Entretien

Ceci est le script de l’entretien que Dominique Cardon (chercheur au Centre d’Étude des Mouvements Sociaux du CNRS) nous a accordé.

En tant que retranscription du discours oral tenu par Dominique Cardon, le style est par conséquent léger, et est adapté aux interlocuteurs que nous sommes.

Jean Patry : Est-ce que vous pensez que les frontières entre vie publique et vie privée ont été déplacées par les réseaux sociaux ?

Dominique Cardon : Oui on peut dire ça. Mais simplement, ce ne sont pas des changements massifs. Quand y a une nouvelle technologie, tout d’un coup on prend un petit truc, et on en fait une énorme affaire. Quand le téléphone arrive, les gens ont pensé que ça allait augmenter les adultères, car les femmes allaient pouvoir téléphoner à leurs amants. Quand la photographie ou le cinéma est arrivé, on a pensé que le taux de crimes allait exploser car on allait voir des crimes, et devenir criminel. Là, Facebook arrive, et on a l’impression qu’on est tout nu sur Facebook. Mais bon, on n’est pas tout nu sur Facebook

Nicholas Charrière : Il y a beaucoup de gens à qui on demande “est ce que vous avez un problème avec Facebook ?” et ils disent “oui”, mais quand on leur demande pourquoi, ils ne savent pas vraiment. Ils sont conscients qu’il y a une surexposition par rapport à avant en tout cas, mais cela ne leur pose pas forcément de problème. Ce qu’a dit Danah Boyd c’est que ce qui pose problème à chaque fois, c’est le changement. La première fois que Mark Zuckerberg a introduit le Newsfeed, l’outil qui sélectionne les informations en fonction de ce qu’on regarde, il y a eu un énorme buzz, il a été obligé d’écrire un article disant “calmez-vous, ce n’est pas grave” et au final on voit que maintenant, cela ne dérange plus personne.

D C : Danah Boyd s’est trompée sur le sujet, car elle a écrit un article très critique sur le Newsfeed. Le truc a été panique morale, grand débat, beaucoup d’anecdotes de presse, qui quand on ouvre le fil, on n’a pas grand-chose, pas énormément, quand les journalistes m’appellent, ils veulent que le “sex teen” soit très développé. Le sex teen c’est l’envoi par les ados entre eux de photos de nudité ou de sexualité. Donc ils veulent absolument que la jeunesse soit à poil, qu’elle s’envoie des photos, mais ils ne trouvent pas de cas. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de cas, il y a des cas, c’est sur mais bon ils ne sont pas aussi nombreux, à tel point que moi parfois, je pense que le mystère, c’est qu’il y ait si peu de cas. Vu les millions d’utilisateurs qu’il y a, il devrait y avoir beaucoup plus d’affaires. Il y a rien devant les tribunaux, ou pas grand-chose, et puis, il y a des affaires mais bon tout ces gens qui disent qu’ils ne sont pas recrutés à cause de Facebook, ils ne sont pas recrutés pour plein d’autres raisons, et disent c’est Facebook.

J . P. : Il y a quand même eu l’affaire de Fontainebleau …

D. C. : C’est le licenciement ? Alors c’est très différent effectivement pour le recrutement, que pour les situations dans laquelle il y a un accord, un contrat salarial, entre la personne et l’employeur. La il y a quelques affaires, mais franchement…

N. C. : Même Fontainebleau, ca a deux ans, alors que Facebook, c’est quelque chose qui va très vite.

D. C. : Il y a une affaire qui est très ancienne, d’une fille qui disait qu’elle était malade, et qui montrait des photos de vacances, alors ça, ça l’a tuée. Il y avait cette histoire suisse, d’une employée qui disait qu’elle avait mal à la tête, et puis elle a été chopée parce qu’elle était en train de “Facebooker”, et qui a été licenciée, mais elle a été sans doute licenciée parce que l’entreprise pensait qu’elle était tout le temps malade, ils ont profité, ils se sont appuyé sur le truc. … Beaucoup plus forte parce que si le droit s’engouffre la dedans, on est perdu, deux salariés qui au prud’homme ont été licenciés, le prud’homme a acté, parce que sans citer le nom de leur chef, et sans citer le nom de l’entreprise, ils se moquaient de leur patron sur Facebook, le patron n’était pas sur le mur, c’est un autre copain qui a vendu le truc, alors la, on tombe dans un truc …

Moi mes arguments très simples qui sont un peu ceux Mallack et de Daniel Caplan surtout, c’est de dire d’abord que l’un des problèmes qu’on est en train de  vivre c’est que tout le Web est un espace public dans le sens traditionnel du terme, et juridiquement, c’est un espace public, même si vous écrivez, que c’est caché, et qu’il y a des mots clés, c’est quand même public. Donc c’est un vrai souci. L’idée c’est qu’il y a un web en clair/obscur. Ce qu’on appelle un web en clair/obscur c’est un web de conversation, c’est un web qui est beaucoup plus proche de la sociabilité entre ami que de l’espace public au sens où vous écrivez une tribune dans le monde, ou bien vous prenez la parole devant les auditeurs de RTL. Vous n’êtes pas en train de vous adresser à une foule qui serait le grand public, vous êtes en train de vous adresser à vos copains,  à un réseau de sociabilité, et c’est vrai que c’est là qu’il y a des modifications, on prend ces liens très forts et très proches, c’est avec eux qu’on échange et qu’on discute, mais on a des amis qui sont des amis des amis des amis des amis donc c’est un peu plus large, mais c’est pas considérable. Il y a des études aujourd’hui qui montrent qu’avoir peu d’amis sur Facebook vous discrédite, donc ca oscille entre 80 et 150. On appelle cela la loi de Dumbar.

Il y a une bonne étude de Cameron Marllow sur Facebook qui dit que quand on a 500 amis, on ne discute vraiment qu’avec 11 personnes quand on est un garçon et 16 quand on est une fille. Discuter vraiment c’est j’écris sur son mur, il écrit sur mon mur. Donc en fait on a beaucoup d’amis, mais on ne discute qu’avec un petit nombre, et ce qui est nouveau, c’est qu’on expose aux autres des conversations plutôt privées. Donc on a un style conversationnel, c’est comme si on parlait très fort pour que les gens nous entende, on frime un peu, on parade. On parade devant des gens qu’on a choisi parce que cette parade elle nous singularise, elle montre notre identité.

