En France ?
En France, deux documents ont fait récemment beaucoup parler d'eux. Il s'agit du rapport de l'INCa, Alcool et risque de cancers (2007), mettant en évidence l'augmentation du risque de certains cancers avec la consommation d'alcool, et de la brochure Nutrition et prévention des cancers (2009) de l'INCa et du réseau NACRe soulignant entre autre que l'augmentation du risque pour certains cancers est significative dès une consommation moyenne d'un verre par jour. De nombreuses voix se sont élevées pour critiquer certains aspects de ses documents notamment leur omission des effets positifs du vin sur les maladies cardiovasculaires et sur certains cancers.
En France, comme partout ailleurs dans le monde, les recherches sur le cancer ne cessent d'avancer. Cependant, sur certains sujets, tous ne sont pas d'accord sur les conclusions de leurs études.
Sur le sujet qui nous intéresse, le milieu de la recherche sur les cancers a connu un nouveau tôlé en 2007 avec la parution du long rapport, Alcool et risque de cancers, détaillant les effets néfastes de l'alcool sur de nombreux cancers. Une autre brochure plus récente (2009) a aussi été publiée intitulée Nutrition et prévention des cancers mettant en garde contre la consommation d'alcool. Elle a connu beaucoup d'écho dans les médias.
Le rapport Alcool et risque de cancers a été élaboré à la demande de l'Institut National du Cancer. Ainsi, il a pour vocation de faire le point des connaissances sur la relation entre la consommation de boissons alcoolisées et le risque de cancers et sur les recommandations de santé publique en France. Il est le résultat d'une expertise collective. Il a été réalisé par des experts du réseau NACRe en partenariat avec des membres du département Prévention-Dépistage de l'Institut National du Cancer entre juin 2006 et mars 2007. Il a ensuite été relu et validé par plusieurs experts extérieurs en avril-mai 2007.
La brochure Nutrition et prévention des cancers a été élaborée à la demande de la Direction générale de la santé (DGS). L'élaboration de ce document a été coordonnée par l'Institut National du Cancer (INCa) avec l'appui scientifique des membres du réseau National Alimentation Cancer Recherche (NACRe), et en partenariat avec l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) et l'Institut de veille sanitaire (InVS).
Peu de temps après la publication du long document Alcool et risque de cancers, une analyse très critique a vu le jour : Analyse critique du document « Alcool et risque de cancers ». Cet article a été rédigé par trois professionnels du milieu viticole de Montpellier dont un professeur de Viticulture et un professeur de sciences sociales économiques et de gestion. De plus, de nombreux chercheurs et professionnels de la vigne ont manifesté leur désaccord face au rapport comme par exemple le professeur Norbert Latruffe (pour plus de détails sur les travaux de Norbert Latruffe voir la section Maladies cardio-vasculaires).
De même, plusieurs voix se sont élevées pour critiquer certains aspects de la brochure Nutrition et prévention des cancers.
Alcool et risque de cancers :
L'objectif de ce rapport paru en 2007 est de faire le point des connaissances sur les relations entre consommation de boissons alcoolisées et risque de cancer. Il ne concerne pas le risque d'autres pathologies. Il met clairement en évidence l'augmentation de risque des cancers des voies aérodigestives supérieures (bouche, pharynx, larynx, œsophage), du foie, du côlon-rectum et du sein.
Relation dose-effet :
Le risque de cancers des VADS (voies aérodigestives supérieures), du foie, du sein et du côlon-rectum augmente de manière linéaire avec la quantité moyenne d'alcool consommée quotidiennement. Il n'existe donc pas de dose sans effet.
Durée de consommation :
Dans le cas des cancers des VADS, certaines études portant sur le cancer de l'œsophage et tenant compte de la quantité d'alcool consommée indiquent une absence d'influence de la durée de consommation d'alcool. En revanche, après arrêt de la consommation, le risque devient, après plusieurs années, plus faible que chez les buveurs.
Types de boissons :
L'effet de la consommation de boissons alcoolisées dépend principalement de la quantité d'alcool apportée et non du type de boisson.
Mécanismes d'action de l'alcool :
Plusieurs mécanismes peuvent expliquer l'augmentation de risque de cancers associée à la consommation de boissons alcoolisées. Certains mécanismes sont communs à plusieurs localisations de cancers. Le plus important d'entre eux est la production de métabolites mutagènes à partir de l'éthanol (pour plus de détails, voir la partie sur Les mécanismes biologiques).
La synergie alcool-tabac démontrée pour les cancers des VADS est également étayée par des mécanismes biologiques : l'alcool agirait comme solvant et favoriserait le passage des cancérogènes du tabac à travers la muqueuse, d'où l'intérêt de mesures de prévention ciblées sur le tabac et sur l'alcool.
