Les œuvres littéraires et artistiques sont protégées par le droit d’auteur : la paternité d’une œuvre est reconnue à son auteur, et un certain monopole d’exploitation économique de sa création lui est assuré. Ces prescriptions juridiques, aussi anciennes et élaborées soient-elles, ne sont cependant pas sans failles. Quid par exemple d’une oeuvre dont l’on ne parvient pas à identifier l’auteur ? Comment appliquer le droit d’auteur lorsque le titulaire dudit droit est introuvable ?

Cette difficulté est au cœur d’une véritable controverse ; le flou juridique qui entoure ces œuvres aux propriétaires inconnus, ces œuvres « orphelines », soulève en effet de nombreuses questions, face à des enjeux concrets, économiques, patrimoniaux, moraux ou artistiques. Et si le terme d’œuvres orphelines (orphan works en anglais) est aujourd’hui d’usage, sa définition même est sujette à débat. Ainsi, le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) précise :

« Art. L. 113-10. – L’œuvre orpheline est une œuvre protégée et divulguée, dont le titulaire des droits ne peut pas être identifié ou retrouvé, malgré des recherches diligentes, avérées et sérieuses. »
Partie 1, livre 1, titre 1, chapitre 3.

Cette définition, qui est un ajout récent au CPI, suscite bien des interrogations : quelles sont les « œuvres » concernées ? Une œuvre peut-elle vraiment être « orpheline » : est-ce une négation des droits de son auteur ? Comment définir une recherche « diligente » ? Autant de questions dont les réponses varient d’un protagoniste à l’autre du débat – un objectif de notre travail sera d’identifier les acteurs de cette controverse et les relations qu’ils entretiennent entre eux, en comprenant qu’une œuvre artistique n’est pas vu par chacun de la même manière, soit qu’il s’agisse d’un patrimoine, soit d’un produit, ou encore d’une source.

Si ces points de vue varient, c’est que les intérêts de chacun divergent. Comme nous allons le voir, l’incomplétude de la législation antérieure à 2012 vouait les œuvres orphelines à la disparition, leur conservation comme leur diffusion n’étant pas permises. Cette perte n’était pas souhaitable dans une optique d’accès très large à la culture, d’où l’adoption par les États de législations ayant pour but de protéger et permettre la diffusion de ces œuvres. Mais le risque d’en voir une récupération commerciale existe, notamment dans le cadre de projets de numérisation massive. Comment légiférer alors sans compromettre injustement tout à la fois les intérêts des auteurs introuvables, les intérêts d’un public désireux d’accéder aux œuvres orphelines, et ceux des exploitants finançant leur diffusion ? Entre propriété intellectuelle et bien public, l’exploitation de ces œuvres est-elle une question relative à l’économie de la culture ou à la promotion et à la conservation d’un patrimoine ?

Défenseurs des droits des créateurs, éditeurs, partisans d’un accès immédiat et gratuit à toute œuvre : concilier leurs revendications est une gageure juridique, et l’adoption d’un régime (gestion collective, création d’une exception juridique, etc.) plutôt qu’un autre fait l’objet de jeux d’influence que ce site tentera de décrypter sans prendre position, extérieurs au débat que nous sommes. Nous étudierons l’évolution de la controverse au fil du temps, un véritable feuilleton juridique mondial que nous avons toutefois limité aux États-Unis et à la France (la législation de cette dernière s’inscrivant dans la gouvernance européenne). Particularité française, le statut du livre indisponible sera également abordé.

Le sort des œuvres orphelines est loin de faire l’unanimité, et les critiques à l’encontre de leur statut actuel, portant sur le respect des droits des auteurs – en particulier à propos des livres indisponibles – et sur la capacité à rendre les œuvres orphelines accessibles, portent à croire que ce sujet n’est pas prêt d’être clos.