Une singularité française ? – Introduction

Vitrifier ses ovocytes pour soi : un débat qui s’est déjà posé ailleurs

La question de l’autorisation de l’autoconservation des ovocytes à pour convenance personnelle s’est posée dans de multiples pays à travers le globe, comme aux Etats-Unis, au Japon, au Canada, en Israël et au sein de l’Union Européenne. Les solutions adoptées par chacun des pays et la nature même des débats qui s’ensuivent diffèrent. En voici quelques exemples :

→ Au Royaume-Uni : Depuis 2000 il est légal au Royaume Uni d’utiliser des ovocytes congelés pour des traitements d’infertilité sous le contrôle de l’organisme de régulation, la HFEA (Human Fertilization and Embryology Authority). Mr. Hany Mostafa, gynécologue que nous avons interviewé, nous a appris que le stockage des ovocytes nécessite l’achat d’une licence de la HFEA :

« Here, everything in the UK is regulated by the Human Fertilisation and Embryology Authority, the HFEA. The technique of cryopreservation and vitrification have been widely adopted by many centers starting from around 2010. This is the time when the majority of the centers got rid of the old technique, and started with the new technique. »1

D’autres organismes assurent également cette régulation, comme le Royal College of Obstetricians and Gynaecologist qui donne les perspectives d’évolution des pratiques médicales liées à la fertilité, et la British Fertility Society (BFS) qui refuse d’encourager le recours à la vitrification ovocytaire. Le débat au Royaume-Uni est surtout lié aux questions de remboursement par le National Health Service (NHS). Jusqu’à présent, l’Etat n’apporte aucune aide pour la vitrification de convenance.

→ En Espagne : une particularité de l’Espagne est d’avoir autorisé l’autoconservation ovocytaire pour convenance personnelle en même temps que la congélation des ovocytes pour raison médicale, par la loi sur la reproduction assistée de mai 2006. Toute femme peut légalement faire congeler ses ovocytes.2 L’opération est majoritairement assurée par des cliniques privées qui attirent autant une forte clientèle espagnole qu’étrangère, l’Espagne étant au cœur d’un véritable « tourisme procréatif » Si la presse espagnole a majoritairement dénoncé l’annonce d’Apple et Facebook de financer la congélation et le stockage des ovocytes de leurs employées, le système actuel n’est nullement remis en question.

→ Aux Etats-Unis : l’autoconservation ovocytaire à des fins de convenance personnelle suscite aux Etats-Unis des débats qui font échos aux interrogations françaises. La différence fondamentale est qu’aucune loi ne l’y interdit : des cliniques privées la pratiquent donc et des femmes en bénéficient, sans que l’Etat n’intervienne pour encadrer la technique ou la financer.3 Deux organisations délivrent cependant des avis sur l’autoconservation ovocytaire : l’American Society for Reproductive Medicine (ASRM) et l’American College of Obstetricians and Gynaecologists (ACOG) et leur avis est mitigé. Si l’ASRM a jugé que la technique s’était suffisamment perfectionnée pour lui retirer le statut « experimental », il n’encourage cependant pas à y recourir car :

« There is still not enough known about the egg-freezing procedure’s safety, efficacy, cost-effectiveness and emotional risks. […] It may give women false hopes. »4

L’ACOG est encore plus réticent : »

« There are not yet sufficient data to recommend oocyte cryopreservation for the sole purpose of circumventing reproductive aging in healthy women. »4

Si le débat reste ouvert et s’intéresse principalement aux risques sanitaires et éthiques comme le précise Josephine Johnston, directeur de recherche au Hasting Center, institut politique et bioéthique à New York, dans un article de New Republic donnant une vue d’ensemble du débat américain sur le sujet, son contexte est particulier. Pour cause, l’autoconservation des ovocytes ferait l’objet d’un marketing agressif, voire désinformateur, de la part des cliniques privées qui la proposent. Des campagnes de promotions à coup de Egg Freezing Parties (comme la Three F’ : Fun, Fertility and Freeze, sponsorisée par des industries du médicamment et  menée par EggBanxx en septembre 2014) et de slogans jugés abusifs compte tenu des taux de succès actuels ont lieu régulièrement.5 Comme en France, Apple et Facebook ont ravivé le débat en proposant de financer la vitrification et la conservation des ovocytes de leurs employées pour qu’elles puissent mieux se consacrer à leurs carrières. Si ces dernières ont reçu un accueil très critique de la part des médias, elles n’ont pas donné lieu à une remise en cause notable du statut quo américain quant à la pratique actuelle de l’autoconservation des ovocytes.

