Doriane Ibarra

Entretien avec Doriane Ibarra, bibliothécaire à l’Ecole des Mines de Paris

Les travers du marché de l’édition

L’enjeu de l’OA est de se réapproprier la diffusion de la recherche. Il s’agit de peser dans la balance par rapport aux éditeurs.

Depuis quelques années une édition scientifique très commerciale s’est greffée sur le marché des publications avec une recherche de profits importante. Ce marché éditorial dévie complétement la vocation d’origine, qui est l’échange entre les chercheurs.

Dans ce circuit commercial, le chercheur n’est jamais rémunéré par l’éditeur, il fournit les résultats de sa recherche gratuitement. Ce que fournit l’éditeur en retour, c’est l’organisation de la révision par les pairs et une mise en page, souvent minimaliste pour ce qui concerne les sciences. Enfin, l’éditeur diffuse. Jusque dans les années 1990, il diffusait essentiellement en journaux imprimés, depuis les années 2000, il s’agit essentiellement de format numérique. Les bibliothèques ont pensé qu’il y aurait une réduction des coûts mais ce n’est pas ce qu’il s’est passé, à coût équivalent, les prix ont continué à progresser de manière exponentielle. Si l’abonnement en ligne est plus cher que les abonnements papiers, c’est aussi parce que les revues sont vendues par bouquets et non de manière individuelle. Il faut noter que les budgets des bibliothèques n’ont pas tous chuté mais que ce sont les abonnements qui sont de plus en plus chers, mettant les bibliothèques dans l’obligation de se désabonner. L’augmentation moyenne annuelle des prix est de 6%.

L’Ecole des Mines participe au collectif de travail Couperin. Le rejoindre a été un mouvement naturel. La plupart des établissements y adhèrent pour des raisons d’abord budgétaires mais c’est également un gain de temps, la négociation est faite globalement par un négociateur. Couperin a finalement permis d’être tous ensemble au lieu d’être seul face à l’éditeur.

Il existe enfin des débats autour de l’opacité des contrats conclus entre éditeurs et bibliothèques. La non-transparence permet à l’éditeur d’être souverain sur le marché, de ne pas faire payer le même prix à tout le monde. Il existe une disparité de prix incroyable entre établissements, qui n’est pas justifiée par des modes de calcul. Or la recherche étant payée par les finances publiques, le citoyen devrait pouvoir accéder aux résultats de façon plus libre.

Position quant au modèle auteur-payeur

Les bibliothèques sont fermement opposées au système auteur-payeur, car cela revient à faire payer deux fois les établissements. Pour les revues en open access natif, qui mettent gratuitement à disposition leurs articles, il est correct de contribuer à payer la partie recherche d’experts pour la relecture, la mise en page, la maintenance de serveur, à un tarif qui est la juste mesure du coût et qui ne cherche pas à générer du profit envers et contre tout.

Les évolutions induites du métier de bibliothécaire

Avec l’arrivée des revues numériques, la mission de bibliothécaire a complètement changé : de donner accès, il s’agit maintenant de convaincre les chercheurs à publier. En lien avec le numérique, le métier est également devenu très technique. Le bibliothécaire peut donner les clés d’accès premières de l’outillage informatique : comment utiliser l’interface, acquérir les bons réflexes pour interroger les bases… Il agit sur le pan méthodologique.

L’impact limité de l’action politique

Pour contrer le mur d’argent des éditeurs, la pression doit venir de l’Etat. Or aucun engagement fort n’a été pris, il s’agit pour l’essentiel de préconisations. Des initiatives ont été prises dans certains pays, comme l’Argentine, l’Italie, ou l’Allemagne, avec une obligation de dépôt en archive ouverte de tout ce qui est financé par de l’argent public. L’Angleterre a adopté une position forte en disant qu’en 2016, tout devrait être en archive ouverte. L’Université de Liège a mis en place un mandat qui oblige le dépôt en archive ouverte. Mais pour l’instant la France fait défaut tandis que les programmes de recherche européens (PCRD) exigent le dépôt en archive ouverte sans qu’il y ait un réel impact sur les pratiques ni sur les politiques des éditeurs.

Il ne s’agit pas tant d’une question de frilosité que de priorité. Ce n’est pas certain que  la prise de conscience soit suffisante. Certains chercheurs ne se préoccupent nullement de l’open access, leur problème c’est de faire de la recherche.

Les exigences de dépôt en OA dans le cadre des PCRD et d’Horizon 2020 ne sont pas toujours connues des chercheurs impliqués dans ces programmes et quand ils sont au courant ils ne pensent pas toujours à s’exécuter. Aucun suivi n’a été instauré, il n’y a pas de rappel qu’il s’agit d’une obligation imposée par les programmes européens. Cela reste du domaine de l’incitatif.

Quelques percées en OA

La position de la Direction de la Recherche est que tout ce qui est publié doit se trouver dans HAL, ou du moins y être signalé (il ne s’agit pas forcément d’aller jusqu’à déposer le texte intégral). On devrait ainsi avoir une connaissance de tout ce qui est publié et avoir un lieu où tout est regroupé. C’est plus un outil de communication que l’idée de la diffusion du savoir.

HAL est une Archive ouverte : c’est une base de données, dans laquelle on dépose de manière volontaire, soit uniquement la référence bibliographique, soit la référence avec le document. La révision opérée par HAL par le biais du Centre pour la communication scientifique directe (CCSD) n’est pas l’équivalent du peer review. Le contrôle de la qualité est purement technique au départ. Il y a ensuite un contrôle plus scientifique mais c’est finalement surtout une validation formelle qui est faite. Le CCSD défend cette position en disant aussi qu’il responsabilise le comportement de l’auteur, un scientifique qui n’a pas envie de se discréditer ne va pas déposer des résultats faussés.

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