Le cadre de notre étude
L’objet de la controverse sur les œuvres orphelines n’est pas de définir ce qu’est une œuvre de l’esprit comparativement à une création qui relèverait de la propriété industrielle. Cette question est éminemment philosophique, et prête elle aussi à controverse juridique et sociétale extrêmement complexe, et le plus souvent c’est au juge qu’il revient la difficile tâche de déterminer si une œuvre est véritablement une « œuvre artistique », au sens où elle est protégée par les droits de la propriété littéraire et artistique. Si on considère une œuvre dont la qualification d’artistique ne fait pas débat, alors peut se poser la question de l’orphelinat.
Le contexte numérique
Le statut d’orphelinat et la problématique des œuvres orphelines sont selon les juristes ayant étudiés la question, intimement lié à l’essor des activités numériques. « Depuis un certain temps, le législateur – qu’il soit national ou européen - s’intéresse surtout à l’Internet, à l’investissement et aux intérêts des exploitants et des utilisateurs ou consommateurs, ainsi qu’à la concurrence entre les États-Unis et le « vieux continent » sur le terrain numérique.
L’auteur devient le parent pauvre d’un droit qu’il faudra bientôt éviter d’appeler « droit d’auteur », tant les auteurs en sont progressivement écartés, mais qui ne sera pas non plus de la propriété « littéraire et artistique », tant la propriété sera surtout perçue comme celle des entreprises sur les fruits de leurs investissements, plus que sur des créations. La modernité veut, du reste, que l’on ne parle plus d’œuvres, mais de «contenus », voire de « matériel »… », écrit Frédéric Pollaud-Dulian, professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne.
Les œuvres concernées en priorité sont donc celle dont le support peut être numérique. Le juriste explique que cette confusion entre l’oeuvre de l’esprit et son support, est ce qui rend l’œuvre commercialisable, est une porte ouverte à une loi écartant le « droit d’auteur » au profit de l’économie de la culture.
Quelles types d’oeuvres artistiques sont concernées ?
La directive (voir le texte entier) « s’applique aux œuvres initialement publiées ou radiodiffusées dans un État membre et qui sont :
1) des œuvres publiées sous forme de livres, revues, journaux, magazines ou autres écrits et qui font partie des collections de bibliothèques, d’établissements d’enseignement, de musées ou d’archives accessibles au public, ou
2) des œuvres cinématographiques ou audiovisuelles faisant partie des collections d’institutions dépositaires du patrimoine cinématographique, ou
3) des œuvres cinématographiques, sonores ou audiovisuelles produites par des organismes de radiodiffusion de service public avant le 31 décembre 2002 et figurant dans leurs archives. »
Quid des autres œuvres d’art ? La réponse à cette question n’est pas certaine car il est impossible de trouver des acteurs s’exprimant sur ce vide légal, et il semble donc que le problème ne se pose que très rarement et ainsi puisse se régler « au cas par cas » par ordonnance juridique.
Un point particulier concerne les œuvres collectives, avec plusieurs ayant droits. Elles posent un problème épineux car le problème de recherche des ayant-droits est amplifié par la multitude des créateurs. Cependant, la loi française dit qu’une oeuvre collective n’est plus orpheline dès lors que l’on a identifié au moins un des ayant-droits. Nous ne nous intéresserons pas spécifiquement à leurs cas.
Les intérêts économiques liés à l’exploitation numérique des œuvres sont donc un point central de la naissance de la controverse. Ils vont motiver les actions et avis de certains acteurs comme les éditeurs, Google, ou l’Etat, alors que la problématique du respect de « l’œuvre de l’esprit » et du droit d’auteur peut se détacher de considérations économiques (sur le plan du droit moral) et ainsi est un point qui cristallise les points de vue d’experts juridiques indépendants, comme M. Franck Macrez ou M. Frédéric Pollaud-Dulian .
Entre économie de la culture et promotion du patrimoine culturel
Références :
Pollaud-Dulian, Frédéric. « Utilisations autorisées des œuvres orphelines (Directive n° 2012/28 du 25 octobre 2012, JOUE L. 299 du 27 octobre 2012, p. 5 ; Proposition de directive, COM(2011)289 Final du 24 mai 2011) ». RTD Com. 2012, p. 783.
Macrez, Franck. « L’exploitation numérique des livres indisponibles : que reste-t-il du droit d’auteur ? ». Recueil Dalloz, 2012, p.749.
Directive n° 2012/28/UE du 25 octobre 2012 du Parlement européen et du Conseil de l’UE sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines.
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