Cela fait plus de deux millénaires que les médecins du monde entier s’accordent sur le principe dit du “Primum non nocere” qui est la clef de voûte de leur art. De nos jours, c’est encore la première chose que l’on enseigne aux étudiants de médecine et de pharmacie alors qu’Hippocrate l’exprimait en ces mots : “Face aux maladies, avoir deux choses à l’esprit : faire du bien, ou au moins ne pas faire de mal.”
Pourtant, le principe même de la neuro-amélioration remet la question de savoir ce que peut faire le médecin au centre de l’actualité.
En effet, de nombreuses technologies de soins ont été développées dans les dernières décennies, depuis l’introduction des neuroleptiques jusqu’aux interfaces neuronales directes mises en place par le neurologue français Alim Louis Benabid en passant par la Stimulation Magnétique Transcrânienne (STM). Ces dernières permettent d’obtenir des résultats inouïs dans le traitement de la maladie de Parkinson ou de l’épilepsie. Néanmoins, si l’expérience est probante, les effets secondaires de ces traitements sont encore inconnus, ce qui pose beaucoup de problèmes aux praticiens lorsqu’il est question de les administrer à des personnes non malades. (Chneiweiss, 2017). En effet, un certain nombre de ces techniques peuvent être utilisées pour améliorer les capacités d’un individu sain et la recherche pousse dans cette direction (Zehr, 2015), tout comme certains médecins. Par exemple, le Dr. Alexandre est favorable à l’avancée dans ce domaine de recherche, au sens où il ne perçoit aucune autre alternative possible dans le future proche. En effet, il exprime dans bon nombre de ses articles des craintes face au développement de l’intelligence artificielle (Tremolet de Villers, 2017) et au développement à l’international des techniques de modification génétique (Alexandre, 2015). Ainsi, pour lui le rôle de médecin est aussi de conférer à l’homme les outils pour survivre dans un monde qui change rapidement (Alexandre, 2017).
Mais que signifie donc soigner ?
Si la question de savoir si le médecin doit “améliorer” l’homme ou se borner à le “réparer” n’est pas encore décidée, une question plus profonde subsiste : Qu’est-ce que l’homme ? Qu’est-ce que réparer ? Qu’est-ce qu’améliorer ? Rien qu’en se focalisant sur l’aspect psychique de cette question, la réponse n’est pas claire. En effet, une discussion approfondie avec François Ansermet nous a appris que la définition de nombreux troubles psychiatriques était parfois, si non floue, inappropriée. Prenant l’exemple de la classification DMS-5 parue en 2015 qui répertorie sur la base de statistiques l’ensemble des troubles psychiatriques rencontrés est très rapidement critiquée. Notamment, le directeur du NIMH (National Institute of Mental Health) Thomas Insel dénonce sa faiblesse scientifique et suggère de regarder plus profondément dans le cerveau. En France, le débat prend de l’ampleur et la DMS-5 reste insatisfaisante. Ainsi, les effets les plus frappants de cette confusion se retrouve dans le diagnostic et traitement des trouble de l’attention et des troubles de l’attention avec hyperactivité. Que fait en réalité le médecin lorsqu’il prescrit de la Ritaline à un patient atteint de “trouble de l’attention” ? et de “trouble de l’attention avec hyperactivité” ? Ce n’est pas clair.
Enfin, l’entrevue avec François Ansermet nous a aussi appris que nombreux sont les médecins soumis au dilemme moral. Par exemple, les cas les plus flagrants sont parmi les chirurgiens esthétique qui distinguent la reconstitution de l’esthétique. “Si on me le demande, dois-je pratiquer une opération aussi futile qu’elle soit ? Ne pas le faire est-ce prendre le risque que le client se tourne vers un autre médecin qui lui le fera ?”
C’est donc la question de savoir si l’on est un “médecin” ou un “marchand”, qui dans un futur proche pourrait s’appliquer en termes d’amélioration cognitive.
Néanmoins, une discussion avec Kevin Warwick nous a permis d’apprendre que bon nombre de chirurgiens sont intrigués pas les aspects de développement de ces techniques. Par exemple, il raconte qu’il n’a pas eu besoin de convaincre les chirurgiens qui ont effectué les opérations pour ses propres expériences, le partenariat s’est fait au travers de discussions où chacun voyait ses intérêts satisfaits. Il souligne cependant qu’il y avait probablement une différence conceptuelle dans les résultats espérés : alors qu’il effectuait l’opération pour des raisons philosophiques, pour montrer que c’était possible, les chirurgiens cherchaient une meilleure compréhension du corps et des nouvelles techniques de soins.
Finalement, concernant la question de qui doit dispenser ces techniques, Kevin Warwick suggère que ce soit n’importe quelle personne en mesure de le faire. Plus clairement, la neuro-amélioration deviendra selon lui un marché contrôlé par des entreprises qui voudront offrir des services payants. Or, puisque la neuro-amélioration est de son point de vue une avancée pour l’humanité, il considère qu’une personne n’étant pas médecin doit être autorisée à pratiquer l’opération si elle est en mesure de le faire.