Les forêts françaises, menacées par une augmentation de l'exploitation?
Entretien CGT-Forêt avec M. Pascal LECLERCQ
Le 25 janvier 2012
Zi : Est-ce que vous pouvez commencer par présenter cotre parcours et votre fonction dans la CGT et ce que fait la CGT forêt?
Pascal LECLERCQ : Personnellement, je travaille à l’ONF depuis 1978 donc cela fait bientôt 35 ans j’ai travaillé au départ comme technicien forestier. Ca fait partie de la catégorie B de la fonction publique de l’Etat et maintenant je suis ingénieur de l’agriculture et de l’environnement d’ordre ministériel fonction publique de l’Etat et donc là je suis secrétaire général de l’organisation syndicale qui s’appelle CGT Foret depuis 2005 donc je fais ça à plein temps ce qui signifie que je bénéficie d’une décharge de service totale donc je suis considéré comme étant en activité. Mais l’activité c’est de l’ordre syndicale mais c’est pas travaillé dans un service quoi. Alors l’organisation syndicale CGT Forêt nous on syndique on accueille surtout le personnel de droit public donc les fonctionnaires et contractuels de droit publics mais il faut savoir qu’à l’ONF il y a aussi des personnels contractuels de droit privé et c’est beaucoup des ouvriers forestiers en gros pour donner une proportion il y a 2/3 de personnel de droit public et 1/3 de personnel de droit privé. Et bien entendu on est pas la seule organisation syndicale en terme de représentativité on se situe à 17,8% aux dernières élections on est la deuxième organisation pour les personnels de droit public.
Mais concernant les forêts ou concernant tous les syndicats ?
Oui on fait 17,8% c’est concernant tous les syndicats c’est des élections professionnels qui de toute manière ont lieu au mois d’octobre qui ne concernait que des personnels de droit public et donc au final on est 6 organisations à nous partager les sièges du comité technique central ce qui détermine la représentativité.
En 2008 il y a un Grenelle qui a été publié qui propose d’augmenter la production de bois en France qu’est-ce que vous en pensez ?
Il faut être prudent nous ce que l’on reproche au Grenelle de l’environnement, qui ensuite a été acté par un discours du président de la République à Malte, c’est qu’il mette l’accent sur le fait que la forêt doit devenir productive avant de remplir ses fonctions patrimoniales et sociales et au niveau de l’ONF. L’ONF a un budget particulier, qui dépend fortement des cours du bois, notamment pour les forêts domaniales…
Ce sont des forêts qui appartiennent à l’Etat…
Oui les forêts domaniales ça appartient à l’Etat mais on gère aussi beaucoup de forêts qui appartiennent aux communes voire départements régions. Les forêts des collectivités. Et comme les cours du bois baissent et comme l’Etat se désengage de plus en plus financièrement d’opérateurs publics notamment l’ONF cela fait que la tentation est d’aller récolter beaucoup plus en forêt pour aller équilibrer le budget. Le Grenelle de l’environnement se traduit au niveau de l’ONF par avant tout un souci financier, c’est notre point de vue, et quand on adopte ce point de vue on perd totalement la vision éco systémique de la forêt. Si on va récolter beaucoup en forêt sans se soucier au moins à moyen terme du bon renouvellement des peuplements ça veut dire qu’on appauvrie. Et on laisse un patrimoine globalement qui est en plus mauvaise état que lorsqu’on l’a recueilli en gestion. Parce que la forêt ça vit sur des cycles qui s’étalent sur des centaines d’années. Nous on est mortel on arrive là on gère la forêt sur une trentaine d’année maximum après on la lègue et si on la lègue dans un état… Qu’il y a un dégradé par rapport au départ c’est que l’on a failli à la mission et c’est ça qui nous fait peur dans tous ces discours du Grenelle de l’environnement dans le discours d’Urmatt du président Sarkozy c’est que leurs soucis maintenant c’est que la forêt doit être quelque chose de productif, de rentable...
On considère la forêt comme matière première…
Comme une usine à bois. Et c’est aussi en contradiction avec la vision politique française vis-à-vis de la forêt qui dit qu’à tout endroit de l’espace la forêt doit remplir 3 fonctions essentielles :
-Une fonction de production évidemment à cause du matériau bois
-Mais aussi une fonction patrimoniale
-Et une fonction sociale.
Et le Grenelle et le discours d’Urmatt ont perdu de vue un peu ces fonctions sociales et patrimoniales et sont quand même obnubilés par la fonction production et c’est ça qu’on leur reproche.
En fait on adopte petit à petit le point de vue des pays anglo-saxons qui pour eux la forêt effectivement est une forêt à vocation à être usine à bois et à côté ils mettent certaines forêts en rang de réserves biologiques intégrales où l’on ne fait plus rien : des forêts vitrines…Alors que nous en France et surtout dans les pays latin on dit que une forêt doit pouvoir remplir les 3 fonctions.
Vous trouvez que l’Etat néglige la fonction sociale de la forêt…
Tout à fait oui d’après les discours officiels on s’en rend bien compte : Il faut qu’on soit productif, le but s’est d’augmenter les récoltes.
On est dans la crise économique, y a-t-il vraiment une demande sur le marché ou c’est simplement l’Etat qui veut que ce soit comme ça ?
Disons oui il y a une demande évidemment mais surtout il y a des filières industrielles qui sont complétement désorganisés. Bon ce n’est pas d’aujourd’hui que la filière bois est déficitaire en France. Ce n’est pas une découverte, mais si elle est déficitaire en fait on fait des constats et le pouvoir public n’apporte pas forcément les bonnes solutions. Ce qu’il faudrait c’est vraiment reconstruire cette filière industrielle et reconstruire des unités de transformations du bois de taille moyenne et au plus près des sites alors que là on voit une grosse concentration et puis tous ces tissus industriels forestiers par exemple dans les Vosges sont en train de disparaitre au profit de grosses productions qui s’implantent par ci par là. C’est ce qu’on constate un peu dans toutes les autres filières : on assiste à une désinstrualisation de la France. Moi je dirais qu’au niveau de la filière bois ça a commencé il y a déjà longtemps.
Quand vous dites construire la filière bois vous le voyez comment ?
La filière bois c’est important nous on est à l’amont de la filière, nous on fournit la matière première après il y a tout un réseau de scierie de transformations de papeteries etc... Après il y a la mise sur le marché de la consommation. C’est tout ça la filière donc nous on a quand même une forêt qui est très riche on est quand même le troisième massif forestier en Europe on [l’ONF] gère à peu près 4,5 millions d’hectares et tout le reste c’est des forêts privés. On fournit suffisamment de bois pour alimenter la filière le problème c’est que cette filière n’est pas en état d’absorbé tout ce bois donc : les industriels on choisit de mettre la priorité sur les grosses unités de production voire d’exporter nos produits. En fait on ressemble de plus en plus à un pays sous développé c’est-à-dire que l’on produit de la matière première on la revend à l’extérieur et après on importe les produits finis. C’est pour cela que structurellement on est en déficit au niveau de la filière.
On a des informations aussi au niveau des industries ils disent que ce dont ils ont besoin c’est plutôt des bois tropicaux alors que ce que l’on fournit en France ce sont des feuillis (chênes…) qui ne sont pas fait pour la construction. Est-ce que vous pensez que le déficit vient du fait que le bois en France n’est pas adapté au marché ?
Je ne crois pas… les chênes français sont très réputés notamment pour les produits de qualité Mérin. Il y a toujours eu des sciages notamment en chênes et aussi hêtre voire certains épicéa le problème des industriels est qu’il y a un lobby assez puissant et eux ce qu’ils veulent est que la forêt puisse s’adapter instantanément au marché. Alors ça c’est impossible car la forêt on la met sur des parcelles on va marquer des bois le martelage c’est vrai qu’il y a un but commercial mais aussi un but sylvicole on fait le martelage pour aussi façonner la forêt mais on ne fait pas le martelage uniquement pour répondre à une demande sur le court terme le décalage vient de là et de plus en plus on assiste à des pressions de la part du lobby des industriels pour que les gestionnaires forestiers notamment l’ONF on puisse leur fournir les produits dont ils ont besoin à un moment donné mais ce n’est pas le but de la gestion forestière on est pas épicerie. En gros ils voudraient que la forêt devienne une espèce d’épicerie et que nous on soit les chefs de rayon et on met les produits qu’ils veulent à un moment donné en rayon. Donc il y a une grosse pression à ce niveau-là.
A votre avis y a-t-il une surexploitation en France ?
Je ne peux pas vous dire parce que nous à l’ONF on travaille pas sur l’exploitation des bois mais globalement non il n’y en a pas assez parce que s’il y en avait assez on aurait pas besoin d’importer du produit fini donc quand je vous dis que le tissu industriel est désorganisé c’est qu’effectivement il est pas équilibré en fait et on a pas assez d’unité de production.
Etes-vous pour ou contre l’augmentation de la production en France ?
Moi je suis pour que l’on transforme les produits finis forestiers le plus près possible du lieu de la récolte donc nous au niveau de la CGT on milite pour avoir un tissu industriel régional adapté à une forêt régional qui est vraiment une corrélation…
Moi j’ai une collègue qui a vu un reportage sur l’ONF apparemment il y a eu des gardes forestiers qui se sont suicidés. Comment expliquez-vous cela ?
Il y a eu 5 suicides cet été, des suicides il y en a tout le temps nous on a constaté que depuis 5 6 ans il y a un taux de suicide à l’ONF qui est en augmentation. Nous on a commencés à alerter la direction Générale et les médias sur le fait qu’à l’ONF il se passait un peu un syndrome à l’image de France Telecom c’est-à-dire que l’ONF petit à petit a commencé à fonctionner en interne comme une entreprise privé. A importé des méthodes de management qui venait du privé telle quelle et ils ont collé ça en interne à l’ONF alors que le travail de forestier n’est pas forcément un travail accès sur la production la rentabilité et le profit. Et forcément après ça crée des tensions du conflit du mal être et il faut savoir qu’à l’ONF on supprime beaucoup d’emplois.
