Les forêts françaises, menacées par une augmentation de l'exploitation?
La filière bois : un secteur économique en danger ?
La filière bois est un secteur économique important de part son chiffre d'affaires (40 milliards d'euros), ses emplois et sa diversité. Cependant, elle est confrontée à de nombreuses difficultés que nous aborderons dans cette partie.
Une source importante d’emploi en baisse
La filière bois emploie 425 000 personnes réparties selon le tableau ci-dessous ce qui représente 1,7% des emplois en France, soit plus que le secteur automobile par exemple.
L’ONF(Office National des Forêts, cf Acteurs Forêt publique ) qui est un de nos acteurs principaux emploie environ 9500 personnes. Cependant les effectifs sont réduits fortement chaque année depuis la réforme de l’ONF qui date de 2002. En effet 15 000 personnes travaillaient à l’ONF en 1986, ce qui représente donc une réduction d’un tiers des effectifs. Cette baisse du nombre d’emploi du secteur est générale comme le montre la courbe suivante qui ne va que jusqu’à 2006 mais le phénomène a continué depuis :
Cette baisse des effectifs à l’ONF est beaucoup critiquée par les syndicats et les gardes forestiers. (cf Multifonctionnalité)
Financement de l’Etat et de l’UE : des réductions budgétaires à la privatisation ?
La filière bois reçoit 340 millions d’euros de la part du ministère de l’Alimentation, d l’Agriculture et de la Pêche. Cette somme est souvent comparée avec les 5 milliards d’euros que perçoit l’agriculture. Le budget pour la forêt ne représente que 6,8% du budget alloué à l’agriculture. Les professionnels du bois dont FNB (Fédération Nationale du Bois, cf Professionnels du bois) considère par conséquent ce budget insuffisant et demande une hausse de ce budget vu le déficit de la filière. Toujours pour comparaison la filière agro-alimentaire est excédentaire de 6 milliards d’euros. Cette différence de financements est encore plus importante au niveau européen. En effet la PAC (Politique Agricole Commune) fournit 10 milliards d’euros à l’agriculture française alors que la forêt ne reçoit qu’à peine 1% de ce chiffre.
De plus, le financement de l’ONF (Office National des Forêts, cf Acteurs Forêt publique) est en diminution depuis quelques années. Pascal Leclercq, secrétaire général de la CGT Forêt (Confédération Générale du Travail) et ingénieur à l’ONF, lors de l’entretien que nous avons eu avec lui le 25 janvier 2012 a critiqué cette baisse des financements :
« Non ça vient de l’Etat car depuis 1985 c’est une date particulière c’est quand il y a eu le premier contrat de plan entre l’état et l’ONF et depuis tous les 4,5 ans l’ONF contracte avec l’Etat certains engagement donc l’Etat au niveau de l’ONF dit aux niveau des effectifs « Bon voilà je veux que vous arriviez à tel niveau et en contrepartie on vous verse des moyens financiers suffisants pour gérer les forêts communales » parce que pour les forêts communales les aides et les financements se font en parties par prélèvement sur les recettes mais c’est un prélèvement assez faible et le reste c’est l’Etat qui le verse : cela s’appelle le versement compensateur or depuis 85 ce versement compensateur s’érode au point que c’est devenu une vulgaire subvention c’est plus un versement compensateur ».
D’après lui, ce désengagement va à terme conduire à une privatisation de la forêt :
« L’Etat se désengage et à terme il voudrait que la gestion forestière soit mise en concurrence entre plusieurs opérateurs. On a eu connaissance d’une note du trésor qui a été remise au ministre des finances qui disaient clairement que l’avenir c’était déjà de terminé le versement compensateur et faire en sorte que la gestion forestière soit mise en appel d’offre auprès de multiples opérateurs autant public que privé et que ça se fasse sous forme de concession à travers des appels d’offres c’est de la privatisation forestière et la vision d’Etat c’est ça, en tout cas du gouvernement actuel alors nous on est pas du tout sur ce point de vue-là on pense que on gère des forêts qui appartiennent à des collectivités publiques, la gestion forestière ça s’étale sur 1 siècle, 1 génération donc ce n’est pas possible de confier ça à des opérateurs privés qui ont une vision à court terme et en général il sont là pour rentabiliser un investissement mais la forêt ce n’est pas ça du tout. Mais voilà moi je pense que la vision d’Etat c’est à terme que la gestion forestière soit privatisée. »
Pascal Leclercq considère donc que la gestion de la forêt se fait nécessairement sur le long terme. Seule une gestion par l’Etat peut assurer ce service public contrairement au secteur privé qui est dans le court terme, temporalité incompatible avec une bonne gestion de la forêt d’après lui.
Le déficit de la filière : une simple question de quantité ?
Comme dit ci-dessus la filière bois est en déficit de plus de 5 milliards d’euros par an depuis les 5 dernières années. Ce déficit est paradoxal car la forêt française est la 4ème en termes de surface boisée au niveau européen.
