Fiche Rhebuu nuu
Rheebu Nuu – Comité autochtone
Créé en 2002, le comité autochtone Rheebu Nuu (œil du pays en kanak) a pour président André Vama et pour secrétaire général et porte-parole Raphaël Mapou, qui est très présent sur la scène médiatique calédonienne.
Contexte de la création
Selon l’association écologiste Corail Vivant, dont le président Didier Baron a répondu à nos questions, les populations locales étaient a priori favorables à la construction de l’usine de Goro. C’est cette association qui, indique-t-il, leur a fait prendre conscience des menaces que pouvait représenter ce projet. C’est dans ce contexte que le comité autochtone Rheebu Nuu a été créé :
« Vis à vis de ces tribus nous nous sommes rendus à une réunion du "comité d'embauche" à l'invitation du Grand Chef Atiti (qui était totalement pour cette implantation). Après avoir évoqué tous ces risques nous avons indiqué que nous serions à sa disposition dans l'espace coutumier. Nous l'avons supplié de mettre en œuvre une structure de vérification technique qui aiderait à la prise de décision des coutumiers. Il sortit de cette réunion le comité Rhéébu Nùù » (extrait de la réponse de Didier Baron à nos questions)
Revendications
Le comité Rheebu Nuu a trois principales revendications : améliorer la participation des populations locales dans le projet, protéger l’environnement et ne pas affaiblir la position des kanaks sur le territoire. Cette opposition parfois violente à l’usine de Goro a entraîné quelques critiques, notamment de la part de Marie-Noëlle Thémereau, présidente du gouvernement calédonien : « En se mobilisant contre un projet qui est un formidable levier de développement pour notre pays, Rhéébù Nùù […] sabote l'avenir de notre pays tout entier », dénonce-t-elle. (AFP 30/05/06)
Association des populations locales au projet
Associé au syndicat USTKE, Rheebu Nuu demande une meilleure répartition des retombées économiques générées par l’exploitation du nickel. Il a notamment dénoncé l’emploi de 3 000 salariés philippins pour réaliser le chantier, en 2006. Ces travailleurs acceptaient des salaires bien inférieurs à ceux pratiqués sur place, créant une concurrence déloyale, comme l’explique l’article de Médiapart publié le 03 Mai 2008. De manière générale, le comité critique l’attitude de l’industriel (Inco, entreprise canadienne au moment des manifestations de 2006), qui selon eux refuse la concertation avec les populations locales : « Inco nous pousse à revenir sur le terrain. Ils sont en train de foutre en l'air une amorce de discussion » (AFP 30/06/06). Raphaël Mapou dénonce ainsi « l'indifférence totale de la multinationale canadienne ».
Rheebu Nuu : Goro Nickel est « une poubelle industrielle » (AFP 20/02/07)
Rheebu Nuu s’est montré particulièrement virulent contre le rejet de déchets miniers par un tuyau long de 21 km dans le lagon voisin de l’usine. Ainsi, l’avocat du comité autochtone, Me Jérôme Bouquet-Elkaim, a souligné le fait que 25 métaux lourds seront rejetés dans le lagon, avec selon lui un dépassement de 100% des limites admises en France en ce qui concerne le manganèse, avec des rejets de 100 mg/l autorisés contre une limite de 1 mg/l en métropole ou de 0,1 mg/l aux Etats-Unis (AFP 20/02/07). Le comité dénonce notamment le vide juridique autour du projet, puisque le code de l’environnement valable en métropole ne s’applique pas en Nouvelle Calédonie. Rheebu Nuu a par ailleurs réclamé des dédommagements financiers pour les problèmes environnementaux et la pollution qu’ont engendrés plus de cent trente ans d’exploitation minière sur l’archipel, comme le rappelle la journaliste Maguy Day sur le site internet Médiapart, dans un article datant du 22 avril 2008.
« Une politique néo-colonialiste »
L’enjeu politique est de taille selon le comité, bien qu’il n’apparaisse pas au premier abord. Un article du site d’information Médiapart, publié le 22 avril 2008, le souligne :
« L’usine du sud relève d’une stratégie pour doter la province sud de moyens financiers importants pour creuser l’écart avec la province du nord et les îles Loyauté et favoriser l’immigration blanche de la métropole. Cela participe d'une politique néo-colonialiste, où, au rythme d’immigration actuel, 100.000 nouveaux habitants dans le sud pèseront lourds dans la balance institutionnelle et fourniront les conditions d’une partition d’ici le référendum sur l’autodétermination en 2014 », y explique Raphaël Mapou, secrétaire général de Rhéébu Nùù.
Ces chiffres sont peut être exagérés, mais la perspective d'affronter une vague d'immigration dans cette île qui compte à peine plus de 200.000 habitants en effraie plus d'un. La population kanake redoute en effet de voir sa position s’affaiblir en Nouvelle Calédonie, alors que se pose la question de l’indépendance. Raphaël Mapou redoute également un déséquilibre croissant entre les différentes provinces du territoire, ce qui pourrait selon lui aboutir à une partition.