Votre effectif a été réduit d’un tiers je crois…
Depuis 1985, en 1985 il y avait à peu près 16000 salariés à l’ONF là on est plus que 9500 et ça continue de diminuer. Donc des réductions d’emplois mais aussi en même temps des missions qui se complexifies parc qu’il y a beaucoup de demandes qui viennent du public et des usagers qui fait que ces missions ce complexifies. Et c’est difficile de faire cela avec de – en – de personnel donc il y a forcément un stress qui s’installe et en plus on installe des méthodes de management qui sont personnalisées alors que dans le réel on travaille dans un collectif de travail et donc le personnel est mis en concurrence les uns avec les autres ils sont soumis à remplir des objectifs qui sont parfois en décalage total avec ce qu’on appelle ici l’éthique du métier parce que nous ce qu’on veut. Vous prenez un garde forestier lambda vous le mettez dans une circonscription forestier. Lui comment il conçoit son métier c’est de faire en sorte que à la fin de sa carrière il remette une forêt qui soit au moins en aussi bon état que celle qu’il a reçu. Or maintenant on lui demande de faire des choses qui contrecarre cette vision des choses donc il y a une perte de sens du métier et en plus on lui demande d’aller de plus en plus vite et non seulement il soit faire des choses qui heurtent sa conscience professionnelle mais en plus il faut presque qu’il bâcle son travail c’est ça qui est à l’origine de la souffrance des gardes forestiers parce que c’est surtout des gardes forestiers qui se suicident c’est parce qu’il y a vraiment ce conflit c’est ce qu’on appelle un conflit éthique et donc il y a (il s’adresse à une collègue) je ne sais pas tu les as les chiffres de suicides depuis 5 6 ans ? 25 ! 25 suicides donc nous on a alerté de manière officiel et on a choisi systématiquement de médiatisé chaque cas dramatique comme ça on nous la reproché mais le fait de l’avoir médiatisé ça a mis aussi la direction sous pression et ils se sont rendu compte qu’il fallait faire quelque chose. Effectivement ils ont mis en place certaines choses mais nous ce qu’on voudrait c’est que la direction admette que si les gens sont mal dans leur travail c’est que l’organisation générale du travail et la méthode de management sont à la cause de ce mal être. Donc ils mettent en place des mesures comme par exemple des cellules d’écoute mais pour nous c’est pas la réponse à la situation c’est toujours une réponse individuelle et ça peut même être dangereux parce qu’à la limite ça peut vouloir dire aux personnes en difficultés que s’ils sont en difficultés c’est parce qu’ils n’arrivent pas à s’adapter à leur travail. Ce que nous voulons c’est que le travail soit adapté aux hommes. Malgré tout on a réussi à un moment donné à faire reconnaitre un suicide en accident de travail. Donc c’est une première et ça a ouvert beaucoup les yeux a telle point que cette année le Directeur général à lancer un audit sur l’organisationnel pour voir ce qui ne va pas au niveau de l’organisation et on va voir ce que ça va donner. Il y a eu 5 suicides cet été , c’est exceptionnel on a jamais vu ça effectivement les médias ce sont emparés du sujet et on a été complétement débordé mais bon moi je dis aux médias une fois qu’ils m’interroge « c’est vraiment la face émergée de l’iceberg » Parce qu’après il faudrait mesurer toute la consommation de psychotropes tous les états dépressifs à droite et à gauche et ça si c’était vraiment mesuré on se rendrait compte qu’effectivement il y a un très gros problème à l’ONF. Et on est pas les seuls je vous le dis vous aller dans n’importe quelle administration maintenant dans n’importe quel service public… Je ne sais plus c’est à la Poste je crois qu’il y a eu un suicide dernièrement là où il y a le plus de suicide c’est à la Police, chez les enseignants ça commence, ce qui arrive à l’ONF c’est ce qui arrive partout… c’est globalement le travail qui est malmené.
A Part vous pour se faire entendre par l’Etat ou par l’ONF existe-t-il d’autre association syndicats… ?
Nous on essaye de travailler avec d’autres organisations syndicales parce que on ne représente que 17% donc notre voix est assez faible on essaye de travailler en harmonie avec le plus d’associations syndicales bon ce n’est pas toujours facile parce que on a pas toujours la même vision on a pas non plus les mêmes repères revendicatifs mais malgré tout on arrive à se mettre d’accord sur l’essentiel. Et l’essentiel c’est que à force de supprimer des emplois on arrive plus à mettre en œuvre nos missions donc on va commencer à abandonner certaines missions ou à les bâcler et à terme c’est l’ONF qui va partir en déliquescence donc nous on pense à préserver notre outil de travail et ce que l’on voudrait c’est que notre outil de travail remplisse correctement les missions que la loi impose c’est-à-dire gérer correctement les forêts dites publiques.
Vous disiez tout à l’heure que depuis l’année 1985 un tiers de l’effectif a disparu… Est-ce à cause des compressions de budget ou c’est l’ONF…
Non ça vient de l’Etat car depuis 1985 c’est une date particulière c’est quand il y a eu le premier contrat de plan entre l’état et l’ONF et depuis tous les 4 5 ans l’ONF contracte avec l’Etat certains engagement donc l’Etat au niveau de l’ONF dit aux niveau des effectifs Bon voilà je veux que vous arriviez à tel niveau et en contrepartie on vous verse des moyens financiers suffisants pour gérer les forêts communales parce que pour les forêts communales les aides et les financements se font en parties par prélèvement sur les recettes mais c’est un prélèvement assez faible et le reste c’est l’Etat qui le verse : cela s’appelle le versement compensateur or depuis 85 ce versement compensateur s’érode au point que c’est devenu une vulgaire subvention c’est plus un versement compensateur.
Mais pourtant l’Etat cherche une augmentation de la production du bois .Pourtant il supprime des emplois n’est-ce pas contradictoire ?
Non regardez ce qu’il se passe ailleurs. L’Etat se désengage et à terme il voudrait que la gestion forestière soit mise en concurrence entre plusieurs opérateurs. On a eu connaissance d’une note du trésor qui a été remise au ministre des finances qui disaient clairement que l’avenir c’était déjà de terminé le versement compensateur et faire en sorte que la gestion forestière soit mise en appel d’offre auprès de multiples opérateurs autant public que privé et que ça se fasse sous forme de concession à travers des appels d’offres c’est de la privatisation forestière et la vision d’Etat c’est ça, en tout cas du gouvernement actuel alors nous on est pas du tout sur ce point de vue-là on pense que on gère des forêts qui appartiennent à des collectivités publiques la gestion forestière ça s’étale sur 1 siècle, 1 génération donc ce n’est pas possible de confier ça à des opérateurs privés qui ont une vision à court terme et en général il sont là pour rentabiliser un investissement mais la forêt ce n’est pas ça du tout. Mais voilà moi je pense que la vision d’Etat c’est à terme que la gestion forestière soit privatisée.
Donc l’Etat veut privatiser toute la gestion des forêts ? Il veut commercialiser les forets mettre les forêts à vendre sur le marché.
Oui il y a ca derrière nous on se rend compte que au niveau des pouvoirs publics de plus en plus on s’éloigne de ce qui a fait la vision de la gestion forestière depuis des siècles ce qu’on appelle une gestion multifonctionnelle donc en tout point de l’espace la forêt doit remplir les 3 fonctions principales production sociale environnementale alors que là on se rend compte qu’on voudrait compartimenté en espèces ces trois fonctions c’est-à-dire une forêt avec de la production pure là on va faire une grande réserve qu’on va mettre sous cloche et ailleurs on va transformer une forêt en un parc de loisir mais ce qui nous inquiète beaucoup c’est que petit à petit l’ONF est en train de péricliter du fait que l’Etat se désengage qu’il y a de plus en plus de poste supprimé qu’on arrive plus à remplir nos fonctions correctement et il plane cette menace quand même sérieuse d’à terme une privatisation de la gestion forestière et là l’ONF sera réduit à un rôle de pilotage des politiques forestières et de contrôle on assurera plus vraiment notre rôle de gestionnaire forestier on sera juste un outil de contrôle.
Trouvez-vous que l’Etat ou l’ONF écoute assez la CGT Foret ? Réussissez-vous à vous faire entendre ?
Non l’Etat ne nous écoute pas ce qu’on arrive à faire par nos écrits et nos expressions c’est à le porter à l’extérieur de l’ONF vers public et le public lui est très sensible à ce qu’on dit. Le public les usagers de la forêt mais aussi les élus locaux les maires de communes forestières sont sensibles. Mais quand on s’adresse directement à l’Etat non on arrive pas à se faire entendre ou alors il faudrait un gros rapport de force derrière un gros conflit social comme il y a eu lieu en 2008 où nous sommes parvenu à se faire entendre mais pas suffisamment mais assez pour que certaines choses se mettent en place quoique ça reste assez dérisoire. Vous savez l’organisation syndicale on est assez faible on n’a pas beaucoup de monde pour se faire entendre on ne peut que aller vers l’extérieur ou mobiliser fortement le personnel pour faire pression sur la direction pour l’obliger à négocier certaines choses.
Entretien avec Laurent Denormandie,
Président de la FEDERATION NATIONALE DU BOIS (FNB)
Le 29 février 2012
Pauline : Quelle est votre formation, votre parcours. Comment vous en êtes arrivé pour être président de FNB ?
Laurent Denormandie :[rires] quelle idée …
Pauline : Qu’est ce qui a fait que vous vouliez venir au FNB ?
Laurent Denormandie : Pourquoi je voulais de venir FNB ? Mais ce n’est pas une fin en soi. Moi je suis exploitant forestier scieur. Mon vrai métier c’est …, moi je suis chef d’entreprise. Après FNB c’est une organisation professionnelle. C’est le petit Medef du bois si vous voulez. C’est une fédération patronale qui est là pour représenter les intérêts des chefs d’entreprises qui sont dans la profession du bois donc d’exploitation forestière et la transformation du bois. Après c’est des mandats social que vous exercez pour défendre votre périmètre d’activité quoi. Donc c’est comme ça que ça se passe, en France il doit y avoir 1400-1500 adhérents qui sont des scieries, des exploitants forestiers, des gens qui de la scierie sont passé un peu à la transformation avec valeur ajoutée. Et tout ça, ça fait un monde un peu cosmopolite, un peu différent car il ya un peu toutes les tailles. Donc ça se réunit, c’est organisé au niveau syndical et départementaux puis après tu as les syndicats régionaux, après le syndicat national qui marche avec un bureau et puis des présidents de commission et donc veille à défendre nos intérêts quoi. Nous on est au cœur de la filière et donc on est interface avec les gens qui détiennent la ressource qui sont des propriétaires ou qui sont l’ONF et puis avec les gens qui nous achètent le bois qui sont les industriels, les menuiseries, les négoces, l’exportation ; et puis au dessus de tout ça il y a de façon transversale toute la mouvance réglementaire, sociétale sur la quelle on est obligé soit d’être en défense soit en proposition.
Donc moi j’ai démarré mon cursus, j’ai fais une école d’agriculture qui s’appelle l’INREA et puis j’ai fait la formation des ingénieurs civils à Nancy. Je me suis passionné de forêts assez vite et puis je me suis mis à mon compte très tôt. D’abord en tant qu’exploitant forestier puis en tant que scieur. Donc moi je suis l’archétype de la scierie française moyenne, 25 employés, 6 000 000 de chiffres d’affaires. Je suis spécialisé en feuillus. Le métier du feuillus est un métier bien plus artisanal que le métier du résineux. C’est plus des métiers d’experts, il faut être expert sur la matière, sur la transformation et les marchés sont plutôt des marchés de niche. Voilà le parcours quoi.
Thomas : Et la représentativité de FNB dans le milieu ? Est-ce qu’il ya d’autres …
Laurent Denormandie : [coupe] Non pour la partie exploitation forestière et scierie on est la seule organisation professionnelle. Donc sans l’organisation de la filière, c’set compliqué mais assez simple. En ce qui concerne les détenteurs de la ressource, les 3 : vous avez l’ONF, donc eux ils sont identifiés en tant que tel, vous avez les communes forestières qui pèsent autant que l’ONF puisque les communes représentent autant de marché du bois, …, pour faire simple en terme de surface et mise sur le marché. L’ONF et les communes, ça on va dire que c’est les forêts publiques et puis après il ya les propriétaires. Les communes sont représentées par leur fédération des communes, les propriétaires sont représentés par leur fédération nationale qui s’appelle la fédération des sylviculteurs. Donc ça fait 3 organisations qui représentent, on va dire, la ressource. Après nous au sein de la production forestière, Fédération Nationale du Bois on représente les scieries, les exploitants forestiers et une partie de la première transformation et puis après quand vous arrivez dans la 2ème transformation, là vous tombez sur des fédérations beaucoup plus petites en terme d’adhérents mais qui peuvent peser lourd en terme de chiffres. Vous avez les papetiers. Vous avez 10 entreprises seulement en France mais c’est du lourd. Vous avez les panneaux de particules, les panneaux de process. C’est tous les panneaux de 2m sur 1m50 pour faire des murs, pour faire des tables et des meubles. Ils sont identifiés comme une fédération. Et après chaque métier décline une fédération. Vous avez les charpentiers, les menuisiers, etc. Donc nous on est à peu près au milieu. Au niveau représentativité, en tant qu’entreprise on est la fédération où on est le plus grand nombre. Alors et après tout ce petit monde là travaille ensemble depuis 7-8 ans dans le cadre d’une interprofession. Jusqu’à là on est dans les fédérations de représentation, de statut et de corps de métiers. Et après vous avez au dessus de tout ça , qui nous réunit pour des actions de promotion, de communication ou de mise en avant du matériau ou de nos métiers, vous avez l’interprofession qui s’appelle France Bois Forêt qui réunit tout le monde pour dire qu’est ce qu’on fait, montrer que c’est bien d’exploiter la forêt ou monter que la forêt est un puits de carbones, des actions de communication ensemble.
