Interview de Sylvain David

La longueur de l'interview (1h30) nous a amené à vous proposer un certain nombre de liens thématiques. Ceux-ci vous permettront d'avoir une vue d'ensemble de l'échange, et d'accéder directement au niveau de l'interview vous intéressant.

Présentation

Sûreté

Manipulation des chiffres (anecdote débat présidentiel 2007)

Générations futures/ressources disponibles

Déchets et matières valorisables

Stockage

Influence des politiques, exemple de superphénix

Nucléaire ou renouvelable

Acceptabilité (et modélisation par un coût économique)

Tout nucléaire?

Nucléaire/charbon et la crise énergétique à venir

Information et débat public

Scepticisme vis-à-vis d’une décroissance des besoins énergétiques

EPR, projet d’avenir ?

Démantèlement, « magie du taux d’actualisation »

Concurrents de l’EPR, retard de celui-ci

S.D. : Donc moi je suis chercheur au CNRS depuis 1999. Ça fait déjà 11 ans. J'ai fait une thèse en physique des réacteurs hybrides refroidis au plomb - enfin je ne sais pas si vous en avez entendu parlé. C'est des réacteurs assez bizarres dont on parlait beaucoup il y a dix ans, un peu moins aujourd'hui, et qui sont dédiés à la transmutation des déchets, des déchets nucléaires. Donc on ferait des petits réacteurs, on mettrait des déchets qu'on bombarderait, et ça pourrait détruire les déchets, c'est assez rapide puisque c'est pas aussi merveilleux que ça. J'ai fait une thèse là-dessus. Depuis, je suis rentré au CNRS, je m'occupe d'études de réacteurs du futur et des scénarios associés, donc ça va, c'est assez large et on fait des calculs sur des réacteurs type EPR, mais en regardant des fiouls un peu exotiques. Et on fait aussi beaucoup de calculs sur les RNR-sodium, des réacteurs CANDU, à eau lourde. Il y d'autres gens chez nous qui font des réacteurs à sels fondus. Donc, pour vous dresser un tableau, le CNRS et les universités, ils ont un côté un peu recherche amont, donc on est plutôt sur des...

V. : C'est au-dessus des générations supérieures ?

S.D. : Oui, enfin on est un peu moins lié aux contraintes industrielles, donc aux... Et puis on n'a personne qui nous dit, vous devez faire ci, ci... On garde à la fois des choses qui nous paraissent assez proches des contraintes industrielles type EPR, et puis à la fois des réacteurs à sels fondus qui sont plutôt génération 5. On n'a pas la force de frappe du CEA, mais en gros on est rentré - enfin pour vous faire un peu un historique - la recherche sur l'énergie nucléaire s'est cantonnée au CEA, EDF et AREVA. Historiquement c'était séparé, c'est-à-dire que les universités françaises et le CNRS n'ont jamais vraiment occupé l'énergie nucléaire, en tout cas côté réacteurs. Pour des raisons historiques. Et en 1991, il y a eu la loi sur les déchets car le stockage des déchets arrivait à une impasse. C'était pas décidable d'aller enfouir les déchets, donc Strauss-Kahn a dit « on arrête, on fait une loi, un moratoire, 15 ans de recherche, rendez-vous en 2006 pour décider de la façon dont on gère les déchets ». Et toutes les forces vives de recherches sont appelées à participer à ces recherches. Donc du coup, le CNRS et les universités ont été à ce moment là un peu sollicité pour faire des choses là-dedans. Donc on est rentré dans la problématique du nucléaire via la loi sur les déchets.

V. : Est-ce que l'EPR par exemple c'est dans cette optique là ?

S.D. : Ah non, pas du tout ! L'EPR c'est un REP. Ni plus ni moins. Enfin, c'est amélioré du point de vue de la sûreté. Vous avez dû voir ça, enfin il y a des...

V. : Justement il y avait pas mal de points qui étaient contesté par le camp opposé...

S.D. : Sur les derniers rebondissements, sur la sûreté, parce que l'ASM a pondu un papier, là, je n'ai pas les détails.

V. : L'histoire de la taupe, apparemment il y avait une taupe chez EDF qui aurait ressorti des choses.

S.D. : Oui c'est ça. Mais sur le principe, j'ai trouvé que la philosophie sûreté avait un peu changée entre le REP et l'EPR. C'est-à-dire : le REP on disait « on minimise au maximum le risque d'accident, enfin d'accident grave, type fusion du cour », et l'EPR on minimise encore plus le risque d'accident grave, mais en plus on considère que l'accident se passe et on dimensionne le réacteur pour pouvoir le gérer. Donc ça, je trouvais que c'est une avancée assez forte dans le principe même de la sûreté. Alors typiquement, c'est le récupérateur de corium qui est sous la cuve, donc c'est-à-dire que si le réacteur fond, dans le pire des cas il ne transperce pas le béton et il reste confiné à l'intérieur du bâtiment réacteur. Pour moi c'est la grosse amélioration.

V. : Et il y aurait quoi d'autre comme différence, même mineure ?

S.D. : Après la différence c'est la redondance des systèmes de secours.

V. : Au niveau sûreté alors ?

S.D. : Oui, qui permette en fait de pouvoir faire la maintenance sur l'un sans arrêter le réacteur parce qu'il y en a toujours trois autres qui marchent, en gros. Donc on améliore la sûreté, on paye plus et en même temps on arrête moins les réacteurs. Donc on compense le surplus d'investissement par une production accrue d'électricité. Je trouvais que c'était le côté « sûreté accrue », donc ça coûte plus cher mais on récupère sur la production d'électricité. Enfin, ça, c'est des trucs qu'ils annoncent, ils annoncent un facteur de charge de 90%. En moyenne, ils produiraient 90% de la puissance nominale, alors qu'aujourd'hui on est plutôt à 80%.

V. : Et au niveau rendement ?

S.D. : Au niveau rendement, ici c'est 35% qu'ils annoncent au lieu de 33-34, on gagne un point de rendement. C'est pas révolutionnaire, non, ça améliore, c'est-à-dire qu'à la fin, vous arrivez avec 10-20, enfin peut être 10% de moins de déchets à tout casser, enfin de consommation de combustible, de flux de matière, de choses comme ça.

V. : Il y aussi les déchets qui sont améliorés.

S.D. : C'est pas fait pour, c'est pas fait pour ça, c'est pas le but. Le but c'est d'optimiser l'opération du réacteur.

V. : Et puis là, par contre, on a vu pas mal de retard, notamment avec celui en Finlande. Est-ce que ça, ça peut décrédibiliser un peu?

S.D. : Enfin oui, à mon avis c'est pas des très bonnes nouvelles, mais en même temps c'est une tête de série, c'est les premiers qu'on fait donc c'est pas complètement étonnant. Maintenant, moi, j'ai l'impression qu'il y a une certaine concurrence sur le marché mondial. En ce moment, la Chine et l'Inde commencent à acheter des réacteurs. On peut imaginer que d'ici quelques années, ça va être des commandes par dizaines.

V. : Mais de ce type là de réacteurs ?

S.D. : C'est toujours des réacteurs à eau pour l'instant. Majoritairement.

V. : L'un des arguments prônés par les antinucléaires, c'est d'attendre un peu pour pouvoir directement passer à la génération suivante. Puisque ici, ce réacteur là n'est pas d'une génération innovante, sauf du point de vue de la sûreté...

S.D. : Ouais. Non mais alors d'abord du point de vue de la sûreté, la génération 4, c'est pas l'argument. C'est la merde. Les réacteurs les plus sûrs, c'est vraiment les réacteurs à eau, je dirais. Parce qu'il y a un retour d'expérience - il y a 400 réacteurs qui tournent depuis 30 ans, ça fait quand même 1 200 années-réacteurs d'expérience ! Donc, génération 4 au sodium, je veux dire, c'est un énorme challenge d'atteindre le niveau de sûreté des réacteurs à eau. Donc, les antinucléaires qui donnent des leçons en disant "il faut attendre gén4, qui sont plus sûrs", là pour le coup, je trouve que c'est un peu gonflé.
Après, la question de passer à la gén4, ça, c'était le débat Ségolène-Sarkozy 2007. Il ne faut pas faire l'EPR parce que... (peu audible)

Vous avez compris le 17% ? (annoncé par Ségolène Royal comme la part du nucléaire dans la production d'électricité)

V. : Oui, c'était l'énergie globale et pas l'électricité apparemment.

S.D. : Même pas : c'est plus fin que ça. C'est « l'énergie finale globale ». Enfin ça, je pourrais vous le faire sur le tableau. Je vous le fais quand même !

Chauffage Transport Electricité
Energie brute 100 100 100
Energie utile 80 30 30

Part d'énergie brute : 33, utile : 20, « finale » : 14, environ.
Je fais un exemple très simple : c'est le chauffage, transport, électricité. C'est en gros ce qu'on fait en France. On consomme autant pour se chauffer, pour...
Donc ça c'est l'énergie primaire. Après, quand vous chauffez, vous avez un rendement de la chaudière, en gros c'est 80%, donc ce que vous récupérez, c'est 80. Dans le transport, vous avez Carnot, vous savez qu'on ne transforme pas toute la chaleur en travail, on peut pas, donc on récupère 30. Et dans l'électricité, si c'est du nucléaire on récupère 30. Donc la part du nucléaire - si je dis que toute l'électricité est nucléaire - c'est 33% (énergie brute), et ici (énergie utile) c'est 30 divisé par 140, et ça fait 20% à peu près. Donc ça, c'est l'énergie utile physique. Mais l'astuce que je voulais vous dire, c'est que l'énergie finale dont on vous parle, c'est l'énergie chez les économistes, donc c'est l'énergie qu'on achète. Et vous voyez tout de suite la distorsion : c'est qu'on achète du fioul pour se chauffer, du fioul pour le transport, et l'électricité nucléaire. Après la transformation ici, et avant la transformation là. Donc l'énergie finale dont on vous rabat les oreilles constamment, ça mélange exactement des choux et des carottes, c'est-à-dire on mélange de l'énergie primaire pour le transport, et de l'énergie finale pour l'électricité, alors que physiquement c'est la même transformation - c'est un cycle, pas de Carnot mais bon, c'est un cycle thermodynamique. Donc ça fait 30 sur 230, et là, vous retombez à 14%. Donc, ce que je veux vous dire, les vrais chiffres, c'est 39, 24, 17, je crois.

