Historique

Depuis l’invention de l’écriture jusqu’à la création d’un Internet globalisé et vulgarisé au profane, la publication académique a grandi et s’est propagée à travers tous les continents. Jean-Claude Guédon parle à ce propos d’une « grande conversation universelle ».

Néanmoins la publication scientifique a connu des soubresauts au cours de son histoire. Alors qu’elle est une pratique écrite ancestrale, l’arrivée du numérique au tournant du 20ème siècle a bouleversé son mode de diffusion et a engagé un tas de réflexion sur sa vocation, son modèle économique et son envergure politique… D’abord relayée au sein de journaux imprimés, la publication scientifique est maintenant majoritairement diffusée sous format numérique. Il s’agit d’étudier, dans cette histoire de l’Open Access, les évènements qui ont jalonné l’histoire de la publication scientifique et de mettre en perspective les grands mouvements et les enjeux qui en ressortent.

Ghislaine Chartron, professeure en Sciences de l’information et de la communication, affirme dans son article sur « L’évolution de l’édition scientifique 15 ans après », que :

Les 15 dernières années de l’histoire de l’édition scientifique ont été marquées par de nombreuses évolutions structurelles, en prise avec la nouvelle donne de l’Internet, comme bien d’autres secteurs.

Le point de départ se situe à Los Alamos en 1991 avec Paul Ginsparg, qui développe la première archive scientifique disponible en ligne avec le serveur ArXiv, service de publication de documents de travail pour physiciens. Depuis lors l’auto-archivage est devenu la norme en physique, la physique des particules a atteint à cet effet un taux de 100 % d’auto-archivage.

Des projets éditoriaux se sont ensuite développés et étendus à tous les champs scientifiques et à l’ensemble des bassins linguistiques. Internet et les technologies web ont ouvert de nouvelles opportunités et de nombreux projets ont porté le désir d’une communication planétaire sans barrière, souvent en marge de l’édition traditionnelle.

La période 1990-1996 pourrait être qualifiée de phase créatrice.

A partir de 1997, dans le contexte français, l’édition numérique scientifique prend un virage que l’on pourrait qualifier de plus industriel.

Les technologies ont mûri et le marché s’est progressivement organisé. Le début 1997 est marqué par la première offre commerciale d’Elsevier (Elsevier Electronic Subscriptions  qui deviendra  ScienceDirect). Les bibliothèques numériques d’autres éditeurs se consolident progressivement : Link  pour Springer, Ideal pour Academic Press, plus tard Interscience  pour Wiley… Parallèlement à ces projets éditoriaux collectifs, des acteurs privés, tel Harnad, vont se mobiliser très fortement et donner une nouvelle vigueur au mouvement Open Access.

Très vite des premières dissensions entre éditeurs et bibliothécaires apparaissent. En effet au moment même où la technologie rend possible un accès presque illimité aux publications scientifiques, leur accès diminue du fait de l’inflation du coût moyen par revue corrélé à la stagnation des budgets des bibliothèques universitaires. Les bibliothécaires prennent part au mouvement Open Access et forment en 1997 une première coalition sur les ressources académiques et l’édition scientifique au sein de la Scholarly Publishing and Academic Resources Coalition (SPARC).

Un coup de force est également marqué en 2001, année au cours de laquelle 34 000 chercheurs du monde entier signent une lettre ouverte aux éditeurs scientifiques appelant à la mise en place d’une archive publique en ligne libre d’accès. De là est née la Public Library of Science (PLoS).

Après une période foisonnante de nouveaux projets, il semble que l’objectif soit désormais de préserver les équilibres, en particulier une indépendance et une qualité de l’édition, tout en favorisant un accès ouvert aux savoirs. Globalement, l’avancée vers l’Open Access s’est  traduite par  une augmentation du financement public sous la forme de subventions , de projets pilotes, de mises en place d’opérateurs publics.

Quelques initiatives institutionnelles fondatrices ont été menées entre les Etats, il s’agit notamment du Budapest Open Access Initiative (BOAI) de décembre 2001 et de la Déclaration de Berlin d’octobre 2003 sur le libre accès à la connaissance en sciences techniques et médicales et en sciences humaines et sociales. Initiatives suite auxquelles le libre accès a été défini comme suit :

Par « accès libre » à cette littérature, nous entendons sa mise à disposition gratuite sur l’Internet public, permettant à tout un chacun de lire, télécharger, copier, transmettre, imprimer, chercher ou faire un lien vers le texte intégral de ces articles, les disséquer pour les indexer, s’en servir de données pour un logiciel, ou s’en servir à toute autre fin légale, sans barrière financière, légale ou technique autre que celles indissociables de l’accès et l’utilisation d’Internet. La seule contrainte sur la reproduction et la distribution, et le seul rôle du copyright dans ce domaine devrait être de garantir aux auteurs un contrôle sur l’intégrité de leurs travaux et le droit à être correctement reconnus et cités.

Aujourd’hui plusieurs modèles coexistent, souvent désignés par une voie.

