Lancer l'EPR pose de nombreuses questions quant à la nécessité de tels moyens de production pour assurer la consommation énergétique de la France dans le futur. Il s'agit non seulement d'aborder cet aspect d'un point de vue purement énergétique (la France va-t-elle manquer de moyen de production ?), mais également de savoir si la voie envisagée est la meilleure. Bien entendu, tout l'objet de la dispute réside dans l'ambiguïté du mot « meilleur » car, une fois de plus, cela dépend beaucoup des opinions de chacun.
On peut donc d'emblée se demander si les besoins de renouvellement du parc justifie la construction de nouvelles centrales.
Dans la mesure où le parc actuel permet déjà de satisfaire la consommation électrique de la France (du moins en ce qui concerne la capacité en base), il est tout à fait légitime de se demander si l'apport des réacteurs EPR sera réellement utile et ne servira pas uniquement à répondre aux périodes de pointe de consommation. Ceci est d'autant plus important qu'il faut bien avoir à l'esprit que les tranches de réacteurs nucléaires sont très lentes à démarrer et à arrêter ce qui implique que l'énergie nucléaire ne doit être utilisée (si elle est utilisée) que pour satisfaire la capacité en base.
Ainsi, certains adversaires au projet dénoncent le fait que la mise en service de l'EPR de Flamanville prévue pour 2012 ajouterait aux moyens de production existants une capacité supplémentaire de production que les prévisions de l'évolution de la consommation électrique ne justifieraient pas. Pourtant l'association Sauvons le Climat affirme que « sans mise en place de moyens nouveaux de production la France deviendra importatrice avant 2012 »18.1. Cela met d'emblée en avant le fait que les prévisions de la consommation est assez délicate étant donné qu'elle repose inévitablement sur des imprécisions qui peuvent s'avérer suffisamment conséquentes pour que des études basées sur des données initiales similaires puissent aboutir à des conclusions opposées (voir l'extrait de l'interview de Sylvain David portant sur l’utilisation des chiffres 21). C'est d'ailleurs ce constat que dressait l'ACRO (Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'ouest), déplorant que « les mêmes chiffres sont utilisés [...] par les différents acteurs pour arriver à des conclusions diamétralement opposées » ce qui amène à se demander : « Comment le profane peut-il se faire une opinion ? »18.1. L'information du public est-elle suffisante?
Quoiqu'il en soit, la démarche d'EDF s'inscrit dans une vision à beaucoup plus long terme. En effet, il est prévu que les centrales nucléaires actuelles arrivent en fin de vie entre 2020 et 2030 (cela concerne en fait 46 des 58 unités de production nucléaire mise en service entre 1980 et 1990) d'où une nécessité de renouveler une grande partie du parc à ce moment-là. C'est dans l'idée d'être en mesure de prendre la décision en 2015 (pour avoir le temps d'effectuer l'éventuelle construction des nouvelles centrales) que la mise en service de l'EPR de Flamanville est prévue pour 2012, ce qui laisserait alors un retour d'expérience de trois ans. Ainsi, il serait possible de coomparer avec les autres types d'énergies en fonction des contraintes économiques et environnementales qui sont amenées à évoluer fortement d'ici à cette date.
Si EDF affirme que cela ne préjuge pas des choix énergétiques à prendre vers 2015 pour disposer de moyens opérationnels en 2020
18.1, il n'en demeure pas moins que cela prépare déjà le renouvellement du parc, lequel nous enfermerait dans la voie sans issue du nucléaire
19.3. En outre, il est reproché à EDF que son projet de renouvellement du parc ne tienne pas compte de la durée de vie des réacteurs existants, de l'évolution de la part de marché qu'EDF aura dans les années à venir (qui pourrait diminuer notablement suite à l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité) ou encore de l'évolution de la production due aux énergies renouvelables (et micro-réseaux décentralisés) et de la demande (qui reste très incertaine). Par exemple, le scénario offert par l’association négaWatt « permet de stabiliser puis de réduire notre consommation primaire d’énergie en 2050 à 54 % de sa valeur actuelle […] et aussi de se passer totalement de la production d’électricité nucléaire à partir de 2030 environ, à la fin de vie des centrales actuellement en fonctionnement »18.1. Cela montre à quel point les choix énergétiques d’aujourd’hui se fondent sur les prévisions des comportements des populations de demain qui sont nécessairement contestables.