V. : Et donc cet argument est utilisé pour essayer de minimiser l'importance du nucléaire.

S.D. : Voilà donc : quand on vous parlera part du nucléaire, vous choisissez le chiffre qui va avec ce que vous voulez démontrer. C'est pratique, mais c'est très, très, emmerdant. En général, on se base sur des chiffres pour avoir un débat, et là, finalement, on fait croire qu'on utilise des chiffres fiables et, et on choisit exactement le chiffre qui va bien. Et c'est dommage parce que c'est le seul qui n'a aucun sens !

V. : Oui, qui n'ait pas de réalité physique.

S.D. : C'est d'une absurdité totale.

V. : On peut même augmenter, on peut dire pourcentage d'électricité produite.

S.D. : Après vous dites 80% d'électricité donc vous choisissez ce que vous voulez. 39, 17, ça change tout, quand même. Donc le conseiller de Ségolène c'était Bruno Rebelle, un ancien de Greenpeace. Donc en général, les antis raisonnent en énergie finale, puisque ça diminue, pas spécialement la part du nucléaire, mais la part de l'électricité en fait, quand on le mélange au transport.
Bien je ne sais plus ce que je voulais vous dire !

Oui, alors gén4, gén3 : gén4, l'intérêt principal, c'est de consommer 100 fois moins d'uranium que les gén2, gén3. Vous savez peut-être que dans la nature, il y a deux isotopes d'uranium, le 235 et le 238. Le 235 est la seule matière fissile naturelle, mais c'est 0,7% du minerai ; donc en gros, quand vous sortez 1 t d'uranium, vous avez 7 kg que vous pouvez fissionner. Donc vous sortez 993 kg qui « ne servent à rien ». Donc c'est pour ça que quand vous faites un cycle en REP ou en EPR, vous mettez 30 t de matière et vous en sortez 29 t. Il y en a une tonne chaque année, on sort 30 t, et sur les 30, il n'y en qu'une qui a fissionné. Il reste 29 t d'uranium. Donc en gros, on consomme moins de 1% du potentiel du minerai total. Gén4, c'est exactement utiliser les 99,3% d'uranium 238.

V. : Surgénérateur ?

S.D. : Voilà, c'est le principe de la surgénération. Donc si vous voulez, c'est toujours pareil : d'un point de vue purement économique, si vous tracez le prix du kWh en euros en fonction du prix d'uranium naturel - donc les réacteurs actuels - évidement plus l'uranium est cher plus le kWh est cher. Il faut bien voir que cette pente est très faible. Parce que le prix d'uranium - enfin la part de l'uranium dans le prix du kWh - est extrêmement faible, c'est 2-3%. On considère que le nucléaire, c'est essentiellement de l'investissement, et puis de la construction du réacteur. Donc ça, c'est l'EPR ou le REP ; et le surgénérateur, lui, il est plus cher à l'achat parce que c'est du sodium, c'est plus complexe, mais il consomme 100 fois moins ; donc cette pente qui est déjà faible, elle est 100 fois plus faible ! Donc il y a un moment, un prix d'uranium, à partir duquel il est plus rentable de faire du gén4 que du gén3. La philosophie gén4 d'un point de vue économique, c'est ça.

V. : Et techniquement, on est capable d'atteindre un truc plausible et industriel en gén4 ?

S.D. : Ça, c'est une autre question. Non mais après, on peut en discuter. La question, c'est « à quel prix est-ce que c'est ?» Là, là ? Moi, j'ai un transparent dans mon cours où en gros, je trace la même chose avec une barre d'erreur. Si vous avez suivi le prix de l'EPR, du kWh EPR, il était à 35 euros/MWh il y a 4-5 ans, là il est à 48, je crois. Donc si vous faites un peu d'économie, vous savez, il y a un taux d'actualisation, un temps de retour sur investissement. Donc en jouant sur les deux paramètres, le prix de sortie change. Donc déjà le prix de l'EPR on ne le connaît pas très bien. Le prix du kWh des réacteurs qui tournent, il dépend des hypothèses qu'on met dans le calcul économique, et alors le prix du gén4, là, on peut faire des barres d'erreurs comme ça. Donc en gros, vous avez une plage de prix d'uranium qui est extrêmement large, sachant qu'aujourd'hui on est plutôt vers là.

V. : Il n'y a pas qu'une question de rentabilité, il y a aussi une question d'économie de la ressource j'imagine ?

S.D. : Oui alors : supposez que vous connaissez les ressources en fonction du prix - ce qui n'est pas le cas - là aussi, il y a des barres d'erreur. Mais même là, personne n'est d'accord : est-ce que c'est 200 dollars le kg ? Est-ce que c'est 1 000 dollars le kg à partir du moment où il y a gén4 ? Enfin, à partir « voilà quel est le prix de coupure à partir duquel gén4 s'impose ». Donc ça c'est le premier truc. Après t'as raison, il y a la ressource. Ressource prouvée d'uranium, c'est 4 Mt, donc au rythme actuel, c'est calculé, ça fait 60 000 t/an pour très peu d'énergie, enfin dans le mix énergétique, 5% ; enfin ça dépend si on compte en... (énergie brute,...)

V. : En énergie totale, moi j'ai entendu 0,5. Noël Mamère. J'ai le papier même !

S.D. : Ça, ça m'intéresse parce que 0,5 là, j'ai du mal ! parce que c'est 6% en primaire, en final je baisserais à peut-être 2%, mais à 0,5 je ne vois pas comment il calcule ça. Non mais Noël Mamère, il ne sait pas ce que c'est qu'un TWh !
Donc les réserves : 4 Mt à peu près prouvées. Tout le monde s'accorde à dire qu'on saura extraire 4 Mt à des prix raisonnables, c'est-à-dire vers 130 dollars. Après le livre rouge de l'AIE, qui est la référence, annonce 17 Mt à des prix toujours raisonnables, avec beaucoup de controverses. Il y a plein de géologues qui ne sont pas d'accord, c'est toujours des calculs un peu économiques, on prolonge des courbes, on trouve du comme ça. Mais peut-être ils ont raison, peut-être ils ont tort, enfin personne n'est capable de le dire vraiment. Supposons si vous prenez 15 Mt, à 60 000 t/an, ça fait quand même 200 ans de réserves au rythme actuel. En fait, ça fait plus, parce qu'on sait que les réacteurs peuvent être améliorés en terme de consommation. On pourrait en discuter, on peut avec le recyclage, enrichissement, on peut à la limite baisser d'un facteur 2 au maximum, donc c'est entre 200 et 400 ans. Avec 15 Mt. Si maintenant vous faites des scénarios facteur 2 sur les émissions de CO2, vous divisez par 2 les émissions de CO2, tout en multipliant par 2 la demande énergétique mondiale - je vous rappelle que la Chine installe chaque année un parc nucléaire français en plus en charbon, et c'est plus une France par an rien qu'en Chine ! Donc là, vous multipliez par 2 la demande d'énergie mondiale en 2050, c'est déjà sobre. Donc si vous faites cela, vous allez faire 20 GTep en 2050, vous avez plus le droit que de faire 4 GTep de fossile pour le climat, 16 de renouvelable, de charbon avec séquestration, et de nucléaire. Je vais très vite, mais en gros, les scénarios enveloppes nucléaire c'est plutôt 5 GTep. C'est déjà énorme, ça fait 10 fois plus qu'aujourd'hui, donc les 200-400 ans deviennent, mettons, 40 ans.

V. : Donc là, on aurait plus tendance à accepter un prix élevé, aussi.

S.D. : Oui voilà, c'est ça, mais un moment donné si le prix est élevé et qu'on suppose que la technologie sodium est disponible et acceptée, point de vue de la sûreté, le sodium s'impose.

V. : Et là, pour le coup, on bascule à des échelles beaucoup plus grandes puisque les 200 ans dont vous parlez, c'était juste avec 0,7%.

S.D. : A oui, le gén4 c'est des milliers d'années, des dizaines de milliers d'années, parce que le prix n'a plus aucun sens. On en consomme 200 fois moins qu'aujourd'hui, donc ça veut dire qu'au lieu de payer 200 dollars le kg maximum, vous pouvez monter à 4000 dollars, donc on peut extraire l'uranium de l'eau de mer. La discussion n'a plus vraiment d'intérêt, il y a des milliers d'années de réserves avec gén4.

V. : Mais gén4 implique aussi si on utilise beaucoup plus, on produit beaucoup plus de déchets aussi.

S.D. : Oui, c'est assez proportionnel. Après, ça dépend, il y a plein de stratégies où on transmute les déchets, où on les transmute pas. Mais pour moi, ça va pas changer radicalement. Donc effectivement, 10 fois plus de nucléaire, c'est en gros 10 fois plus déchets.

V. : Mais alors ce que vous disiez tout à l'heure sur les réacteurs de transmutation, pourquoi ça ne s'impose pas de manière industrielle : c'est une question économique, ou de sécurité, ou les deux ?

