Manifestation étudiante suite à l’expulsion de Leonarda Dibrani en 2013

L’affaire Leonarda de 2013 résonne toujours aujourd’hui dans l’esprit de chacun, principalement des lycéens de l’époque, elle est l’incarnation de toute la controverse que l’on peut observer autour de l’accès à l’éducation des populations Roms. L’éducation est l’un des principaux, si ce n’est le premier, vecteurs d’intégration que ce soit par les capacités qu’elle procure, les nouveaux horizons qu’elle ouvre ou les nouveaux contacts qu’elle permet. Cependant en France, en 2017, les statistiques étaient criantes : 11% des enfants roms en âge d’être scolarisés ne l’étaient pas, et 25% des adultes se savaient illettrés. Bien que ces statistiques soient controversées quant à leur établissement, elles témoignent tout de même d’une situation dangereuse.

L’affaire Leonarda
Fin 2013, l’expulsion d’une famille immigrée rom vers le Kosovo dont la jeune fille Leonarda avait été interpellée en sortie scolaire avait indigné une grande partie de la population et engendré de nombreuses mobilisations, notamment par la jeunesse, avec de nombreux blocus de lycées et manifestations étudiantes.

Affaire Leonarda et la mobilisation contre l’expulsion d’élèves étrangers

Un exécutif à la traîne qui commence à faire des efforts

Dans un « Rapport d’étude de la Direction générale de l’action sociale » du Ministère des relations sociales et de la solidarité publié en 2007, on apprend qu’au travers de ses « principes directeurs européens en faveur d’une politique d’éducation à l’égard des enfants roms/tsiganes », énoncés par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe en février 2000, l’Europe est devenue un exemple en matière d’égalité des chances et de traitement dans le domaine de l’éducation, et plus largement, d’accès aux conditions de la citoyenneté pour tous les enfants. Cependant, ce rapport montre aussi que les politiques et pratiques éducatives nationales tendent encore à se positionner à l’encontre de ces principes, notamment en considérant la situation scolaire de ces enfants à travers le seul prisme de la mobilité (lié au nomadisme ou aux migrations).

Lors de notre entretien avec le sociologue spécialiste de la question Rom Jean-Pierre Liégeois qui a justement dirigé ce rapport, ce dernier affirme que des efforts ont été faits à l’échelle nationale. Deux mesures ont particulièrement retenu son attention. Premièrement, la mise en place au CNED – Centre National d’Enseignement à Distance – de cours sur la culture Rom dans le but de sensibiliser la population et principalement les autres élèves à cette population, et dans un second temps d’attirer certains enfants Roms vers l’éducation à distance s’ils n’ont pas la possibilité de se rendre à l’école. Ensuite, pour les enseignants, des formations ont été mises en place pour sensibiliser à la culture des populations arrivant dans l’établissement et faciliter la création du lien indispensable entre enseignant et élève.

Enfin l’exécutif a lui-même pris la parole concernant le sujet en septembre 2012. Le Ministère a transmis aux recteurs trois circulaires d’application immédiate. Le premier texte « vise à favoriser la fréquentation régulière d’un établissement scolaire dès l’école maternelle, à améliorer la scolarité des élèves issus de familles itinérantes et de voyageurs ». Le second rappelle l’obligation d’accueil dans les établissements et les écoles. La troisième circulaire « vise à définir les missions et l’organisation des CASNAV », les Centres Académiques pour la Scolarisation des Nouveaux Arrivants et des enfants du Voyage créés en 2002.

Finalement, à l’échelle nationale, bien qu’une forte prudence subsiste, des mesures commencent à être mises en place en faveur d’une intégration et d’une égalité des chances.

À l’échelle locale, la scolarisation est souvent l’objet de bras de fer entre associations et mairies

L’association ABSL, pour l’éducation

Dans les villes et communes, le consensus national ne s’applique pas et la situation est souvent plus tumultueuse. Certaines mairies ont fait scandale en s’opposant ouvertement à la scolarisation de certains enfants Roms. C’est le cas à Saint-Ouen en 2016 et Prémesques, dans la métropole lilloise, en 2017. A Prémesques, la raison du refus était qu’une procédure judiciaire était en cours concernant l’expulsion de la famille, la mairie attendait donc les résultats pour savoir s’il valait la peine d’inscrire ces enfants à l’école ou non. Tandis qu’à Saint-Ouen, le maire n’a pas donné de motifs excepté cette phrase « Je ne peux plus digérer toute la misère du monde ».

Nous sommes profondément choqués par les méthodes utilisées pour renvoyer des enfants issus de la minorité rom vers des pays qu’ils ne connaissent pas et dont ils ne parlent pas la langue ». 

réseau éducation sans frontière (RESF)

Dans les deux cas, des associations ont répondu présent pour aider les familles concernées et l’on a assisté à un accrochage entre mairies et associations. Elles soutiennent que ces enfants ont droit à l’éducation, même si les familles ne resteront par nécessairement à moyen terme. Ces enfants sont pour certains nés en France et doivent avoir le même accès à l’éducation que n’importe quel enfant car leur avenir ils le voient comme celui d’un français. Collectif Solidarité-Roms est intervenue a Prémesques, tandis qu’à Saint-Ouen, c’est l’enseignement catholique français au travers de son association Antenne Scolaire Mobile qui a pris la défense des familles. Cette dernière n’intervient que dans le domaine de l’éducation, elle consiste à faire tourner des camions-écoles dans toute la France notamment dans les bidonvilles du 93 afin d’apprendre aux enfants le français, la lecture, l’écriture, le calcul, dans le but final qu’ils puissent intégrer une classe UPE2A, ces classes d’accueil pour enfants allophones.

Néanmoins, ces cas de figure ne sont pas à généraliser à toutes les mairies : la mairie d’Ivry-sur-Seine porte une attention particulière aux enfants Roms. Leur volonté, selon la maire adjointe est de scolariser tous les enfants présents dans la municipalité. Concernant les enfants Roms, ce sont ceux dont l’intégration au système scolaire est la plus compliquée, et ce du fait de la réaction des familles.

C’est très bien l‘école, je voudrais lire, parler bien français, hollandais

perla, 8 ans, JEUNE ROM HABITANT A IVRY-SUR-SEINE

Comment se positionnent les familles concernées par rapport à cette question ?

Comme l’a précisé Jean-Pierre Liégeois lors de notre entretien avec lui, il faut bien différencier « éducation » et « scolarisation » : le système scolaire n’a attrait qu’à la scolarisation, de l’autre côté se situe l’éducation, du côté de la famille. La position de la famille joue un rôle majeur dans la question de l’accès à la scolarisation des enfants Roms.

D’un côté, de nombreux témoignages d’enfants ont été recueillis, selon lesquels ces derniers décrivent leur envie d’aller à l’école. « C’est très bien l‘école, je voudrais lire, parler bien français, hollandais ». De l’autre, les médiateurs scolaires décrivent parfois des difficultés à changer les mentalités de certains Roms traditionalistes qui par exemple ne veulent pas abandonner la mendicité avec les enfants. Globalement, dans les établissements avec une aide mise en place pour les enfants Roms comme à Ivry-sur-Seine, le message qui ressort est que les mères Roms ont plus de mal que les autres à confier leurs enfants à une autre entité, notamment en maternelle.

Toujours est-il que la tendance actuelle est au changement des mentalités d’après les témoignages, que ce soit à l’échelle nationale ou des familles. Mais les expulsions restent une réalité et les questions de l’accès au logement et de libre circulation restent intimement liés à la question de la scolarisation.