Pauline : Donc vous êtes présent dans France Bois Forêt avec d’autres secteurs ?
Laurent Denormandie : Voilà donc on a des bureaux, des conseils d’administration, etc dans les quels on décide des thématiques de campagne, de communication ou d’être force de proposition au moment d’une loi. De façon collective, c’est plus intéressant d’apporter un dossier interprofessionnel ensemble qu’apporter individuellement des morceaux face à l’Etat qui lu même n’a pas forcement une vision globale puisque chaque ministère a des divisions sectorielles.
Pauline : Est-ce que vous pourriez détailler précisément ce qu’est la 1ère transformation en fait ?
Laurent Denormandie : Alors le bois , en France, appartient à des propriétaires forestiers comme ta grand-mère. Elle a les arbres, elle les fait pousser avec des forêts plus ou moins grandes. Ces arbres là quand ils sont arrivés à maturité il faut les vendre. On les vend à qui ? On les vend à des gens qu’on appelle les exploitants forestiers. Ce sont des gens qui sont organisé pour venir dans la forêt, couper le bois, l’exploiter, le récolter, le couper et le sortir. Ensuite le vendre soit à des gens des scieries soit les acheminer à leur propre scierie. Souvent l’exploitant forestier est aussi scieur, il a un double métier. Il exploite pour s’approvisionner et il amène le bois dans sa propre scierie. La 1ère transformation en scierie, comme son nom l’indique, c’est la 1ère opération qui consiste à passer du tronc d’arbre rond à des planches. Tu donnes des traits de scie, alors tout ça, ça peut-être très moderne dans le cas du résineux et tu passe du rondin à la planche ou au madrier ou au chevron qui sert à la construction, à l’aménagement, etc. la 1ère transformation c’est ça. La 2ème transformation c’est quand ce morceau de bois sous forme de planche ou sous forme de chevron a été livré une industrie porte fenêtre qui lui à partir de ce chevron va faire une porte ou une fenêtre. C’est ça qu’on appelle la 2ème transformation. En fait en sortie de 2ème transformation ton produit il est finit. Tu fais un morceau de planche, 1ère transformation, et tu l’amène à un parqueteur qui fait un morceau de parquet, 2ème transformation. Alors ce que vous devez savoir dans la filière de très important c’est qu’il ya 2 mondes qui sont totalement différents, c’est le monde du résineux et c’est le monde du feuillu. C’est vraiment des mondes totalement différents. On ne peut rien comprendre à la filière et on ne peut rien engager comme proposition si on n’a pas cette distinction permanente à l’esprit. Parce que ce qui est bon pour le résineux n’est pas forcement bon pour les feuillus .Le marché du résineux est un marché de masse, le marché du feuillu est un produit de niche. Le résineux est un produit qui est complètement industrialisable en terme de process, le feuillu absolument pas. Donc c’est pour ça que vous avez aujourd’hui en France …, le résultat de cela c’est que pour alimenter le marché de masse les scieries résineuses ont monté des outils industriels lourds, des usines qui sont capables d’avaler des troncs de résineux, qu’ils comptent en mètre/minute et ils sortent des produits en mètre/minute pour la grande consommation. Donc ça ils ont su le monter avec des scieries qui sont capables de scier, un exemple de volume disons 50 camions/jour alors qu’une grosse scierie feuillu va scier 4 camions/jour. Et là où le scieur résineux va faire que des standards,( ce que j’appelle un standard c’est un madrier qui fait du 6 par 8, tout le monde en France fait du madrier qui fait du 6 par 8, et même en Europe, c’est des standards) , et là le scieur de feuillu il va faire un petit peu de 6, un petit peu de 8, un petit peu de 10, un petit peu de 12, et il va avoir des planches avec des nœuds, des planches sans nœuds , des tranches comme ci, des tranches comme ça. Les écarts de valeurs quand vous ouvrez une grume de résineux, il n’y a quasiment pas d’écart de valeurs en terme de prix dans le produit que vous sortez, cela peut aller de 1 à 3. En feuillu ça peut aller de 1 à 20. Donc en feuillu si vous voulez, vous avez votre grume sur votre scie. Alors la 1ère manche elle va être d qualité 4, la 2ème de qualité 3, celle du milieu est une planche extraordinaire. Il faut sortir la planche du milieu car c’est elle qui va payer tout le reste. Et donc ça c’est totalement artisanal, on n’a pas de process industriel pour arriver à sortir la quintessence qui est totalement hétérogène. Sachant qu’ensuite, comme on est sur des métiers de niches, on serait sans cesse à modifier les process. Avec un process industriel tu arrives à spécialiser ta machine et à la faire avancer vite que si derrière tu as des produits qui sont standardisés. Dès lors que tu commences à changer tout les quarts d’heure, c’est ingérable dans un process.
Thomas : Donc c’est ça qui fait dire à beaucoup de gens que la forêt française n’est pas adaptée à la demande industrielle ?
Laurent Denormandie : Ca c’est mon grand slogan qu’on a sorti il y a 2-3 ans qui est de dire : on n’a pas la bonne forêt. On a eu la bonne forêt. Il faut savoir que jusque dans les années 80 où la construction en bois était, le développement de la maison en bois n’était pas forcement quelque chose d’identifié comme important, on construisait des maisons classiques en pierre, il y avait un tout petit peu de charpentes dans le haut des maisons, c’est tout. Et le gros de la consommation, du marché était le feuillu car tout était en bois : les cuisines sont en bois, les gens quand ils se mariaient ils achetaient une salle à manger en merisier massif, tu achetais de chaises, des copies Louis-Philippe. On consommait du bois, il ya avait de constructeurs de meubles dans tous les cantons. Et donc la forêt française qui est feuillu au 2/3, c’était impeccable. Tu sciais du chêne impeccable, tu sciais du hêtre, tu en vendais en France, en Allemagne, en Italie. En Italie tu avais des villages entiers qui faisaient des chaises pour l’ensemble de l’Europe. Et tout ça, ça se consommait. Et les méthodes de consommation ayant changées parce que le massif coute cher à cause de la main d’œuvre. Le massif ce n’est que de la main d’œuvre. Les méthodes de consommation ont changés, maintenant c’est IKEA, panneaux de particules puisque ça coute moins cher, puisque tu déménages, etc. Et les appartements sont plus petits. Les armoires normandes qu’on a chez nos grands-parents, aujourd’hui c’est invendable. Tu mets ça chez un commissaire priseur, il te dit que tu ne les vendras jamais. Tu veux le mettre où ? Il n’y a pas d’appartements pour les recevoir. Les gens ils vont chez IKEA, chez Habitat donc il ya une des changements de consommation. Et sans que l’on s’en rende compte, sans que l’Etat s’en rende compte, personne ne s’en est rendu compte. Et progressivement les courbes se sont croisées entre le résineux et le feuillu. Les besoins de résineux ont augmenté par rapport au marché et en feuillu ça s’est mis à baisser, et les courbes se sont croisées. Et aujourd’hui le feuillu est vraiment parent pauvre et le problème est que la forêt et la ressource est feuillu. Donc l’équation à résoudre c’est celle là.
Thomas : Le but de FNB est alors de promouvoir le résineux ?
Laurent Denormandie : Alors nous avons tiré la sonnette d’alarme il ya déjà 2-3 ans en disant on n’a pas la bonne forêt qu’il faut donc sans vouloir raser la forêt feuillue il faut essayer de faire migrer une partie des surfaces feuillue sur du résineux sachant qu’il ya feuillu et feuillu. Il ya beaucoup de forêt feuillu qui ont assez peu de valeurs. Parce quand nous on continue à utiliser du feuillu, on en utilise quand même du feuillu, on utilise que du très beau parce que les niches ne réclament que du très beau. Par exemple en France il ya une filière qui marche très bien qui est la filière tonnellerie qui est le joyau du feuillu mais tu fais uniquement des barriques dans des chênes tricentenaires qui ont zéro défaut, qui valent une fortune et il en faut 250 000 m3 par an et pas un de plus. C’est de l’élitisme quoi, ils auront toujours leur place. Mais si tu sors un mauvais chêne tordu comme il peut y avoir en bas de la propriété de ta grand-mère à la limite des herbages où il y a des feuillus et il y a sûrement des champignons, les chênes ils valent 0 franc 0 centime, c’est du bois de chauffage. Après on dit dans les chiffres il ya x millions de m3 de disponibles et sans distinction qualitative en imaginant que tous les chênes de France et de Navarre sont bons à faire du bois d’œuvre et en fait il y a une grosse partie qui ne correspond plus aux métiers de niches parce que toutes les utilisations d’autrefois qui existaient pour des qualités secondaires un peu industrielles ; on en consommait quand même : des planchers de camions, les brouettes, les planchers de wagons , les échelles, enfin tout ce que tu peux imaginer en bois dans les années 60-70-80 n’existent plus . Il y a donc toute une grosse partie de la forêt feuillue qui n’a pas d’utilisation potentielle sauf à terminer en bois de chauffage, en bois énergie, en bois de papier ou en bois de panneaux. Comme le papier et le panneau ce sont aujourd’hui des usines qui sont complètement mondialisée avec des capitaux étrangers qui ont des usines sur différents continents avec différentes monnaies, etc. La stratégie échappent complètement à un seul pays, sur laquelle les gouvernements n’ont rien à dire et donc qui en fonction de l’opportunité du moment vont avoir tendance à dire on a plus intérêt à travailler en Amérique du Sud que en Europe parce que le marché est meilleure, parce que la monnaie est ceci, parce que cela. Ils ont une usine en France mais ils se disent : tiens dans 3 ans mon usine au Paraguay va être opérationnelle et quand elle sera opérationnelle je ferme la France. Tu te dis finalement qu’est ce que tu va faire de tout ce bois là ; et en résineux on manque de volume. On importe déjà plus de3 millions de m3 de résineux pour répondre à nos besoins et les outils qu’on a monté, on commence à avoir des usines qui sont extrêmement compétitives qui ont longtemps étaient à la traine. Là on n’a vraiment investi, on a quelques outils en France qui commencent à être des outils lourds lourds, de niveau autrichien, des gros outils et ces gens ils ne tournent pas à pleine capacité parce que les volumes ne sont pas là.
Pauline : Et donc vous dites, on importe déjà 3 millions de m3 de résineux ?
