Cette pratique de la médecine trouve ses origines avec l’apparition de la médecine moderne au XIXème siècle. Plus qu’une façon de traiter un patient, cette vision de la médecine a des répercutions sur l’esprit dans lequel sont menées les recherches. Nous nous intéresserons dans le cadre du SIDA aux praticiens hospitaliers, la médecine de ville ne jouant pas un rôle clef dans les pathologies lourdes, encore moins dans la recherche médicale.
Il s’agit d’une pratique de la médecine fondée sur une relation de proximité avec le patient : l’examen, l’écoute et le questionnement de ce dernier jouent un rôle essentiel dans le travail du clinicien qui y consacre une grande partie de son temps. Il fait tout son possible pour prendre en compte la singularité clinique du patient ; bien entendu, les aspects humains sont également considérés avec intérêt. Le patient est perçu comme un être humain avant d’être la manifestation d’une pathologie.
C’est en s’appuyant sur son expérience qu’un clinicien se forge une opinion, c’est pourquoi il lui faut de nombreuses années avant d’acquérir son autonomie en tant que praticien médical. On travaille sous le regard d’un « patron » : la tradition clinique correspond à l’âge d’or des grands chefs de service qui jouissent d’un prestige considérable.
Pour la mise en place de traitements, éventuellement nouveaux, le clinicien s’appuie sur une description fine des cas. Le patient est la première source d’informations pour imaginer et concevoir de nouveaux traitements. La tradition clinique ne fait pas de différence fondamentale entre soignants et chercheurs : le clinicien, dans son rôle de soignant, applique très rapidement les résultats de ses recherches, et réciproquement, le clinicien, dans son rôle de chercheur, se nourrit constamment de ses observations pour actualiser ses investigations. En définitive, les cliniciens sont nécessairement des expérimentateurs.
En conséquence, les protocoles mis en place sont propres à une équipe de travail et peuvent varier d’un établissement hospitalier à un autre. Ces pratiques ont été possibles pendant les premières années qui ont suivi l’apparition du SIDA car les essais thérapeutiques n’étaient pas réglementés. De plus, le grand public et la presse ne s’intéressaient pas encore au mode d’élaboration des traitements. Certains grands scandales comme celui de la cyclosporine (voir encadré ci-dessous) vont conduire à questionner certaines pratiques cliniciennes et ouvrir le débat concernant l’élaboration des traitements.
Le 29 octobre 1985, les professeurs Jean-Marie Andrieu, cancérologue, Even, pneumologue, et le docteur Alain Venet donnent une conférence de presse organisée par le ministère des Affaires sociales qui expose les résultats d’une expérience menée par des cliniciens : ils ont administré de la ciclosporine à des malades atteints du SIDA. On place alors des espoirs dans ce médicament, habituellement utilisé pour limiter les risques de rejet lors de greffe, qui a des effets sur le système immunitaire. Les solutions qu’ils apportent semblent prometteuses. La nouvelle se répand très vite suite à la diffusion de la conférence de presse via les médias nationaux. Cependant, très vite, on se rendra compte que la ciclosporine n’est pas efficace.
Le malaise concernant la ciclosporine vient du fait que ces résultats n’ont pas fait l’objet de publication scientifique. En effet, les trois médecins se sont passés de l’aval des grands comités de lecture qui donnent une valeur scientifique à tout travail.
Ce qui fait l’originalité de l’événement, c’est aussi que la conférence a été organisée à l’initiative de la ministre Georgina Dufoix. Il s’agit de la première manifestation significative de l’Etat pour le SIDA. Il s’agit d’une réaction hâtive et peu adaptée à la situation. Cela met en lumière les défaillances de l’Etat pour gérer ce problème.
Cette affaire marque le déclin de la tradition clinique, qui a cherché
à répondre à une urgence thérapeutique en appliquant la
devise : « Mieux vaut un faux espoir que pas
d’espoir. » A partir de ce moment, ils seront de plus en plus
critiqués, même par les patients. Dorénavant, les médecins de la modernité
seront plébiscités.
Cette affaire met aussi en évidence le manque d’institution politique afin de contrôler les essais. Cf les pouvoirs politiques.
C’est dans ce même esprit que l’on conçoit l’éthique clinicienne. Chaque patient doit recevoir un traitement qui lui est propre, selon les spécificités de sa pathologie. De même, être capable de se forger une opinion éthique valable nécessite une expérience construite dans le temps. C’est pourquoi le clinicien jouit d’une autonomie morale légitime, et peut statuer en matière d’éthique.