N C : On la maitrise quand même notre identité justement, on ne  la montre pas complètement, parce que maintenant sur Facebook, les gens font très attention à ce qu’ils disent donc ils parlent à leurs copains, mais tout est souvent très réfléchis, même quand ils écrivent sur le mur de leurs copains “on va faire ca”, ils essaient toujours d’être originaux et drôles et des choses comme ca. Ce n’est pas parader, c’est se montrer son un bon angle

D. C. : Le premier élément, c’est la panique morale, le deuxième c’est le clair/obscur, et le troisième c’est ce que vous dites, c’est-à-dire, ce que l’on montre de soi c’est assez stratégique, donc il y a beaucoup de discours de gens, très inquiets sur la vie privée, pense que les gens sont complètement naïfs, qu’ils ne réfléchissent pas. De temps en temps, il y a pu y avoir un peu de ça, et ils le disent surtout pour les jeunes qu’il faut protéger. Mais il n’y a rien de moins naïf qu’un gamin. Lui, ce qui l’ennuie, ce n’est pas les profs, la CNIL, c’est ses copains, et avoir la honte, c’est terrible. Il ne cesse de calculer ce qu’il est en train de mettre parce qu’il est en train de voir comment les autres vont réagir à son affaire donc il y a une dimension très très stratégique dans cette mise en scène de soi, très théâtrale. Ce qui ne veut pas dire que dans le théâtre et la mise en scène de soi, il n’y ait pas des trucs très impudiques. Si on est dans une culture juvénile de jeunes de milieu populaire, un peu gamin, dans lequel être totalement bourré ou déconner fait partie de la culture commune du groupe, ils vont le montrer parce qu’ils ont l’impression d’être entre eux. Mais la plupart du temps, si vous le faites ça et que vos copains ne sont pas dans cet état d’esprit là, ils vont vous dire “arrête tu déconnes” et donc ils ne vont pas le faire. Ils vont plutôt essayer de montrer les trucs chics, les trucs qui impressionnent, “j’ai été au concert d’untel “. Mais donc il y a un côté très mise en scène de soi, ce qui fait que du coup, ce n’est pas exactement le privé au sens du plus intime de soi.

N. C. : C’est vrai que dans beaucoup d’études on sent qu’ils postulent que l’utilisateur moyen ne réfléchit absolument pas, qu’il dévoile son cœur. Alors que, je prends mon cas, ce n’est pas du tout vrai.

D. C. : Oui mais vous, vous êtes diplômés, donc vous avez un rapport à votre image et à l’image que vous voulez donner que vous contrôlez. C’est vrai qu’il peut y avoir des milieux plus populaires, moins diplômé, ou le contrôle peut être moins fort. Moi je crois, comme vous, que le contrôle est partout. On ne fait pas n’importe quoi, même quand on fait des concours de photos de vomis.

Et sur cette mise en scène nous on avait fait un enquête qui s’appelle “Socioguide”, vous pouvez retrouver ça sur le web, il y a le jeu, et vous pouvez trouver les résultats de l’enquête, et on demandait aux gens “jusqu’où vous montreriez vous?”. On mettait des séries de 4 photos comme ça, de la plus sage à la moins sage, donc le résultat c’est que les gens étaient plutôt très pudiques qu’ils étaient très calculateurs dans la manière de se mettre en scène, qu’il y avait des options de mise en scène qui étaient différentes, et surtout, ce qui montrait bien qu’il y avait de la mise en scène, c’est qu’on avait mis les photos de pleurs, de tristesse par exemple, et la photo qui est la plus taboue sur Facebook, et c’est typique de la culture Facebook, c’est les pleurs, être triste, être déprimé, être silencieux, être pensif, être contemplatif, c’est pas la culture de Facebook. Facebook, on est joyeux, on est avec les copains, on est un peu théâtrale. Donc l’intimité d’une certaine manière, l’intimité des psychologues, c’est plutôt orienté du côté de la souffrance, la douleur. Tous le monde est content sur Facebook, c’est très idéologique on est joyeux. Et si on a une photo de soi où on est un peu pas souriant, on ne va surtout pas la mettre. Donc vous voyez bien qu’on calcul ce qu’on montre, et ce qu’on ne montre pas dans ces espaces.

Et puis il y a un quatrième point, ce que dans le débat sur la privacy on appelle les données sensibles. Les données personnelles sensibles, dans la définition que donne la CNIL, c’est tous les données qui sont …

Ce que je veux dire, c’est que si y a de la théâtralisation, ce n’est pas forcément soi qu’on montre, c’est un peu plus que soi, c’est ce qu’on voudrait être.

Les données sensibles, c’est religion, sexualité, noms, téléphone adresses, c’est tout ce qui peut être exploitées par des sociétés commerciales, ou même pour vous identifier. Il y a beaucoup de légendes urbaines qui courent, et ça doit arriver, avec 500 millions d’utilisateurs, c’est sur que ca arrive même, que des cambrioleurs voient votre statut Facebook, ils comprennent que vous êtes en vacance, hop ils ont en plus votre nom votre adresse sur la page, ils savent que c’est vide chez vous, et voilà ils viennent.

Alors c’est toujours le problème, moi je suis très méfiant depuis, avec ces histoires de presse, quand on essaie de les vérifier elles ne sont pas toujours vraies. Quand il y a commissariat, plainte, tribunal, on peut les vérifier, et ça devient plus sérieux, et c’est vrai qu’il y a des affaires. Moi j’avais été invité à un débat des CNIL mondiales, au conseil de l’Europe à Strasbourg. Y a eu un moment incroyable, toute les CNIL du monde, “moi au Mexique il y a des cambriolages” ” moi il y a des viols”, “moi il y a des braquages”, ils ont tous une histoire à raconter, et c’est obligatoire, quand c’est 17 millions d’utilisateurs en France, c’est normal. Statistiquement, ce qui n’est pas normal, c’est qu’il n’y en ait pas beaucoup plus.

Moi en même temps je trouve que les paniques morales sont utiles à la société, parce qu’elles nous permettent de réfléchir. C’est exactement ce que vous êtes en train de faire. Une controverse c’est toujours important parce que ca permet de comprendre, d’avoir des arguments dans différents sens, et du coup d’éduquer, de faire un apprentissage.

Mais c’est vrai que parfois, on tire les anecdotes. Moi j’ai beaucoup enquêté sur les anecdotes de recrutement ; c’est complètement pipeau ce qu’il y a dans les médias. C’est fascinant.

N. C. : Ben disons  que ca donne une excuse facile pour le gars qui ce fait pas embaucher.

D.C : Oui puis surtout je pense, ca s’inscrit dans une guerre entre les anciens médias et les nouveaux médias. Donc la télé, “Envoyé Spécial” est vraiment l’endroit parfait, dès qu’Envoyé Spécial fait un reportage sur Facebook, c’est pour expliquer que c’est … ils trouvent deux gamines, qui après étaient furieuse, qui se servent de Facebook pour trouver du shit, elle trouve un couple qui se sert de Facebook pour tromper son conjoint, chaque fois c’est pour montrer qu’on peut faire le pire.

Je pense que la télé se venge d’internet, elle essaie de faire payer le prix, ce qui encore une fois ne veut pas dire qu’il n’y a pas de risques. Je pense que les données sensibles, c’est un vrai risque, mais c’est vrai que sur Facebook, il y a un effet d’apprentissage très rapide, qui fait que les gens vont enlever les données très sensibles.

N. C. : Après l’engouement générale, quand ca a commencé Facebook, il y a eu toute une phase où tous le monde mettait n’importe quoi, et maintenant ca a ralenti.

