Le droit d’auteur, la place qu’on souhaite lui accorder et son histoire ont une grande place dans la polémique autour des œuvres orphelines. En effet, certains professeurs comme Franck Macrez disent clairement que la loi du 1er mars 2012 est une violation de la propriété intellectuelle et donc de la constitution.
Il y a deux grands questionnements concernant le droit d’auteur.
1) Remise en cause de la propriété des auteurs sur leurs œuvres :
A la question de savoir si la loi française porte atteinte au droit d’auteur dans son principe, Florence-Marie Piriou répond :
« Nous n’avons pas porté atteinte aux droits de propriétés, nous avons exercé un droit de propriété d’auteurs qui peuvent avoir eu connaissance du dispositif [ReLIRE] ou non, mais qui peuvent dans tous les cas se retirer et avoir une indemnité. » F-M Piriou, entretien.
Même si Bernard Lang s’oppose clairement à la loi française sur les livres indisponibles qu’il juge entièrement favorables aux éditeurs et seulement aux éditeurs, Bernard Lang reste d’accord sur le principe selon lequel les œuvres orphelines ou indisponibles à l’abandon doivent être exploitées, parfois au détriment du droit d’auteur :
« L’intérêt public c’est que le patrimoine soit entretenu, que ce qui a été créé soit préservé pour pouvoir encore servir. Dans la mesure où le propriétaire légitime ne s’en occupe pas, il est bon que d’autres s’en occupent. » Bernard Lang, entretien.
En réalité, la diffusion des œuvres orphelines comme indisponibles fait consensus. Dans le cas du livre notamment, le cœur du débat réside dans ce qui constitue pour certains une main-mise des éditeurs sur les œuvres indisponibles. En effet d’après Bernard Lang, la loi leur octroie l’autorisation d’exploiter numériquement une œuvre indisponible sans a priori demander l’autorisation à l’auteur, « propriétaire naturel » de l’œuvre. L’auteur est donc mis à l’écart de l’exploitation de son œuvre. C’est en ce sens que le droit d’auteur voire ici le droit de propriété intellectuelle est remis en cause dans la loi du 1er mars 2012 d’après certains juristes. En effet, il faut être éditeur pour pouvoir exploiter numériquement une œuvre indisponible, ce sont donc les seuls exploitants possibles.
D’après M. Lang, certaines œuvres dites indisponibles seraient présentes sur la base ReLIRE sans même que les auteurs pourtant connus de ces œuvres n’aient été prévenus. Seuls les éditeurs seraient prévenus. Les auteurs seraient donc laissés dans l’ignorance afin que les éditeurs puissent récupérer les droits d’exploitation numérique.
En parallèle de ces considérations, Arnaud Beaufort défend la position de la loi française et de la BnF comme acteur de la préservation du patrimoine. Selon lui, ces polémiques sont stériles : elles cachent le véritable enjeu des œuvres orphelines et indisponibles ; ce sont parfois de très belles œuvres qui gagnent à être diffusées au grand public. C’est le but réel de cette loi : la préservation et la diffusion du patrimoine. C’est aussi le but de la bibliothèque numérique Gallica de la BnF qui rend accessible gratuitement au public certaines œuvres indisponibles.
De plus, Monsieur Beaufort critique les juristes ou professeurs qui aujourd’hui s’opposent à la loi. Ce sont, selon lui, des personnes qui souhaitaient un accès large et gratuit aux œuvres indisponibles au détriment parfois du droit d’auteur et qui, aujourd’hui, critiquent la loi car elle affaiblit le droit d’auteur.
2) Remise en cause de la définition du droit d’auteur dans la Convention de Berne :
La conception du droit d’auteur est celle adoptée dans l’article 5, paragraphe 2 de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 8 Septembre 1886 (cf. Qu’est-ce que le droit d’auteur ? pour plus de détails). Elle a été révisée et modifiée, dernièrement en 1979 mais cette convention est dans tous les cas anciennes. Elle dit ceci :
« La jouissance et l’exercice de ces droits ne sont subordonnés à aucune formalité; cette jouissance et cet exercice sont indépendants de l’existence de la protection dans le pays d’origine de l’œuvre. […] » Article 5, paragraphe 2, Convention de Berne.