S.D. : Alors, je vais répondre mais je finis sur gén3 et 4. Donc pour moi la transition gén3-4, si on dit 15 Mt, elle ne s'impose dans les 10-20-30-40 ans qui viennent que si le nucléaire se développe beaucoup. Et aujourd'hui on le voit pas. On voit que ça recommence doucement, mais je pense qu'il faut encore attendre 5-10 ans pour voir à quel niveau il va vraiment exploser ou pas. Parce qu'on peut très bien imaginer des niveaux, je vous dis, 1 000 ou 2 000 réacteurs dans le monde dans 50 ans ! Et quand on a fait Superphénix en 1990 en France, on était sur des scénarios comme ça, où on disait « le nucléaire va se développer, voilà, j'ai un million de tonnes d'uranium, donc en l'an 2000, paf ! J'ai un problème de ressource ». Donc je dois faire de la surgénération tout de suite. Et entre temps, donc on était parti sur des scénarios vraiment comme ça dans les années 70, dès le début. Et entre temps, un : il y a Tchernobyl, donc le programme nucléaire a stagné, donc n'est pas monté comme c'était prévu, et deux : on a trouvé de l'uranium. Donc du coup, l'intérêt industriel économique de la surgénération ne s'est pas fait sentir, je crois. Donc les programmes de surgénérateurs se sont arrêtés, après il y a eu les Verts qui sont arrivés, donc on a fermé Superphénix, etc., mais du coup le surgénérateur est arrivé trop tôt, et maintenant on retrouve exactement les mêmes questions, et toujours avec vachement de flou parce qu'on ne sait pas - et pour moi vraiment, je pense que ça s'imposera, le sodium, que si on fait des centaines de réacteurs, et aujourd'hui on voit quatre réacteurs à droite, cinq à gauche, six là bas. C'est pas ça qui va changer le modèle. Donc pour l'instant sur l'EPR, c'est clair que si le nucléaire se développe, il va se développer avec des réacteurs à eau ; il n'y a pas d'urgence à développer des centaines de réacteurs rapides, surgénérateurs. Ou à moins que dans deux ans, on dise « ah non en fait, il n'y a pas 15Mt d'uranium, en fait il n'y en a que deux », là ça change complètement la donne.
Alors sur la transmutation, là c'est un peu touchy. Donc vous savez qu'on fait de l'uranium, on sort un combustible usé. Là-dedans il y a du plutonium et des déchets. Parce qu'en France, le plutonium n'est pas un déchet. Ça, c'est encore un grand point de discussion entre les antinucléaires et les nucléaires. Les antis considèrent le plutonium comme un déchet bien sûr, parce que si on veut arrêter le nucléaire, tout ce qu'il y a dans le combustible usé est un déchet. Sauf que le plutonium est fissile comme l'uranium 235, donc EDF, AREVA : matière valorisable, ce n'est pas un déchet. On le sépare, on le recycle, et on refait un passage MOX. Vous êtes au courant. Donc on met du plutonium et on sort, et il reste encore 5% de plutonium dans le MOX usé. On rentre à 8%, on sort à 5%. Donc si vous voulez, le cycle français, c'est un seul recyclage, et le MOX usé n'est pas retraité. On dit souvent que c'est un cycle fermé, c'est pas du tout un cycle fermé. On fait un premier retraitement, on repasse, et ce qui sort n'est pas retraité.

C'est pas un déchet, c'est une matière valorisable. Même celle qui est irradiée une deuxième fois. Donc ça, c'est un grand débat, le MOX usé est un déchet ou pas ? Pourquoi c'est une matière valorisable : on sait que si on multi-recyclait le plutonium dans les réacteurs à eau, c'est-à-dire on gagne au premier passage en terme d'économie de ressource, parce que si vous recyclez le plutonium, vous économisez 12% des ressources, allez 15%. En France on ne recycle pas tout le plutonium. En gros il y a 10% de la puissance des réacteurs français qui provient des MOX c'est-à-dire qu'on utilise 10% de moins d'uranium. Si on multi-recyclait, on passerait de 15 à 18% d'économie, donc c'est pas valorisable. On ne gagne pas à multi-recycler, parce que le plutonium dans les réacteurs d'aujourd'hui, ce n'est pas une bonne matière fissile. Par contre les Superphénix, ils marchent au plutonium, puisque le cycle c'est « uranium 238 donne un plutonium ». Et la matière fissile, c'est le plutonium qui disparaît et qui fait de l'énergie ; et à chaque fois qu'il disparaît, hop ! il est régénéré, ce qu'on appelle les régénérateurs. Donc en fait le gén4, une fois qu'on l'a chargé en plutonium, il tourne tout seul, on n'a plus besoin de lui en remettre chaque année, on met que de l'uranium 238. Il ne fissionne pas mais il vient régénérer le plutonium qui a disparu. je ne sais pas si c'est clair ! Donc il n'y a pas besoin de plutonium, il a juste besoin d'une charge de plutonium au démarrage. Et un Superphénix - tout ce que je vous dis, c'est toujours pour 1 GW électrique - un réacteur de 1 GW électrique sodium rapide, c'est 15 t de plutonium dont il y a besoin au démarrage. Donc 60 réacteurs, enfin c'est même un peu plus, c'est en gros 1 000 t. Et aujourd'hui en France dans le MOX usé on a à peine 200 t de plutonium. Donc vous voyez que dans un scénario où la France déciderait de passer, parce que le nucléaire dans le monde augmente, parce qu'il n'y a plus assez de ressource, parce qu'il faut passer à gén4 - à puissance constante, même pas augmenter la puissance - 60 GW électriques de réacteur sodium, il lui faut 1000 t de plutonium à un moment donné. Une fois qu'elle les a, il est régénéré donc ça va, mais il faut disposer de mille tonnes : 60x15, pour démarrer 60 réacteurs. Et donc aujourd'hui, après 30 ans de production de plutonium par les réacteurs actuels, on a 200 t.

V. : Mais on les a accessibles, ou ils sont mélangés ?

S.D. : Ils sont dans les MOX usés, donc ils sont mélangés à l'uranium, peu importe à la limite : il faut faire une séparation chimique, donc c'est un peu merdique, c'est un peu chaud, avec de l'américium, du curium, mais ça se fait. En tout cas, si on dit qu'on sait faire pour des réacteurs sodium, pour le coup il faut le multi-recycler : tous les cinq ans, on le ressort, on sépare, on remet. Je veux dire, on part du principe qu'on sait traiter les MOX usés. Mais vous voyez que si vous voulez démarrer des sodium, 60 à l'horizon 2100, c'est-à-dire finir la transition dans 100 ans, c'est pas rien : vous n'avez pas le droit de bouffer ce plutonium, le mettre dans un trou inaccessible ! C'est une matière extrêmement précieuse. On en a 200 tonnes, il en faudrait 1 000.

V. : Stockée où en ce moment ?

S.D. : Dans les piscines autour des réacteurs, et éventuellement à la Hague, je crois.

V. : Les gros paquets roses qui partent à la Hague dans les trains.

S.D. : Oui, mais ça, c'est des UOX usés, c'est le premier passage. Ce qui part à la Hague, c'est vraiment pour être retraité, on sépare, on met le plutonium, on le remet en réacteur ; et ce qui sort, comme on n'en fait rien, il est entreposé en attente, et de toute façon comme il faut 5 ans ou 7 ans de refroidissement avant de pouvoir le manipuler... Vous voyez si vous suivez un UOX - c'est un uranium enrichi - 3 ans en réacteur, 5 ans de refroidissement dans la piscine, transport à la Hague : 3-4ans pour le séparer, pour refaire un MOX, le MOX repart, 4 ans en réacteur, 5 ans de refroidissement avant de pouvoir le déplacer. Donc vous faites le calcul, et en gros un UOX qui est entré en 90, le MOX usé qui revient n'est pas encore déplaçable

V. : Donc ceux-là on veut en faire quoi ? On veut les enfouir ?

S.D. : Pour l'instant on n'en fait rien : matière valorisable. On entrepose. Entreposage, c'est provisoire. Stockage c'est géologique. Et donc il y a un grand débat. Alors tu vas voir où je vais en venir pour les déchets. Donc le plutonium n'est pas un déchet en France. Aux Etats-Unis, c'est différent. UOX, 3 ans en réacteur, tout le combustible usé est un déchet. Ils sont terrorisés par le plutonium, par la prolifération, donc ils balancent tout au trou eux, ils n'en ont rien à foutre ! Donc là, géopolitiquement c'est assez intéressant, diplomatiquement entre la France et les Etats-Unis.

V. : Et ils pourraient nous passer le plutonium ?

S.D. : Mais non, ils ne veulent surtout pas le bouger ! Leur stratégie à eux, c'est fait pour manipuler le moins possible le plutonium. Donc l'envoyer en France, c'est tout ce qu'ils ne veulent pas. D'ailleurs, incessamment, ils attaquent la stratégie française de retraitement. Il faut dire qu'on charge un peu la barque. Parce qu'on sépare, on envoie l'UOX à la Hague, on sépare l'uranium et le plutonium, on fait du plutonium pur - chimiquement, en poudre - vous pensez qu'on fait le MOX à la Hague, pas du tout ! On envoie le plutonium séparé à Marcoule ou au Tricastin, donc on fait un voyage de plutonium séparé sur 1000 km, pour refaire le MOX, et qui repart après dans les centrales. Les Américains quand ils voient ça, ils sont fous. Non, mais on transvase quand même 10 t de plutonium par an, et c'est transporté avec les mêmes conditions qu'une bombe.

V. : Et ce serait si facile que ça à exploiter pour les terroristes ou n'importe quoi ?

S.D. : Non, parce que c'est pas du plutonium « weapon grade », c'est pas...

V. : Il faudrait le traiter avant de pouvoir en faire une arme ?

S.D. : Je ne suis même pas sur qu'on pourrait en faire une arme, parce qu'il est assez chargé en isotopes non fissiles, et c'est assez merdique.

V. : Mais même chimiquement, c'est chiant le plutonium?

S.D. : Oui, mais chimiquement et puis même radioactivement. Mais c'est pas une bombe nucléaire au sens Hiroshima ; là ce serait une bombe, ce qu'ils appellent une bombe sale. Mais symboliquement, transporter du plutonium séparé, c'est quand même...