D. C. : Et surtout, ils ont fermé les pages. Le mouvement actuel, c’est fermeture des pages sur Facebook, et de moins en moins accessible. Et ca c’est une propriété typique du clair/ obscur. Le clair/ obscur c’est dire beaucoup de choses de soi à ses proches, mais être caché de certains autres. Skyblog fonctionnait pareil, Facebook fonctionne comme ca. C’est qu’on veut être avec ses copains, mais on ne veut pas être avec ses profs et avec ses parents. Donc il faut à la fois faire rentrer des gens, et en exclure d’autres. D’où la fermeture des pages.
Pour la petite histoire, si Facebook a été aussi ouvert au début,

Aux Etats-Unis, pendant deux ans, Facebook fonctionnait avec des adresses en .edu, c’était ouvert qu’aux réseaux universitaires donc les étudiants ils étaient tranquilles. Les seules personnes dont ils ne veulent pas sur Facebook, c’est les parents. Les parents ont pas d’adresse en .édu, ils sont tranquilles, ils sont entre eux. Comme ça, ça permet de draguer, de déconner, d’échanger entre eux ; ils sont entre eux. Dès que le système est ouvert … on referme.

Et sur Myspace, on a vu ça aussi. Myspace c’est une plateforme qui elle est moins clair/obscur, puisque les musiciens ils veulent que tous le monde les voit, pas que leurs copains. Mais s’ils ne font pas de musique, mais qu’ils l’utilisent pour leurs copains, ils ferment. On voit ça de façon très forte.
Donc ça fait plein de raisons qui fait que, on est entre nous, on est très très théâtral, et on ne livre pas son intimité psychologique, sa tristesse, et on planque un peu, de plus en plus, ses infos sensibles ou personnelles, ce qui fait qu’en fait, on a créé un espace de conversation dans lequel il y a eu un changement culturel et sociologique fort c’est que effectivement, on montre plus de choses de soi, on est plus en représentation, mais on n’est pas dans une société hyper narcissique dans laquelle tout le monde se déshabille à poil, de façon naïve. C’est ce discours là qui est très exagéré, me semble-t-il et qui pose beaucoup de problèmes.

N.C. : C’est vrai que ceux qui défendent la thèse adverse, ils se servent beaucoup de la naïveté, pour dire que les gens subissent en fait.

D.C. : Oui, et quand ils sont en fonction institutionnelle comme la CNIL, je pense qu’ils ont raison de le faire. Ils ont raison mais il faut qu’ils fassent attention.

Mais ils sont venus la CNIL, je dois dire, je les ai vu évoluer, et je dois dire, C’est assez remarquable ce que fait Alex Türk. C’est que vraiment, au début, ils disaient n’importe quoi, ils avaient rien compris, ils ont fait un effet d’apprentissage très très vite, ils ont appris,  ils ont joué un rôle très important au sein du G29 européen, ils ont fait une recommandation du G29 qui est la recommandation sur la privacy qui est très bien, franchement, c’est plein de bonnes idées. C’est beaucoup plus adroit, et ils sont beaucoup plus dans l’idée d’une responsabilisation éducative qui n’en fait pas trop. Parce que le problème de la responsabilisation éducative, c’est que dans l’idée que les utilisateurs sont naïfs, il y a une idée très paternaliste. Il y a l’idée : “on sait ce qui est bon pour eux”, “on sait ce qui est digne pour eux” et la notion de vie privée en Europe est très liée à celle de la dignité de la personne humaine. Et donc c’est d’autres qui vont décider de notre dignité. Le débat est devenu un débat typique sur le lancé de Nains. C’est-à-dire que les nains disaient “moi j’adore, je suis payé, ca atteint pas ma dignité”. Puis la société, les tribunaux qui disaient “non, quand même, on peut pas faire ça”.

Donc en petit on a ça sur Facebook : “vous devriez pas vous montrer”. Les gens, ils disent : “j’ai fait ça de façon consentante”. On ne m’a pas forcé à le faire. Ce n’est pas comme les entreprises commerciales qui ont prélevé de l’information sur moi. On n’est pas dans ce cas là.

Il faut être assez adroit dans le dialogue éducatif pour leur dire : “c’est bien de te montrer, tu as raison, tu es un être singulier, tu as envie de montrer tes singularités, mais fait gaffe aux trucs qui peuvent avoir des conséquences”. Il faut arriver à le dire de façon pas trop paternaliste.

Mon dernier point, qui est un truc compliqué, il me semble, c’est l’argument que j’essaie de défendre, c’est que il faudrait un peu confiner le terrain clair/obscur, ces zones de conversation. Tous les problèmes de privacy qu’on évoque, c’est quand quelqu’un qui n’est pas dans votre réseau, a accès à ce que vous échangez dans votre réseau, du coup, il prend une information, il la déplace,  et quand vous déplacez une information qui est dans l’espace public, une citation ou un livre, ca peut circuler dans l’espace public, ca reste dans le même espace et puis surtout, on peut la décontextualiser, un peu pas trop, parce qu’avec les citations, on peut les décontextualiser et les changer, mais quand c’est de la conversation, des conneries, que vous échangez entre vous, si vous enlevez le contexte, tous change. Et donc on prend une information,  où, vous avez fait la fête avec vos copains, c’était la fin de l’année, vous avez eu votre bac, c’était la fête entre vous, c’est normal de faire la fête, il n’y a rien de plus normal, mais si l’info elle est prise 10 ans après, et puis le contexte, c’est dossier de recrutement pour l’entreprise, celui qui a été prendre cette information, en la déplaçant il a tous modifié et il aurait pas du le faire. Moi je pense que ce n’est pas tellement le problème de celui qui se montre, le nouveau problème qui se pose, c’est celui qui regarde. Et que pour regarder, il faut être dans la zone de clair/ obscur. Si on y est pas, la police les parents, le futur employeur, ne devrait pas, alors c’est très ambigu comme affaire, on devrait pouvoir s’en garder. C’est très hypocrite. Mais on ne devrait pas changer le contexte d’information.

N.C. : Donc la responsabilité, elle est au niveau de celui qui regarde ? Puisque quelque part, il a du accepter un ami assez éloigné pour qu’il lui fasse ça.