(Source : Inventaire Forestier National)
Dans les faits ce ne sont pas les pays avec le plus de surface boisée qui sont les pays ayant une filière bois avec le plus gros chiffre d’affaire. Comme le montre le graphique suivant, l’Allemagne et l’Italie qui sont à la 5ème et 6 ème place en termes de superficie se retrouvent premiers si on considère le chiffre d’affaire de leur filière bois.
En effet ce qui pèse le plus lourd dans le chiffre d’affaire est la transformation du bois bien plus que la production simple. En témoigne ce résumé économique de la filière bois française. On remarque que la première et deuxième transformation pèse 76 fois plus que la récolte du bois.
Par conséquent, la balance commerciale d’un pays témoigne de sa capacité à apporter de la valeur ajoutée à son bois. C’est justement un des points faibles en France qui explique en partie ce déficit. La FNB (Fédération nationale du bois, cf Professionnels du bois) par exemple considère que la filière transformation est en retard au niveau des infrastructures et que seul un gros investissement de l’état pourrait permettre son développement.
De même, Pascal Leclercq, lors de notre entretien, critique une progressive désindustrialisation non compatible avec une réduction du déficit :
« Bon ce n’est pas d’aujourd’hui que la filière bois est déficitaire en France. Ce n’est pas une découverte, mais si elle est déficitaire en fait on fait des constats et le pouvoir public n’apporte pas forcément les bonnes solutions. Ce qu’il faudrait c’est vraiment reconstruire cette filière industrielle et reconstruire des unités de transformations du bois de taille moyenne et au plus près des sites alors que là on voit une grosse concentration et puis tous ces tissus industriels forestiers par exemple dans les Vosges sont en train de disparaitre au profit de grosses productions qui s’implantent par ci par là. C’est ce qu’on constate un peu dans toutes les autres filières : on assiste à une désindustrialisation de la France. Moi je dirais qu’au niveau de la filière bois ça a commencé il y a déjà longtemps. »
D’autre part, Laurent Denormandie de FNB, lors de notre entretien, remet en cause le chiffre de 6 milliards d’euros de déficit :
« Dans l’énorme déficit, il faut que vous preniez en compte uniquement le déficit sciages, qui est de la responsabilité de la filière par rapport à l’état qu’on vient de déterminer ; ne prenez pas en compte l’ameublement. Parce que dans l’ameublement, pour 90%, ce n’est pas du bois. Dans le déficit qui est mis en évidence, les 6 milliards de déficit, là-dedans il y a un fourre-tout ! Vous avez le papier, le carton, la pâte à papier, et l’ameublement. Vous, il faut regarder uniquement le chiffre « sciages ». »
Si on se ramène uniquement aux sciages le déficit ne dépasserait pas le milliard.
La forêt de production : seule source de revenus pour la filière
Le financement de la forêt française par ses propres acteurs pose également problème, d’autant plus si la forêt se privatise comme le pense Pascal Leclercq. En effet actuellement seule la filière industrielle génère de l’argent qui sert à l’entretien de la forêt. C’est pour cela que FNB (Fédération Nationale du Bois, cf Professionnels du bois) répond à FNE (France Nature Environnement) qui met en avant la multifonctionnalité de la forêt comme principe que tant que toutes les autres fonctions de la forêt ne généreront pas d’argent la production de bois est indispensable. En effet FNE considère que la production n’est envisageable seulement si un certains nombre de critères sont réunis. Pour Julie Marsaud, responsable du réseau forêt à FNE, lors de notre entretien le 24 janvier 2012, ces critères sont que le projet doit :
- garantir l’écosystème
- être socialement acceptable
- être économiquement intéressant
- participer au développement local
Laurent Denormandie, président de FNB, lors de notre entretien le 29 février, répond :
« Moi je veux bien qu’on laisse pousser ce qui pousse mais à ce moment là on ne dit pas que la forêt est déficitaire et on ne demande pas à la forêt d’être un secteur de production avec de emplois et une force vive de la nation. On peut tout mettre en parc naturel mais qui c’est qui va payer ? C’est ça qu’il faut avoir à l’esprit. Toutes les forêts publiques aujourd’hui dans les missions d’écologie, biodiversité, accueil c’est gratuit pour les collectivités. Tu as des maillons de visiteurs qui se pointent à Fontainebleau chaque année mais c’est gratuit. Le mec il veut chasser, il veut ramasser des champignons, faire du VTT, faire des fêtes, de la randonnée c’est gratuit. Qui est-ce qui entretient la forêt ? C’est la forêt de production. Qui c’est qui rapporte l’argent qui sert à entretenir la forêt ? C’est la forêt de production. »
Par conséquent FNB considère que tant que la production sera l’unique revenu de la forêt elle est indispensable.
Une source importante d’emploi en baisse
Financement de l’Etat et de l’UE : des réductions budgétaires à la privatisation ?
Le déficit de la filière : une simple question de quantité ?
La forêt de production : seule source de revenus pour la filière