V. : C'est marrant, parce que du coup ce que vous dites, c'est qu'a priori les problèmes de sécurité majeurs sont dus au transport, globalement, et globalement, sur tout ce qu'on a pu trouver, les écologistes n'attaquent pas tant le transport.

S.D. : Oh si ! Ils arrêtent les convois de plutonium. Ils arrêtent même l'uranium alors là qui est pas du tout dangereux ni radioactif, qui part en Russie.

V. : Mais c'est pas parce que c'est dangereux qu'ils l'arrêtent, c'est parce que c'est facile à arrêter. Globalement leur action se porte plus sur l'existence même des réacteurs que sur le transport ; sur les solidités, sur les installations elles-mêmes plutôt que sur le transport. C'est bizarre, non ?

S.D. : Enfin je trouve qu'ils attaquent quand même pas mal le transport. Le transport de plutonium séparé.

V. : Peut-être pas au niveau du grand public à ce moment là.

S.D. : Ouais, c'est peut peut-être plus dur à communiquer, je ne sais pas. Mais je ne suis pas sûr qu'ils aient quand même beaucoup d'infos sur le plutonium séparé, parce que là c'est quand même un peu plus touchy que l'uranium, le retraitement qui part en Russie.

V. : C'est vrai qu'effectivement, là, ça pourrait être un argument massue qui pourrait y avoir et qu'ils ne sortent pas.

S.D. : Nan, mais c'est vrai que c'est un argument, pour dire. Enfin ça, c'est parce que l'usine historiquement a été faite là bas, enfin je ne sais pas, c'est assez - même sociologiquement, c'est assez intéressant de voir pourquoi on transporte du plutonium séparé ou quoi, mais en tout cas, si on refaisait quelque chose en France aujourd'hui, on ne referait comme ça. On construirait le MOX, on séparerait le plutonium, et on le remélangerait tout de suite avec l'uranium au même endroit, quoi.
Bien alors les déchets : donc quand on a un scénario RNR (réacteur à neutron rapide), il n'y a pas d'ambiguïté, l'uranium le plutonium tout ça, ça tourne dans le réacteur, ce n'est pas un déchet, et ce qui sort c'est des produits de fissions, donc en gros le noyau se casse en deux, il y a deux noyaux, il y en a quelques-uns uns qui sont radioactifs à vie longue et puis il y a d'autres : les actines mineurs, le plutonium - il ne fait pas que fissionner, il capture parfois des neutrons, donc quand il capture, il produit un noyau lourd, qui lui n'est pas très valorisable, car il n'est pas fissile. Donc américium, c'est un proton de plus que le plutonium, 95 protons ; le curium, tout ça c'est des noyaux lourds qu'on appelle les actines mineurs, et donc c'est ces déchets qu'on imaginerait transmuter. Alors soit on les transmute dans les réacteurs rapides - à ce moment là on complique un peu le cycle parce qu'il faut retraiter et fabriquer un combustible avec ces merdes dedans ; les déchets sont dilués, mais tout le combustible est contaminé, pour faire vite - et l'autre stratégie c'est de séparer ces trois machins et de les mettre dans des réacteurs dédiés. C'est un combustible qui est très dur à manipuler, mais par contre très concentré et donc les volumes sont très petits. C'est deux stratégies...
Donc vous voyez les scénarios, les réacteurs hybrides peuvent avoir un rôle à jouer si on décide de séparer la production d'électricité avec les combustibles les plus propres possibles, et foutre les déchets dans des réacteurs dédiés. Et donc pourquoi on ne le fait pas aujourd'hui : parce que quand on regarde la radiotoxicité, le risque associé au MOX usé, la totalité, 99% de la radiotoxicité - donc du risque associé à la radioactivité - c'est le plutonium. Le plutonium il a un statut matière valorisable, mais on ne sait pas ce qu'on va en faire vous avez vu, c'est sur des échelles de temps très longues, est-ce que ce sera valorisé ou pas, personne n'est capable de le dire aujourd'hui. Donc aller chercher le 1% de déchets, séparer et transmuter des machins alors que vous avez 99% de la radioactivité qui reste sur étagère, c'est difficile à justifier, parce que le statut du plutonium est très ambigu, donc finalement on ne peut transmuter les déchets type actine mineur que si on sait ce qu'on fait du plutonium - et on pourrait très bien avoir des stratégies ou le nucléaire stagne dans le monde, donc la France continue à faire du nucléaire parce qu'elle a pas de charbon et du coup le plutonium devient un déchet, parce qu'on en a pas besoin à l'horizon 2080 pour faire 60 réacteur à neutrons rapides - donc dans ce cas là, la transmutation, c'est plus les actines mineurs, c'est d'abord le plutonium. Je ne sais pas si c'est très clair, mais c'est pour vous dire, c'est pas... On ne pourra transmuter les déchets que quand on saura ce qu'on fera du plutonium, et aujourd'hui on ne sait pas, parce que soit c'est un déchet si le nucléaire s'arrête ou évolue assez peu, soit c'est un combustible extrêmement précieux pour les rapides si le nucléaire se développe beaucoup.

V. : Alors on a vu que la 4ème génération, c'est une question de stratégie, de développement, mais en terme de faisabilité ? Quand on recherche, on est sûr que ça marchera ?

S.D. : Ça marche, on en a fait...

V. : Oui, mais ils marchaient déjà avec des bons rendements ?

S.D. : Ah oui, le rendement. Phonix il marche toujours, enfin il a peut-être été arrêté. Bon c'est un petit, Phonix, il fait peut-être 200 MW. Superphénix, il a marché et donc il a eu pas mal de soucis de fuites de sodium. Mais Phonix, ils nous disent qu'en gros, ils ont une fuite de sodium par an, mais ils savent gérer. C'est pour ça que c'est plus cher, parce qu'il faut faire des enveloppes aux tuyaux : si le sodium coule, il ne faut pas qu'il coule dans l'air.
Donc il y a le fait que ce soit du sodium liquide, enfin Superphénix il a eu plein de problèmes, mais quand ils l'ont arrêté, il marchait bien. Il tournait à fond les ballons ; après, est-ce qu'il y aurait d'autres problèmes ? Peut-être, mais bon, c'est difficile de répondre parce que c'est un prototype, c'était une machine, sans doute ils ont vu un peu grand parce qu'ils sont passé de 250 MW à 1 200 - je crois que c'est 1 200 - alors que maintenant, on veut faire le prototype Astrid à 600 MW. Donc on est en train de refaire la moitié de ce qu'on a fait en 1990.

V. : Donc là, c'est les obstacles politiques qui ont joué majoritairement ? C'est des obstacles de quelle nature qui ont joué pour arrêter le Superphénix ?

S.D. : Comme je vous ai dit, on s'est retrouvé avec un surgénérateur alors qu'il n'y avait plus d'urgence industrielle de faire de la surgénération, et puis il a eu quand Jospin est arrivé au pouvoir en 97. Donc Jospin arrivait avec la gauche plurielle parce qu'il avait pas la majorité à l'assemblée avec le PS, et donc la condition pour que les Verts entrent au gouvernement c'était l'arrêt de Superphénix ; donc il y a eu à la fois qu'il n'y avait pas d'urgence industrielle, à la fois la conjoncture politique pour que ça s'arrête. L'un sans l'autre il s'arrêtait pas ; je pense que si la droite gagnait, il s'arrêtait pas, et si on était le baril à 300 dollars et plus d'uranium, il s'arrêtait pas non plus, même si Voynet était... Enfin vous voyez ce que je veux dire. Je pense que c'est vraiment la conjoncture des deux trucs. Alors souvent EDF ou le CEA vous présente ça comme un coup politique uniquement, mais il faut reconnaître qu'il n'y avait plus que ça.

V. : Est-ce que ça pourrait se reproduire avec le truc de fusion de Cadarache par exemple ou... ?

S.D. : Non, enfin, ça peut se reproduire avec Astrid, avec le sodium, parce qu'en gros...

V. : Parce que ça fait quand même une belle attaque de la part de l'opposition de dire : on a voté, on a dit qu'on voulait arrêter Superphénix.