D.C. : Il y a une responsabilité de celui qui se montre, faut pas se voiler la face, mais je pense aussi, que la transformation culturelle, c’est de déplacer la question de la responsabilité vers celui qui regarde. Parce que celui qui regarde, il vient, il dit “c’est tous public”. Est-ce que c’est vraiment public ? Est ce que je n’ai pas été mettre mon œil au milieu d’un trou de serrure? Et que des choses qui effectivement étaient être eux, mais qui ne me concerne pas, est ce que j’ai le droit de m’en servir ? Il y a Daniel Solove, qui est un très bon juriste américain, qui a beaucoup écrit sur ces question, c’est tous en anglais, mais un des bons livres sur la question, c’est un livre qui s’appelle “the future of reputation”. Il prend l’exemple d’un évènement très branché chez les jeunes américains, qui s’appelle le “burning man camp”. C’est un truc qui a lieu tous les ans dans le désert. C’est un truc néo hippie, néo baba, ils sont très diplômés, c’est franchement pas la plèbe. Ils viennent, ils campent, ils sont très créatifs, ils construisent en bois et en papier un énorme bonhomme qu’ils brulent à la fin, pour signer que vraiment on est passé, on a laissé aucunes traces, on a vécu une sorte de parenthèse entre nous. Il fait très chaud, ils vivent très nus, et puis ils se peignent le corps, ils s’habillent, c’est très imaginatif. Mais du coup, ils sont très déshabillés, et il y a plein de photos évidemment, ils se prennent en photo beaucoup. On ne peut pas dire que le burning man camp soit un truc privé, puisqu’ils sont des milliers, mais en revanche, il y a des sites érotiques américains qui prennent les photos du burning man camp qui les enlèvent du contexte ” on est entre nous, créatifs, on fait la fête, c’est une parenthèse enchantée dans nos vies”, et qui en font du matériel érotique. Donc on est exactement, une information qui est changée de son contexte, et quand on la change de contexte, on change le regard qu’on projette dessus, et on va projeter un regard érotique. Ils ont fait un procès aux sites qui prenaient ces images, et ils ont perdu, parce qu’on leur a dit “mais nan, c’est public”, tous le monde peut prendre des photos. Ce qui faudrait apprendre, c’est à ce que ce ne soit pas possible. Alors je sais que c’est juridiquement impossible.

J. P. : Il y a un problème d’éthique qui se pose…

N.C. : l’éthique est très difficile à gérer juridiquement

D. C. : Oui mais simplement culturellement, ca change. Ca Dannah Boyd le dit très bien, il y a un jour où, au lieu de dire aux gamins, qui a laissé ses photos sur Facebook, t’aurait pas du, parce que tu vas pas être recruté plus tard, il faut que la charge de l’accusation, de la honte, soit porté sur l’employeur, c’est-à-dire, dire à l’employeur “c’est de la discrimination, vous n’avez pas le droit d’utiliser cette information contre moi.” Et d’ailleurs les cabinets de recrutement que j’ai interviewé, ils disent “on apprend rien avec Facebook. D’abord, très souvent, on n’y a pas accès”.

N.C. : mais ils cherchent quand même, ca veut dire …

D. C. : Ils regardent sur internet, mais en même temps, ils ont une déontologie professionnel, ils ne font pas n’importe quoi, ce qu’ils recherchent, c’est des qualités, des compétences, de la maîtrise. Et que quelqu’un sache faire la fête, qu’est ce que ca vous apprend sur ses qualités ? Bac +5, maitrise d’un projet, manager ? Ca n’apprend pas des informations énormes. Mais on est dans l’hypocrisie qu’ils peuvent le faire, et ils le font. Mais ça, il ne faudrait pas qu’ils l’utilisent dans leur jugement. Moi je prends toujours un argument qui est un peu bizarre sur cette histoire de transformation culturelle, c’était très bien montré par éditorialiste Koffman qui avait fait ça, mais il y a un autre aussi qui avait fait ca, l’histoire des seins nus sur les plages. Les femmes n’ont enlevé les soutiens gorges sur les plages que quand elles ont su transformer le regard des hommes. Pour que le regard ne soit pas un regard insistant, pour que le regard ne soit pas un regard lubrique, érotique. Donc en fait c’est toujours une transformation dans lequel celui qui se montre doit aussi changer le regard qui est porté sur ce qu’il montre. Et elles ne le font pas sur n’importe quelle plage, elles le font pas à n’importe quelle heure, elles le font pas dans n’importe quelle condition, parce qu’il a fallut transformer la plage en un espace public. Moi je pense qu’il y a vraiment une responsabilité de ceux qui regardent. Le truc un peu nouveau, c’est vrai que c’est un peu compliqué de dire ça, c’est qu’il faut apprendre à voir sans regarder. On va avoir de plus en plus accès à des informations, mais il y a des informations dans lesquelles on va ne pas être totalement concerné, et si on se sent pas concerné, il ne faut pas qu’on fasse un usage de l’information qui nous est montré. Là je pense que les craintes de Danah Boyd sont exagérées. Ce que montrent bien les études sur Facebook maintenant, c’est que ca sort pas de Facebook. C’est-à-dire, le copain un peu salaud, qui prend l’information, qui la fait ressortir, et qui la rend public, c’est assez rare. Donc il y a une sorte d’adhérence contextuelle qui fait que les informations elles restent dans leur espaces.

Il y avait un psychologue américain qui avait fait un truc sur l’adultère. Bon, sauf si c’est une vedette, une personnalité, si vous avez une information sur un type qui trompe sa femme, cette information n’a de la valeur pour vous, et vous n’allez la faire circuler que si vous connaissez la personne. Mais si vous êtes à un niveau +2 dans le réseau, et bien l’info perd son intérêt. Donc en fait du coup, son degrés de viralité n’est pas si fort. Donc il y a une sorte de comportement homéostatique du système qui fait que globalement, ca se passe plutôt bien. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas à la marge des problèmes, et que ces problèmes n’aient pas des conséquences très importantes sur les gens. Ça il ne faut pas le nier. Si vous êtes la risée de tous internet parce que tous d’un coup quelqu’un a pris une petite information qui se fout de votre gueule partout, c’est très très dur.

N. C. : Il y a eu la vidéo du gars qui est passé au petit journal. C’était un lycéen, et il a fait un bide devant une caméra. Dans son lycée, apparemment il est devenu une victime pendant trois mois.

D. C. : Alors c’est toujours le cas, et là c’est les médias qui vont chercher et qui rendent viral. Il y a deux cas très célèbres, il y en a un, qui était le Starwars kid. Un gamin un peu gros qui jouait avec une épée de Star Wars, qui était un peu ridicule, un peu gauche, il a été remixé partout, et il a très mal vécu. Une histoire plus violente, plus ancienne, qui avait eu lieu en Corée. Mais vous voyez qu’à chaque fois, on raconte des anecdotes. Là c’est des anecdotes qui sont devenues mondiales. Une coréenne qui n’a pas ramassé la crotte de son chien dans le métro. Et il y a quelqu’un qui l’a pris avec une photo de téléphone portable. C’est un vieux monsieur qui a ramassé la crotte. Et celui qui a pris la photo avec le téléphone portable, il lui a mis une honte mondiale. C’est-à-dire qu’il a mis en place les photos, il a dit qui est cette femme,” regardez avec le respect des vieux dans la société coréenne, c’est très important, elle ne ramasse pas la crotte”. Il y a des gens qui ont donné son nom, après il y a eu une campagne publique sur internet et dans toutes les iles, le truc circulait, elle avait du faire des excuses publiques, elle a du arrêter de travailler, elle est rentrée en dépression … Il y a eu des millions et des millions de gens qui étaient sur son cas. Donc effectivement ca peut être très douloureux.

