Une singularité française ? – Introduction
Vitrifier ses ovocytes pour soi : un débat qui s’est déjà posé ailleurs
La question de l’autorisation de l’autoconservation des ovocytes à pour convenance personnelle s’est posée dans de multiples pays à travers le globe, comme aux Etats-Unis, au Japon, au Canada, en Israël et au sein de l’Union Européenne. Les solutions adoptées par chacun des pays et la nature même des débats qui s’ensuivent diffèrent. En voici quelques exemples :
→ Au Royaume-Uni : Depuis 2000 il est légal au Royaume Uni d’utiliser des ovocytes congelés pour des traitements d’infertilité sous le contrôle de l’organisme de régulation, la HFEA (Human Fertilization and Embryology Authority). Mr. Hany Mostafa, gynécologue que nous avons interviewé, nous a appris que le stockage des ovocytes nécessite l’achat d’une licence de la HFEA :
D’autres organismes assurent également cette régulation, comme le Royal College of Obstetricians and Gynaecologist qui donne les perspectives d’évolution des pratiques médicales liées à la fertilité, et la British Fertility Society (BFS) qui refuse d’encourager le recours à la vitrification ovocytaire. Le débat au Royaume-Uni est surtout lié aux questions de remboursement par le National Health Service (NHS). Jusqu’à présent, l’Etat n’apporte aucune aide pour la vitrification de convenance.
→ En Espagne : une particularité de l’Espagne est d’avoir autorisé l’autoconservation ovocytaire pour convenance personnelle en même temps que la congélation des ovocytes pour raison médicale, par la loi sur la reproduction assistée de mai 2006. Toute femme peut légalement faire congeler ses ovocytes.
→ Aux Etats-Unis : l’autoconservation ovocytaire à des fins de convenance personnelle suscite aux Etats-Unis des débats qui font échos aux interrogations françaises. La différence fondamentale est qu’aucune loi ne l’y interdit : des cliniques privées la pratiquent donc et des femmes en bénéficient, sans que l’Etat n’intervienne pour encadrer la technique ou la financer.
L’ACOG est encore plus réticent : »
Si le débat reste ouvert et s’intéresse principalement aux risques sanitaires et éthiques comme le précise Josephine Johnston, directeur de recherche au Hasting Center, institut politique et bioéthique à New York, dans un article de New Republic donnant une vue d’ensemble du débat américain sur le sujet, son contexte est particulier. Pour cause, l’autoconservation des ovocytes ferait l’objet d’un marketing agressif, voire désinformateur, de la part des cliniques privées qui la proposent. Des campagnes de promotions à coup de Egg Freezing Parties (comme la Three F’ : Fun, Fertility and Freeze, sponsorisée par des industries du médicamment et menée par EggBanxx en septembre 2014) et de slogans jugés abusifs compte tenu des taux de succès actuels ont lieu régulièrement.
→ En Israël : l’autoconservation ovocytaire pour convenance personnelle y est autorisée par la loi depuis octobre 2011 dans le cadre de la Ovum Preserving Law
La France est réticente face à cette technique
La France est le dernier pays d’une longue série à s’interroger sur la législation à adopter vis-à-vis de cette pratique. Les acteurs, nombreux, défendent des positions contrastées :
→ Les politiques : ce sont d’abord des personnes, comme la députée UMP Valérie Boyer qui s’est battue pour inscrire dans la loi de Bioéthique de juillet 2011 l’autorisation de l’autoconservation sociale des ovocytes, ou encore la ministre de la santé Marisol Touraine qui a dénoncé les initiatives d’Apple et de Facebook d’octobre 2014. Ce sont aussi des institutions, comme celle qui n’a toujours pas publié les décrets d’applications des articles de la loi de bioéthique légalisant l’autoconservation des ovocytes sous condition, une forme de va-et-vient qui témoigne de la réticence de la classe politique à se pencher sur le débat.
→ Le corps médical : ce sont avant tout des institutions tels que le Conseil National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF) qui milite pour une autorisation de la vitrification ovocytaire pour convenance personnelle, ou la Fédération des Centres d’Etude et de Conservation des Œufs et du Sperme humains (CECOS) qui s’y oppose, ou encore l’Académie Nationale de Médecine qui a décerné le prix Salat Baroux 2014 au docteur Antonio Pellicer, fondateur des cliniques IVI à Valence en Espagne pour ses recherche sur la congélation des ovocytes, remis au sein de la Faculté de médecine en présence de personnalités politiques. C’est aussi le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) qui doit rendre prochainement un avis sur l’autoconservation des ovocytes pour convenance personnelle. Mais au-delà des institutions, ce sont des praticiens particuliers, des gynécologues qui conseillent à leurs patientes de partir à l’étranger pour bénéficier d’une pratique que la France interdit, ou d’autres qui s’engagent médiatiquement comme le docteur René Frydman. Les partisans de l’autoconservation sociale des ovocytes assurent qu’une majorité du corps médical est favorable à la généralisation de l’autoconservation ovocytaire pour convenance personnelle, tandis que les opposants ont eux-mêmes leurs arguments à avancer.
→ Les médias : les médias relayent les débats qui agitent les spécialistes et les politiques, tout en analysant plus ou moins partialement la controverse. Ils ont ici toute leur importance en tant qu’acteurs du débat compte-tenu de la méconnaissance de l’opinion publique quant à l’existence même de la possibilité de congeler ses ovocytes. Les partisans de la légalisation de l’autoconservation ovocytaire de convenance dénoncent régulièrement le traitement « sensationnaliste » de la question par les journalistes depuis les annonces d’Apple et de Facebook d’octobre 2014.
→ Les femmes : ce sont les premières concernées par l’infertilité liée à l’âge et l’autoconservation ovocytaire. Des associations militent activement auprès des politiques en faveur de cette technique et organisent des opérations de sensibilisation des femmes à travers la France.
→ La religion : moins présents que les précédents, les acteurs religieux pèsent néanmoins dans le débat puisque les préceptes religieux participent aussi à façonner les mentalités. Par exemple, l’Eglise catholique s’est déclarée « réservée » sur l’autoconservation ovocytaire pour convenance personnelle.
La pluralité des acteurs et des thèmes de discussions participe à l’intensité du débat en France. Toutes les dimensions de l’autoconservation ovocytaire se retrouvent débattues. La spécificité du débat français est d’être celui qui a duré le plus longtemps ; même si l’opinion publique est restée peu informée de ses évolutions, la controverse en France n’est pas plus récente qu’ailleurs : elle date du début des années 2000, ayant suivi de quelques années la mise au point et le perfectionnement des techniques de vitrification dans les années 1990. Si des réponses et des consensus ont émergé à l’étranger, le débat reste en suspens en France, où la technique fut expressément interdite en 2003. Comment expliquer cette spécificité du débat français ?