voir les délocalisations)
J-L S :
Il est incontournable de réaliser des essais dans des pays différents
des pays occidentaux, et particulièrement là où le virus est très
répandu et peu soigné, typiquement en Afrique sub-saharienne. Il faut
savoir que l’efficacité du traitement dépend de caractères
sociaux-économiques d’un pays. Dans les pays d’Afrique, les maladies ne
font pas l’objet d’un traitement continu, on traite au coup par coup
quand on a le paludisme, la fièvre typhoïde […], mais on ne connaît pas
le principe de la visite régulière chez le docteur ou de la pharmacie
au coin de la rue. Evidemment, cela lance un discrédit sur les
médicaments anti-rétroviraux. Donc on ne peut pas appliquer en Afrique
les résultats d’études européennes, alors on fait des essais sur le
terrain là-bas, pour des traitements plus adaptés.
Bien sûr, il faut les faire de façon éthique. Il est vrai qu’il y a
deux ou trois ans il y a eu des essais en Afrique que les laboratoires
avaient arrêté une fois qu’ils avaient eu leurs résultats. Ils ne le
font plus maintenant, car cela a été une particulièrement mauvaise
presse.
Par exemple Pfizer avait fait des essais sur la
« prévention de la contamination des femmes »,
seulement il
n’a pas pris en charge les femmes ayant été effectivement contaminées…
Q°
- Existe-t-il des protocoles stricts à respecter quand on suit un
nouveaux patient, les tri-thérapies sont-elles administrées de façon
systématique ?
J-L S :
Les indications de traitements se font en fonction du bénéfice pour le
patient et des effets secondaires potentiels, alors on n’administre
jamais de tri-thérapie systématiquement : le patient pourrait
souffrir des effets secondaires sans voir immédiatement d’amélioration
patente, et se lasser d’un traitement aussi astreignant. Au contraire,
il faut bien avoir à l’esprit que le SIDA, à la différence de
nombreuses autres maladies, même le cancer, ne disparaît
jamais ;
quand on est soigné, le traitement doit être pris ad vitam aeternam.
Alors la procédure est beaucoup plus progressive : tout
d’abord il
y a une phase d’observation et d’accompagnement du patient. Au cours de
prises de sang régulières, on surveille surtout le taux de lymphocytes
CD4 (voir
pré requis scientifiques)
dans le sang. C’est seulement quand le taux (normalement de 500/mm3)
atteint le seuil de 350/mm3 que l’on commence à administrer une
tri-thérapie.
Q° - Un
autre espoir dont nous avons entendu parler est celui des interruptions
momentanées de traitement, qu’en est-il ?
J-L S :
L’année 1996 a vu la généralisation des tri-thérapies, si bien que l’on
a largement traité même ceux qui n’avaient pas de déficit immunitaire.
Or il faut savoir que les tri-thérapies présentent une forte toxicité
au long cours. Elles modifient la répartition des graisses et des
sucres […], augmentent les risques d’accidents vasculaires, etc. On a
tenté des interruptions programmées de traitement pour limiter la
toxicité.
Des essais ont été menés en 2004, et ont prouvé que ces
interruptions présentent un vrai risque pour la santé des personnes.
D’abord le virus forcissait dans l’intervalle (fixe ou adaptable en
fonction des prises de sang dans différents essais), et de nouvelles
maladies pouvaient apparaître, en particuliers des cancers ou des
lymphomes. Les interruptions de traitement ne sont donc pas du tout
recommandées.
Cependant, il est vrai que parfois, un malade arrive
vraiment fatigué de son traitement, et déclare qu’il veut arrêter. A ce
moment-là, il appartient au médecin de « négocier »
avec lui.
Q°
- On a vu que le SIDA a très rapidement rassemblé les malades en de
nombreuses associations, virulentes sur de nombreux plans (voir les
associations). Ces associations ont-elles aussi un rôle à jouer dans
les essais ?
J-L S :
Oui, bien sûr. Au niveau national, le TRT5 regroupe les associations
(voir les acteurs) auprès de l’ANRS. Ces associations sont aussi
partenaires de l’industrie pharmaceutique pour construire les essais.
Q° -
Etes-vous personnellement touché par les associations ? Est-ce
qu’elles vous dérangent, vous soutiennent ?
J-L S :
A mon niveau, en Picardie, il n’y a pas d’association locale, parce la
région n’est pas des plus touchées. En vingt ans, il y a eu trois
tentatives de création d’antenne d’Aides, qui s’est soldée à chaque
fois par une dissolution, pour cause de dysfonctionnements. Par contre,
les COREVIH (Coordination régionale de lutte contre le VIH) vont
bientôt remplacer les Cisih (Centres d’informations sur les syndrome
d’immunodéficience humaine). Nous allons donc dépendre du COREVIH de
Lille, alors qu’avant il n’y avait pas de Cisih en Picardie.
Le but d’un COREVIH est d’évaluer la prise en charge des patients, et
les associations y sont présentes et donnent leur avis.
Q° -
Qu’attendez-vous en particulier de ce changement ?
J-L S :
J’attends surtout de la prévention et de l’information, parce qu’en
tant que médecin, je n’ai pas à faire passer ce genre de message.
Auprès des milieux homosexuels, par exemple, un discours de prévention
passe assez vite pour de la stigmatisation, donc je pense que les
associations vont surtout transmettre les informations.