N.C : Mais ce qu’on remarque, c’est que dans ces cas, où il y a eu un vrai problème sur la personne concernée, ca a dépassé complètement les réseaux sociaux. C’est passé à internet.
D. C. : Voila, on est plus dans le clair/obscur. Si vous voulez faire du viral comme ça, il faut sortir du clair/obscur.

J. P. : Le problème, c’est les interconnections entre les réseaux sociaux, et toute la sphère internet.

D. C. : Oui c’est ça, mais seulement n’importe quoi ne se propage pas. Votre copain untel qui était bourré un samedi soir, vous pouvez toujours essayer de le propager, bon sauf s’il était bourré d’une manière très particulière et que Canal+ veuille s’y intéresser, ca n’intéresse personne.

Faire un buzz, ce n’est pas simple du tout. Mais bon, on entre dans un monde où ca devient possible. Du coup le risque existe.

N.C. : …

J.P. : Souvent la responsabilité est déplacée à tous les facteurs externes qui tournent autour des sites de réseaux sociaux

D. C.: oui mais bon, sur Facebook, vous faites des liens vers Youtube. Vous utilisez le fait que Facebook c’est des réseaux en clair/obscur, mais qui se chevauchent les uns les autres, donc tous le monde étant lié, la capacité virale peut être très forte, si l’information que vous avez à faire circuler est hyper-viral. Mais on voit bien que tous n’est pas viral. On voit bien que la révolution tunisienne, c’est hyper-viral, parce que ca concerne tous le monde. Ceci étant, il peut y avoir du viral très limité dans lequel l’humiliation, la dégradation symbolique des personnes se joue quand même, parce que ce qui est important, c’est que ceux de votre classe ont vu l’info.

Mais il y a beaucoup d’auto-contrôle.

N.C. : On fait très attention à comment on présente l’information. En général, on essaye de présenter l’information de façon un peu subtile de telle sorte que les gens qui ne sont pas concernés ne puissent pas la comprendre.

D. C. : Ce qui fait le caractère hyper-contextuel de l’information c’est qu’elle est codée. Quand on est pas dans le clair/obscur avec les gens, il y a du tacite, il y a de l’implicite, il y a plein de codes, et même entre eux souvent, il y a des statuts sur Facebook, qu’on montre à 500 personnes, mais en fait, il y en a 3 qui comprennent. Le plaisir pour l’utilisateur, c’est ce travail un peu compliqué de stratégie de codage de l’information. Mais ces informations là, elles ont un degré de viralité nul.

Le vrai risque et le vrai danger, c’est que la société de transparence, créé des incivilités nouvelles, c’est que ca déclenche, et ce qui n’est pas du tout le cas, franchement, on ne voit pas ça sur internet, des comportements de vengeance et de méchanceté. C’est à dire que celui qui veut faire circuler fort, c’est celui qui veut se venger, et c’est vrai qu’on a des informations, qui retraités, ré-éditorialisés, permettent de se venger. Alors, c’est les ex. Les couples en rupture. Vous avez ca un peu sur Youtube, des trucs qui sont assez violents. Les gamins qui font pas de la vidéo, mais du powerpoint animé, avec de la musique, et ils prennent les photos. Soit ils prennent les photos pour dire à leurs amis qu’ils les aiment, alors ils prennent les photos de fêtes, de vacances. Mais il y a aussi comme ca des trucs qui sont fait sur les ex, et qui peuvent être très cruels.

Moi je pense qu’il faudrait faire des études pour ca. Je n’ai pas de travaux en tête.

Dire aux autres qu’on les aime, ca circule pas. Se venger, avec un ton un peu méchant de vengeance, ca peut dans certaines circonstance un peu rare, sortir, et faire du coup l’effet Danah Boyd, c’est-à-dire qu’on sort de l’espace, et du coup, là, on promène l’identité de quelqu’un, on la déballe, on la fait circuler, et souvent sur le ton de la moquerie. On voit bien toute les histoires : il y avait un garçon chinois, qui était très gros, et qui a été remixé comme star wars. C’est les gens un peu gauche, un peu faibles. C’est plutôt une moquerie qui est une sorte de dégradation, on se moque du plus bête, moins malin, moins agile que soit.

N. C. : Est-ce qu’on peut agir sur un buzz comme ça? Si jamais la CNIL voit qu’un petit garçon se faire allumer, est ce qu’ils peuvent faire quelque chose?

D.C. : Moi je ne suis pas juriste, je peux ne pas vous répondre. Je pense qu’on a un droit à l’image, normalement, on peut faire jouer son droit à l’image.

N.C. : D’un autre coté, mettre de l’information, anonymement sur Youtube, c’est très facile.

D.C. : Oui mais alors je pense que si vous dites à Youtube, il faudrait faire l’essai, vous êtes sur la vidéo et que vous avez jamais voulu.

J. P. : ils la suppriment très vite. C’est pareil pour les histoires de copyright.

D. C. : Oui, alors il faut faire très attention, parce que c’est le problème du droit à l’image, c’est à la fois un droit, du type de celui du droit d’auteur, un droit moral, mais c’est aussi un droit contractuel.
Youtube sur le copyright, ils sont réglo, parce qu’ils savent très bien qu’il ne faut pas qu’ils déconnent, parce que sinon ils vont se prendre des amendes terribles. Je ne suis pas sur qu’ils soient aussi réglo sur le droit à l’image. Moi on m’avait raconté à propos des ivoiriens qui font des vidéos sexuelles avec des gens pour leur faire du chantage, et il parait que youtube les enlève pas ces vidéos. Demandez à la CNIL, c’est Guillaume Mojan qui m’avait raconté ça. Mais ils s’intéressent plus au droit à l’image commercial, qu’au droit à l’image moral.

J. P. : Est-ce que ca pose un problème que toutes les données soient conservées ad vitam aeternam par des sociétés qui ne sont pas en Europe?

D. C. : Ca c’est un vrai problème. Pour moi on ne parle pas de la même chose. Dans la question privacy, il y a deux débats, et je pense qu’il faut les séparer. Un débat qui est très ancien, qui est très classique, qui est: qui surveille ? C’est l’état ou les entreprises qui surveillent. L’état et les entreprises ont des bases de données qu’ils revendent, dont ils se servent pour faire de la publicité ciblée, qui peuvent pour le cas de l’état être très problématique.

Il faut être très vigilant, notamment vis-à-vis des utilisations commerciales de tout ça.

C’est un débat auquel je ne connais pas grand-chose.

Moi, le débat qui m’intéresse, c’est l’autre problème de privacy dans lequel celui qui surveille, ce n’est pas l’état, ce n’est pas les entreprises, c’est vous/ moi, on se surveille mutuellement. On appelle ça surveillance latérale. Ce qui est un peu nouveau avec les réseaux sociaux, c’est que le premier débat il a toujours son actualité son importance, mais le nouveau débat qui arrive c’est la surveillance mutuelle, de gens qui sont dans des positions qui sont pas forcément des positions de contrôles sur les bases de données directement. Et qui simplement en utilisant le système, vous localiser, vous retrouver sur Facebook.