Laurent Denormandie : Oui, on consomme 10 millions de m3 de résineux en France, on en importe 3 millions de m3. Alors les 3 millions de m3 qu’on importe, on les importe pour 2 raisons. Un, on n’a pas assez de résineux donc quand bien même on se dirait : tiens il faudrait essayer de plus les importer on n’a pas les grumes pour le faire et deuxièmement il y a une partie des produits qu’on importe ce sont des produits qu’on ne fait pas encore en France aujourd’hui en terme de prestations de services apportés dans la valeur ajoutée du sciage, c’est-à-dire que au départ quand tu utilisais un morceau de charpente dans la maison, tu le taillais à la scierie, tu achetais une charpente, tu la montais dans la maison et elle n’était pas séchée, pas traitée, pas raboté, etc. et tout le monde s’en accommodait. Maintenant dans le concept actuel ce qu’on appelle la maison à structure bois, la maison où il n’y a pas que la charpente qui est en bois mais toute la maison qui est en bois y compris le mur porteur, les concepts scandinaves, canadiens, etc. Les gens qui ont créé ces concepts là dans les 30 dernières années ont dit que pour ça il fallait du bois sec, du bois raboté, qu’il fallait plutôt prendre des petites sections et les coller plutôt que prendre des grosses sections. Et donc on a très vite monté à la suite des scieries des séchoirs, des raboteuses, des encolleuses. Et donc au lieu d’acheter à la fin une poutre qui fait 20 par 20 en 4 m de long, tu vas acheter une planche qui va faire 14 m de long qui va être un assemblage de petits morceaux collés, et après avec ça tu vas décider d’en mettre 3 l’une sur l’autre pour faire du 20 20 et t’aménager les produits. Ca la France on a pris extrêmement de retard parce que au départ on n’est pas un pays de construction de bois, on est un pays maçon. Et quand on s’est dit : tiens on va développer la maison en bois parce que c’est écolo, parce que c’est comme ça que ça se développe la maison de bois, ce n’est pas énergivore, c’est local, ça stocke le CO2, etc., on l’a développé sur des concepts d’importation. Une maison, demande à un scandinave il sait la faire et donc on a importé les concepts et donc après on s’est dit : il nous faut du bois mais on a dit : est-ce que en France on a le bois pour faire ça et on a répondu : bah non les scieries françaises elles ne rabotent pas, elles ne sèchent pas, etc elles vont s’y mettre. On a pris le train en route mais on l’a pris après les autres, là où chez eux c’était naturel de construire en bois. On importe pour ces 2 raisons. On manque de résineux et on a pris le train de la construction en bois après les autres donc on n’a pas la capacité encore à faire tous ces produits. Mais structurellement on importe car on n’a pas assez. Et alors le risque c’est que comme le besoin de bois dans la construction en cesse d’augmenter on essaye de prendre des parts de marché soit dans les maisons individuelle soit dans le collectif, on voit des constructions, piscine, collège, on voit de plus en plus des supers trucs et pas uniquement en façade mais vraiment en structure, des petits immeubles. Ca ne cesse d’augmenter et on va importer de plus en plus. Alors il y en a qui disent qu’il faudrait construire avec des feuillus mais le feuillu n’est pas adapté. Un feuillu il faut savoir que ça pèse 3 fois plus lourd qu’un résineux, ça met 10 fois plus de temps à sécher, ça nécessite beaucoup plus de pertes quand vous le tronçonner qu’un résineux, pour mettre un clou, il faut faire un avant trou, etc. Dans le monde entier on ne construit qu’en résineux et que ce problème de différentiation feuillu/résineux il n’set pas qu’en France, vous avez la même chose dans tous les pays européen et vous avez la même chose en Amérique du Nord. En Amérique du Nord, ils ont une filière feuillue qui est comme la nôtre. Le feuillu c’est l’ameublement. Dès lors que tu fais des meubles comme ça…
Thomas : C’est pour ça qu’on a planté des feuillus au début ? Enfin pourquoi …
Laurent Denormandie : On n’a pas tellement planté de feuillus. La forêt au départ est feuillue. Pour faire simple on a une forêt feuillue qui est naturelle et on avait des résineux un peu sur les zones de montagne. Il ya des sapins, épicéas en zone de montagne, cela sont naturels, ils sont endémiques naturels et les feuillus étaient endémiques naturels. On ne s’est pas posé de questions. Pour couper les feuillus, la régénération naturelle s’installait en feuillus et éventuellement on l’accompagnait puis on replantait des chênes car il y avait des chênes avant. Et puis en montagne tu avais les résineux qui se renouvelaient. Et puis dans les années 60 il y a eu le Fond Forestier National avec quelques précurseurs intelligents au niveau forestier qui ont dit : construire des maisons comme font les autres ce n’est pas idiot, plutôt que d’avoir des mauvais feuillus dont on fait rien car ils n’allaient pas tous à l’ameublement, c’est ce qui s’est passé chez ton père, on a rasé tous ses mauvais feuillus et on a planté des résineux en anticipant les besoins futurs et donc on a augmenté la surface forestière française en zone de plaine. On a fait des reboisements en Normandie, en Bretagne, dans le Morvan, etc mais dans des proportions considérables. Alors on a pris pour ça des essences résineuses soit endémiques à la France comme le sapin ou l’épicéa en se disant : tiens ils poussent dans les Vosges, on va essayer en Normandie, ça ce n’est pas forcement trop bon puisqu’on a vu 30 ans après qu’ils pouvaient mourir, qu’ils n’avaient pas assez d’eau, etc. Puis après on est allé chercher des essences un peu plus loin dans le monde, entre autre des essences nord-américaines qu’on a installé et on a remarqué que certaines se débrouillaient très bien comme notamment le Douglas. Il faut savoir qu’il n’y avait pas un Douglas en France il y a 50 ans sauf dans les parcs. Le Douglas est en passe de passer comme la 3ème essence résineuse récoltée chaque année. L’histoire du Douglas en tant que telle c’est quelque chose avec un peu de bon sens, tu retraces l’histoire du Douglas, tu apportes en disant : ça peut être une solution, c’est du vécu. C'est-à-dire qu’une poignée de mecs on dit : il faut planter du résineux, qui se sont pas gourés sur le choix du résineux. Aujourd’hui, c’est plus d’un million de m3 de sciage produits chaque année, on a la première Douglaseraie d’Europe. Comme c’est un bois que les autres Européens n’ont pas, on n’a pas de concurrence avec les Scandinaves. En plus le Douglas a des caractéristiques propres, puisque c’est un bois qui est rouge et qui n’est pas blanc et dont le cœur de l’arbre est tel que naturellement il n’y a pas besoin de le traiter donc il est super écolo. Donc on a 20/20 sur cette opération. Donc nous ce qu’on dit aujourd’hui : si cela a marché il y a 40 ans avec le Fond Forestier National avec le Douglas il n’y a qu’à amplifier le phénomène, parce que le FFN qui a marché des années 60 jusqu’aux années 85 c’est arrêté. Il n’y a plus eu d’effort de plantation et depuis 20 ans chaque année on plante de moins en moins. Donc il faut renverser complètement la tendance. Sachant que nous on est persuadé que dans l’état actuel des fiances publiques françaises et européennes la valorisation principal de la forêt sera la forêt de production et que la valorisation des aménités comme l’accueil du public, l’eau, le CO2, etc on en parle beaucoup mais pour le moment ça rapporte à la forêt 0 franc 0 centime. Donc on peut toujours rêver qu’on va faire payer les services non marchands, on en parle depuis 15 ans mais pour l’instant il y a 0 franc 0 centime. Donc pour un propriétaire forestier aujourd’hui en dehors de louer sa chasse, l’autre revenu c’est quand même la forêt de production. Un des problèmes de fond c’est que les propriétaires forestiers depuis une vingtaine d’année on pas mal baissé les bras. Il y a des poignées de gens passionnés de production, etc mais la grande majorité on baissé les bras. Ils vivent leur forêt plus comme un patrimoine à transmettre avec les bonnes facilités fiscales, pas trop intéressés par la mise en marché et donc ils se contentent d’une situation et ils ne veulent pas trop faire de frais et ils se disent un jour on va me payer mon espace. Il y a eu il y 3-4 ans une fenêtre de tir avec le carbone en se disant : tiens avec le marché du carbone peut-être que, etc mais c’est totalement en train de se fermer parce que le carbone ça s’est cassé la gueule, le marché européen est en train de se casser la gueule et on en voit pas le bout et don c’est retour à la case départ. Donc la vraie bonne recette pour un propriétaire privé c’est : tu plantes du résineux, tu t’en occupes correctement, tu le coupes et tu recommences.
Pauline : Et justement là on se dit que planter du résineux c’est la situation idéale évidemment mais par rapport aux autres acteurs que l’on a rencontré, la certification par exemple, le monsieur m’avait dit que effectivement il y avait certaines fois où on préconisait de changer le bois utilisé dans la forêt mais certaines fois aussi on cherche à encourager les bois qui sont déjà là ...
Laurent Denormandie : Ils sont dans leur logique, la certification forestière est quand même très empreinte de biodiversité et d’écologie. Au départ dans la certification forestière il y avait quand même une prise en compte de l’ensemble des missions de la forêt donc : accueil, environnement, écologie et production avec différents acteurs et il est clair que les acteurs de l’écologie et de la biodiversité ont pris l’ascendant. Et donc aujourd’hui il y a une doctrine dans la certification et une doctrine dans tous c’est trucs là qui n’a de cesse que de créer et d’ajouter réglementation sur réglementation pour améliorer tout ce qui touche à l’écologie correcte. Donc PEFC ils ne sont pas opposés mais le reboisement résineux ça les enquiquinent beaucoup. Si on n’était pas là pour dire : il faut planter du résineux, on n’en planterait aucun et on ferait aucune coupe à blanc et tout serait axé sur la biodiversité, on laisse pousser ce qui pousse. Moi je veux bien qu’on laisse pousser ce qui pousse mais à ce moment là on ne dit pas que la forêt est déficitaire et on ne demande pas à la forêt d’être un secteur de production avec de emplois et une force vive de la nation. On peut tout mettre en parc naturel mais qui c’est qui va payer ? C’est ça qu’il faut avoir à l’esprit. Toutes les forêts publiques aujourd’hui dans les missions d’écologie, biodiversité, accueil c’est gratuit pour les collectivités. Tu as des maillons de visiteurs qui se pointent à Fontainebleau chaque année mais c’est gratuit. Le mec il veut chasser, il veut ramasser des champignons, faire du VTT, faire des fêtes, de la rando c’est gratuit. Qui est-ce qui entretient la forêt ? C’est la forêt de production. Qui c’est qui rapporte l’argent qui sert à entretenir la forêt ? C’est la forêt de production.
Alors le jour où tes chênes ne se vendent plus, tu fais comment ? T’es coincé ! Donc, couper à Fontainebleau des zones de mauvais taillis, parce qu’il y a des zones à Fontainebleau… Alors, fontainebleau, c’est énorme ; t’as des zones de biodiversité exceptionnelle, des ……… ? artistiques, des zones d’enrochements avec des points de vue qu’il faut laisser, et puis t’as des zones de mauvais taillis, un peu planqués, qui n’intéressent personne, qui n’ont pas de valeur. Les bousculer, les raser pour planter des pins sylvestres ou autres, qui sont jolis dans le paysage : où est le problème ?
Le problème c’est qu’il faut trouver un équilibre, qui fasse quand même que, au niveau économique, tout ça, ça se tienne. Il faut que ça se tienne, quoi ! Parce que le propriétaire, il a quand même ses impôts fonciers, il a les routes à entretenir, il a tout un tas de charges que, si tu fais de la forêt-biodiversité, personne ne va lui payer !
La sanctuarisation des choses et la mise en protection et en biodiversité pour faire pousser les choses dont on n’a pas besoin, ça a un coût pour la collectivité locale. Mais moi je ne suis pas contre, hein ! Mais… qui paye ? Qui paye, quoi ?!
Thomas : C’est un peu une question de définition de la forêt, finalement, c’est comment on définit…
Laurent Denormandie : Alors, il y a un autre enjeu aussi, effectivement, c’est ça : aujourd’hui, la forêt française, c’est dans le code forestier, il en est empreint depuis plus de 30 ans, c’est la multifonctionnalité. Ça c’est le terme consacré. Le politiquement correct, c’est la multifonctionnalité, voilà. Tu dois produire en préservant plus. Le dernier slogan du Grenelle, que France Nature Environnement avait signé avec l’ONF et avec les propriétaires privés, c’était « Produire plus en protégeant mieux ». Moi, je leur ai toujours dit : « c’est compliqué ». Il faut m’expliquer comment on fait, quoi. Produire plus, en protégeant mieux. C’est compliqué.