Finalement, toutes ces années de tâtonnements ont vu l’émergence de nouveaux enjeux :

-          La prise de conscience du système éditorial : débats menés sur les causes de l’inflation vertigineuse de certaines revues scientifiques, essentiellement en STM, mise en évidence d’une difficile compatibilité entre l’exigence de profits des grands groupes éditoriaux et la vision d’une société plus ouverte des savoirs,

-          Les changements de modèles économiques : des financements en amont via les organismes de recherche contre des financements en aval via les bibliothèques,

-          La qualité du système éditorial : délai de publication, biais dans les processus  d’évaluation des articles par les pairs, inflation du nombre d’articles publiés,

-          Le rôle à court terme des intermédiaires : place importante notamment des bibliothèques.

Pour conclure sur notre thématique, Ghislaine Chartron nous met en garde sur le devenir de cette histoire de l’Open Access :

Il serait hasardeux de penser que les mêmes évolutions marqueront les différents champs scientifiques des STM et SHS. Les acteurs ne sont pas identiques, les marchés n’ont pas le même degré d’internationalisation et de concentration, le lectorat est plus ou moins ouvert sur d’autres publics que celui des chercheurs, par conséquent les équilibres trouvés devront tenir compte de toutes ces spécificités.

Historique, quelques dates :

1991 : ArXiv, Physiciens, Los Alamos, Paul GINSPARG

1995 : Mathématiques, Andrew. M. ODLYZKO. Tragic loss or good riddance? The impending demise of traditional scholarly journals

1995 : Bibliothèques, Ann OKERSON, Scholarly Journals at the Crosroads: A Subversive Proposal for Electronic Publishing

2000 : Conférence Santa Fé : début du protocole OAI-PMH

2001 : Lettre de l’association “Public Library of Sciences”, (PLOS), biomédecine, H. VARMUS, appel militant au libre accès

2002 : Initiative de Budapest (définition des 2 voies du libre accès)

2003 : Déclaration de Berlin (Institut Max Planck), élargissement à tous les biens culturels et à toutes les données issues d’un travail de recherche.

2008 : Premier mandat obligatoire de dépôt des articles émis dans le domaine biomédical, aux Etats Unis

Quelques dates en France :

2000 : Centre pour la communication scientifique directe

2001: Création de l’archive nationale HAL par le CNRS, réplication pour ArXiv

2002 : Premières archives SHS: Institut Jean Nicod, ArchiveSic

2005 : HAL, Inria, Archimer… Puis les archives des universités sont aussi hébergées sur HAL

2005: Ouverture du portail Persée

2009: Création de l’Unité Mixte de Service Cléo (revues.org)

2010: Couperin est le correspondant du programme OpenAire (Open Access Infrastructure Research for Europe.)

2011: Mise en place d’Héloïse par le CCSD, le SNE et la FNPS

24/01/2013: Discours de Mme la Ministre G. Fioraso sur la politique française de l’Open access

Nombre d’articles par année sur le Web of Science ( pour l’équation de recherche « open access » and « publishing »)

(cliquez sur l’image pour l’agrandir)

Ce graphique nous montre l’évolution du nombre d’articles sur l’Open Access dans le Web of science. On distingue 3 pics importants : en 2005, en 2007 et en 2013.

Le pic de 2005 peut s’expliquer par l’ouverture de nombreux dépôts en Open Access cette année-là, comme Hal-SHS, Hal-Inria, Archimer, Persée…

Le pic de 2007 peut s’expliquer en France par la prise de position forte de l’Agence Nationale de la Recherche en faveur des archives ouvertes (HAL en particulier) et la promotion forte de HAL-SHS pour les humanités et sciences sociales. De plus, le Conseil européen de la recherche réévalue cette année là les crédits de recherche accordés aux différents pays. Le Conseil publie également à ce moment des lignes de conduite concernant l’Open Access  : « Scientific Council Guidelines for Open Access. » (rapport de cette même année disponible ici) La France est la deuxième mieux dotée en crédits européens et lance un projet de gestion électronique des thèses et dissertations par un système appelé STAR. Au niveau mondial, la loi concernant le domaine bio-médical et instaurant un mandat obligatoire en Open Access a également provoqué de nombreuses réactions. Un rapport explicatif est disponible ici.

En 2013, pour la France, on peut supposer que le discours de Mme la Ministre G. Fioraso sur la politique française de l’Open Access a eu un certain impact. Ce discours revient notamment dans nos entretiens. Au plan européen. on peut également penser à d’éventuelles retombées des recommandations européennes en matière de dépôt d’articles en Open Access. Si les acteurs que nous avons rencontrés n’étaient pas tous d’accord sur le changement apporté par ces textes (voir ici notre article sur l’Europe), ils sont tous au courant de leur existence et d’accord pour en parler.

Image produite par l'université du Tennessee, www.lib.utk.edu/scholar/open-access

(cliquez sur l’image pour l’agrandir)

Les commentaires sont fermés.