Des actions parfois violentes
Image extraite du documentaire Sous le vent de l’usine, coréalisé en 2009 par Anne Pitoiset et par Laurent Cibien. Un camion est en feu, lors des manifestations de Rheebu Nuu contre l’usine de Goro en Avril 2006.
Le comité Rheebu Nuu a organisé des marches, des manifestations, des recours administratifs mais surtout de multiples blocages du chantier de Goro comme en 2005 et en 2006. Ainsi, une dépêche AFP datant du 04/02/05 indique qu’André Vama, le président du collectif, a été interpelé et placé en garde à vue le 4 Février 2005 après un blocage de quatre jours. Le blocage le plus violent date d’Avril 2006. Une opération commando a fait environ 10 millions de dollars US de dégâts, selon la direction de l'entreprise. Suite à cet événement, Raphaël Mapou a été mis en examen pour « complicité de participation à un attroupement armé » (AFP). En mai 2006, Rheebu Nuu a été condamné à payer la somme de 748 836 F CFP (environ 6 300€) au bénéfice de Goro Nickel à titre de dommages et intérêts, pour des dégradations commises lors d’un blocage en février et mars 2004 (d’après un bulletin de la Revue Responsabilité civile et Assurances datant de Février 2008).
Un combat qui se transpose dans les urnes
Le collectif Rheebu Nuu défend également ses intérêts au cours d’élections. Ainsi, associé aux Verts Pacifique, il obtient 1,57% des suffrages aux élections provinciales du 9 Mai 2004. A l’approche de l’élection présidentielle de 2007, Raphaël Mapou a prévenu : « En avril-mai, ça va chauffer », indiquant que « la tribu de Goro est en train de construire la barrière pour empêcher la mise en place du tuyau » (AFP 20/02/07). La sénatrice et candidate des Verts à l’Elysée, Dominique Voynet, a apporté son soutien aux opposants au projet en qualifiant le projet Goro-Nickel de « caricature de violation cynique du droit », évoquant un « développement anti-démocratique, souterrain et quasi clandestin » de ce projet (AFP 20/02/07).
En Mars 2008, la liste de Rheebu Nuu remporte les élections municipales dans la commune de Yaté, sur laquelle est située l’usine de Goro. Etienne Ouetcho en est désormais le maire. Cette victoire donne au comité une certaine légitimité, selon Pierre-Yves Le Meur, anthropologue à l’IRD : « Cela montre aussi la popularité de Rheebu Nuu sur ce lieu » (propos extraits de l’entretien accordé le 23/03/12).
Depuis 2008 : participation aux évolutions institutionnelles
Après une logue opposition de près de sept ans, parfois violente, les différents acteurs de la controverse sont parvenus à la signature d’un pacte pour un développement durable du grand Sud, le 27 Septembre 2008. Selon Raphaël Mapou, « la maîtrise des impacts environnementaux était possible et rien n’était irréversible » (propos rapportés par le journal Les Echos le 30/09/08). « [Cet accord] réhabilite les chefferies, structures authentiques et de pleine responsabilité et les prend en compte dans la démarche participative », affirme le porte parole de Rheebu Nuu après la signature du pacte, qui prévoit une plus grande implication des populations locales dans le projet, au sein de nouvelles organisations créées à cet effet comme le CCCE ou la fondation d’entreprise. L’accord a entraîné une modération des positions de Rheebu Nuu depuis 2008. Le comité autochtone participe aux concertations avec l’industriel et les autres acteurs du débat autour de l’activité minière au sein de la formation d’entreprise, du CCCE et de l’ŒIL. Raphaël Mapou est d’ailleurs le président de ces deux derniers organismes. « Cet accord montre ce dont le peuple kanak est porteur. Les clans et les chefferies donnent leur consentement éclairé au démarrage de cette usine », a-t-il déclaré à propos du pacte, dans une dépêche AFP datant du lendemain de sa signature.
Certaines associations écologistes, comme Corail Vivant, regrettent que Rheebu Nuu ait modéré ses contestations à propos des impacts environnementaux de l’usine, laissant les organismes écologistes quelque peu à l’écart des concertations. « Nous avons travaillé et agi sur le terrain [avec le comité Rheebu Nuu] jusqu'en 2007, période de la signature d'un pacte liant l'entrepreneur aux autres acteurs qui a créé, entre les principaux acteurs, l'OEIL (Observatoire écologique sans véritable efficacité ni pouvoir). Pour ce qui nous concerne nous avons été écartés dès 2008 de toute approche. », nous a ainsi écrit Didier Baron, président de Corail Vivant, le 14/05/12.
Pour accéder aux cartographies, cliquer ici pour celle d'avant 2008, et ici pour celle d'après 2008.
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