→ En Israël : l’autoconservation ovocytaire pour convenance personnelle y est autorisée par la loi depuis octobre 2011 dans le cadre de la Ovum Preserving Law6, après que le Ministère de la Santé l’ait approuvé en septembre 2010.7 Le site du ministère de la santé israélien précise que cette autorisation s’applique aux femmes entre 30 et 41 ans et qu’elles peuvent subir 4 stimulations ovariennes au maximum ou poursuivre jusqu’à ce que 20 ovocytes aient été obtenus. Les femmes peuvent ensuite faire conserver leurs ovocytes par périodes de 5 ans et il leur incombe, à l’issu de chacune de ces périodes, de faire connaître leur désir de poursuivre la conservation. Elles peuvent récupérer leurs ovocytes jusqu’à 54 ans. Le rôle de l’Etat se cantonne à de la régulation : c’est le Ministère de Santé qui accrédite les sites habilités à pratiquer l’opération de stimulation ovarienne et le recueil des ovocytes8, qui sont souvent des cliniques privées3. Le Ministère tient à préciser les risques médicaux qu’encourent la mère et son enfant, et souligne que le succès est incertain. Quant aux financements, seule une autoconservation à des fins médicales est prise en charge par le HMO (Health Maintenance Organization).8 La presse israélienne relaye un débat qui se focalise sur les risques médicaux et l’évaluation des chances de succès. Les interrogations éthiques sont en revanche très peu abordées par la presse. Le Comité National de Bioéthique Israélien s’est contenté de mettre en garde contre les faux espoirs que l’autoconservation ovocytaire pourrait susciter chez les femmes.6

La France est réticente face à cette technique

La France est le dernier pays d’une longue série à s’interroger sur la législation à adopter vis-à-vis de cette pratique. Les acteurs, nombreux, défendent des positions contrastées :

→ Les politiques : ce sont d’abord des personnes, comme la députée UMP Valérie Boyer qui s’est battue pour inscrire dans la loi de Bioéthique de juillet 2011 l’autorisation de l’autoconservation sociale des ovocytes, ou encore la ministre de la santé Marisol Touraine qui a dénoncé les initiatives d’Apple et de Facebook d’octobre 2014. Ce sont aussi des institutions, comme celle qui n’a toujours pas publié les décrets d’applications des articles de la loi de bioéthique légalisant l’autoconservation des ovocytes sous condition, une forme de va-et-vient qui témoigne de la réticence de la classe politique à se pencher sur le débat.

→ Le corps médical : ce sont avant tout des institutions tels que le Conseil National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF) qui milite pour une autorisation de la vitrification ovocytaire pour convenance personnelle, ou la Fédération des Centres d’Etude et de Conservation des Œufs et du Sperme humains (CECOS) qui s’y oppose, ou encore l’Académie Nationale de Médecine qui a décerné le prix Salat Baroux 2014 au docteur Antonio Pellicer, fondateur des cliniques IVI à Valence en Espagne pour ses recherche sur la congélation des ovocytes, remis au sein de la Faculté de médecine en présence de personnalités politiques. C’est aussi le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) qui doit rendre prochainement un avis sur l’autoconservation des ovocytes pour convenance personnelle. Mais au-delà des institutions, ce sont des praticiens particuliers, des gynécologues qui conseillent à leurs patientes de partir à l’étranger pour bénéficier d’une pratique que la France interdit, ou d’autres qui s’engagent médiatiquement comme le docteur René Frydman. Les partisans de l’autoconservation sociale des ovocytes assurent qu’une majorité du corps médical est favorable à la généralisation de l’autoconservation ovocytaire pour convenance personnelle, tandis que les opposants ont eux-mêmes leurs arguments à avancer.

→ Les médias : les médias relayent les débats qui agitent les spécialistes et les politiques, tout en analysant plus ou moins partialement la controverse. Ils ont ici toute leur importance en tant qu’acteurs du débat compte-tenu de la méconnaissance de l’opinion publique quant à l’existence même de la possibilité de congeler ses ovocytes. Les partisans de la légalisation de l’autoconservation ovocytaire de convenance dénoncent régulièrement le traitement « sensationnaliste » de la question par les journalistes depuis les annonces d’Apple et de Facebook d’octobre 2014.

→ Les femmes : ce sont les premières concernées par l’infertilité liée à l’âge et l’autoconservation ovocytaire. Des associations militent activement auprès des politiques en faveur de cette technique et organisent des opérations de sensibilisation des femmes à travers la France.

→ La religion : moins présents que les précédents, les acteurs religieux pèsent néanmoins dans le débat puisque les préceptes religieux participent aussi à façonner les mentalités. Par exemple, l’Eglise catholique s’est déclarée « réservée » sur l’autoconservation ovocytaire pour convenance personnelle.

La pluralité des acteurs et des thèmes de discussions participe à l’intensité du débat en France. Toutes les dimensions de l’autoconservation ovocytaire se retrouvent débattues. La spécificité du débat français est d’être celui qui a duré le plus longtemps ; même si l’opinion publique est restée peu informée de ses évolutions, la controverse en France n’est pas plus récente qu’ailleurs : elle date du début des années 2000, ayant suivi de quelques années la mise au point et le perfectionnement des techniques de vitrification dans les années 1990. Si des réponses et des consensus ont émergé à l’étranger, le débat reste en suspens en France, où la technique fut expressément interdite en 2003. Comment expliquer cette spécificité du débat français ?



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