Fort de ces conclusions, le rapport recommande la réduction de la consommation d'alcool (vin, bière, alcools forts…).
Il est intéressant de remarquer que les conclusions de ce rapport sont, d'après leurs auteurs, cohérentes avec celles de deux groupes d'experts internationaux ayant parallèlement travaillé sur cette problématique. D'une part, le panel d'experts réuni par le World Cancer Research Fund (WCRF) et l'American Institute for Cancer Research (AICR) a examiné, entre autres, la relation alcool-cancer.
Analyse critique du document « Alcool et risque de cancers » :
Il souligne que le rapport Alcool et risque de cancers, derrière l'accumulation impressionnante des références, comporte des omissions importantes :
« Certaines hypothèses sur les mécanismes biochimiques peuvent être discutées. Les analyses dénigrent ou oublient les travaux importants qui concluent à des effets positifs de l'alcool en général, du vin en particulier, ou simplement qui mettent en avant des facteurs médiateurs des effets de l'alcool. »
D'après cette critique, le rapport récuse sans appel, et sans en apporter la preuve suffisante, la notion de consommation raisonnable :
« Le parti pris méthodologique et le traitement des données permettent aux auteurs de conduire les conclusions vers des positions acquises à l'évidence dès le départ des travaux. Ces positions sont étayées par un amalgame d'informations disparates dont aucune ne peut être considérée comme une preuve. Pour les auteurs du rapport, la notion de consommation raisonnable n'a aucun sens, et ce, quels que soient les modes de prise ou les quantités consommées, les contextes de consommation, l'âge des consommateurs. »
Par ailleurs, selon les auteurs de cette critique, le vin ne saurait se prévaloir d'un bénéfice particulier par rapport au risque de santé et « ces conclusions abruptes et sans nuances sont contestables ».
Les auteurs de cette critique ne contestent pas les très nombreux travaux qui démontrent les liens entre alcool et cancer et que reprend le rapport de l'INCa. Mais, selon eux, ce rapport, en raison du parti pris qui sous-tend sa rédaction, « laisse une impression de malaise au plan scientifique ». Il ne propose aucune mise en perspective de la problématique du cancer en relation avec d'autres pathologies, ou dans une perspective de cycle de vie complet des individus. La question est centrée sur le cancer, et pas sur la santé en général. Sur le risque de cancers lui-même, le rapport, selon la critique, « refuse d'examiner la balance entre les bénéfices d'une consommation modérée (par exemple en matière cardio-vasculaire, voire même sur certaines formes de cancer) et les inconvénients (l'augmentation du risque de cancer) ».
De plus, cette critique souligne que « l'alimentation est traitée comme un acte clinique et médical dans duquel le plaisir et la culture n'auraient aucun lien avec la qualité nutritionnelle ». L'effet positif des apprentissages notamment sur les comportements de modération, sur le développement d'une culture basée sur la « mesure en toutes choses », ne serait pas évoqué par les auteurs du rapport.
Avis de Norbert Latruffe sur le rapport Alcool et risque de cancers (Norbert Latruffe) :
Nutrition et prévention des cancers :
Selon cette brochure :
« La consommation de boissons alcoolisées est associée à une augmentation du risque de plusieurs cancers : bouche, pharynx, larynx, oesophage, côlon-rectum, sein et foie. Une relation dose-effet significative a été mise en évidence. Le pourcentage d'augmentation de risque a été estimé par verre d'alcool consommé par jour (tableau 1). Il varie entre 9 et 168% selon les localisations. En particulier, l'augmentation de risque de cancers de la bouche, du pharynx et du larynx est estimée à 168 % par verre d'alcool consommé par jour.»
Les auteurs de la brochure précisent que l'augmentation de risque est significative dès une consommation moyenne d'un verre par jour. De plus, l'effet dépend, selon eux, de la quantité totale consommée et non du type de boisson alcoolisée.
Ils soulignent aussi que la relation est jugée convaincante pour les cancers de la bouche, du pharynx, du larynx, de l'œsophage, du côlon-rectum (chez l'homme), et du sein (chez la femme). Elle est jugée probable pour le cancer du foie et pour celui du côlon-rectum (chez
la femme). Par rapport à l'état des connaissances des années 1990, le niveau de preuve concernant la relation entre la consommation de boissons alcoolisées et le risque de cancers est devenu convaincant pour la plupart des localisations de cancers.
Les conclusions de ce document sur les boissons alcoolisées et leurs conséquences sur les cancers sont les suivantes :
- « La consommation de boissons alcoolisées augmente le risque de plusieurs cancers (de
9 à 168 % par verre consommé par jour, selon les localisations).
- Le risque augmente avec la quantité totale d'alcool consommée.
- L'augmentation est significative dès une consommation moyenne d'un verre par jour, qu'elle soit quotidienne ou concentrée sur certains jours de la semaine.