Et puis, produire quoi ? Aujourd’hui, la multifonctionnalité, c’est de dire : sur la même forêt, donc à Fontainebleau [par exemple], t’accueilles, tu protèges, tu produis. Et ça de façon imbriquée au niveau de la parcelle. C’est-à-dire qu’on fait les trois choses au même endroit. On ne flèche pas des portions de l’espace.
Il y a une autre politique – donc, c’est la question qu’on se pose maintenant, aujourd’hui, nous, et qu’on met sur le devant de la scène, c’est de dire : ce qui a marché pendant 30 ou 40 ans, cette multifonctionnalité, n’est peut-être plus adaptée, il faut peut-être maintenant faire un fléchage des zones. C’est-à-dire qu’il faut peut-être arrêter de dire que les forêts du Languedoc-Roussillon, dans des régions où il n’y a pas une entreprise, où il y a une biomasse forestière qui n’est pas forcément une forêt de production très intéressante… est-ce qu’il y a vraiment intérêt à y faire de la production ? Est-ce qu’il ne faut pas dire que ces endroits-là, ce sont des forêts qui ne sont dévolues qu’à la biodiversité ? Est-ce que en montagne, au-delà de 1500 mètres d’altitude, là où il y a des stations de ski, des parcs etc., où on veut faire de la protection, de l’accueil du public et de la production, qui coûte une fortune, il ne faut pas dire : on ne fait plus de production ? Et en contrepartie, que dans la forêt d’Ecouvre, en Normandie, en dehors de quelques zones qui sont des zones sympas au niveau public etc., là, allez, on fait de la culture d’arbres. Et ça, aujourd’hui, c’est un sujet tabou, que les détenteurs de la ressource et l’Etat, qui est quand même très ficelé avec un gros corporatisme au niveau forestier français… Toute la filière forêt-bois n’a toujours été confiée qu’aux IGREF. Donc tous forestiers, aucun « boiseux » quoi. C’est que des forestiers. Des gens du monde de la forêt. Tous les IGREF sont, en règle générale, c’est ce que j’ai vu quand j’étais à Nancy, ce ne sont d’abord que des écolos. Là-dedans, t’as pas un fils de scieur, t’as pas un marchand de bois, bon. Ce sont tous des parisiens, et ils viennent là parce qu’ils aiment la nature quoi. Donc ils ont des réflexes, on va dire, de forestiers protecteurs. Donc ils sont très à l’écoute, ils sont empreints de biodiversité, de conservation, etc. Donc dès que tu leur dis : « on passe le mur, on plante des résineux », c’est la panique, quoi. Je pense que la filière ne pourra pas se priver d’un débat public, pour dire : est-ce que la multifonctionnalité, elle est encore d’actualité ? Ou est-ce qu’il ne faut pas aller vers un zonage ? Vers un fléchage ? Ça veut pas dire qu’on ferait de la production n’importe comment ! On va pas aller foutre des phytocides dans la forêt, traiter par hélicoptère… Non ! Mais est-ce qu’il ne faut pas dire : tel endroit, telle région, allez : on y va ? On s’autorise les coupes à blanc, on s’autorise les reboisements, on fait plus de la ligniculture.
Il faut voir un peu aujourd’hui en forêt, les agents forestiers, au niveau de l’ONF et des communes, c’est : tout ce qui est mécanisation, c’est presque interdit, quoi. Ils veulent bien vendre des arbres, mais faudrait pas les couper, quoi. Faut pas avoir de machine, faut pas avoir de stock de bois… Le public… Après, il y a toute une éducation aussi de la collectivité. Il y a toujours une espèce de contradiction : les gens qui vont se promener à Rambouillet, parce qu’ils aiment bien se promener, ils font du VTT, ils courent, ils sont déjà un peu écolos dans l’âme, parce qu’ils habitent Saint-Léger en Yvelines, ou je ne sais où, ils aiment bien la forêt etc., ils seront super contents s’ils peuvent avoir une maison en bois, mais ils ne veulent pas qu’on coupe les arbres. C’est con mais on en est là, quoi ! On en est là ! Les gens n’ont pas compris que la forêt dans laquelle ils vont courir, c’est la forêt dans laquelle on peut produire le bois dont ils ont besoin, pour faire la maison qu’ils peuvent avoir. Donc, l’explication collective, elle est là. C’est-à-dire, les gens on va leur dire : vous voulez une maison en bois ? D’accord, mais laissez-nous planter des résineux ! Ou alors, les résineux, on va les importer du fin fond de la Scandinavie, et alors bonjour le bilan carbone ! Donc voilà, on en est là : les gens n’ont pas compris.
Ou les gens n’ont pas compris non plus que, s’il y a un problème de déforestation au niveau mondial, au niveau européen ce n’est pas le cas. Que la surface française elle s’accroit, qu’on en a plus qu’avant, même si elle n’est pas forcément de qualité, mais l’espace boisé n’est pas en péril. Non, les gens ont le réflexe de dire : « à Rambouillet, ils ont coupé ! ». Il y a cette espèce de sacralisation de la forêt, quoi. C’est « il ne faut pas couper les arbres ». Et les gens, par contre, quand tu as du résineux, et une fois que t’as importé du résineux et que tu le coupes, les gens comprennent beaucoup mieux.
Le résineux est beaucoup plus proche de l’agriculture, dans l’esprit des gens, vraisemblablement. Tu passes plus facilement, à mon avis, du champ de maïs au champ de Douglas que ta parcelle de chênes, que tu apparentes plus à une forêt sauvage, naturelle, dans laquelle il y a des oiseaux, des champignons, des ronces… Donc il faut faire un peu avec tout ça, ce qui est assez compliqué.
Thomas : Donc vous parlez de l’importation qui fait entre autres que la filière bois est un énorme déficit ; est-ce que vous voyez d’autres explications à cette… ?
Laurent Denormandie : Alors, l’énorme déficit, il faut que vous fassiez attention si vous traitez du sujet : dans l’énorme déficit, il faut que vous preniez en compte uniquement le déficit sciages, qui est de la responsabilité de la filière par rapport à l’état qu’on vient de déterminer ; ne prenez pas en compte l’ameublement. Parce que dans l’ameublement, pour 90%, ce n’est pas du bois. Dans le déficit qui est mis en évidence, les 6 milliards de déficit, là-dedans il y a un fourre-tout ! Vous avez le papier, le carton, la pâte à papier, et l’ameublement. Vous, il faut regarder uniquement le chiffre « sciages ».
Thomas : Ce qui fait que finalement, le déficit c’est…
Laurent Denormandie : Oh, c’est combien, contenant uniquement le déficit sciages ?
Collègue : Oh, c’est 700 millions.
Laurent Denormandie : Voilà. Donc ce n’est plus du tout la même chose, quoi. Il faut savoir que, quand une usine de pâte à papier ferme – pour faire du papier, il faut des usines de pâte à papier : on prend du bois, on le broie, on fait la pâte, on fait le papier –, donc les usines de pâte à papier ferment, mais les usines de papier restent, donc on importe de la pâte à papier. Ça c’est évidemment du déficit. Alors ça, dire que demain on va rouvrir des usines de pâte à papier, personne n’y croit. C’est des capitaux étrangers, toutes les usines ferment, et les groupes étrangers – c’étaient déjà des groupes étrangers qui étaient propriétaires –, ils se barrent les uns après les autres, quoi. Parce que la pâte à papier, aujourd’hui, c’est : Brésil, Paraguay, ils ont planté des essences à croissance rapide, ils ont rasé la forêt primaire, ou les espaces pauvrement boisés, ils ont replanté des arbres à culture rapide, soit à base d’eucalyptus, soit à base de résineux. Avec le climat et la terre qu’il y a, ils arrivent à faire des arbres en 15 ou 20 ans, et ils ont implanté les usines au milieu des massifs. Donc tout est mécanisé, et les approches logistiques sont zéro, l’usine est au milieu du massif. Donc ils te sortent de la pâte à papier à des coûts que… en Europe c’est terminé.
Donc nous la seule chose sur laquelle on peut bouger, le curseur du déficit… Alors c’est pareil, il y a une hypocrisie politique de dire : un déficit de 6 milliards ! etc. Mais nous, on peut jouer, allez sur 700 millions, 800 millions ; on peut monter à 1 milliard, quand on aura fait comprendre aux gens qu’il faut faire des meubles en bois massif. Mais tous ces trucs-là, c’est oublié quoi ! Les meubles ils sont là… [en montrant les chaises, les placards : aucun en bois massif].
Thomas : Mais alors, c’est quoi l’intérêt qu’on gonfle ce chiffre ?
Laurent Denormandie : C’est pas qu’on le gonfle, c’est qu’on trompe. On trompe, quoi ! Un jour il y en a un premier qui a dit : la filière est en déficit de 6 milliards, sans prendre le temps avec un microscope de regarder comment se décomposaient les 6 milliards, et puis tout le monde a suivi ! C’est tellement plus facile. Les mecs ont suivi, quoi !
Et après, autre grosse erreur de l’Etat, ce qu’il dit au moment du Grenelle, c’est de dire – il y a un certain nombre de rapports qui sont sortis par les ingénieurs généraux – de dire que : on n’était pas à l’exploitation de la totalité de la croissance de la forêt française. Pour faire simple, ils ont dit : chaque année, la forêt s’accroit de 100 millions de m3, on n’en coupe que 60. Donc il y a 40 de disponibles. D’accord ? Mais alors, ils ne se sont pas préoccupés de savoir si c’était du feuillu, si c’était du résineux, et s’il était exploitable. Alors, si demain on me dit : « on vous trouve 3 millions de m3 de résineux, on vous les sort », moi je dis : « on est preneur ». Bon. Si demain on me dit : « on vous a trouvé 3 millions de m3 de feuillus », moi je dis : « pas d’acheteurs ! ». Donc ça ne sert à rien de les sortir, j’ai personne pour les acheter. Parce qu’on n’a pas de marché ! Bon. Et puis après, ce bois-là, où est-ce qu’il est ? Si aujourd’hui on n’exploite que 60 millions de m3, on exploite le bois là où il est facilement appréhendable, donc dans des zones où la logistique est facile, où il n’y a pas trop de pentes, où les volumes sont suffisamment importants… Tout ce qui reste, c’est compliqué. Donc c’est tout le bois qui est en zone de montagne, c’est tout le bois où il n’y a pas de routes, c’est toutes les micro-parcelles des forêts privées, où là pour aller le chercher c’est mission impossible, quoi.
Et dernier point, ce qu’il faut savoir aussi, c’est que ce disponible supplémentaire – alors on sait que ce disponible est uniquement feuillu –, est plutôt en zone de montagne, et plutôt en forêt privée. Or, toutes les forêts privées d’une certaine taille – comme chez nous, chez vous –, c’est géré. Mais c’est les micro-forêts qui ne sont pas gérées : celles où il y a 3 ha, 4 ha, 10 ha… C’est des centaines de milliers de propriétaires. Ces gens-là, ils n’ont pas envie de vendre du bois. C’est même pas une question de prix. Le facteur prix n’est pas déclenchant. Ils s’en foutent de vendre du bois ! Parce que le mec, il est cadre à Paris, il a 3 ha dans le Morvan, il est très content d’aller ramasser des champignons, ou d’aller tirer un pigeon ; avec 3 ha de bois qui sont des mauvais feuillus, si jamais on lui proposait de les acheter il en aurait pour 1000 euros, il ne va pas aller se faire chier à défoncer ses 3 ha pour ramener 1000 euros. Donc là, il ne vendra jamais.
