La vie privée est une notion centrale pour comprendre les enjeux des réseaux sociaux sur Internet. La vision que les acteurs en ont détermine leur degré d’implication dans cette sphère sociale particulière et oriente leurs réactions face aux changements de politiques de confidentialité.
Il n’existe pas de définition universelle de la vie privée. En effet, cette notion, très sensible à l’environnement culturel et social dans lequel elle est pensée, est sans cesse repensée. C’est cette absence de consensus notionnel qui nous pousse à adopter en premier lieu une approche historique, pour cerner la genèse de ce concept.
D’où vient la notion de sphère privée ?
Selon M.-I. Brudny[1] reprenant la réflexion menée par H.Arendt[2], l’idée de sphère privée est “d’inspiration grecque” et s’appuie sur la structure naturelle que constitue le cercle familial. Cependant, cette notion émerge à proprement parler au XIXe siècle à la suite d’un long processus de division des domaines public et privé qui confère à l’individu un second mode d’existence, sa vie politique.
Le domaine du privé est d’abord pensé comme le domaine du privatif, c’est-à-dire ce qui est littéralement absent à l’interaction d’autrui. Avec l’avènement du christianisme, le privé change de forme et désigne plutôt la protection de soi par l’obscurité, le fait de se cacher au regard de l’autre. Cependant, “l’avènement du social”[3] au XIXe siècle fait disparaître cette scission entre sphères publique et privée devant la prédominance du privé, devenu “seule préoccupation commune”. Cette dissolution du domaine public entraine la destruction de la sphère privée qui lui est intimement liée. De cette déliquescence nait une notion plus fragile, l’intimité, à comprendre comme un reliquat de l’ancienne sphère privée, le refuge des subjectivités en mal de protection [4] :
Le recul actuel de la discrétion n’est-il pas à référer au fait que l’intimité a succédé, de manière précaire, au privé dont le secret constitue la définition même. La prière insistante de nos jours dans les conversations à deux, entre amis – « je te dis là quelque chose de confidentiel, tu le gardes pour toi, n’est-ce pas ? » – n’est-elle pas intuition de la fragilité, de la vulnérabilité extrêmes de l’intimité, produites par la disparition de la sphère privée ?
Un concept ambigu
Face à une sphère privée diffuse, l’individu trouve refuge dans un concept plus fragile mais psychologiquement rassurant, l’intimité. Cependant, cette dernière notion relève davantage de la construction psychique que de l’édifice social. Ainsi, chacun se donne sa propre définition du privé, en accord avec sa vision des enjeux sociaux liés à l’exposition de soi au regard d’autrui.
Une approche juridique
Selon le droit civil français, la vie privée apparait comme un ensemble non limitatif d’informations personnelles dont la loi garantit la protection [5] :
La vie privée, en fait il faut pour être précis dire plutôt “le droit à l’intimité de la vie privée” fait partie des droits civils. Les composantes de la vie privée n’ont pas fait l’objet d’une définition ou d’une énumération limitative afin d’éviter de limiter la protection aux seules prévisions légales. Les tribunaux ont appliqué le principe de cette protection, au droit à la vie sentimentale et à la vie familiale, au secret relatif à la santé, au secret de la résidence et du domicile, et au droit à l’image.
Cette vision fait écho à l’approche philosophique qui a amorcé notre réflexion, à savoir que la vie privée est une entité aux frontières indistinctes qui contient ce que nous avons de plus intime.
Cependant, le droit civil nous révèle quelques pistes privilégiées pour saisir ce que la notion de vie privée recouvre :
- d’abord, la vie privée comprend le droit au secret. Un individu peut décider de ne communiquer ses informations personnelles qu’à un ensemble d’acteur sociaux qu’il choisit.
- ensuite, apparait le concept fondamental de droit à l’image. Chacun doit consentir à toute utilisation de son image.
Communément, on considère comme privé un certain nombre de données personnelles[6] :
- l’intimité: identité sexuelle, état de santé, opinions politiques et religieuses, appartenance ethnique, relations sexuelles et amoureuses, moeurs, relations personnelles, sociales, appartenance syndicale, vie professionnelle…
- la vie familiale
- le domicile
- les loisirs
- les circonstances de la mort
- le droit à l’image
- la correspondance privée
- les atteintes à l’honneur et à la réputation
Ainsi, s’il est délicat de s’accorder sur une définition universelle de la vie privée, il est tout de même possible d’observer ses variations sous ses deux aspects fondamentaux : secret et image. C’est dans cette optique que nous allons étudier les interactions entre vie privée et réseaux sociaux Internet.
[1] BRUDNY, M.-I. La sphère privée selon Hannah Arendt, Champ Psychosomatique 2002/3, n° 27, p. 9-12.
[2] ARENDT, Hannah. Condition de l’Homme Moderne
[3] ARENDT, Hannah. Op.Cit. Ch 80-81
[4] BRUDNY, M.-I. Op.Cit. p. 12.
[5] BAUDO, Serge. Dictionnaire du droit privé
[6] COLLEE, Laurent. Sécurité et vie privée sur les réseaux sociaux, p.12-13
Interactions entre intimité et réseaux sociaux
Politiques de confidentialité et comportements
Alternatives et perspectives