Dans quel contexte s’inscrit le débat ?

Malgré les revendications qui ont accompagné l’avènement de la vitrification ovocytaire pour une utilisation hors cadre thérapeutique, la France a esquivé le débat qui aurait dû s’ensuivre et s’est empressée de la restreindre à des fins thérapeutiques (pour plus de détails se reporter à l’historique du débat en France). Cependant, les autorisations en cascade de l’autoconservation sociale chez les voisins européens, et l’intensification du tourisme procréatif qui en a résulté, couplé au militantisme intra national, ont réintroduit ce débat de facto.

Une France isolée en Europe

Face à l’autorisation de l’autoconservation ovocytaire pour convenance personnelle dans un certain nombre de ses pays frontaliers, la France se retrouve particulièrement isolée. La carte suivante illustre la spécificité de la situation française vis-à-vis de ses voisins1, situation qui a suscité ce commentaire du docteur Antonio Pellicer, fondateur des cliniques IVI de Valence en Espagne, déclarant que

« la France était particulièrement rétrograde dans ce domaine par rapport au reste de l’Union Européenne. »2

L’autorisation de la pratique en Europe. Source: Le Monde.


La législation des pays frontaliers est nettement plus conciliante que le droit français pour l’autoconservation sociale des ovocytes et notamment en ce qui concerne sa prise en charge. La conservation de convenance est d’ores et déjà acceptée dans de nombreux pays : 64% des congélations ont lieu dans ce cadre aux Etats-Unis. En Israël, le Comité National d’Ethique recommande même d’y recourir, tandis qu’en Europe, le ESHRE (European Society of Human Reproduction and Embryology) a rendu en 2012 un avis favorable à cette pratique, jugeant que les arguments qui avaient motivé son premier avis négatif en 2004 n’étaient plus à l’ordre du jour.3

Un retard à rattraper ?

Une pratique qui tend à se propager, se généraliser et se démocratiser à l’étranger constitue aux yeux des partisans de l’autoconservation sociale des ovocytes un argument d’autorité solide que l’on ne peut pas ignorer : Philippe Bouchard, spécialiste d’endocrinologie et médecin à l’hôpital Foch, soulignait que

« l’Espagne n’était pas connue pour être un pays où l’on fait n’importe quoi en termes de traitements médicaux. »2

Face à cette pression externe, couplée à celle du tourisme procréatif dont on reparlera par la suite, de nombreuses personnes pensent qu’il est nécessaire de prendre un temps de réflexion : se hâter, pourrait conduire à ignorer les risques, les dérives potentiellement associées, à survoler les questions éthiques et à reproduire des erreurs qui commenceraient à émerger chez les voisins. C’est notamment ce que dénonce Jean-Philippe Wolf du CECOS de l’hôpital Cochin de Paris et que nous avons pu rencontrer :

« Mais ces cliniques exploitent la misère des gens à leur propre compte car les femmes donnent en quelque sorte un morceau de leur corps. En France on s’interdit de le faire. Mais des pays sont moins regardants de ce qu’ils font. Ce n’est pas pour ça que les règles éthiques n’existent pas dans ces pays : elles sont juste moins achevées, moins pensées. »5

Une France acculée par l’intensification du tourisme procréatif ?

Clinique IVI à Barcelone. Source: site IVI Fertility.


Dans le même temps, le « tourisme procréatif » s’intensifie comme en témoigne l’augmentation de 279% du nombre de femmes françaises ayant consultés chez IVI sur les quatre dernières années.4 L’émergence du « tourisme procréatif » – même si certains refusent le terme employé selon eux à des fins volontairement péjoratives comme Virginie Rio qui affirme :

«nous on n’aime pas du tout ce mot-là, parce que le tourisme, ce n’est pas ça. Le tourisme, c’est quand vous partez en vacances, que vous êtes content, que ouah c’est les vacances! Là je peux vous dire que quand vous devez partir à l’étranger comme ça, déjà c’est un gros travail dans la tête en amont, beaucoup de discussions au sein du couple, que c’est une démarche qui n’est pas facile. Il y a des gens qui sont à l’aise avec l’étranger, partir, tout ça, mais il y a des gens qui n’ont jamais quitté la France, donc c’est très angoissant, très inquiétant.»7

– de même que les statistiques sur l’âge des primo maternités, imposent de considérer le recul de cet âge comme un phénomène de société,8 appelant à des adaptations médicales dont l’autoconservation sociale pourrait faire partie.

Ce tourisme procréatif est d’autant plus gênant que les patientes qui y ont recours voient leurs traitements remboursés par la Sécurité Sociale française en vertu des normes européennes actuelles sur l’inégalité d’accès aux soins au sein de l’Union, comme s’en offusque Antonio Pellicer :

« Le don d’ovocyte est d’ailleurs totalement bloqué en France ; les patientes vont même à Valence et l’ironie est que la Sécurité Sociale le leur rembourse ! »2

Enfin, cette situation est particulièrement dénoncée par les gynécologues, contraints d’inciter leurs patientes à obtenir la congélation de leurs ovocytes à l’étranger.



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