Quel cadre fiscal ?
La nécessité de donner un cadre fiscal clair à l’économie collaborative est évidente, ne serait-ce que pour des raisons de concurrence avec l’économie traditionnelle. Néanmoins, l’économie collaborative implique une proximité inédite entre des pratiques professionnelles à but lucratif et d’autres beaucoup plus modestes, et l’un des enjeux sera donc d’établir un seuil consensuel entre les deux types d’activité. De plus, l’émergence de l’économie collaborative traduit une recherche d’horizontalité et une utilisation accrue des nouvelles technologies dans la consommation, difficilement compatibles avec des formalités lourdes et de longs formulaires. Il s’agira donc de rendre le paiement des taxes aussi transparent et simple que possible.
Législation actuelle
On suggère souvent que la législation fiscale française actuelle est inadaptée aux pratiques sous-tendues par l’économie collaborative. Ce n’est pas totalement vrai. Selon un rapport du Sénat[1], « Si le droit fiscal semble à maints égards inadapté aux évolutions des échanges entre particuliers sur Internet, il n’y a pas – loin s’en faut – de vide juridique ». Le rapport détaille d’ailleurs la fiscalité qui devrait s’appliquer à un particulier pratiquant l’économie collaborative : l’impôt sur le revenu, notamment, s’applique au titre des bénéfices industriels et commerciaux, selon des seuils et des modalités qui relèvent du régime de la micro-entreprise et sont tout à fait définis par la loi. Mais en pratique, presque aucun utilisateur régulier de l’économie collaborative ne régularise sa situation, souvent de bonne foi, faute d’information.
Lorsque la législation se fait à l’échelle locale, toutefois, les nouvelles pratiques liées à l’économie collaborative ont parfois déjà été prises en compte. Ainsi, le cas d’Airbnb a été médiatisé et est assez emblématique. Beaucoup de villes, dont notamment Paris et un certain nombre de villes européennes et américaines (voir ici), soumettent désormais leurs habitants louant leur appartement à une taxe de séjour, directement prélevée et versée par Airbnb.
Dans quel sens légiférer ?
On constate donc que les statuts, d’une part, et les modalités de prélèvement, d’autre part, sont inadaptés à l’économie collaborative. La plupart des observateurs font des propositions en ce sens, en suggérant notamment une gestion transparente pour l’utilisateur de la taxation par les plateformes elles-mêmes, qu’il s’agisse de Pascal Terrasse dans son rapport [2] ou du Sénat. Les municipalités, en obligeant Airbnb à leur payer directement les taxes de séjour, ont fait un premier pas en ce sens.
Néanmoins, un site comme Le bon coin, par exemple, fonde son succès sur une infrastructure logicielle d’assez bas niveau : le format des annonces, purement textuelles, ne permet pas d’accéder de manière automatique aux prix ni même de savoir si les transactions ont été effectuées. Le site ne gère pas les paiements et ne prélève donc ni commissions, ni taxes sur ceux-ci. Pour autant, il est peuplé, comme tout site de vente en ligne, de vendeurs professionnels qu’il paraîtrait normal de taxer : comment le faire tout en acceptant et en prenant en compte une telle réalité technique ?
Pour les plateformes qui gèrent elles-mêmes le paiement, les choses pourraient être plus simples grâce à ce qu’on appelle le « droit de communication », qui permet à l’administration d’exiger auprès des sites toutes les informations liées aux transactions. Outre les interrogations légitimes qu’on peut avoir sur ce principe même, quand le développement de l’économie collaborative traduit une volonté d’horizontalité de liberté dans la consommation, le Sénat relève qu’ « il n’a pas de portée extraterritoriale », ce qui le met hors jeu dans de nombreux cas.
Au-delà de la question des modalités de prélèvement, se pose celle des taxes mêmes à appliquer auprès des pratiquants de l’économie collaborative. Faut-il appliquer la TVA une seconde fois dans le cas d’une vente en ligne ? Cette question sous-tend, de plus, celle des statuts, également soulignée par tous les rapports. Le professionnel comme l’amateur, le vendeur régulier comme le vendeur occasionnel, ont autant leur place l’un que l’autre sur les plateformes d’économie collaborative, dont les outils sont également adaptés pour les deux publics. Comment, alors, définir des statuts sans aboutir à des effets de seuil trop arbitraires ?
Toutes ces questions sont pour l’instant en suspens. Notons qu’outre la nécessité de définir des règles claires et des modalités de paiement simples, il sera complexe de définir un système suffisamment peu intrusif pour ne pas aller à l’encontre de l’esprit de l’économie collaborative.
[1] Bouvard M., Carcenac T., Chiron J., Dallier P., Genest J., Lalande B., De Montgolfier A. au nom de la Commission des Finances du Sénat (2015). L’économie collaborative : propositions pour une fiscalité simple, juste et efficace. Sénat, 67 pages. Disponible sur https://www.senat.fr/notice-rapport/2014/r14-690-notice.html
[2] Terrasse P. (2016). Rapport au Premier Ministre sur l’Économie Collaborative. Hôtel de Matignon, 93 pages. Disponible sur http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/liseuse/6421/master/index.htm