N. C : De façon beaucoup plus facile qu’avant, c’est ce que dit Danah Boyd

D.C : Tous les problèmes d’utilisateurs, même s’ils ont sans doute tort, et là ils sont un peu naïfs, eux ils ne se préoccupent pas tellement de savoir que fait Facebook de leur données, ce n’est pas leur soucis. Leur problème c’est ce que les parents ont vus. Leur problème c’est la surveillance latérale. C’est ça leurs soucis. Tous les petits troubles. Parce que dès qu’on interview un peu les utilisateurs, ils ont des petites histoires à raconter, alors c’est vrai que ce n’est pas du droit, c’est en dessous du droit, c’est des petites vexations.

C’est l’expérience de tous les jours.

Avant il y a avait une fête où ils n’étaient pas invités, et bien ils ne le savaient pas. Maintenant il y a une fête, vous n’êtes pas invité, mais en plus vous voyez les photos de la fête. C’est toutes ces petites choses là.

J. P : Est-ce que vous pensez qu’on va vers une forme de formatage de ce qu’on montre aux autres ?

D . C : Oui bien sur.

J.P : Est-ce que vous pensez qu’il est exacerbé par les sites de réseau sociaux, ou c’est juste que ca donne un autre spectre ?

D . C : Dès qu’il y a des phénomènes culturels massifs, il y a du formatage qui se met en place. C’est normal qu’il y ait du formatage. C’est vrai que là l’interface, la culture qui va avec, le coté cool festif…

Si vous êtes ivre tout seul, ca ne marche pas du tout. Faut être bourré, mais avec les copains. Ce qui est important c’est montrer qu’on est relié aux autres. Il y a une photo maintenant que les jeunes appellent “la photo Myspace”, prise avec la caméra un peu au dessus de la tête pour voir le décolleté pour les filles, avec la duckFace?? C’est vraiment le format. Et tout le monde reprend des codes visuels, des manières d’être et de se présenter qui sont très forte. Alors le paradoxe de tous cela c’est : on se met dans des formats, pour en même temps essayer d’être le plus singulier possible. On se montre pour paraître aux yeux de ses copains un peu différent de sois, un peu original, comme étant créatif etc. mais pour le faire on va employer des choses qui sont assez formatées.

N.C : On se construit une personnalité sur Facebook, dont on se sert, c’est devenu un instrument de drague

D.C : Oui et de valorisation de ses compétences professionnelles, si vous êtes un bon dessinateur, de vos dessins, si vous êtes un musicien, Myspace est un moyen qui peut vous aider.

(NDLR : Discussion à propos de Myspace)

Myspace ca s’est créé, c’est là mon histoire de clair/obscur phare.

Moi j’ai fait un texte sur internet que vous retrouverez ca s’appelle “design de la visibilité”.
La première demande des américains c’était un truc totalement clair/obscur, c’était Friendster, beaucoup de jeunes américains étaient dessus, et sur Friendster, vous ne pouviez voir, c’était une décision de la plateforme, que les amis de vos amis donc vraiment, on fermait le truc, pour rester entre sois dans un petit groupe. Et puis Danah Boyd raconte ca beaucoup : Sur Friendster, les gamins, certains se mettaient à créer des êtres fictifs, ils appelaient ça des Fakester, et le Fakester, c’était un faux ami Friendster, du type Homer Simpson. Du coup, tout le monde se connectait à Homer Simpson, et du coup tout le monde pouvait voir tout le monde. En fait, ils essaient de vouloir ouvrir l’espace pour voir plus loin, pour voir des gens qu’on ne connait pas. Donc on passait par Homer Simpson, ou on prenait des chanteurs, ca marchait à tous les coups. Friendster détruisait les Fakester, eux ils voulaient que ca soit éthique, que ca reste entre eux, que ce soit de la conversation mais qui reste à coté des autres conversations.

Et Chris DeWolfe et Tom Anderson qui sont les deux fondateurs de Myspace, sont des informaticiens un peu malins qui étaient dans une boite de spam à Los Angeles, ils étaient sur Friendster, et […] ils ont repris Friendster, ils l’ont copié, ils ont fait quasiment un Hack, ils ont copié le truc, et ils ont enlevé ce truc qui ennuyait certains qui était l’histoire de la visibilité limitée, et ils ont dit sur Myspace tous le monde voit tous le monde. Donc du coup ils créent une plateforme qui joue très différemment sur l’identité des personnes, c’est que on est plus à échanger avec ses copains comme sur Facebook, vous discutez avec des inconnus, et quand on se met à discuter avec des inconnus, produire son identité, ce n’est plus en racontant le quotidien, les copains, la classe, les profs les parents, il faut raconter quelque chose de soit qu’on puisse partager avec des gens qu’on connait pas. Et partager avec des gens qu’on ne connait pas, c’est la culture, c’est des liens culturels, textes, vidéo et la musique. Et la musique est du coup apparue. Et Chris DeWolfe était musicien, donc ca a aidé quand même, mais il n’a jamais pensé à ce que ce soit uniquement musical. Comme ils ont fait une plateforme ouverte version phare et pas version clair/obscur, dans laquelle on voyait tout, si on voit tout, et bien le fait de se montrer aux autres en montrant une qualité ou une compétence qu’on a comme d’être un musicien amateur est devenu central.  […]

Et puis après Myspace s’est refermé, c’est-à-dire qu’on peut très bien maintenant avoir des pages sur Myspace très refermée. Parce qu’il y a un autre effet qui a joué sur Myspace, c’est qui était que Facebook était très élite à la faculté, et Myspace c’était très populaire […]. Et du coup les pratiques de pudeur en ligne, ou d’impudeur en ligne étaient plus fortes. Il ne faut jamais oublier que la pudeur c’est distribué socialement. Plus on a fait d’étude, plus on contrôle son image, plus on fait attention, moins on est éduqué, plus on est prêt à montrer un peu n’importe quoi. Il y a quand même quelque chose comme ça qui joue beaucoup.

J.P : Est-ce que vous pensez que ce genre de formatage et de contrôle de soi est à même de se propager sur le domaine qui sort de l’internet ?

D.C : On est déjà formaté. Par exemple un CV c’est un formatage.

J.P : Est-ce que les manières de se comporter qui sont nées avec les réseaux sociaux, ces nouvelles  façons de se présenter vont contaminer (le reste) ?

D.C : Ca je ne sais pas. Je pense qu’il faut attendre pour savoir. C’est un débat très classique qu’on appelle l’effet d’âge ou l’effet de génération. Si c’est un effet d’âge, on va vieillir, et on va changer de comportement. Beaucoup de choses sont effet d’âges, donc en vieillissant on change de comportement et on rentre dans la norme. On dit beaucoup que les réseaux sociaux sont un effet de génération. [???]

