La voie dorée
Scénario scientifique
Modèle économique et aspect technique : auteur-payeur, laboratoires-payeurs, universités-payeuses, argent public, services
Scénario scientifique
La voie dorée fait partie des « voies » créées par les acteurs pour faciliter le débat sur l’Open Access et le restreindre à un certain nombre de possibilités. Initialement, deux voies ont été distinguées, que les acteurs relient à l’Initiative de Budapest pour l’Accès ouvert. Celle-ci propose en effet deux façons distinctes de développer l’Open Access.
Selon le site de l’Institut de l’Information Scientifique et Technique sur l’Open Access,
La voie dorée s’applique à la publication d’articles dans des revues en libre accès, quel que soit leur mode de financement. Elle correspond à la deuxième stratégie recommandée dans l’Initiative de Budapest pour l’Accès Ouvert : « Revues alternatives : en second lieu, les savants ont besoin des moyens pour lancer une nouvelle génération de revues alternatives engagées dans le libre accès et pour aider les revues existantes qui choisissent d’opérer la transition vers l’accès libre ».
Selon Ghislaine Chartron du CNAM: « Aujourd’hui les grandes puissances économiques adhèrent au gold i.e au modèle proposé par les grands éditeurs en STM. Par contre les sciences humaines relèvent au trois quarts de publications nationales. On a beaucoup de revues nationales en SHS. » A ce sujet, vous pouvez découvrir la différence entre SHS et STM ici et les politiques en matière d’Open Access ici.
Pour mieux comprendre sur quelle définition de l’Open Access la voie dorée s’est fondée, il faut revenir au texte initial, c’est à dire au deuxième point de l’Initiative de Budapest :
Puisque les articles de revues devraient être diffusés aussi largement que possible, ces nouveaux périodiques n’invoqueront plus le droit d’auteur pour restreindre l’accès et l’utilisation du matériel qu’ils publient. Puisque le prix constitue un obstacle à l’accès, ces nouvelles revues ne factureront pas l’abonnement ou l’accès, et se tourneront vers d’autres méthodes pour couvrir leurs frais. Il existe, pour cette fin, de nombreuses sources de financement alternatives, parmi lesquelles les institutions et les gouvernements qui financent la recherche, les universités et laboratoires qui emploient les chercheurs, les dotations allouées par discipline ou par institution, les amis de la cause du libre accès, les profits générés par la vente d’enrichissements apportés aux textes de base, les fonds libérés par la transformation ou la disparition des périodiques facturant un abonnement traditionnel ou un prix d’accès, voire les contributions des chercheurs eux-mêmes. Nul besoin de favoriser une solution plutôt qu’une autre pour toutes les disciplines et toutes les nations, ni d’arrêter de chercher de nouvelles alternatives originales.
La « voie dorée » est donc intimement liée au système de financement de l’Open Access. Elle définit les différentes façons de ne pas faire payer le lecteur. C’est ce que Pierre Mounier déclare :
Le principe de la voie dorée est que le lecteur ne paie pas. Après la question est de savoir comment fait-on payer les frais en amont de l’édition, comment on finance la fonction éditoriale.
Selon Doriane Ibarra, de la Bibliothèque des Mines, cet Open Access est dit « natif » :
[L'open access natif] , c’est le fait de publier sans qu’il y ait abonnement, c’est libre pour tout le monde, contrairement aux licences nationales qui sont achetées et réservées en termes d’accès aux établissements d’enseignement supérieurs et de recherche. C’est à dire qu’un chercheur indépendant n’y accède pas, qu’un curieux lambda passionné de papillons ne va pas y accéder non plus, sauf à aller en bibliothèque. Tandis que quand c’est OA natif, on ne vous demande de montrer patte blanche, si vous êtes chercheurs officiellement ou non, on ne vous embête pas. Ca a dû être appelé gold à un moment (là ça coupe), mais on voit que toutes les qualifications et les définitions ont évolué depuis. Ça change très vite.
