Les débats sur l’intégration des roms, bien que fortement marqués dans le débat politique du 21ème siècle, sont bien plus anciens et commencent avec leur arrivée en Europe, au début du XVème siècle.
Si notre étude des controverses se concentrera après les années 2010, il est nécessaire de rappeler brièvement l’histoire d’une migration, et d’un racisme inhérent.
Origines
Au début du XVème siècle, une partie de la population rom arrive en Europe, et notamment en France. Dès lors, on voit apparaître des critiques et un rejet de cette population : dans le Journal d’un bourgeois à Paris, écrit en 1427, l’arrivée d’une centaines de personnes, originaires d’Égypte, dans la capitale française est décrite. Ces derniers pratiquent la chiromancie, et des tours de magies devant lesquels se vident les bourses des spectateurs. Ce groupe suscite de vives critiques et l’évêque de Paris demande au groupe de partir, et les praticiens de chiromancies sont excommuniés. Les groupes nomades sont victimes de multiples décrets qui vont de l’expulsion simple à la sédentarisation forcée.
Au XVIIème siècle, les personnes qui sont décrites comme des « bohémiens » sont visées par la politique de Louis XIV et les hommes de ce peuple sont envoyés de force aux galère en 1666, par un arrêt du roi. En 1682, l’oppression de ce peuple continue car le roi ordonne que les femmes soient rasées et que les enfants soient enfermés dans des hospices.
Le siècle des Lumières n’est pas plus clément, puisque dans l’Encyclopédie, Edme-François Mallet écrit au sujet des Égyptiens : « […] qui rodent ça et là, et abusent le peuple sous prétexte de dire la bonne aventure. […] volent et pillent les campagnes ». On sait aujourd’hui que le terme égyptien renvoie aux « bohémiens » que visaient les arrêts de Louis XIV, et qui fait donc référence aux nomades et non pas aux habitants d’Égypte. Ce peuple est donc décrit comme étant voleur, pilleur, haranguant la foule. Autant de préjugés dont le siècle contemporain a hérité, et qui sont au fondement des controverses actuelles.
Génocide
Il est nécessaire aussi de rappeler ici le génocide dont a été victime ce peuple, plus généralement désigné comme génocide des Tsiganes, durant la Seconde Guerre Mondiale. Longtemps oublié, très peu enseigné aujourd’hui, il a conduit à la mort de 500 000 Roms.
Avant même l’arrivée des nazis au pouvoir, les Roms sont recensés et surveillés : Le Dr Ritter est chargé en 1936 de recenser tous les roms d’Allemagne. Les arrestations systématiques commencent en 1938 en Allemagne. Une loi « contre le danger Tsigane » est alors promulguée, visant à isoler ce peuple en interdisant tout métissage. Des jeunes femmes sont stérilisées.
En France, les autorités avaient pris des mesures contre les roms avant même l’arrivée des forces allemandes. Le gouvernement de Vichy commande leur internement.
Contexte actuel
La méfiance des européens envers ce peuple n’est donc pas nouvelle est peut permettre de comprendre les fondements du racisme et des débats actuels. Il est maintenant nécessaire de voir quels ont été depuis 2010, les évènements qui ont impacté le débat et les mentalités à ce sujet.
Sous l’ensemble des régimes politiques qui se sont succédés depuis les années 1990, le sujet des roms, ou plus exactement de l’intégration des populations nomades, est l’objet d’une attention particulière.
Le 3 Janvier 1969 une loi est votée concernant les gens du voyages :
« Les personnes n’ayant ni domicile ni résidence fixe de plus de six mois dans un Etat membre de l’Union européenne doivent être munies d’un livret spécial de circulation délivré par les autorités administratives.
Les personnes qui accompagnent celles mentionnées à l’alinéa précédent, et les préposés de ces dernières doivent, si elles sont âgées de plus de seize ans et n’ont en France ni domicile, ni résidence fixe depuis plus de six mois, être munies d’un livret de circulation identique.
Les employeurs doivent s’assurer que leurs préposés sont effectivement munis de ce document, lorsqu’ils y sont tenus ».
1982 : l’Allemagne reconnaît sa responsabilité historique dans le génocide des roms durant la seconde guerre mondiale.
En Mai 1990, la loi Besson (du nom de Louis Besson, alors ministre détaché du logement sous Mitterrand) vise à garantir le droit au logement, qui est considéré comme « un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation ». Cette loi oblige les villes de plus de 5000 habitants à prévoir des conditions de passage et de logement pour les gens du voyage, grâce à des terrains aménagés à cet effet.
