Entretien avec Catherine Rumeau-Pichon de la Haute Autorité de Santé (HAS)
Comment a évolué la position de la Haute Autorité de Santé sur le sujet du dépistage du cancer du sein au cours des 10 dernières années ?
CRP : Globalement, il y a eu peu de changement de position. La HAS a toujours recommandé un dépistage généralisé (au départ selon les recommandations de l’OMS) comme il en existe actuellement. Il y a 6 ou 8 ans, des scientifiques (notamment Götzche et Olsen) ont commencé à remettre en cause l’efficacité d’un tel dépistage. Mais la HAS a évalué que la qualité méthodologique de leur méta-analyse n’était pas suffisante pour une telle remise en question. D’ailleurs, aucun pays n’a arrêté le dépistage jusqu’à présent. Evidemment il faut toujours être prudent, car lorsqu’une mauvaise décision est prise il est très difficile d’y mettre un terme (c’est l’inertie française …).
De plus même si l’efficacité du dépistage n’est pas aussi importante qu’on le souhaitait au départ, il a un intérêt majeur : il permet de structurer toute la prise en charge.
Il faut ajouter à cela un argument de qualité pour la France : dans le cadre du dépistage généralisé, chaque analyse fait l’objet d’une double lecture (ce qui n’est pas le cas pour le dépistage individuel). Le cahier des charges du dépistage est d’ailleurs disponible sur le site du ministère.
Y a-t-il une étude en cours de la part de la HAS sur le sujet ?
Deux dossiers sont en cours d’étude actuellement dans la HAS : sur le taux de participation au dépistage généralisé, et sur la comparaison dépistage généralisé-dépistage individuel. Il faut savoir qu’il est problématique d’évaluer l’efficacité du système étant donné que certaines femmes préfèrent aller se faire dépister avec une lettre de leur médecin plutôt qu’avec l’invitation envoyée par le gouvernement. On estime que le taux de participation au dépistage généralisé est de 50% auquel s’ajoute le dépistage individuel. L’objectif de la loi était 80% en tout. De plus beaucoup de cancers sont traités indépendamment du programme (lorsqu’il y a des signes visibles par exemple).
En 2008-2009, la HAS a également publié un rapport sur l’introduction de la mammographie numérique (qui permet de voir plus de choses, c’est-à-dire plus de cancers, mais aussi plus de cellules cancéreuses qui n’auraient pas évolué).
Que sait-on réellement de l’efficacité du dépistage en termes de mortalité ?
L’été dernier il y a eu une controverse à ce propos : l’intérêt du dépistage généralisé s’est avéré moins grand qu’espéré. Evidemment, c’est toujours le cas pour ce genre de programme national. Les gains en termes de mortalité ont été plus faibles que les prévisions : c’est le passage de la théorie à la pratique. Il faut savoir aussi qu’en France on dépistait déjà avant le programme de dépistage généralisé. Les gains marginaux sont donc nécessairement plus faibles.
Que pensez-vous des problèmes dus aux sur-diagnostiques ?
Comme dans tout dépistage, il y a sur-diagnostique, c’est-à-dire que l’on risque de détecter une tumeur par erreur sur une personne saine, où une anomalie qui n’aurait peut-être jamais engendré de cancer. Le concept de « dépistage » est d’ailleurs fondamentalement problématique, puisque dépister consiste à aller voir quelqu’un qui n’a rien pour lui dire qu’il est peut-être malade. Il est donc fondamental d’être extrêmement rigoureux et de vérifier que les traitements proposés vont être bénéfiques. Pour le cancer du sein, c’est généralement le cas (contrairement par exemple au cancer de la prostate pour lequel on n’a aucune preuve d’amélioration). Mais dans certains pays, les mesures prises en cas de doute peuvent être extrêmes : par exemple aux Etats-Unis on réalise parfois une ablation totale du sein en prévention. Dans ce genre de cas les conséquences d’un sur-diagnostique sont désastreuses.
Un autre problème lié au sur-diagnostique est le suivant : pour une femme il est insupportable d’être détectée sans être traitée. A partir du moment où on lui dit que quelque chose ne va pas (surtout dans le cas d’un possible cancer), il est très difficile de lui proposer d’attendre et de surveiller son évolution sans rien faire. Le stress induit est extrêmement perturbant. Mais si l’on soigne à tous prix, on rencontre le problème du sur-traitement.
A partir de quel âge la HAS recommande-t-elle le dépistage généralisé ?
Actuellement, le dépistage est recommandé tous les deux ans entre 50 et 74 ans. (Il faut savoir aussi que certaines femmes se font dépistées de manière individuelle avant 50 ans).
Comme dans tout problème de santé publique, il est très difficile de fixer des bornes. Pourquoi 50 et pas 49 ou 51 ans ? Globalement, on constate que les cancers les plus agressifs apparaissent souvent avant 50 ans. Mais à cet âge les seins sont plus denses, et les cellules cancéreuses moins visibles. A la mammographie analogique, elles passent inaperçues. Depuis quelques années, nous avons aussi la mammographie numérique qui permet de détecter plus d’anomalies, mais qui engendre aussi plus de sur-diagnostique.
A chaque amélioration technologique, on repose la question de l’âge du début du dépistage généralisé. Les mammographies sont de moins en moins irradiantes, donc cette question mérite d’être soulevée.
Que sait-on des risques de cancers radio-induits ?
Pour certaines femmes qui ont des facteurs de risques plus importants, les cancers radio-induits sont plus fréquents. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’âge du début du dépistage est fixé à 50 ans : une irradiation tous les deux ans à partir de 40 ans pourrait être dangereuse pour ces femmes. Mais évidemment, l’irradiation n’est pas la principale cause de cancer : le mode de vie, les traitements hormonaux, l’âge de la première grossesse par exemple sont autant de facteurs de risque, et il est très difficile d’évaluer la part des irradiations dans l’apparition des cancers.
Quelle est l’influence des médias et du grand public sur le sujet ?
Les médias et les politiques ont très peu d’influence, puisque le dépistage généralisé est globalement bien accepté. Cette controverse n’est pas extrêmement connue finalement.
Comment récolte-t-on les résultats des dépistages et comment la HAS fonctionne-t-elle pour la rédaction de ses rapports ?
Les radiologues centralisent l’ensemble des résultats et les transmettent à l’InVS (Institut de Veille Sanitaire). L’INCa (Institut National du Cancer) quant à lui réalise des études coût-efficacité. La HAS étudie l’ensemble des documents publiés sur le sujet pour ses rapports. Il faut ajouter que des représentants de patients sont présents dans tous les groupes de travail.
Quelles améliorations voyez-vous pour le programme de dépistage généralisé ?
Il me semble que la plus grosse erreur stratégique est le fait d’avoir complètement exclu du programme les médecins généralistes qui suivent et connaissent bien leurs patients. La HAS souhaiterait donc que ceux-ci puissent être impliqués. Il est en effet un peu absurde que les relations de confiance établies entre un médecin et son patient soient contournées par le programme.