S.D. : C'est les Verts qui voulaient arrêter Superphoenix, et c'était 12%. Il n'y avait pas eu de referendum sur ce truc là, c'est juste un jeu politique pour avoir la majorité, il fallait les députés Verts, donc je ne pense pas qu'on puisse dire que l'opinion a voté contre Superphénix, enfin peut-être qu'à l'époque - moi je connais plein de gens pro-nucléaire assez aujourd'hui qui a l'époque ont écrit des manifestes anti Superphénix. C'était pas le même monde - enfin il n'y avait le défi climatique, en gros - il n'y avait pas de problème climatique et la Chine, elle était à plus 1% de croissance par an et non pas 10 ; ça change vite, la Chine. Et le baril, il était à 8 dollars, et on se demandait s'il allait passer à 10 dollars. Moi, quand j'étais en thèse - c'était en 98 - j'ai assisté aux conférences sur l'énergie où le directeur de l'AIE expliquait par a+b que le baril ne dépasserait jamais les 18 dollars pour des raisons politiques, « l'OPEP voulait pas ». Et un an après, il était à 60. Et les prospectives énergétiques de l'an 2000 : il y avait trois scénarios sur le pétrole. Prix bas, prix moyen et puis tensions sur le prix du baril. Tensions sur le prix du baril en 2050, combien ? 30 dollars ! Et le scénario AIE « baseline » : 65 dollars aujourd'hui en 2050, enfin c'est dingue vous voyez ! Il change tout le temps, et il y a une certaine inertie dans la - enfin je trouve - la réalité mais un peu de temps à arriver à certains cerveaux. Oui donc Astrid : on peut se retrouver dans la même situation où finalement le nucléaire ne se développe pas. Imaginez qu'il y ait un accident grave en Inde - ils sont en train de faire un réacteur à sodium - donc imaginez qu'il y ait un accident grave sur le sodium en Inde, à mon avis, ça calme tout le monde. Du coup, on peut très bien arriver à un moment où finalement, le réacteur sodium n'a pas vraiment d'intérêt, d'un point de vue économique. Et la deuxième chose, c'est qu'il faut être conscient quand même que - on parlait de faisabilité - ce n'est pas du tout acquis que ce soit commercialisable. Que ce soit faisable, oui, comme je vous l'ai dit, on en a fait donc on sait qu’à quelques réacteurs on peut le faire, mais si ça s'impose d'un point de vue économique, c'est des centaines. C'est une lapalissade, mais si on a besoin de gén4, c'est parce qu'il y a plus de 1000 réacteurs dans le monde, donc il faudra faire plus de 1 000 gén4 à un moment donné, alors est-ce que le sodium est capable de se disperser sur la planète à hauteur de centaines de centaines de réacteurs, dans des conditions acceptables de sûreté, de gestion des matières, de recyclage, etc ? Personne peut dire absolument oui aujourd'hui ; je pense même EDF, ils ne sont pas du tout convaincus. Donc si vous voulez, ce n'est peut-être pas la voie du sodium qui est - il y a des alternatives au sodium qui sont encore plus compliquées à faire, mais qui ont peut-être un potentiel de déploiement à long terme plus important. Le RNR gaz par exemple. Il n'est pas simple, mais je veux dire, on remplace le sodium par du gaz pour refroidir le cœur, et je vous ai dit tout à l'heure, on travaille sur des sels fondus, donc ça c'est plutôt gén5, mais ça peut avoir pas mal d'avantages. Mais aujourd'hui, on ne sait pas faire des matériaux qui tiennent à l'irradiation, à la corrosion, donc il y a plein de problèmes qui se posent ; mais si vous voulez, si le nucléaire se développe lentement - moi je trouve que c'est un scénario qui est plausible - on va avoir besoin de gén4, en 2080, et les mecs qui vont démarrer sur gén4 en 2050, ils ne feront sûrement pas du sodium, quoi. Donc oui, il y a deux risque à Astrid : le fait qu'il soit inutile, et puis le fait que quand on aura vraiment besoin de gén4, on s'apercevra que le sodium n'est peut-être pas la meilleure voie pour un déploiement massif, donc mettre toutes les billes dans le sodium, c'est très compliqué parce que...

V. : Donc là, on arrive une grande critique des écologistes : le choix de dépenser de l'argent pour le secteur nucléaire plus largement. Il y avait notamment l'argument qui disait que si on investissait autant dans les énergies renouvelables que dans le nucléaire, on produirait autant d'énergie.

S.D. : On installerait autant de GW, ce qui est un petit peu différent. Si vous regardez, une éolienne, ça tourne 20% du temps - donc si vous voulez installer 1 GW éolien, c'est aussi cher qu'un GW nucléaire sauf que ça fait 5 fois moins d'énergie - et d'autre part, on oublie aussi de dire qu'une éolienne, ça dure 20 ans, et que donc en fait il faut en construire 3. Parce que les matériaux s'usent, la durée de vie c'est en gros 20 ans. Alors que le réacteur, il est fait pour 60 ans. Alors après avec les taux d'actualisation, et compagnie, tout ça c'est distordu, parce que le fait que vous deviez payer le réacteur en entier à instant t, vous empruntez... donc on peut vachement tordre, mais le fait est que l'on compare tout le temps dans les médias les GW éoliens et REP - enfin et nucléaire - et là, il a un bon facteur 4 sur l'énergie réellement produite. Sans parler que c'est intermittent, enfin bon bref, donc c'est quand même pas comparable quoi.

V. : Notamment, j'avais vu - c'est vrai, c'était pas éolien, c'était plutôt solaire, centrales solaires - où on disait que ce qui était critiqué c'est qu'au début du nucléaire on pensait qu’on aurait du mal à atteindre des rendements élevés et que ce serait très compliqué à faire, et donc ils disaient que si on investissait de la même manière dans le solaire, on s'apercevrait peut-être d'ici 10 ou 20 ans qu'on peut effectivement produire beaucoup plus que ce qu'ils considèrent à l'heure actuelle.

S.D. : Oui enfin ça, c'est l'argument classique. D'abord moi je ne suis pas du tout pour opposer renouvelable et nucléaire. Quand je vous ai dit : il faut faire 20, on a droit à 4 de pétrole, en gros, il faut faire du stockage CO2, du renouvelable et du nucléaire, trois fois cinq. Donc trois fois cinq de nucléaire ça fait 2 000 réacteurs, 5 de renouvelable, ça fait 2 MTep d'éoliennes, 2 GTep de barrages - enfin je veux dire vous mettez tous les potentiels des renouvelables au max, vous arrivez à 5-6 - et après vous avez encore 10 milliards de tonnes de CO2 à stocker chaque année. La compétition nucléaire-renouvelable, stockage économie tout ça, pour moi c'est vraiment des discussions du passé. Les mecs qui vous font croire qu'on va sauver le monde avec les renouvelables seuls, ou avec les économies seules, ça c'est pas vrai.

V. : La question à l'heure actuelle c'est la répartition du budget, ce qui n'est pas du passé, ça.

S.D. : Oui mais les Etats-Unis, ils mettent beaucoup plus dans la recherche sur le renouvelable que la France dans le nucléaire, est-ce que c'est pour ça que leurs panneaux font de l'électricité à 3 centimes ? C'est pas évident - je veux dire, le photovoltaïque - encore une fois, il faut en faire cinq, mais je ne vois pas comment c'est possible avec le PV, en terme de coût.

V. : Globalement tout gravite plus ou moins autour d'une question économique, au final ?

S.D. : oui, surtout dans un marché libéralisé, mais ça pour moi, c'est un mystère, c'est un mystère. Parce que vous prenez le coût du panneau photovoltaïque égal à 0 - on ne peut pas faire mieux, d'accord ? Vous arrivez à une électricité qui est 3 à 4 fois plus cher que le nucléaire, simplement avec les structures des panneaux, les onduleurs, les câbles. C'est très dilué le soleil, donc il faut une grande surface, quoi. J'ai un collègue, il a pris le coût d'un hangar agricole, qui est en gros la structure la moins chère à construire. Il avait dit : je prends ça comme coût, je prends un hangar agricole et je le couvre de panneaux qui ne coûtent rien. On peut faire difficilement mieux, quoi, il arrive à un coût d'électricité qui est encore trois fois plus cher que le nucléaire, donc le PV c'est pas gagné quand même. En terme de coût. Après, on a le droit de dire « la société accepte de développer massivement une technologie, et de payer plus cher l'électricité », ça on a tout à fait le droit de faire ça, mais quand on fait des scénarios économiques qui sont des optimisations du coût, pour moi c'est un mystère de voir le PV. En plus, il monte pas très haut. Vous arrivez à 0,5 GTep de PV en électricité, sur 20. Et par contre vous avez des barrages à 2 GTep, de l'éolien à 1 ou 1.5, le solaire à concentration - qui pour le coup est lui aussi assez cher, mais qui a quand même l'avantage de pouvoir gérer l'intermittence. Ça c'est quand même...

V. : Donc par réflexion, cette fois, ça.

S.D. : Ouais : on centre les rayons sur une tour - vous savez c'est cylindro-parabolique - et après on fait un cycle thermodynamique, et du coup on passe par la chaleur, et on peut stocker la chaleur quelques heures, et ça veut dire qu'on peut vachement lisser la production sur la journée, ou éventuellement même produire pendant la pointe du soir ce qu'on va stocker la journée. Enfin... ça reste cher, mais ça va être plus souple d'utilisation, je pense.

V. : Et alors dans un contexte d'optimisation économique de l'énergie, dans ce cas là, pourquoi justement donner finalement une part aux énergies renouvelable si le nucléaire est moins cher, pourquoi pas faire que du nucléaire, par exemple ?

S.D. : Alors dans les prospectives économiques de l'énergie - sur lesquelles j'ai un peu travaillé ces derniers jours avec des économistes - j'ai appris et je leur disais ça : « mais je ne comprends pas, parce que le nucléaire c'est moins cher, alors à part les études anti-nucléaires, mais je veux dire c'est à peu près comme le charbon plus ou moins 10%, dès qu'on met 50 dollars la tonne de CO2 par exemple, le charbon coûte plus cher ». Donc je leur disais : « c'est un mystère pour moi, vous faites un scénario où vous montez la tonne de CO2 à 100-150 dollars, et le nucléaire ne se développe pas dans votre prospective ». On reste à quelques TWh. Et ils disent : « ah oui mais c'est normal parce que tu comprends, si on met le vrai coût du nucléaire, on aurait une modélisation qui collerait pas à la réalité d'aujourd'hui, parce qu'on ne fait pas du nucléaire pour d'autres raisons que le coût, parce que l'acceptabilité sociale, parce que Three Mile Island, etc. » Donc on met un coût fictif, donc c'est un curseur qui permet d'expliquer que le nucléaire est à un niveau très faible aujourd'hui, et on laisse le coût pour la suite, donc on modélise la non-acceptabilité supposée depuis 40 ans de nucléaire par un coût fictif, et après on dit « vous voyez le nucléaire ne se développe pas » ! Ah oui, mais on oublie de dire qu'on a mis le prix pour qu'il ne se développe pas.

V. : Donc en fait, on introduit les paramètres politiques en euros, quoi.

S.D. : Oui c'est ça. Et après, le mec, il te dit « mais je suis obligé parce que si je ne le mets pas, je fais que du nucléaire ». Nan mais c'est ça, quoi !