Le 1erJanvier 2007, la Roumanie et la Bulgarie entrent dans l’union européenne, sans toutefois entrer dans l’espace Schengen. La majorité des roms qui sont victimes de violence et de discrimination en France proviennent de ces deux pays. En tant que citoyen de l’Union Européenne, un droit de séjour et de travail est normalement accordé dans l’ensemble des états membres. Mais la France met en place des mesures transitoires pour ces deux pays, qui restreint l’accès au marché du travail aux ressortissant de ces pays. Pour avoir un emploi salarié, il doivent solliciter un titre de séjour, et payer des taxes, ce qui leur interdit un grand nombre de professions.
L’année 2010 et les déclarations de Nicolas Sarkozy
2010 est une année marquée par les débats à propos de cette communauté et des expulsions. Cela débute par la mort d’un roumain tué par les forces de l’ordre françaises, le 17 Juillet. À Thesée, dans le Loir-et-Cher, un roumain de 41 ans force un barrage et se fait abattre par un gendarme. Cet épisode conduit à de nombreuses et violentes émeutes entre les « gens du voyage » et les gendarmes. Nicolas Sarkozy, alors président, se rend à Grenoble le 30 Juillet pour réagir à ces violences et prononce un discours d’une trentaine de minutes sur la politique de défense et de sécurité qu’il souhaite mettre en place. Il justifie les actes du policier, et annonce la ferme politique qu’il va instaurer. Sa première mesure est de remplacer le préfet alors en charge dans cette région, pour mettre à la place Eric le Douaron, ancien policier. Si dans la première partie de son discours il ne parle pas de la communauté rom, mais plutôt des « trafiquants et délinquants », il aborde au milieu de son discours le problème de l’immigration, et rapproche donc de façon notable le problème de délinquance et celui de l’immigration : « Enfin, il faut le reconnaître, je me dois de vous le dire, nous subissons les conséquences de 50 années d’immigration insuffisamment régulée qui ont abouti à un échec de l’intégration » (N. Sarkozy le 30 Juillet 2010 lors du discours de Grenoble). Après avoir parlé de l’immigration dans un terme général, il focalise ensuite son discours sur les campements illégaux et « sauvages » des roms et annonce sa décision d’y mettre fin.
« Et c’est dans cet esprit d’ailleurs que j’ai demandé au ministre de l’Intérieur de mettre un terme aux implantations sauvages de campements de Roms.[…] Mais en tant que chef de l’Etat, puis-je accepter qu’il y ait 539 campements illégaux en 2010 en France? Qui peut l’accepter? […] Nous allons procéder d’ici fin septembre au démantèlement de l’ensemble des camps qui font l’objet d’une décision de justice. Là où cette décision de justice n’a pas encore été prise, nous engagerons des démarches pour qu’elle intervienne le plus rapidement possible. Dans les trois mois, la moitié de ces implantations sauvages auront disparu du territoire français. »
N. Sarkozy, discours de grenoble
Ce discours divise et fait l’objet de vives critiques notamment dans la stigmatisation qu’il fait des roms. Au sein de la classe politique notamment, les partis de gauche et d’extrême gauche s’y opposent. Pour le PS, «Nicolas Sarkozy a retrouvé ses accents les plus populistes et démagogiques pour faire un amalgame scandaleux entre gens du voyage, Roms, immigration clandestine et violences de tous types» déplore Pouria Amirshahi, secrétaire national PS aux droits de l’Homme.
Les associations aussi se mobilisent, comme Romeurope dont un membre affirme « c’est une criminalisation de la misère ».
Mi Août, les experts du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU demandent à la France des explications pour le traitement des Roms et des gens du voyage.
Le 22 Août, le pape Benoit XVI et deux hommes d’Eglise français expriment leur désapprobation de la politique d’expulsion de Nicolas Sarkozy et appellent à la fraternité. Le secrétaire du Conseil Pontifical pour les migrants et les gens du voyage, Agostino Marchetto rappelle même que : « Il y a un principe de proportionnalité dans les réactions qu’on peut avoir vis-à-vis des délinquants. On ne peut pas généraliser et prendre tout un groupe de personnes et les expulser. La responsabilité est personnelle, elle n’est pas collective »
Le 28 Août, l’ONU intervient à nouveau et accuse la France de « discriminations raciales massives ».
Le 8 Septembre, le Parlement européen demande la suspension immédiate du renvoi des Roms.
Durant la même période, de nombreuses manifestations éclatent, en France mais aussi en Roumanie et en Macédoine contre les décisions du gouvernement français au sujet de l’expulsion des roms. Des appels au boycott des produits français sont lancés dans ces pays.
Le 29 Septembre la Commission européenne annonce qu’elle engage dès la mi-octobre une procédure d’infraction contre la France pour le non respect de la législation de l’UE.