En effet, s’il relève d’un registre idéologique de souhaiter la libre diffusion du savoir scientifique, l’Open Access ne peut pas être entièrement « gratuit ». On peut d’ailleurs supposer que c’est pour ceci que le terme « free Access », initialement écrit dans l’Initiative de Budapest, est devenu « Open Access ». Il y a des coûts, il faut donc que quelqu’un paye, et les acteurs le savent bien. (voir notre article sur le mythe du gratuit)
Les possibilités de financement sont énoncées par l’Initiative de Budapest, mais très vite, comme l’a remarqué Madame Ibarra, la « voie dorée » est réappropriée par des acteurs qui l’impose en tant que voie « auteur-payeur », ce qui suscite un vif débat.
Modèle économique et aspect technique
Le modèle de l’auteur payeur est utilisé par PLOS (Public Library of Science), un acteur engagé très tôt dans la controverse. L’auteur verse 1350 à 2900 $ environ à l’éditeur lorsque son article est accepté pour publication. (chiffres issus de : http://alambic.hypotheses.org/
EDP Sciences (Edition DIffusion Presse Sciences, éditeur en STM) défend le modèle de Plos. Selon lui, la voie auteur-payeur permet : de libérer les articles, de compléter le modèle de la voie verte par des aspects qualitatifs, de responsabiliser l’auteur qui connait les coûts réels de sa publication, de limiter la « sur publication » et de rémunérer les tâches éditoriales de promotion.
Ce modèle rencontre d’ailleurs un certain succès dans les politiques publiques. La Grande-Bretagne a publié en 2012 le rapport Finch où seul le procédé auteur-payeur de la voie dorée prévaut. Mais ce système pose encore de nombreuses questions.
Maitre David Forest, avocat en propriété intellectuelle, rejette cette idée au nom du droit d’auteur et de principes idéologiques : la création d’un article donne des droits à son auteur, il devrait être payé pour cette production et non payer pour être lu. Or, la crainte d’ »éditeurs prédateurs » est présente : ceux-ci favoriseraient les chercheurs et institutions qui donnent beaucoup d’argent au détriment des plus pauvres (dont la recherche n’en est pas moins de bonne qualité), ce qui pourrait à terme remettre en cause l’évaluation par les pairs.
Christian Fuchs et Marisol Sandoval, dans leur article « The Diamond Model of Open Access Publishing », remarquent que seul un tiers des revues recensées au DOAJ (Directory of Open Access Journals) ont adopté le modèle auteur-payeur et cette proportion est encore plus faible en sciences humaines et sociales. Selon eux, ce serait l’intense travail de lobbying de la part des éditeurs qui expliquerait la surévaluation du modèle auteur-payeur dans les représentations des décideurs politiques.
En pratique, dans la plupart des cas, ce n’est pas l’auteur qui paye de sa poche, mais bien son institution. Pierre Mounier l’affirme d’ailleurs très clairement :
Dans aucun cas ce n’est l’auteur qui paye, c’est toujours l’institution.
D’ailleurs, Marin Dacos, Directeur du Centre pour l’édition électronique ouverte (CLEO) et fondateur de revues.org, a écrit une des premières version de la page Wikipédia sur l’Open Access. Il écrit :
Dans la publication en libre accès, également connue comme la voie en « or » du libre accès, les revues rendent leurs articles directement et immédiatement accessibles au public. Ces publications s’appellent des « revues en accès ouvert» (« Open access journals »). Un exemple de publications en libre accès est la revue Public Library of Science.
et surtout précise plus loin
Selon les cas, il peut exister des frais de publication ; il existe un mythe selon lequel la publication en libre accès implique que l’auteur doit payer (modèle auteur-payeur). Traditionnellement, beaucoup de revues universitaires ont facturé des frais de mise en page, bien avant que le libre accès soit devenu une possibilité. De récentes recherches ont démontré que les journaux en libre accès ne demandent pas de frais de publication, et sont moins taxés de frais d’auteurs que les titres traditionnels à abonnement. Quand les revues pratiquent des frais de traitement, c’est l’employeur (ou le bailleur de fonds) de l’auteur qui paye ces honoraires, et non pas l’auteur. De plus, des provisions sont constituées afin de couvrir les auteurs pour qui le fait de publier pourrait entraîner des difficultés financières.