Donc on est en face de situations extrêmement compliquées. Alors, si on veut que ce bois-là se mette en marché, et qu’on sait que le prix du bois en tant que tel n’est pas facteur déclenchant, il faut revoir ce qui obligera un propriétaire à le mettre en marché. Donc il faut revoir la fiscalité. Je pense que, sans que la fiscalité soit confiscatoire, il faut passer d’une fiscalité qui protège le patrimoine à une fiscalité qui incite à vendre du bois. Alors actuellement, la fiscalité est plutôt faite pour les gens qui ne font rien. Puisqu’elle est exonérée aux trois quarts des droits de succession, tu peux transmettre assez facilement, et on ne te demande pas de couper du bois. Mais on pourrait leur dire : « toutes les personnes qui ne coupent pas du bois dans leur forêt, parce qu’on estime que le bilan carbone n’est plus bon, ou parce qu’il y a du bois qui pourrit, ou parce que la forêt n’est pas gérée correctement etc., vous n’avez plus d’exonérations ». A ce moment-là, les mecs vont peut-être se mettre à vendre du bois.
C’est très compliqué. C’est très compliqué. Et on est parti sur : pas la bonne forêt, les volumes qui sont des volumes virtuels disponibles, des propriétaires privés qui sont très très compliqués à appréhender, un marché feuillu qui n’existe pas – et on ne voit pas comment le marché feuillu se mettrait à se développer… Donc, on y travaille, mais c’est de la recherche, ça prend du temps, c’est 10 ou 15 ans avant de faire des progrès… beaucoup de choses, quoi ! Il faut savoir par exemple que – des petites choses simples mais bon – menuiserie, c’est-à-dire les fenêtres, il n’y a que 7% des fenêtres qui sont en bois. Les fenêtres c’est du PVC à vue. Donc il faut trouver des peintures qui fassent qu’au lieu de peindre tous les 5 ans, tu peins tous les 15 ans, donc qui tiennent aux UV, des protections insectes qui soient plus performantes… Donc il faut tout mener à la fois, quoi.
Pauline : Mais du coup, la dimension temporelle doit jouer beaucoup aussi ; enfin, le fait que les recherches, déjà, prennent du temps, et ensuite, rien que le temps de pousse d’un arbre…
Thomas : Avec les phénomènes de mode, donc les recherches d’arbres qui…
Pauline : Parce que là, par exemple, le Douglas…
Laurent Denormandie : Il y a des paris à prendre. Alors par contre, ce qu’on pressent, c’est quels sont les besoins qu’on peut imaginer dans les décennies qui viennent. Le résineux, pour la construction, ça ça ne va pas aller en baissant. Compte tenu du prix des énergies fossiles, et que le béton, les parpaings etc. ça coûte de l’argent, c’est clair que la construction de bois – vu qu’en plus c’est plus facile à chauffer, etc. –, c’est clair que la construction de bois ça ne va aller qu’en augmentant. Donc, il faut du résineux. Ça, on ne peut pas se tromper là-dessus. D’accord ? On sait aussi qu’on n’a pas besoin de faire de gros résineux, puisqu’on peut de toute façon les coller de façon moderne, et les abouter ; donc on n’a pas besoin de gros. Donc on peut raccourcir les cycles de production. Plus besoin de 80, on peut les couper à 40 ans. Donc on raccourcit les cycles, car on a besoin de plus petits résineux. Donc le résineux, on dit : on peut planter, et on va récolter plus tôt. Ça, on le sait déjà.
Après, on sait qu’on aura toujours besoin de cellulose. Cellulose pour brûler (bois énergie), et là ça risque d’augmenter pour des besoins d’énergies renouvelables. Il faut savoir que – on n’en parle jamais, hein – mais la première source d’énergie renouvelable en France aujourd’hui, c’est la biomasse, hein, bien avant le reste. Donc l’énergie, on est à fond dedans, ça on en aura toujours besoin. Alors pour faire de l’énergie t’as pas besoin de faire pousser des arbres, des gros chênes, hein ; du taillis de bouleaux, du taillis de charmes, des bois assez rapides, que tu coupes au bout de 25 ans, pour les brûler. Ça ne fait pas beaucoup de revenus. L’excès de cellulose, tu peux le brûler, mais tu peux en faire de la pâte à papier – il y en aura toujours quand même un petit peu –, des panneaux de particules, parce qu’il en faut pour faire des maisons…
Et puis après il y a le développement de la chimie verte. Alors là on est vraiment en bas de l’échelle. C’est sortir de la cellulose tous les composants qui permettent demain de remplacer des molécules de synthèse, ou de remplacer des trucs dans des fabrications chimiques ou je ne sais quoi. Donc là, il y a un certain nombre de groupes papetiers, qui avaient des usines de pâte, et qui bouffent un peu des ronds pour faire de la pâte, et qui plutôt que de fermer le site, essaient de voir comment ils pourraient bifurquer un peu leur job pour se mettre un peu là-dedans.
Donc c’est ce qu’on a besoin : du résineux, et de la cellulose.
Et après, notre feuillu de niche, en proportion des besoins de consommation plutôt européens quoi. Sur les métiers de niche. Alors, le tonneau, le bois pour l’escalier, un peu de parquet massif pour la rénovation de l’ancien…
Thomas : Aussi, tout-à-l’heure, on parlait de l’importation depuis les pays scandinaves, mais on a aussi beaucoup entendu parler du problème du bois illégal donc…
Laurent Denormandie : Ah ils vous ont dit tout ça ? Oui mais pour nous c’est pas des gros volumes quoi.
Thomas : Moi j’ai entendu que ça concurrençait la filière française…
Laurent Denormandie : Ah mais non, pour nous c’est que dalle, c’est… il faut qu’on trouve les chiffres et on vous les donnera, c’est… ça doit être 250000 m3 de bois par an.
Pauline : Oui mais ça, c’est ce qui est connu ? Parce que…
Laurent Denormandie : Ah non, non, il n’y a rien d’illégal qui rentre en France. Rien. Là il faut arrêter de fantasmer là-dessus.
Thomas : Ce qui est illégal, c’est la production…
Laurent Denormandie : Alors, en amont ; en amont, ceux qui coupent du bois au Cameroun, etc., de façon plus ou moins légale, c’est clair. Maintenant, les opérateurs européens qui sont là-bas, les gros importateurs etc., eux, logiquement, ils n’y touchent pas parce que sinon ils se font lyncher par les ONG, et le bois qui rentre en France, donc chez nous, les 250000 m3 de bois feuillu – l’exotique, on est d’accord, c’est feuillu, c’est dans la niche du feuillu, l’exotique.
Thomas : Et les bois tropicaux, c’est quoi ?
Laurent Denormandie : Le « tropicaux », il est dans la niche du feuillu. Ameublement, décoration ; uniquement. On ne touche pas au marché résineux. Les tropicaux, c’est que les usages d’intérieur. Bon, et puis un peu de decking : des terrasses, teck etc. Alors il faut savoir que le teck, par exemple, ce n’est que du teck de plantation. Il n’y a plus de teck qui rentre de forêts naturelles. C’est extrêmement réglementé. Les 250000 m3 de feuillu, d’exotique qui rentrent – je crois que c’est 250000 m3 de grumes et de sciages –, ça représente donc, à la louche, 10% de la consommation en feuillu française. Le chiffre, c’est à la louche, hein, c’est pour des ordres de grandeur. C’est 10% de la consommation française, quoi. Et c’est : portes-fenêtres, et decking. Et de plus en plus, c’était très africain – alors, tout ce qui est porte-fenêtre c’est africain, tout ce qui est decking c’est brésilien, et au Brésil de plus en plus il y a des plantations aussi. Alors ça, ça a tendance aussi à rétrécir d’année en année, pour des questions de réflexes écologiques, quoi. Disons que ça ne vient plus à l’idée de personne, enfin il y en a malheureusement encore, mais ça vient moins à l’idée aux gens, quand ils veulent se faire une terrasse autour de leur piscine, de couper du Brésilien ou du teck, alors qu’ils peuvent mettre du pin traité du chêne avec les nouveaux process de production.
Ça, si vous voulez, pour moi, c’est un mini-problème. Pas au niveau planétaire. Le problème du bois illégal, en Ukraine, en Russie, ou en Afrique, c’est un problème planétaire. Mais pour nous la France, c’est un tout petit problème.
Thomas : Donc il n’y a pas une concurrence de la filière… ?
Laurent Denormandie : Si mais, je vous dis, c’est 10% des volumes, quoi. C’est 10% des volumes et on fait tout pour les remplacer, on fait tout pour les circonscrire, quoi. Parce que si j’ai moins d’exotique qui rentre, je pourrai proposer plus facilement des solutions pour qu’on s’occupe du problème des portes-fenêtres avec du hêtre, par exemple. Les volumes, il faudrait aller reprendre les volumes sur les 15 dernières années, les importations de bois exotiques sur les 15 dernières années, c’est… comme ça hein !
Thomas : Alors une dernière question ; on est allé voir le FNE etc., donc c’était : vos relations avec les différents acteurs, est-ce que… ?
Laurent Denormandie : Oh, elles sont bonnes hein !
Thomas : Même le FNE ?
Laurent Denormandie : FNE, ils sont bons hein.
Thomas : On avait l’impression que c’était assez... en contradiction, mais alors même si vous êtes en contradiction, … ?
Laurent Denormandie : Ils ont dit du mal de nous ? Non…
Thomas : Non, mais sur le fond ?
Laurent Denormandie : Ah ben ils sont dans leur champ de légitimité, comme moi je suis dans mon champ de légitimité. Clairement, moi je vais dire qu’il faut planter du résineux, je ne vais pas dire qu’il faut laisser…
Thomas : Mais, oui, il y a un dialogue… ?
Laurent Denormandie : Oui, oui, il y a un dialogue, ils ne sont pas contre tout, FNE. Ils sont pour la multifonctionnalité, mais le zonage, ça les travaille ; ils ne sont pas contre les maisons en bois, donc ils savent bien que les résineux il faut les faire pousser, non ils ne sont pas… Ils ont signé cette maxime « produire plus en protégeant mieux ». Donc produire plus, ça veut quand même dire qu’il faut produire plus, quoi ! C’est pas des gens qui sont contre le fait qu’on coupe du bois en forêt. Alors, le gros problème de France Nature Environnement, c’est que c’est une fédération de milliers de petites associations. Parce qu’il faut savoir que dans chaque canton, t’as une association de défense de la forêt de Gouffern [par exemple], il y en a comme ça 10 par département, et puis après t’as les mecs pour les champignons, et puis t’as les mecs pour les lézards, et puis t’as les… Et là, à ce niveau-là, au milieu de la micro-association, là tu retombes sur les fous-furieux.