V. : Après, on extrapole en considérant que le politique n'évolue plus ou qu'il n'y a plus d'enjeux.

S.D. : Non, mais encore une fois, moi je ne dis pas qu'il faut faire que du nucléaire, mais après c'est la validité de la prospective. Qu'est-ce qu'on veut prouver avec un calcul comme ça ? Puisqu'on trouve finalement ce qu'on a mis dedans ! Et encore une fois, ce n'est pas un problème si on dit bien ce qu'on a mis dedans. Mais je ne suis pas sûr que si vous regardez les prospectives, on vous dit qu'on a mis un coût fictif « fois 3 » sur le nucléaire, quoi.

V. : Il n'existe pas sur le charbon, ou quelque chose comme ça ?

S.D. : Sur le charbon, on le met avec la tonne de CO2, selon les politiques on teste...

V. : C'est celle-là qui serait réelle.

S.D. : Pour l'instant, elle l'est pas.

V. : Mais dans ce cas, vous pourquoi vous voulez, en dehors de toutes ces considérations là, pourquoi vous pensez qu'il faut aussi du renouvelable ?

S.D. : Parce que concrètement, on ne peut pas faire... parce que le nucléaire, c'est quand même spécial, quoi. On ne fait pas une centrale en trois semaines. Enfin je veux dire, il faut des ingénieurs, des techniciens, il faut de l'industrie du béton-béton si j'ose dire, enfin c'est pas n'importe quel béton, il faut toute une structure. Après, on peut dire qu'il peut se développer n’importe comment, mais si on veut un nucléaire, et puis je veux dire, c'est des es qu'il faut quand même savoir piloter, il faut une société stable, capable de gérer des flux de matières dangereuses, sans détournement, donc on ne peut pas clairement imaginer qu'on va mettre du nucléaire partout sur la planète. Et puis après, il faut des sources froides pour refroidir, donc en Afrique ça peut poser des problèmes.

V. : Mais dans un pays comme la France par exemple ?

S.D. : Dans un pays comme la France, on fait ce qu'on peut avec du nucléaire, après il y a des questions de base ; pour l'instant c'est une électricité de base, on ne sait pas gérer les pointes - assez mal disons - donc la France est quasiment au max de ce qu'on peut faire - d'ailleurs elle pense baisser - donc là, l'électricité monte, le nucléaire stagne, et la montée ça va être fait avec du gaz, surtout, pour pouvoir justement gérer les pointes. Donc on ne peut pas faire 100% d'électricité nucléaire, ça me parait un peu rude - et puis il y a les barrages, les barrages c'est pas cher mais le potentiel est limité, donc ça, il faut le faire, et puis c'est très pratique : on ouvre, on éteint. L’Allemagne a plein de charbon, donc quand on a du charbon tout près, qu'il n'y a pas de taxe de CO2, c'est moins cher de faire du charbon, ou c'est à peu près aussi cher, donc on va pas se faire chier à faire des déchets nucléaires des centrales, des problèmes de sûreté quand on peut faire du charbon, quoi.

V. : Alors ça va vous paraître bizarre, mais quand on nous dit tout le temps d'éteindre les lumières et tout ça, on pourrait imaginer que si on éteignait jamais les lumières et qu'on avait une consommation

S.D. : On consommerait plus. C’est-à-dire que tu fonctionnerais en base tout le temps, mais à un niveau plus élevé.

V. : Ça peut pas permettre de réduire les pics.

S.D. : Les fluctuations. Mais ce que tu dis, c'est qu'au lieu d'avoir ça on a ça quoi.

V. : On nivelle par le haut.

S.D. : On en n'a pas besoin.

V. : Mais dans ce cas on pourrait monter le nucléaire jusqu'en haut.

S.D. : Oui mais bon, en même temps on consommerait pas mal d'énergie qui servirait à rien. C'est 10-20%. Ce qui peut aller plus dans ton sens, c'est si on développe la voiture électrique. Si on développe la voiture électrique, on peut imaginer qu'on fait trois réacteurs de plus, qui alimentent les bagnoles hors pointe, c’est-à-dire avec des compteurs intelligents où on les fait tourner... Enfin la consommation c'est ça, on les fait tourner là et puis hors la pointe, tout ce qui est en surplus on stocke dans les voitures, ça c'est tout à fait possible. C'est-à-dire l'introduction des voitures électriques, c'est un moyen de stockage d'énergie, et c'est un moyen de gérer les pointes de consommation. Si les gens acceptent des réseaux, des compteurs qu'ils ne maîtrisent pas, il y a tout un aspect un peu sociologique.

V. : Dans ce cas, s'il y a la voiture électrique, tout le monde se rechargerait en rentrant du boulot le soir.

S.D. : Ah là du coup, non ! Mais ça dépend, parce que l'énergie, en plus dans un marché libéralisé, l'électricité de pointe est très très chère, parce que le marché a peur de manquer, donc il réagit à la peur en augmentant les prix. Donc du coup, il y a des modèles économiques qui peuvent être - si on a un compteur qu'on ne maîtrise pas - c’est-à-dire EDF qui allume ou qui éteint quand il veut, ça veut dire que l'électricité est très peu chère, c'est ça le deal, c'est ça qui rend acceptable le truc, c'est déjà ce qu'on fait avec les chauffes-eau. Je ne sais pas si vous avez des chauffes-eau électriques, mais en gros...

V. : Oui mais les chauffes-eau, ils sont en permanence connectés au réseau, ce qui n'est pas le cas de la voiture.

S.D. : Oui mais ils ne chauffent pas tout le temps. Moi, j'ai un chauffe-eau avec un abonnement à double tarif, donc le chauffe-eau ne chauffe que la nuit, quand le tarif est moins cher, c'est déjà une façon de gérer les pointes pour EDF. Donc on pourrait imaginer que pendant les pointes le kWh soit à 20 centimes, et hors pointe, là vraiment où c'est pas cher, là il soit très peu cher, 6-7 centimes, quoi. Mais on fait déjà ça avec les Suisses. Vous savez qu'on vend l'électricité la nuit au Suisses, qui remontent l'eau dans les barrages, et qui revendent le lendemain en appoint aux Italiens.

V. : Ça se déplace comme ça !

S.D. : C'est vrai. Donc franchement je pense qu'on ne peut pas tout faire avec le nucléaire, mais en gros quand je dis 2 000 réacteurs, je dis des pays qui sont déjà nucléarisés, que ce soit civilement ou militairement, Europe, États-Unis, Chine, Inde, le reste de l'Asie, la Corée, vous faites ça un peu en Amérique du Sud, et vous faites 40% de l'électricité de ces pays-là - c'est-à-dire deux fois moins que la France - et bien vous arrivez à 1700 réacteurs, donc c'est pas du tout irréaliste, donc les mecs qui me disent c'est pas possible, je comprends pas parce que ça a déjà été fait, il y a un théorème d'existence. Ça a déjà été fait à grande échelle en France, et les États-Unis étaient partis pour le faire.

V. : Et c'est les accidents globalement qui ont bloqué le développement ?

S.D. : Ouais, et puis le contrechoc pétrolier, le coût du pétrole s'est effondré, donc... Et puis après par contre, dans les scénarios économiques, ce qui peut faire que le nucléaire se développe peu, là il y a des vrais arguments de capitaux, encore une fois il faut sortir de l'argent à t0, et puis ça dure 60 ans, quoi ! Alors qu'une centrale à gaz, on sort peu d'argent mais c'est le gaz qui coûte, donc c'est pas pareil, du coup selon les taux d'actualisation, les temps de retour, le coût du nucléaire peut changer d'un facteur 2 et peut ne pas sortir.

V. : Ne pas sortir, ça veut dire à très court terme ?

S.D. : C'est-à-dire il peut rester toujours au prix du charbon. C'est le charbon le concurrent, enfin en tout cas sur le moyen terme. Parce qu'aujourd'hui c'est le gaz, mais si on dit que le gaz va monter comme le pétrole, très vite c'est le charbon qui devient concurrent.

V. : Et alors qu'est-ce qui a motivé la relance des dernières années, parce que les premiers éléments de relance remontent au début des années 2000 ?

S.D. : Pour moi, c'est déjà la Chine à 10% par an. 50 GW par an de plus d'électricité installée, enfin je ne sais pas si vous vous rendez compte : c'est une centrale par semaine en plus ! Non mais c'est vrai, je trouve qu'on ne se rend pas compte. Personne n'avait prévu que la Chine passerait à plus de 10% de croissance, et cette année, ça a été la crise, ils sont à 8. Donc il y a la Chine, donc le prix du baril qui est monté ; la contrainte climatique, ça joue vachement quand même. Encore une fois, moi j'ai des collègues plutôt universitaires, il y a vingt ans ils étaient antinucléaires, maintenant ils sont pro-nucléaires à cause du problème du climat, donc il y a quand même des choses qui changent dans la perception : le baril à 150 dollars et les émissions de CO2 qu'il faut réduire, tout de suite l'opinion est un peu plus favorable au nucléaire, je pense. Je ne sais pas vous ce que vous en pensez. Non mais pro, tout ça, c'est un peu réducteur, mais, enfin... Ce qui est dur, c'est de - dans la discussion pro ou anti - ce qui est assez facile, c'est de savoir les risques qu'on prend à faire du nucléaire, mais ce qui est dur c'est de connaître les risques qu'on prend à ne pas le faire. Et on ne se pose jamais vraiment la question. Si on ne fait pas de nucléaire, c'est soit énormément de CO2, soit une production d'énergie plus faible, et donc des tensions géopolitiques énormes, enfin.

V. : On n’en parle pas trop, mais c'est vrai que... Le coût du carbone, je crois que ça, ça commence à rentrer un peu, mais par contre c'est vrai que les tensions géopolitiques qui pourraient être induites par une crise de l'énergie, ça c'est pas l'argument majeur et pourtant c'est vrai que...