Mais il peut y avoir un effet de génération. Un effet de génération c’est-à-dire une pratique que vous avez acquis à un certain âge, vous continuez à la transporter avec l’âge. L’écoute du rock est typique. Dans les années 60, le rock séparait, effet d’âge, les jeunes et les ados de leurs parents. Maintenant, les parents écoutent du rock, simplement, ils écoutent plus le même rock, ils l’ont transformé, ils l’ont changé. Le jeu vidéo est en train de faire un effet de génération. C’est-à-dire que ceux qui ont beaucoup joué adolescents vont continuer à jouer, ne vont plus jouer aux même jeux, ils vont plus jouer de la même manière, ils vont plus occuper leur temps de la même façon. Avec les réseaux sociaux, il y a toutes les raisons de penser qu’on va avoir un effet de génération.

N.C : Il y a pas mal de parents qui utilisent Facebook…

D.C : Oui mais ils ne l’utilisent pas de la même manière. Les parents l’utilisent soit dans une communication très professionnelle, soit très familiale. Alors que les usages massifs des ados, c’est complètement lié aux sociétés amicales. On ne veut pas voir le chef, et on ne veut pas voir les parents.

[…]

Les réseaux professionnels se développent  beaucoup. Mais là ca devient presque des micros marchés de l’emploi. Linkedin et Viadeo sont deux belles entreprises, deux beaux services qui marchent, qui gagnent de l’argent, parce qu’il faut dire aussi que c’est très difficile de gagner de l’argent dans les réseaux sociaux. Facebook gagne un peu d’argent maintenant, mais bon, ils ont mis du temps et ils en gagnent pas énormément, à coté de Google, ca n’a rien à voir. Linkedin et Viadeo sur abonnement ils ont réussi à gagner de l’argent. […]

Diaspora c’est le fantasme de la critique de Facebook, et c’est très bien du coup pour ca. Il peut y avoir plein d’autres solutions pour ca

J.P : pour la question de la surveillance mutuelle, est ce que ca change quelque chose ?

[…]

D.C : La nouvelle culture c’est voir sans regarder, donc on va voir plus de choses, mais si on n’est pas à l’intérieur de l’espace d’échange des personnes, ce que l’on voit, on ne devrait pas l’utiliser, on devrait passer comme quand on passe à coté d’une fenêtre.

N.C : Comment est ce qu’on contrôle ça ?

D.C : Moi ma petite idée, mais ca ne sera jamais fait c’est de se dire : voila sur Facebook, il y a un grand mythe qui traine, qui est une vraie légende urbaine de Facebook on peut dire, qui est “qui a regardé ma page?”. Plein de gens qui tombent dans le piège, il y a des virus maintenant avec ca, c’est de dire aux gens qui ont regardé ma page. Parce que quand on est sur Facebook, on a envie de savoir qui m’a regardé, et on n’a pas envie de dire aux autres que je les ai regardé, donc c’est très asymétrique, c’est typique de cette surveillance mutuelle. Du coup Facebook a très bien compris le truc, jamais il ne mettrait un service “qui a regardé ma page?”, ils ne peuvent pas le faire. S’ils le faisaient, ca ferait tomber 95 des drames de privacy parce que vous n’iriez plus regarder n’importe comment, on ferait super attention, les parents feraient gaffe parce qu’ils savent que s’ils vont sur les pages de leurs gamins, ben les gamins le savent, donc on ferait vachement plus gaffe.

Donc Facebook ne le ferait pas, parce qu’ils perdent une partie de l’excitation aussi. En revanche, on pourrait imaginer, je sais pas si techniquement c’est possible, moi je ne suis pas du tout ingénieur, un système qui dise que les gens qui sont dans ma zone de clair/obscur c’est-à-dire avec qui j’ai échangé, qui ont déjà regardé ma page souvent, c’est-à-dire qui font partie de mon réseau, eux c’est normal on reste, on ne le dit pas, mais si quelqu’un d’extérieur vient sur ma page, là il laisse un trace, un employeur, un parent, un prof, là il laisse une trace. Donc ca veut dire que le fait qu’il a regardé, il le paye d’une trace et dans ces cas là, il ne le ferait pas n’importe comment. Il pourrait le faire, mais il serait obligé de le justifier, “oui j’ai regardé votre page Facebook parce que je voudrais vous recruter, donc j’ai pensé qu’il fallait que je voie”. Mais il va en informer la personne et je pense que ca permettrait d’éduquer le regard de celui qui regarde. C’est comme ca que fonctionne le modèle économique de Linkedin et Viadeo. La raison pour laquelle les gens s’abonnent, se mettent à payer sur Viadeo, c’est que eux ils font payer ca, comme sur les sites de rencontres. Sur les sites de rencontres, vous savez qui est venu sur votre page, et sur Linkedin et Viadeo, celui qui cherche un emploi, il paye à Viadeo un paquet de plusieurs services dont celui de savoir qui m’a regardé. Parce qu’il se dit “est ce que je suis chassé par des entreprises … ?” Donc on voit bien que c’est une information importante. Je trouve que s’il y a un jour quelqu’un un peu malin qui fait un service dans lequel quand on est avec des gens qui sont notre zone, là on est très libre de se voir de se parler de se lire, et que quand on est à l’extérieur, on est obligé de laisser une trace je trouve qu’on apporterait une solution assez éducative au problème du …

[…]

Dans les comportements d’utilisateurs on voit ca de plus en plus dans l’éducation qu’on fait à Facebook. Est-ce que vous acceptez toutes les invitations d’amis ? Une des premières choses que les gens regardent, c’est le nombre d’amis en commun donc ils disent “celui la je le fait rentrer parce qu’on a déjà 20 amis en commun donc je le fait entrer dans mon réseau.” Mais quelqu’un qui n’a aucun ami en commun avec vous, qui vient regarder ta page, tu déclare ton nom, et l’autre va le savoir, parce que tu n’es pas dans la zone de sociabilité de clair/obscur de la personne, tu es complètement étranger, donc si tu vient c’est que tu as une raison, donc il faut que tu donnes ton nom, et que tu expliques la raison. Tout au moins une façon implicite, c’est si tu les fais, c’est que tu te sens capable d’assumer la raison pour laquelle tu le fait. Je pense que ca éduquerais le regard du voyeur, et en même temps, ca responsabiliserais …

Facebook a publicitairement intérêt à ce que les pages soient le plus ouvertes possible mais plus c’est ouvert, moins ils auront d’utilisateurs. Tweeter a tout perdu, en tout cas a complètement raté son truc parce que c’est devenu un truc complètement publique, donc ca va intéresser un tout petit marché. Facebook a gagné parce que c’est devenu MSN. Et du coup, il y a des millions d’utilisateurs qui arrivent. Donc s’ils veulent massifier les usages, il faut qu’ils permettent aux gens de fermer ces petits espaces conversationnels. Mais c’est en tension avec leur modèle publicitaire. Donc il faut qu’ils arrivent à gérer petit monde et en même temps plus c’est public, plus le CPM(?) de la pub est fort. Ce qu’ils sont en train de nous faire faire c’est que là, tous s’est refermé, et on va avoir 2 identités, une pour le petit réseau mais aussi une possibilité d’être plus public et dans ces cas la on pourra mettre de la pub à forte CTM(?) pour une partie de nos activités.