Pierre Mounier poursuit d’ailleurs ainsi :
Il y a plusieurs solutions : soit effectivement ce sont les laboratoires qui ont déjà des contrats de recherche qui réservent de l’argent sur les contrats de recherche pour publier, c’est ce que l’on appelle auteur-payeur. Jamais un auteur ne paye pour publier, c’est toujours pris sur ses crédits de recherche ou sur son institution, qui paye, qui a une réserve. Cela relève surtout du domaine des STM, avec des laboratoires ayant des gros contrats pour publier, à qui ça ne pose pas de problème de payer avec une part de leur budget pour la publication; c’est même maintenant intégré dans les financements. Pour les sciences humaines cela ne fonctionne souvent pas car on peut publier sans avoir de financement. On a des chercheurs qui publient des études critiques ou leur vision personnelle d’un problème sociétal : dans cette mesure, il est beaucoup plus difficile de faire payer les laboratoires, qui ne sont pas dotés de la même façon. C’est pour cela que le système auteur-payeur ne marche pas bien.
Ainsi, le système auteur-payeur aurait été intégré par les STM mais beaucoup moins par les SHS dont la structure éditoriale, formée de plus petites maisons d’éditeurs, peine à couvrir les coûts de cette publication, parmi d’autres raisons qui freinent les SHS d’intégrer le modèle de l’Open Access (voir l’article à ce sujet ici)
Pierre Mounier reprend ensuite les différents modèles de financement consacrés par le texte de l’Initiative de Budapest comme la « voie dorée ». Il est aussi possible que ce soit les universités qui financent cette publication :
Des universités peuvent aussi par les bibliothèques réserver de l’argent ou des organismes comme l’INRA où c’est la direction des établissements qui se dit qu’aujourd’hui qu’il est important de réserver via les budgets de la bibliothèques ou via les instances de l’université une somme pour permettre de publier.
Néanmoins, notre entretien avec Doriane Ibarra, bibliothécaire des Mines, nous a appris que le budget des bibliothèques ne suffit plus du tout à financer l’accès aux revues qu’elles avaient auparavant, bien qu’elles tentent de s’organiser en collectifs pour faciliter les négociations (comme Couperin par exemple).
Enfin, Ghislaine Chartron du CNAM détache le « gold institutionnel » de la » voie dorée », qui serait un financement par l’argent public :
Il y a certains pays, tel que la France en particulier, qui ont développé quand même des infrastructures publiques, avec beaucoup d’argent sur des plateformes un peu centralisées comme revues.org par exemple qui est un peu du gold institutionnel mais qui bride un peu la liberté des chercheurs puisque l’on n’a pas forcément envie de publier sur la plateforme revues.org. En terme de modèle gold, ici c’est donc du gold institutionnel
A propos du financement de l’Open Access au-delà des « voies », voir notre article ici.
5) Enrichissement au texte de base : platinium
Enfin, le financement par enrichissement du texte brut se détache de la « voie dorée » par une autre appellation, la « voie platinum« , bien qu’elle puisse être considérée comme une sous-division du gold.
La « voie dorée » est donc issue de l’Initiative de Budapest et est profondément axée autour de la question du financement de l’Open Access (voir notre page Qui finance l’Open Access ? ). Elle est une catégorie très large,mais a été restreinte par la volonté de certains acteurs au modèle « auteur-payeur ». Il faut donc être aujourd’hui prudent lorsque l’on parle de « voie dorée », cela peut signifier « Open Access natif » ou bien « modèle auteur-payeur », selon l’acteur qui a la parole.