S.D. : Oui mais ça pourrait arriver, d'ailleurs le gaz russe, ça commence ! En tout cas la Russie a besoin qu'on lui achète son gaz donc ça devrait aller, mais je veux dire, ça peut arriver vite.

V. : Quand on voit que les gens s'offusquent par exemple de l'augmentation des prix du gaz, on a l'impression qu'ils n'ont pas encore conscience que l'énergie doive monter.

S.D. : Quand le baril était à 150 dollars, les routiers faisaient la grève, les taxis faisaient la grève. Alors que selon moi, ils devraient plutôt se préparer à un baril à 150 dollars pendant plusieurs années, quoi.

V. : Il y a un problème au niveau de l'information, peut-être. Ça, c'était une question : Est-ce que l'information passe bien à propos du nucléaire ? On a l'impression qu'on cache des choses, qu'on prend des décisions sans solliciter l'opinion alors qu'elle n'est pas forcément pro-nucléaire.

S.D. : Moi je suis partagé, parce que déjà sur le nucléaire il y a eu deux débats publics : celui sur l'EPR, sur les déchets ; les gens, ils ne viennent pas. Moi j'ai participé aux débats l'EPR et les déchets, les gens ils viennent pas c'est les assoces qui viennent - vraiment ils ne viennent pas ! Il y a eu un débat à la Villette. Ou alors ils viennent, c'est quand ils habitent là où on va stocker des déchets. Mais je veux dire à Paris, 10 millions de personnes en Île-de-France, il y avait peut-être cinq personnes du grand public dans le public, bon allez, je vous la fais même à 20. Mais 20 personnes, il y avait 200 CEA, costume-cravate, derrière il y avait 200 antis donc la barbe et la chemise à carreau, et derrière 20 mecs du grand public qui venaient là, ils comprenaient rien au débat, déchets, pas de déchets, matière valorisable, enfin je veux dire c'était un débat d'initié.

V. : C'était pas accessible ?

S.D. : C'était pas accessible, mais en même temps c'est parce que les gens viennent pas... Ça se mord la queue. C'est parce que les gens viennent pas que c'est pas accessible. Et puis je trouve, médiatiquement, on continue toujours à opposer renouvelable, économie d'énergie, nucléaire - de moins en moins, mais je trouve c'est... Moi je me suis fait piéger par Arte, je suis passé à truc, ils m'ont fait comparer le réacteur au photovoltaïque, 30 millions de mètres carrés de panneaux pour un réacteur nucléaire, et juste après j'ai dis « passez pas ça comme ça parce que, encore une fois, il ne faut pas opposer les deux, », ils l'ont passé quand même ! Donc ça parle, ils cherchent un peu toujours l'opposition et le débat, quoi. Il y a peu de gens qui disent que le nucléaire va régler tout. Donc il y a besoin des renouvelables, il y a besoin des économies d'énergie, etc.

V. : Donc est-ce que globalement les contraintes qu'essaient d'imposer les écologistes et les revendications de ceux qui sont contre influencent quelque part le développement du nucléaire ?

S.D. : Ah oui, moi je pense que - oui, en Allemagne pour l'instant, le nucléaire il s'arrête à cause des écologistes.

V. : Est-ce que ça reflète l'opinion de la population ?

S.D. : Ah je pense.

V. : Ou simplement des arguments chocs assenés ?

S.D. : C'est dur à savoir. Tous les Danois que je connais, ils sont antinucléaires ; j'en connais pas beaucoup, une dizaine.

S.D. :Non mais je pense que ça reflète - il y a des peuples qui sont assez antinucléaires, pour des raisons... En plus, on peut - je veux dire c'est pas rien un réacteur, si on peut faire autrement, autant faire autrement. Après, si on peut s'en passer, est-ce qu'il faut s'en passer ? C'est plutôt ça la question. Parce qu'il y a quand même une idéologie de plus en plus répandue qui dit que finalement, l'énergie c'est pas bien, il faut réduire les consommations, etc. Mais on ne se rend pas compte quand même de l'apport de l'énergie au fonctionnement d'une société, quoi. Croire qu'on peut baisser la consommation d'énergie d'un facteur 4 comme ça...

V. : Non, c'est quelque chose qui n’a jamais été fait dans l'histoire.

S.D. : Si, pendant la guerre. C'est ça, c'est exactement ça. Pendant la deuxième guerre mondiale, on a baissé d'un facteur 4 la consommation d'énergie. Cette année, la consommation d'énergie a baissé de 2%, donc au prix de 300 000 chômeurs. Non mais, il y a des prix à payer.

V. : C’est-à-dire qu'on a jamais engagé de politique volontaire de baisse d'énergie. Parce que ça correspond en fait - c'est plus l'idée qu'on pense, enfin - une dégradation de la société telle qu'on la connaît. Mais après...

S.D. : Et après les gens ils mélangent, ils restent ambigus, les vrais décroissant purs, ils restent ambigus sur l'efficacité énergétique et la consommation de l'énergie parce que l'efficacité énergétique, on ne peut pas être contre, mais bon c'est moins d'énergie, ça c'est de l'efficacité énergétique. Dans tous les domaines, l'efficacité énergétique augmente. Les voitures consomment moins, mais ce qu'on oublie de dire, c'est que les gens roulent plus, donc la consommation d'énergie - moi je ne connais pas d'exemple où la consommation de l'énergie a baissé, par contre partout l'efficacité énergétique augmente. Donc quand on me dit que l'efficacité énergétique va sauver la planète, c'est pas aussi simple ça, parce que malgré une efficacité énergétique qui est de mieux en mieux, la consommation totale d'énergie augmente : on consomme moins de litres au cent mais on fait plus de km. Dans les logements c'est pareil. On nous dit « on peut consommer quatre fois moins dans les logements », et puis on fait 300 000 logements neufs par an sur 3 millions de logements, donc 1% par an. Donc en 100 ans, paf, on a remplacé le tout. Les gens, ils oublient que quand on fait 300 000 logements neufs, on en détruit 30 000, donc les 300 000, c'est des logements en plus. Donc c'est de la surface en plus à chauffer, pour une population qui stagne. Vous voyez ce que je veux dire.

V. : Est-ce que les anciens sont abandonnés ?

S.D. : Non ils sont pas abandonnés, c'est parce que le nombre de personne par foyer diminue, parce que les gens achètent des maisons de campagne ; donc en gros si vous voulez, on diminue les kWh par mètre carré, mais on augmente les mètres carrés. C'est toujours comme ça. Il n'y a pas d'exemple significatif où la consommation baisse. Sur les Champs cette année, ils ont mis des ampoules basse consommation, ils en ont mis cinq fois plus, donc elles consomment deux fois moins, ils en ont mis cinq fois plus, j'ai hurlé de rire à la télé quand j'ai entendu ça l'autre fois.

V. : C'est que deux fois moins, il me semblait que c'était plus que ça ?

S.D. : Je ne sais plus mais en gros...

V. : Je croyais que c'était un truc du style dix fois.

S.D. : Non non, ça c'est - moi j'en ai acheté, ils en annoncent 4 fois moins de consommation, et en fait la lumière produite est deux fois moins grande. Il faut acheter deux ampoules pour faire la même. Elle dure pas du tout aussi longtemps que prévu. Ils disent 10 000 heures, tous les gens que j'ai vu qui en ont achetées il y a deux ans les ont déjà changées. C'est la merde, c'est atroce. C'est un peu l'arnaque, bon bref.

V. : Finalement est-ce que l'EPR c'est vraiment quelque chose...

S.D. : Est-ce que l'EPR est un projet d'avenir ? Oui bien sur.

V. : Est-ce qu'il a des chances de s'imposer sur le marché de l'électricité, sachant que notamment, les camps adverses disaient qu'on avait pas besoin de renouveler le parc pendant ce temps.

S.D. : Alors en France, on va commencer à devoir renouveler le parc en 2020, donc ça veut dire en gros, c'est ça l'EPR, c'est « on fait pour être sur que dès qu'on va devoir renouveler le parc, on sache les faire en 4 ans », et qu'on puisse - alors ça, ça dépend beaucoup de la durée de vie des centrales actuelles qui sont à 40 ans et en gros, EDF va essayer de les passer en moyenne à 50-55 ans. Donc si on arrive à les passer à 55 ans, le scénario dit qu'on doit renouveler le parc entre 2020-2050. D'accord, ça lisse la baisse alors que c'est monté beaucoup plus vite que ça : dans les années 70 on a fait 7 réacteurs par an - enfin le maximum - on a démarré 7 réacteurs la même année, quoi. Bon, donc entre 2020 et 2050, comme l'EPR est plus puissant, il a un facteur de charge meilleur, en gros c'est un EPR par an qu'il faudrait faire. Et ça, c'est en prolongeant la durée de vie à 55 ans. Donc c'est pas idiot de faire un EPR un peu avant pour se faire la main. Il y a ça, et puis il y a aussi le fait que si on veut en vendre à l'étranger, c'est pas idiot de se faire la main un peu chez soi, pour dire aux autres : « ben vous voyez nous on en achète un ».

V. : Dans cette hypothèse là, le fait d'en avoir fait en Finlande en premier, c'était peut-être une erreur ?

S.D. : Oui, ça, c'était pas terrible. En plus, il y a problème de contrôle commande, ils voulaient du mécanique, alors que c'était du numérique. C'est pas la même chose de se faire la main en Finlande qu'en France, si j'ai bien compris.

V. : Dans l'hypothèse où on remplace tout le parc nucléaire, il faudrait replanter les EPR sur des sites déjà existant ?

S.D. : Ça je ne sais pas, enfin oui-oui, je pense, il y a pas mal de centrales, donc la centrale c'est un ensemble de réacteurs où il y a des sites libres encore. Flamanville, Penly, c'est sur un site où il y a la place, je ne sais pas combien il y a de places.