A Compiègne, il y a un coléoptère qui s’appelle Pique-Brune, qui est un coléoptère qui est inféodé aux chênes rouvres, et comme par hasard, il choisit les chênes rouvres les plus majestueux, les plus vieux et les plus chers de la forêt de Compiègne. Et il ne se reproduit que dans ceux-là. Il fait des galeries, pas en bas, en haut, et pas dans les arbres couchés mais que dans les arbres en l’air, et il lui faut des très vieux bois. Et donc l’association a tellement fait de pression, au niveau des politiques, du préfet etc., qu’on a sanctuarisé 100 ha de la forêt de Compiègne, où les chênes sont tous des monuments, des cathédrales végétales, ce sont des arbres énormes plantés par les moines il y a 400 ans, chaque arbre vaut une fortune. Et jusqu’à présent les forestiers en prenaient super soin, les coupaient avec parcimonie, renouvelaient etc. Et là, ben non, on a mis un chapeau, et on a dit « on ne touche plus à rien ». Et quand tu parles avec France Nature Environnement, donc avec un responsable forestier français, ils te disent « mais c’est lamentable ». Et le local, c’est l’association des coléoptères Pique-Brune, et le mec c’est la presse, le préfet, les machins, donc ils arrivent à des zones, comme ça, de non-droit. Et c’est complètement scandaleux, parce que ça veut dire que t’as une poignée d’extrémistes, qui suppriment un territoire à l’ensemble de la collectivité. Et après, quand tu vas, à Compiègne, faire du VTT ou courir, faire du jogging, et que tu vois ça, 95% des gens ils te disent « mais pourquoi l’arbre n’est pas entretenu ? Et pourquoi l’arbre est en train de pourrir ? »… En fait, on contente une mini mini-minorité, pour un insecte ou pour un truc, alors que l’insecte, ça il existe toujours hein, il a traversé les âges…
Donc France Nature Environnement, c’est pas les pires. Mais moi je trouve que globalement – parce que moi je vais pas mal témoigner dans des assemblées de collectivités ou d’associations etc., et j’exprime ce que je vous ai dit là, en disant qu’il faut planter des résineux, et j’explique pourquoi etc., on a même fait une conférence de presse avec des journalistes parisiens de la grande presse, enfin des gens qui sont complètement très très loin de ça –, les gens, quand tu leur expliques, ils comprennent, et je trouve qu’ils sont beaucoup plus ouverts à une exploitation forestière nécessaire mais rigoureuse, à ce qu’ils étaient il y a 20 ans ou 30 ans. Il y a une maturité écologique beaucoup plus importante qu’elle n’était. Les gens ne sont plus du tout jusqu’au-boutistes en disant « on ne touche à rien »… Donc il y a une bonne maturité. Planter du résineux, il y a 10 ans, quand on a dit il y a 2-3 ans qu’il fallait planter du résineux en France, il y avait 30 journalistes, il n’y a pas un journaliste qui a crié au scandale etc. Il y a 20 ans, tu ne pouvais pas dire ça. Les mecs, ils comprennent.
Résumé d'Entretien avec Julie Marsaud responsable du réseau forêt au FNE
le 24 janvier 2012
Pourquoi FNE ?
-> association militante et apolitique
-> parle avec tout le monde, rapproche les acteurs d’opinions différentes
Le FNE a signé un protocole pour :
- la mobilisation accrue de bois
- la préservation de la biodiversité
Un autre but du FNE : dépassionner les débats
Le FNE est une fédération d’associations membres ou affiliées : le FNE n’est rien en soi. Se rattacher au FNE leur permet de s’encrer dans un réseau national (contacts plus faciles) et leur procure un recours juridique possible.
En 2011, le FNE a participé à l’accord Etat-ONF-FNCOFOR (1ère année pour la FNCOFOR) Il reste à voir comment il va être appliqué : les associations membres doivent faire remonter au FNE les changements induits par l’accord dans les prochaines années. Histoire de voir si ce qu’a gagné le FNE lors des négociations est vraiment appliqué etc..
En 2007, il y a eu le protocole ++ . Ses buts :
- mobiliser tout le bois qu’on peut
- avoir le plus de VA possible
- prendre compte de la biodiversité
- améliorer la formation des forestiers afin que chacun puisse reconnaître les compétences de l’autre (pour faciliter les accords)
Discours DURMAT de Nicolas Sarkozy : reconnu par aucun acteur (propos illusoire et sans aucune application possible) L’augmentation de la production promise par le président est impossible : les professionnels du bois disent « On sort le bois qu’on peut sortir » selon Mme Marsaud. Exploiter d’autres zones représenterait des investissements trop importants pour le peu de bois supplémentaire (mécanisation, production de routes etc)
Le FNE tient à certains principes comme :
- interdiction d’exploiter les souches : il faut du matériel important et « c’est quand on veut » donc « la porte ouverte à toutes les fenêtres »
- il faut pouvoir garantir 30% de la régénération. Par exemple, à moins de 7.5 cm de diamètre, on ne coupe pas.
- FNE est intransigeant sur le bois mort : un minimum à donner.
Le FNE veut donner une valeur à la forêt autre que la quantité de bois qu’on en sort. Il faudrait pouvoir quantifier sa valeur de puit de CO2, de contribution à l’écosystème, sa beauté, son caractère agréable pour les habitants etc...
Le scénario Mégawatt : pour avoir le bois nécessaire, on serait obligé d’enlever du bois indispensable à l’équilibre de l’écosystème.
Forêts publiques vs forêts privées :
- pas les mêmes moyens (joue pour les certifications par exemple)
- pas les mêmes contrôles
Certaines propriétés privées ne sont pas exploitées : « On ne va pas s’en plaindre » Le FNE n’est pas contre l’exploitation qui peut se faire dans le respect de l’écosystème. Mais la forêt n’a pas besoin de nous pour autant : c’est toujours mieux de la laisser tranquille.
Pour les forêts privées, il n’est obligatoire de joindre le CRPF pour l’établissement d’un plan simple de gestion qu’à partir de 25ha. Ainsi tous les propriétaires ne sont pas représentés.
Le regroupement des CRPF constitue le CNPF qui sont donc des experts de la forêt. Le CNPF appartient, avec les forestiers privés de France au FPF. Ces derniers sont vraiment des propriétaires et n’ont donc pas nécessairement les mêmes objectifs que le CNPF.
Du côté des forêts publiques, la FNCOFOR est un regroupement d’élus de communes qui adhèrent s’ils le veulent. L’avantage c’est qu’ils peuvent alors déléguer la gestion de leurs forêts à l’ONF (moins cher)
Certifications :
- 2012-2016 : schéma de révision du PEFC qui vient de se terminer (FNE a participé et est d’accord globalement)
- le FSC n’est pas applicable directement : transposition en cours
Dans tous les cas, il vaut mieux avoir des certifications nationales plutôt que régionales (pour plus de cohérence) : il faut donc négocier...
Déficit de la filière bois :
- on vient de faire des études sur le chêne, le châtaignier, le hêtre pour la construction (résistance, etc) Pour l’instant, le bois de construction est essentiellement importé.
- en France, le bois n’est pas façonné pour donner de la valeur ajoutée
- problème de la structuration de la filière : les coûts de gestion des forêts, des usines, de la main d’œuvre et la mécanisation vieillissante fait que c’est plus cher en France qu’en Chine par exemple. Surtout avec les mesures environnementales. Exemple de la pâte à papier trop chère en France.
- problème de volonté : il faudrait un soutien transitoire des pouvoirs publics dans le domaine de 1ère transformation. Les scieries ferment les unes après les autres.
Mais aussi la volonté du consommateur : tant que ça fait plus chic d’avoir une terrasse en tec qu’en châtaignier...
Certains essayent de promouvoir le bois local : exemple du « Bois des Alpes » Mais ils sont souvent bloqués pour des raisons d’accréditation.
Rapport du FNE avec les autres acteurs :
Le dialogue est plus facile avec certains qu’avec d’autres : le FNE sait qu’il ne pourra jamais tomber d’accord avec certains ( ceux pour qui l’environnement sera toujours une perte de rentabilité par exemple) Le FNE est une association assez souple, aux positions centristes (domaine économique et social) mais ferme sur ces positions centristes.
Le dialogue a été cependant facilité depuis le Grenelle : il a permis de mettre à la même table des gens qui ne s’étaient jamais tous rencontrés en même temps. Avant c’était encore plus difficile même si le FNE ne sera jamais d’accord avec certains acteurs.
-> Vision positive du Grenelle.
Ainsi il y a des accords réguliers. Les associations membres du FNE sont alors garantes que les actions décidées à Paris sont vraiment mises en oeuvre ou disent s’il faut « faire des piqûres de rappel »
Le FNE entretient notamment des liens étroits avec l’ONF. Il participe actuellement à la création du comité éthique de l’ONF qui cherche les meilleurs regroupements administratifs dans le cadre du projet de réduction et de fusion d’agences.
Question du bois énergie :
Le bois énergie constitue une réelle inquiétude. On ne connaît pas bien l’impact et la prudence doit l’emporter. Jusqu’à 2008, on se basait sur des données mal assemblées qui laissaient à penser que le bois énergie avait sa place mais on revient dessus actuellement. Le problème, c’est qu’on a fait des calculs sans consulter les forestiers et on compte sur une ressource qui n’existe pas. En gros, on a vendu la forêt 5 fois alors qu’elle n’est disponible qu’une fois...
On a déjà construit des usines mais il n’y a pas de bois : importation ? Cela creuserait encore plus le déficit de la filière bois...
Entretien téléphonique avec Olivier Billeau, Coordinateur interrégional de PEFC Ouest.
Le 24 janvier 2012
Statut de PEFC :
PEFC International est une ONGE. Son siège est à Genève. Dans chaque pays, il y a une instance nationale.
Pour la France, PEFC France est une association loi 1901, de droit privé (non « d’utilité publique »). PEFC France a été créée en 2001, recevant des cotisations des entreprises ; et pour la France ont été créées des entités régionales (qui vivent grâce aux cotisations des propriétaires forestiers).
En 2007, les 6 entités de l’Ouest – Haute et Basse Normandie, Bretagne, Pays de la Loire, Poitou Charente, Région Centre, Ile De France –, moins riches en forêts, ont fusionné pour former PEFC Ouest.
Parcours professionnel d’O. Billeau ; pourquoi est-il venu à PEFC ?
Il travaillait auparavant en Afrique, dans l’industrie de la production de contreplaqué. Il a pu y voir de nombreux exemples de gestions forestières. Désireux de quitter le secteur industriel, il a choisi la gestion de l’environnement et est entré à PEFC. Il ne se qualifie pas comme un écolo, ni comme un productiviste, mais plutôt entre deux, voulant promouvoir l’utilisation de la forêt de manière raisonnée et durable. Ces valeurs l’ont attiré dans PEFC.
Comme est-ce que PEFC définit la forêt ? Quelle en est sa vision ?
La forêt est un milieu vivant, qui depuis toujours a été façonné par l’homme. L’homme en a et en a eu besoin, pour : aujourd’hui l’effet carbone, avant la chasse, et le bois de chauffage, etc. Mais l’homme, s’il ne la gère pas bien, risque de voir disparaître cette forêt, à long terme. La certification propose une gestion forestière durable, afin de maintenir toutes les fonctions de la forêt.
C’est la multifonctionnalité ?
Oui.
Pour chaque forêt, il y a un propriétaire, qui a une volonté propre et une direction de gestion qu’il voudrait donner à sa forêt. PEFC essaie alors de lui faire prendre conscience de certains aspects de sa forêt, mais les propriétaires ont leur volonté à eux.
Par exemple, on plante beaucoup de Douglas en ce moment, des résineux utilisés pour la construction des maisons. Ces arbres sont en général plantés en rang d’oignons pour une exploitation plus facile. Mais pour prendre en compte des éléments tels que le paysage, la gestion des milieux associés (mares, rivières ou zones humides, prairies sèches…qui renferment une biodiversité spécifique), monuments historiques, il y a des améliorations possibles à cette gestion : mélange de plusieurs essences, privilégier la régénération naturelle, le maintien de petites zones ouvertes, l’intégration de lisières étagées…C’est la vocation de PEFC.
L’objectif est que toute forêt soit multifonctionnelle : maintienne les différentes fonctions qu’elle porte, en sachant que dedans, on peut mettre des gradients i.e. s’adapter aux demandes des propriétaires.
Le Grenelle de l’Environnement demande plus d’exploitation des forêts ; quelle est la réponse de PEFC ?
Le point de vue de PEFC est qu’exploiter plus de bois fait du bien à la forêt. Cela, tous les acteurs le disent. Une forêt laissée seule finira par s’appauvrir, et en bois d’œuvre, et / ou en biodiversité.