- Quel que soit le type de boisson alcoolisée, il existe un risque.
- Étant donné la consommation élevée de boissons alcoolisées en France, il est important d'inciter les consommateurs à réduire leur consommation et de prendre en charge les buveurs dépendants. »
Ainsi, « en matière de prévention des cancers, la consommation d'alcool est déconseillée, quel que soit le type de boisson alcoolisée (vin, bière, spiritueux...) ».
Critique de la brochure Nutrition et prévention des cancers :
Plusieurs voix se sont élevées pour critiquer cette brochure. Les reproches qui lui sont faites rejoignent d'une certaine manière celles faites à l'encontre du rapport Alcool et risque de cancers.
En effet, certains spécialistes comme Michel de Lorgeril cardiologue français et chercheur au CNRS, déplore l'omission des effets bénéfiques du vin sur les maladies cardiovasculaires ou encore sur la longévité. Il souligne dans un article de son blog que :
« Faire des recommandations générales destinées aux populations des années 2010-2020 sur la base de médiocres observations (en particulier concernant la quantification de la consommation d'alcool) de populations exposées à des causes possibles (dans un environnement professionnel, sociétal et existentiel très particulier) des années 1950-1970 est évidemment aberrant. »
Il rajoute :
« Modestie et prudence devraient caractériser le démarche de scientifiques qui utilisent des méthodes d'investigation aussi fragiles ! Le moins que l'on puisse dire c'est que les employés de l'INCA manquent un peu des deux. »
De plus, il rappelle, sans mentionner le niveau de preuve, que le risque d'un certain nombre de cancers semble au contraire diminuer par la consommation modérée d'alcool, et notamment de vin. Aussi :
« On peut se demander finalement si l'impasse que les employés de l'INCa font sur tous ces autres cancers n'est pas volontaire afin de pouvoir délivrer un message homogène, au prix, hélas, d'une évidente désinformation. »
Denis Corpet, directeur de l'équipe de recherche INRA Aliments et Cancer (UMR INRA-ENVT), membre du réseau NACRe et professeur à l'Ecole Vétérinaire de Toulouse, souligne aussi que le vin peut avoir des effets positifs sur certains cancers même si à l'heure d'aujourd'hui les preuves scientifiques ne sont pas assez fournies. Il rappelle que l'alcool implique différentes réactions puisqu'il interagit avec différents organes et que toutes ses réactions ne sont pas nécessairement néfastes pour la santé de l'homme. Ceci rejoint la théorie de l'hormésis : tout produit même dangereux, à faible dose, peut avoir des bénéfices. S'il agresse notre organisme, il lui apprend aussi à se défendre. Pour revenir à un effet bénéfique en termes même de cancer, le professeur Denis Corpet insiste tout de même sur le fait que le bénéfice n'est pas démontré.
Point non contesté :
« Il est évident que personne ne remet en cause les effets néfastes de l'alcool sur certains types de cancers comme les cancers des voies aérodigestives supérieures. Cependant, le cas particulier du vin anime bien des débats. En effet, nous venons de le voir, le vin a des effets néfastes sur certains cancers (à cause de l'éthanol présent dans le vin) mais peut aussi avoir des effets positifs sur d'autres (grâce aux polyphénols présents en quantité dans le vin) et sur les maladies cardio-vasculaires. Ce qui n'a pas été apprécié par tout le monde dans le rapport Alcool et risque de cancers ou dans la brochure Nutrition et prévention des cancers, c'est précisément cette omission des effets positifs du vin.
L'affrontement des différents acteurs soulève la question du crédit qui peut être accordé à chacun. En effet, les rapports sont des expertises collectives (relus et validés par un grand nombre d'experts) et coordonnés par une agence sanitaire publique, l'INCa, parfois critiqué pour ses méthodes, ses omissions et son inexpérience (due à sa jeunesse d'après ses détracteurs). Ses adversaires (scientifiques ou non) peuvent avoir une spécialité se trouvant en dehors ou à la marge du domaine en question et expriment une opinion personnelle. En outre, les éventuels conflits d'intérêt ne sont pas pris en compte. Cependant, les médias ainsi qu'une partie du corps médical et les professionnels du monde viticole mettent souvent l'ensemble des données sur le même plan sans tenir compte de ces différences et de la pertinence relative des opinions.
- Quels sont les mécanismes biologiques en jeu dans le développement de ces cancers ? -> Voir Les mécanismes biologiques
Malgré quelques contradictions, les acteurs scientifiques et institutionnels semblent s'accorder sur le fait que l'alcool favorise le développement de certains cancers. Cependant, des recherches récentes semblent accorder au vin des propriétés anticancer.
- Qu'en est-il ? -> Voir L'ingrédient magique