V. : Je ne sais pas. A Gravelines il n'y en a plus...

S.D. : A Gravelines, il n'y en a pas six déjà ? Oui donc six c'est plein.

V. : Alors après, ils ont des problèmes, parce que quand ils sont au bord des fleuves ils ont des niveaux de rejets, ils ont pas le droit d'en remettre, ils sont obligés de mettre des aéros et c'est un peu chiant.

S.D. : Ce sera sûrement au bord de la mer. Mais encore une fois, il y en a plus que trente. 60 réacteurs aujourd'hui, en EPR ça fait 34 réacteurs. C'est pas le même nombre de réacteurs en fait, donc ça prend moins de place. Mais je pense qu'il faudra refaire des centrales. Parce qu'on ne peut pas imaginer qu'on va décontaminer, casser un réacteur pour en faire un autre dessus, ça va prendre un peu de temps.

V. : A chaque fois il y aura du coup du débat avec les communes qui sont autour, ça peut s'initier rapidement ce genre de choses. Parce que là, pour l'instant, on avait vu que les maires des communes toutes proches étaient relativement contents, parce que ça leur permet de se développer - après c'est vrai, on arrive dans un creux si on s'écarte un petit peu et si les maires n'ont plus les avantages.

S.D. : En plus ils ont déjà la centrale, donc pour eux ça change rien, c'est que du fric en plus. Le problème, ça se posera pour faire une nouvelle centrale je pense. Et puis quand il y a une centrale, il y a déjà les lignes, enfin peut être pas d'ailleurs à Flamanville, ils sont en train de créer des nouvelles lignes mais...

V. : C'est possible de savoir quand on parlait des coûts, on prenait pas en compte les coûts de démantèlement.

S.D. : Oui alors ça...

V. : Et l'expérience aussi, le fait qu'on ne sache pas encore vraiment comment bien démanteler une centrale.

S.D. : Oui tant qu'on l'a pas fait, on ne sait pas très bien. Mais alors les coûts c'est la magie du taux d'actualisation. Quand on construit un réacteur, vous intégrez les coûts du démantèlement qui aura lieu donc 50 ans de fonctionnement, 30 ans avant de démanteler, donc ça fait 80 ans, vous placez de l'argent à 3%, vous mettez un centime, et vous avez les 100 millions qu'il faut pour démanteler, enfin je veux dire c'est vraiment ça. Donc moi, j'ai pas trop de compétence là-dessus, mais il y a des grands débats justifiés sur les coûts réels du nucléaire, sachant que les calculs sont faits avec des taux d'actualisation. Quel sens physique ils ont, quel sens réel ils ont, quand c'est sur des durées de 80 ans ou 100 ans, c'est vraiment - ça pour le coup, c'est difficile de répondre à ça. Et les déchets c'est pareil. Le coût des déchets, c'est nul parce que c'est actualisé. Il suffit de mettre 1 000 euros aujourd'hui, vous placez à 8% pendant 100 ans.

V. : On pourrait le placer et utiliser le fric pour autre chose.

S.D. : C'est le principe du taux d'actualisation, c'est que tu places ton argent, qui sert à produire de la valeur, et puis tu le récupères quand t'en as besoin, enfin je ne suis pas sûr de maîtriser tous les tenants et les aboutissants des taux d'actualisation, mais en tout cas, c'est un paramètre qui influence énormément les calculs de coût.

V. : Sinon comme argument anti encore : celui du nombre d'emplois créés, moindre pour un kW installé nucléaire...

S.D. : Ça, je ne sais pas : moi j'ai entendu l'inverse, enfin j'entends les deux, donc je ne sais pas. C'est peut être pas l'inverse, c'est dire que c'est des emplois qualifiés, ça pousse à payer mieux les gens. Ça me fait toujours marrer. C'est comme l'agriculture biologique, c'est bien parce qu'il faut plus de paysans. Ils oublient que les gens, ils ne veulent plus travailler la terre à la bêche.

V. : Sinon, on pourrait envisager d'aller dans la rue renverser les poubelles, on pourrait créer des emplois, c'est pas des arguments forcément recevables, aussi.

V. : L'EPR, est-ce que c'est vraiment radicalement différent des problématiques qu'on a avec un autre réacteur ?

S.D. : Là où ça peut être intéressant pour vous, c'est de comparer les réacteurs gén3 sur le marché, parce qu'il y a l'EPR, il y a des bouillants, il y quand même des réacteurs sino-russes ou russo-chinois qui sont annoncés à des coûts assez compétitifs, mais avec des niveaux de sûreté qui sont moins bons ; c’est-à-dire il y pas le récupérateur de corium, pas la double enceinte. Je dirais qu'à moyen terme, est-ce que le monde va faire de l'EPR, ou du russe, ou des deux ? A priori ce serait plutôt les deux. Ça dépendrait de l'équilibre entre l'économie et le niveau de sûreté. Mais en même temps, c'est assez lié. Si vous avez un problème sur un réacteur russe, même en Corée du Sud, c'est pas sûr que les gens commencent à acheter de l'EPR pour autant. Il y a ça ; il est semble-t-il assez cher, et il est très puissant : 1 650 MW. Alors qu'il y a des bouillants à 800, la P1000, c'est 1 000 MW, et donc là on entend un peu les deux sons de cloche. C’est-à-dire : il y a des gens qui disent « il est très puissant donc c'est bien parce qu'on a besoin de besoins concentrés », notamment en Chine dans les mégapoles, etc, et puis il y a pas mal de gens qui disent « c'est pas adapté, c'est trop concentré, il y a un grand marché pour des réacteurs plus petits ». Pour l'instant, on voit pas trop poindre, mais... A mon avis l'EPR n'est pas adapté à tous les marché nucléaires qui viennent. Il y aura sans doute besoin de réacteurs plus petits, notamment pour des pays un peu émergents, les pays de l’Est par exemple, je ne suis pas sûr qu'ils aient besoin de réacteur de 1 650 MW ; la Syrie, ils avaient calculé qu'un EPR, ça faisait exploser leur besoin en électricité !

V. : Par contre, à proximité de Shanghai, c'est pas mal.

S.D. : AREVA dit toujours qu'ils vont faire des petits réacteurs modulaires, des réacteurs à gaz haute température, donc là, ils auraient une gamme de réacteurs entre 200 et 600 MW électriques, typiquement pour des pays qui ont des besoins plus faibles. Mais ce qui est dur, le coût du réacteur, c'est pas très lié à la puissance en fait. Plus il est puissant, moins il est cher d'une part. Donc si on crée l'EPR à 1 000 MW il coûterait aussi cher en schématisant - c'est pas vrai mais bon - c'est pas linéaire quoi, c'est pas proportionnel.

V. : Mais est-ce que le débat serait différent sur l'EPR que par exemple sur la gén4 - il y a quelques chose de spécifique, ou c'est simplement savoir quel va être le meilleur à choisir ? Parce que quand on lisait des articles, on avait vraiment l'impression que c'était catastrophique l'EPR ; le point de vue était certainement pas totalement objectif, mais comparé à d'autres réacteurs, on avait l'impression que c'était l'erreur. Est-ce que quand on sera par exemple au débat sur la gén4, on aura la même impression que c'est l'erreur, que pour l'instant on avait fait des choses pas trop mal ?

S.D. : Non, il est quand même dans la continuité. Je ne suis pas sûr que ce soit une erreur technologique, quand même. Enfin moi j'ai plutôt confiance. Après, est-ce que c'est une erreur marketing ? ou est-ce que c'est un peu trop cher ? est-ce que la puissance est trop grande ? Ça c'est autre chose, mais en même temps, si le nucléaire se développe, enfin joue un rôle, il y a aura un marché pour des réacteurs comme ça, très puissants, très concentrés quoi, et c'est - je sais pas... Mais par contre, s'ils mettent 12 ans à le construire à Penly, Flamanville et en Finlande, là ils risquent de souffrir.

V. : De perdre la crédibilité?

S.D. : Oui, et puis le taux d'actualisation ! Parce que ça marche aussi comme ça quoi, si vous faites votre calcul de coût sur 4 ans et que vous prenez 8 ans, alors là vous explosez les coûts, parce que pendant 3 ans vous comptiez amasser tant de milliards par an de vente d'électricité que vous avez pas, que vous devez payer, c'est extrêmement pénalisant. C'est ça le challenge quoi : est-ce qu'ils vont réussir à le faire dans des délais corrects ?

V. : Un des grands arguments d'AREVA, c'est le fait qu'ils aient de l'expérience, de la sûreté etc, par rapport au réacteur sino-russe qui sort un peu de nul part, mais si alors en plus ils mettent 12 ans à l'installer, en Chine, il y aura plus que des réacteurs...

S.D. : Mais c'est vrai qu'on entend quand même pas mal de truc en disant "on a voulu faire trop compliqué, c'est trop cher, c'est trop long à installer". Moi j'ai un collègue au CNRS - il pensait que le nucléaire ne se développerait pas parce que c'est trop lourd, et puis quand il a vu le réacteur russe, il a dit « ah finalement si, le nucléaire va pouvoir se développer, mais pas avec l'EPR ». Je pense que les contraintes sûreté vont jouer un rôle, en tout cas dans des pays...

V. : C'est un peu un réacteur pour riche.

S.D. : Oui, mais en même temps c'est du nucléaire, donc mettre des niveaux de sûreté un peu haut, c'est quand même pas une connerie.

V. : Ça joue sûrement un petit peu dans les pays qui sont un peu moins regardant.

S.D. : La Chine, elle, a plutôt envie d'assez vite faire ses réacteurs, donc il y a toute la question de transfert de technologie qu'AREVA a refusé, les Russes ont accepté. Je pense que la Chine va assez rapidement - ils vont faire des réacteurs 1 000 euros le kW installé.