Cette conception est pour certains dépassés. De plus, depuis l’entrée des États-Unis comme signataire de la convention de Berne, certains y voient un affaiblissement de la Convention. En effet, auparavant, les États-Unis demandaient aux artistes de déposer leurs œuvres au Copyright Office, pour être protégé, il fallait donc systématiquement qu’un créateur recourt à cette formalité. Aujourd’hui, en principe, les créateurs américains n’ont plus à déposer leurs œuvres du fait de la Convention de Berne. En réalité, les juges américains n’accordent pas beaucoup de crédit à cette protection automatique et les artistes n’ont donc pas de protection réelle.
« Il y a deux choses dans un système de droit : il y a le fait d’avoir le droit et le fait de faire respecter le droit. […] Le droit d’auteur est un droit de propriété sur l’exploitation d’une œuvre mais si personne ne le fait respecter, c’est comme si vous ne l’aviez pas. Lorsque la Convention de Berne dit que vous avez des droits sur une œuvre dès que vous l’avez créée, ça ne vous a pas apporté grand-chose. […]En admettant les États-Unis dans la Convention de Berne, l’article 5.2 de la convention perd son sens et devient vide de son contenu. » Bernard Lang, entretien.
Ainsi, le droit d’auteur automatique est aujourd’hui une réelle problématique. Pourquoi serait-ce aux institutions de faire des recherches a posteriori de la création d’une œuvre des ayant-droits et non pas aux ayant-droits de s’enregistrer en tant que propriétaire d’une œuvre directement ? La question du dépôt de l’œuvre pour être protégé est alors de nouveau à l’ordre du jour.
Bernard Lang serait favorable à ce que les auteurs enregistrent leurs œuvres sur une base de données centralisée qui permettraient d’annuler le problème d’identification des ayant-droits à long terme. Si un auteur ne s’est pas enregistré, il n’est pas protégé puisqu’il n’en a pas fait la demande. Pour éviter des abus, le droit moral du droit d’auteur pourrait quant à lui rester automatique.
Florence-Marie Piriou s’accorde sur cette idée :
« La société des gens de lettre en France a souhaité avoir un registre. Elle voudrait bien que les notaires communiquent à chaque fois qu’un auteur est mort les coordonnées des héritiers et que ce soit rendu obligatoire. On dit que le droit d’auteur est automatique. Aujourd’hui, on est au XXIème siècle, on enregistre, on identifie les choses. » F-M Piriou, entretien.
Cette remise en cause provient donc également de l’avènement de l’ère numérique : la circulation des œuvres est devenue bien plus intense, les moyens de diffusion sont nombreux, les diffuseurs une multitude. Le suivi des œuvres et de leurs ayant-droits, voire le simple fait de faire respecter le droit d’auteur, sont devenus particulièrement complexes. Le droit automatique est donc « dépassé » dans un contexte numérique.
Ce point de vue peut être défendu par des acteurs ayant une vision juridique de la controverse, comme dans cet article, où l’auteur, un professeur de droit à Stanford Law School, écrit « Patent holders have to pay a fee every few years to maintain their patents. The same principle could be applied to copyright. » Il est cependant vivement contesté au nom du respect du droit d’auteur, qui à l’échelle internationale est défini dans la convention de Berne, ainsi Brad Holland, illustrateur new-yorkais qui a été fer de lance de la lutte contre le « Orphan Work Bill », répond à cette idée : « L’«invitation » faite aux artistes d’enregistrer leurs créations dans des banques de données privées est une violation flagrante de la convention de Berne ».
La notion de droit automatique semble donc aujourd’hui remise en question même si des professeurs comme Franck Macrez la défendent encore. Pourrait-on voir une loi qui changerait le statut du droit d’auteur ? L’exercice de ce droit ne sera-t-il possible qu’après avoir déposé son œuvre dans un registre national ou international ? Cela semble difficile à penser tant l’idée qu’une œuvre conçue est naturellement propriété de son concepteur.
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