Nous sommes obligés à présent de conserver l’implication de l’homme dans la forêt. PEFC est donc en accord avec « il faut exploiter plus de bois ! ».
Une des idées de PEFC partagée d’ailleurs avec les forestiers est que « plus de bois d’œuvre fera plus de bois énergie », le bois énergie étant assez en vogue en ce moment.
Avec quels acteurs PEFC communique-t-il le plus ?
PEFC communique avec les propriétaires de toutes les forêts :
- Les propriétaires privés, (ils sont 4,5 millions) qui représentent 11 millions d’hectares en France. La surface moyenne d’une forêt privée est 3 ha, mais 90 % des propriétaires ne possèdent pas plus de 0,6 ha. Il y a quelques grands propriétaires, et beaucoup de petits.
- Les collectivités, organismes publics : hôpitaux, communes (surtout dans l’Est), départements, conservatoires du littoral… Les forêts n’appartiennent pas à l’Etat mais à ces organismes.
- L’Etat qui possède toutes les forêts domaniales, i.e. 4 millions d’ha. Ces forêts sont gérées par l’ONF.
Les collectivités et l’Etat sont soumis à un code forestier commun. L’ONF est mandaté par la loi a planifier la gestion des toutes les forêts publiques (état et collectivités). Pour les collectivités, il y a encore un peu de travail…
Ceci donne en gros 2/3 de forêts privées, 1/3 publiques.
Quels sont les critères pour accorder la certification à un bois ?
En tant qu’entreprise (ce qu’elle n’est pas, puisqu’il s’agit d’une association), PEFC vend une certification comme un produit, qui est appuyée sur un cahier des charges. Le premier critère est de respecter ce cahier des charges.
Le propriétaire doit être d’accord avec ce cahier des charges, ce qui n’est pas toujours évident. L’adhésion d’un propriétaire à cette certification est déclarative concernant la déclaration des surfaces forestières. En signant un document, le propriétaire s’engage pour 5 ans à respecter ce cahier des charges, et PEFC à le contrôler.
Il y a une dimension d’éthique, qui est de faire comprendre au propriétaire que la gestion durable est un impératif, et qu’il a tout intérêt à la rechercher. Le but est que PEFC et le propriétaire avancent ensemble.
PEFC fonctionne sur un schéma d’amélioration continue, et non sur des critères nets et finis. C’est une différence d’avec FSC, dont le système de performance fonctionne avec un seuil minimal de gestion durable à partir duquel la certification est accordée.
FSC est un concurrent, ce qui est bon. FSC est par ailleurs précurseur de la certification forestière sur les forêts équatoriales et sur ce sujet ont plus d’expérience que PEFC. Cependant, il n’est pas possible d’attendre que la forêt soit « parfaite » pour donner la certification. Ils doivent donc plutôt procéder par étapes, ce qui finalement les rapproche un peu du fonctionnement de PEFC.
Pour ce qui est de la certification du bois, est-ce qu’on certifie aussi toute la chaîne de production du bois ?
PEFC compte deux certifications différentes :
- La certification de la gestion forestière durable, adressée à tous les propriétaires, et gérée par les entités régionales de PEFC (en l’occurrence, PEFC Ouest).
Quelques exemples d’avantages à cette certification :
. Vendre du bois certifié et faire valoir la qualité de la gestion durable
. Eduquer et gérer l’accueil du public pour les forêts publiques Faciliter l’installation de panneaux de sensibilisation et informations pour les promeneurs, par exemple dans une forêt proche d’une grande ville et fréquentée le week-end, ce qui entraîne la dégradation de la forêt.
. Entrer plus facilement en relation avec les chasseurs, par le biais de PEFC. D’ailleurs, PEFC recherche entre autres l’équilibre sylvocynégétique, i.e. entre les animaux (chevreuils, biches, cerfs, sangliers, lièvres…) et la vie de la forêt.
- La certification de traçabilité du bois, gérée par PEFC France.
PEFC ne fait pas d’incitation à couper du bois pour couper du bois, c’est seulement quand la gestion durable le demande.
En ce qui concerne la régénération… ?
La dimension temporelle intervient partout, tout le temps.
Par exemple, le peuplier se récolte au bout de 20 ans. Le pin, au bout de 60 ans. Le chêne, au bout de 120, 180 ans, voire plus.
Dans tous les cas, il y a forcément une rotation entre « je coupe » et « je ne fais rien » pour les arbres. Il y a forcément un mélange au sein de la forêt.
Le problème actuel est que la demande en bois augmente beaucoup, en bois d’un certain type, pas des bois trop gros, mais qui poussent lentement. Le problème est que ce bois, on le veut tout de suite, alors que le bois prend du temps à pousser ! Par exemple, il y a 20 ans le hêtre était très à la mode, et plus maintenant. Il y a vraiment besoin d’anticiper dans le domaine du bois.
Pour la régénération : PEFC incite à la régénération naturelle lorsque les conditions sont réunies.
Pourriez-vous détailler ce qu’est le bois d’œuvre, le bois énergie… ?
- Le bois d’œuvre est celui qui met le plus longtemps à pousser et qui a le moins de défauts. Il sert pour des utilisations aussi variées que la lutherie, l’art, la sculpture, la construction, l’industrie, les meubles massifs, les panneaux pour faire du contreplaqué…
Par exemple, les aboutages sont utilisés pour les menuiseries des fenêtres ; comme on ne veut pas de nœuds dans ce bois, on prend une planche et on coupe dès qu’on trouve un nœud ; ensuite, on relie les différents morceaux.
Un autre exemple est le lamellé-collé, qui consiste aussi à coller des petits bouts les uns aux autres pour obtenir une longue poutre.
- Le bois de trituration sert à la pâte à papier et d’autres…
- La zone de l’arbre donnant le bois de trituration sert aussi à donner des palettes (planches de petite section).
- Le bois énergie est tout ce qu’on n’a pas encore récupéré (après ce qui précède), sauf les branches de moins de 7 cm de diamètre.
- Ces branches-là constituent les bois rémanents, à garder absolument sur le sol forestier car nécessaires pour la régénération.
Les frontières sont mouvantes entre les utilisations du bois du fait de la demande croissante en bois.
Un arbre : Branches
Surbille
Bille de pied
Souche
Racines
Y a-t-il des acteurs de la filière bois particuliers avec lesquels PEFC est lié ?
Un des piliers de la certification PEFC est le consensus.
En effet, les exigences PEFC pour un forestier sont établies (et renouvelées, révisées à la hausse tous les 5 ans) en accord avec un consensus de 3 collèges :
- Les producteurs :
. L’ONF
. Les coopératives forestières
. Les syndicats de propriétaires
. Les Centres Régionaux de la Propriété Forestière (CRPF)
- Les transformateurs :
. Les industriels
. Les exploitants, fabricants de papier, interprofessions
. Le FNB (spécialisé dans la 2e transformation)
. UIB (Union des Industries du Bois ?) (spécialisés dans les panneaux)
- Les usagers :
. Associations naturalistes, FNE
. Les chasseurs
. Les chambres d’agriculture
. Le comité 21 (conférence de Rio, Grenelle)
. Les départements
Sur le site de PEFC, http://www.pefc-france.org/articles/connaitre-pefc/PEFC-en-france/pefc-en-france-2011, vous trouverez l’ensemble des membres de PEFC.
On distingue deux aspects dans ce fonctionnement :
- L’aspect individuel, avec le propriétaire
- L’aspect collectif :
Tous les acteurs de la forêt travaillent ensemble, menant des actions collectives pour améliorer la gestion durable. Comment nous, PEFC, pouvons-nous aider le propriétaire à respecter cela ? Avec les compétences des membres de PEFC.
PEFC a donc un rôle de formation et d’information.
Ce rôle d’information-formation est transversal : il est vrai pour les propriétaires, pour les entreprises, et aussi pour les consommateurs. PEFC est présent dans beaucoup de salons pour présenter son action aux consommateurs. Avec pour message principal : « acheter du bois, c’est bon pour la forêt ». Il y a tellement de battage médiatique sur la mauvaise gestion des forêts amazonienne ou autres, que le consommateur finit par penser qu’acheter du bois n’est pas bon pour la forêt, ce qui est faux. Pour évacuer le bois coupé dans les forêts, il faut des consommateurs.
Qu’en est-il du fonctionnement économique de PEFC ?
Pour PEFC Ouest : les propriétaires certifiés cotisent pour 5 ans 20 euros + 0,65 euro/ha. Pour 100 ha, cela fait 85 euros soit 17 euros par an.
Pour les propriétaires, ce n’est pas cher du tout, mais pour PEFC Ouest, par exemple, comme il y a 3600 propriétaires concernés, et 2 salariés, cela fonctionne bien.
Pour PEFC France : les entreprises certifiées paient une cotisation à PEFC France.
Aller voir sur le site, rubrique Infos Pratiques.
Je retiens donc les trois piliers auxquels tient PEFC : l’amélioration continue, le consensus, et la formation-information.
Il y a un aspect que nous n’avons pas beaucoup évoqué, c’est l’aspect environnement, biodiversité… Le Grenelle dit : « Il faut exploiter », mais précise bien, entre deux virgules, « tout en préservant mieux la forêt ».
L’image de PEFC a longtemps été celle de la protection de l’environnement dans l’esprit des forestiers. Maintenant que PEFC est plus connu, les propriétaires sont plus au courant de ce que recherche PEFC…et ont compris l’intérêt environnemental (et pas contradictoire) de la gestion durable proposé par PEFC.
Quant à PEFC Monde : il faut aller voir le site de PEFC International.
PEFC est présent dans environ 35 pays, et dans le monde actuellement il y a 232 millions d’ha certifiés (FSC ou PEFC). Cela représente moins de 10 % des forêts mondiales, sur environ 50% de forêt certifiable. Il reste donc de la marge.
7500 à 8000 entreprises dans le monde sont certifiées. En 10 ans seulement, dans un milieu qui est vieux et qui a de lourdes habitudes, c’est pas mal !
En France, c’était par ailleurs la première fois que toutes les parties intéressées à la forêt se rencontraient autour d’une même table. C’est peut-être la clé du succès ; ce partenariat était nécessaire.
Je lui rappelle l’objet du projet, et la question fatale « La demande croissante en bois menace-t-elle les forêts françaises ? »
Au sujet du site :
PEFC, par volonté, est ouvert, et recherche l’échange et la confrontation. « C’est ce qu’il y a de plus fort chez PEFC à mon sens ». Et comme le fonctionnement de PEFC est complètement transparent, il est facile de répondre à des accusations ou autres, de trouver quoi répondre. L’aspect communication est important ; on recherche une communication vraie, un échange, une communication cohérente.
De même, si on a besoin du logo pour le site, on peut lui demander, il nous aidera à obtenir les droits.
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Lorsque vous étiez venus, l’autre jour, dans nos bureaux à Paris, nous avions parlé de votre projet pendant la réunion que nous avions juste après. Et [au sujet de la question « La demande… »] toutes les personnes présentes ont dit : « Comment peut-on poser le problème de cette manière-là ?! » Cette question représente le cliché contre lequel on se bat depuis 10 ans. Notre réponse à cette question est : Surtout pas ! i.e. il ne faut surtout pas que la demande croissante en bois menace la forêt française ! Mais si on répond non à cette question, cela risque d’être mal compris, et on ne peut pas répondre oui, sinon ce serait la mort de la forêt.
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Entretien CGT-Forêt avec M. Pascal LECLERCQ
Entretien FNB avec M. Laurent DENORMANDIE
Résumé d'Entretien FNE avec Mme Julie MARSAUD
Entretien PEFC avec M. Olivier BILLEAU