L’année 2012 : Élections présidentielles
L’année 2012 est en France l’année de l’élection présidentielle. La très forte controverse lancée par le discours de Grenoble, et les politiques d’expulsion de Nicolas Sarkozy deux ans auparavant, font de la « question Roms » un point central des programmes politiques.
Le Collectif National Droits de l’Homme Romeurope écrit un rapport de 20 propositions, à l’attention des candidats à l’élection présidentielle, pour en finir avec le mal-logement des bidonvilles et squats. Publié le 16 Janvier, Romeurope invite les candidats à prendre publiquement position sur le sujet.
L’année 2013 : Controverse de Manuel Valls
Le bilan d’évacuation de camps roms en 2013 compte près de 165 démantèlement de camps, correspondant à 20 000 personnes expulsées, soit près du double de l’année précédente.
Le débat sur la question des Roms est vivement relancé en septembre 2013, suite aux déclarations de Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, le mardi 24 septembre.
Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation. C’est illusoire de penser qu’on réglera le problème des populations roms à travers uniquement l’insertion», a-t-il ajouté. Le ministre estime qu’il n’y a «pas d’autre solution que de démanteler ces campements progressivement et de reconduire (ces populations) à la frontière.[…] Les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie.
Manuel Valls
Ces affirmations font grand bruit, et l’association La voix des Roms entame des poursuites contre le ministre pour « incitation à la haine raciale ».
Le 25 septembre 2013 Amnesty International publie un rapport sur les mesures prises par le gouvernement français à propos des roms et des expulsions. Ce rapport intitulé Condamnés à l’errance. Les expulsions forcées des Roms en France estime que les démantèlements des campements roms « maintiennent ces personnes dans la précarité et la marginalité ».Le rapport exhorte le ministre de l’Intérieur à rappeler à tous les préfets que les opérations d’évacuation doivent être faites dans le respect des normes du droit international relatif aux droits humains.
L’affaire Leonarda
Le 9 octobre 2013, l’expulsion vers le Kosovo d’une famille d’immigrés roms fait débat et va conduire à de nombreuses protestations, notamment de la part des lycéens français. La famille, constituée d’une mère et de cinq enfants est interpellée à leur domicile. Cependant, la sixième fille Leonarda Dibrani est interpellée pendant une sortie scolaire, alors qu’elle est en classe de troisième et qu’elle réside en France depuis 5 ans.
L’interpellation de cette collégienne devant l’ensemble de sa classe, décrite comme humiliante, suscite la colère et la protestation dans l’ensemble du pays. Dans la majorité des collèges et lycées parisiens, les étudiants organisent des blocus pour protester et affirmer leur soutien.
Le président de la république alors en charge, François Hollande propose à la jeune femme de revenir en France, seule, si elle le souhaite, lui proposant donc de quitter sa famille. Cette proposition maladroite sera rejetée par la jeune femme qui explique vouloir rester avec sa famille, et vivement critiquée.
Cette affaire conduit le président de l’UMP Jean-François Copé à réexaminer le droit du sol en France, qui propose finalement la fin de l’acquisition automatique de la nationalité pour les enfants nés en France de parents étrangers.
Le 23 octobre, Valls annonce qu’il va revoir le droit d’asile en France.
Histoire récente
Dans l’ensemble, 13 500 roms ont été expulsés de leur campements durant l’année 2014.
9 Janvier 2014 : c’est la fin des mesures transitoires pour les ressortissants de Bulgarie et Roumanie. Ainsi, ces derniers pourront librement travailler, même s’ils ne disposent pas de carte de séjour. Cela leur ouvre l’accès à l’ensemble du marché du travail.
24 novembre 2014 : Le Défenseur des droits recommande au gouvernement et au Parlement de produire une réforme conduisant à l’abrogation de la loi du 3 janvier 1969, afin « d’assurer le respect du droit à la vie privée et familiale des gens du voyage ».
9 juin 2015 : l’Assemblée nationale adopte une proposition de loi concernant le statut, l’accueil et l’habitat des gens du voyage. La proposition de loi abroge la loi du 3 janvier 1969 et, supprime donc le livret de circulation.
8 octobre 2015 : Manuel Valls est blanchi par la justice, suite à l’accusation de l’association La voix des Romsqui l’accusait d’incitation à la haine raciale en raison des propos tenus en 2013.
En 2017, 11 000 roms sont évacués de force en France, soit une augmentation de 16% depuis 2016.
27 mars 2019 : 19 personnes arrêtées et jugées à Bobigny pour faits de violences et rébellion contre des Roms, suite à de fausses rumeurs sur internet