(A propos de l’algorithme du Newsfeed)

Ce n’est pas très bien qu’il soit secret. Je pense que c’est bien que Google soit secret, que le pagerank soit secret, mais l’algorithme du Newsfeed non.

Ce qu’il y a sans doute, c’est comme tous les algorithmes, il y a plein de choses dedans. Il y a surement du page vus d’amis qui fait qu’il revient plus fréquemment dessus, mais il doit y avoir plein d’autres choses.

N.C : Avez-vous déjà entendu parler du concept d’”intimate strangers ?” Le fait qu’on connait très bien la vie de gens qu’on ne connait pas du tout. On connait leurs photos de vacances, on sait ce qui s’est passé quand leur chien est mort. On les connait très bien, mais on leur a parlé une fois dans notre vie.

J.P : est ce qu’on va être de plus en plus à même de construire ce genre de relations ?

D.C : C’est-à-dire qu’il y a deux figures. Il y a le intimate strangers c’est-à-dire des gens que vous connaissez mal, mais en fait vous en connaissez beaucoup plus sur eux parce que vous connaissez leur vie numérique. C’est en train d’arriver, même avec la Googleisation des rendez-vous. Avant de rencontrer des gens, maintenant on les Googleise, donc finalement on a des infos sur eux qui font qu’on les voit pour la première fois, mais vous savez déjà des choses. Il y a ca. Il y a un bouquin que j’aime bien, c’est “Strangers with consequences”, qui est l’idée que dans nos vies, il y a des liens forts, ces 11 ou 16 qui sont nos copains qu’on voit tout le temps, avec qui on échange tout le temps, on les voit dans la vraie vie, on est potes sur Facebook mais ils sont pas différents de la vraie vie. Et puis on a tous ces liens plus faibles qui sont autour de nous, et qui ont beaucoup de conséquences dans nos vies. C’est des gens qu’on ne connait pas très bien, mais qui ont des conséquences dans nos vies. Et ca, ca a toujours existe, et le web effectivement transforme sans doute ces gens là en intimate strangers, un peu plus. Votre boulangère, votre kiosquier, vous leur avez jamais demandé s’ils avaient des enfants ou pas d’enfants, mais tous les matins vous les voyez, vous leur dites un petit mot. Il y a beaucoup de critiques qui viennent sur les réseaux sociaux en terme : “ce ne sont pas des amis”. Comme quoi il ne faudrait être qu’avec que ses vrais amis et les amis c’est presque de l’amour qu’on a avec eux. Il y a plein de gens avec qui on a plein de relations, sans que ce soient des intimes, et ils sont essentiels dans nos vies. On a tendance à les mépriser.

(NDLR : Discussion sur les amis en école)

D.C : Il y a une vraie différence entre la sociabilité étudiante et la sociabilité post-étudiante. C’est un moment très particulier de la sociabilité que vous êtes en train de vivre.

N.C : D’ailleurs Facebook est passé de la sociabilité étudiante à la sociabilité post-étudiante, et ca a créé la controverse dont on parle aujourd’hui

D.C : En partie à cause des parents. Mais la sociabilité étudiante c’est une sociabilité de grand clan. C’est-à-dire que on mélange tout le monde et on aime tout le monde, même si on les connait pas très bien parce qu’il y a un coté famille, clan. En fait c’est une nébuleuse dans lequel il y a un vrai clan de très bons copains, et puis il y a tout les autres liens. On prétend être copain avec tout le monde. D’où cette idée très large de l’amitié. Alors que dès qu’on rentre dans le monde professionnel … Enfin,  il y a 3 étapes typiques : ne plus habiter chez ses parents, la mise en couple, et le premier enfant. Chaque fois on perd des copains de la nébuleuse, et on ne garde que quelques uns. Et surtout, on spécialise et on différencie les réseaux sociaux. On va avoir des amis que l’on va voir que dans un contexte qui est celui de l’entreprise où on travaille, les amis qui nous viennent du monde étudiant et qu’on a transformé en autre chose, en amis de qualité, ce qu’ils n’étaient pas forcément pendant la vie étudiante, et puis on a des amis qui vont être liés à des contextes vie associative. Si on a un enfant, on a un nombre d’amis qui chute de 10. Mais on a perdu cette idée du grand clan. En effet Facebook est né de cette idée du grand clan. Ce qui était central dans le Facebook des originaux, c’était la notion de réseau. Ca existe plus. Chaque fac avait son réseau…

En gros c’était quoi le réseau, c’était la fac, en fait c’était la résidence universitaire, et c’était alors où est la fête, dans quelle résidence. C’était très lié à un contexte local et géographique.

N.C : Peut-être que notre génération grâce à Facebook va maintenir le clan, la vie d’étudiante …

D.C : Effectivement, ca c’est la thèse que votre génération va révolutionner tout.

J.P : Est-ce que Facebook créerait pas un sorte de désir que tous le monde a de recréer cet esprit de communauté qu’il a eu un moment dans sa vie?

D.C : Le désir de garder un lien. Je ne pense pas que Facebook fasse quelque-chose. Vous savez Facebook ce n’est pas grand-chose par rapport à la vie réelle. Avoir un enfant, c’est avoir un enfant. Et tout d’un coup quand on a un enfant, on peut plus voir les copains de la même manière et les copains ils vont partir. Alors ce qui reste, c’est l’idée qu’on ne perd pas complètement lien, donc on maintient beaucoup cette sorte de truc qui est pas lié à Facebook, qui est on s’appelle on se fait une bouffe, mais on s’appelle jamais on se fait jamais la bouffe, mais on se croise dans la rue. S’il est toujours dans ces contacts Facebook, chacun sait psychologiquement que cette potentialité est toujours possible, mais elle n’est pas activée.

Donc ca il est probable qu’on va transporter avec soi beaucoup de choses, et ce qui pose beaucoup de problèmes à certain. Moi ce que je vois beaucoup pour les adultes sur Facebook, c’est que c’est sympa de retrouver ses copains de jeunesse, mais en même quelque fois ce n’est pas sympa, et qu’il y a beaucoup de gens qui aimerait ne pas les retrouver.

Et souvent, ils se retrouvent, ma j’ai vu des récits de ca en interview, ce n’était pas drôle. C’est formidable les 3 premiers jours, très euphorique, super je t’ai retrouvé, on échange on se raconte les vies respectives, en fait dans une sorte d’esprit de comparaison, “qu’es tu devenu, quelle est ta trajectoire par rapport à la mienne? ” et puis très vite on n’a plus rien à se dire, on ne va pas refaire 10 ans plus tard, un lien fort tel qu’il a été dans le contexte du lien. Donc il y a beaucoup de déception dans ces réunions là.

Et puis il y a le problème des ex, qui est un grand classique des trucs de Facebook parce que là c’est un lien qu’on voudrait écarter du réseau, mais qui garde les amis de qui, comment ça se passe, ça c’est les réseaux sociaux, ça pose un vrai problème de privacy.

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