Cette partie a pour but de s’interroger sur le « principe »-même de statistiques ethniques. Qu'entend-on par le mot « principe » ici ? Il ne s'agit pas d'exposer ce en quoi consistent les statistiques ethniques mais plutôt une réflexion sur la sensibilité que pose l'établissement de telles statistiques : peut-on donc par exemple sur une question de « principe » demander l'origine d'un individu ? Il faut savoir qu'il y a deux points majeur qui alimentent cette partie de la controverse : la législation d’une part, c'est-à-dire l'ensemble des lois mais aussi des organismes qui tentent de délimiter ce qu'on peut faire et ce qu'on ne peut pas faire ; et d’autre part la légitimité, qui repose plutôt sur un raisonnement moral : est-ce que je peux demander à quelqu'un son origine ? Ne risquerait-on pas de blesser une personne qui nous paraît d'origine chinoise en lui demandant d'où elle vient alors qu'elle se sent française avant tout ?
Les statistiques ethniques sont interdites en France, par la Loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, (Chapitre II, article 8, paragraphe I) :
«
Il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci.
»
Patrick Simon
Né en 1964, Patrick Simon est un socio-démographe français l’INED, tout comme Michèle Tribalat. Il travaille sur les phénomènes de discriminations ethniques en France. Largement solidaire de Michèle Tribalat, il dénonce l’invocation de la « tradition française » par ceux qui font du blocage des statistiques ethniques. attribue l’origine de cette interdiction à une volonté d’unité :
«
L’origine de cette interdiction vient probablement du « credo républicain de « l'indifférence aux différences » et [de] la volonté de rendre moins saillantes les disparités culturelles pour unifier la nation. »
»
Le credo républicain auquel il fait référence prend sa source dans la formulation du 1er article de la Constitution, qui bannit toute « distinction de race, de religion ou de croyance » pour l’attribution de droits aux individus.
C'est aussi à l'occasion de la loi de 1978 qu'a été créée la CNILCNIL : Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés
Autorité administrative indépendante exerçant ses missions en vertu de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978. Celle-ci se pose en véritable arbitre : c'est elle qui juge si une étude est ou non conforme à la liberté des individus.
A titre d'exemple, en 2006, la CNILCNIL : Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés
Autorité administrative indépendante exerçant ses missions en vertu de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 a refusé d'autoriser la réalisation par la SOFRESTNS Sofres : : institut de sondages français, leader français des études de marketing et d’opinion d'un sondage d'opinion par téléphone, mandatée par le CRIFCRIF : : Conseil Représentatif des Institutions Juives de France. En effet, le problème n'était pas l'objet du sondage qui voulait « objectiver, mesurer et analyser l'état de l'opinion de la communauté juive de France », mais la méthode employée pour réaliser ce sondage : les personnes à interroger auraient été choisies parmi une liste d'environ 160 noms à consonance juive sur la base d'un Guide des patronymes juifs. Or la CNILCNIL : Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés
Autorité administrative indépendante exerçant ses missions en vertu de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 conteste précisément le fait d'assimiler des gens ayant un nom figurant dans ce guide à la « communauté juive » et souligne de plus les risques liés à une sélection de ce type.
Malgré cette interdiction formelle apparente inscrite dans la loi, les choses ne sont pas aussi simples qu'on ne le pense. Actuellement, en France, les chercheurs travaillant dans des instituts tels l'INEDINED : Institut National d’Etudes Démographiques
Etablissement public français spécialisé dans les recherches en démographie et les études de population en général. font des statistiques ethniques.
Le problème, c'est qu'aujourd'hui, les limites de leurs travaux sont extrêmement floues. Elles évoluent, même…
Au début des années 90, quand Michèle Tribalat
Démographe à l’INED, Michèle Tribalat se démarque nettement de son milieu professionnel par son regard sur l’immigration, réaliste pour certains, trop négatif pour d’autres. En 1976, elle est recrutée par l'INED, dont le conseil scientifique veut pousser la recherche sur les flux migratoires : ce sera son domaine d'activité. Elle est favorable aux statistiques ethniques. a proposé d'introduire la catégorie « immigré » en plus de la catégorie « étranger », cela a produit de grands débats, même au sein de l'INEDINED : Institut National d’Etudes Démographiques
Etablissement public français spécialisé dans les recherches en démographie et les études de population en général.
où elle travaillait, alors que maintenant, la question ne se pose plus et cette catégorie figure dans les sondages.
De même, pour certains sondages, l'INEDINED : Institut National d’Etudes Démographiques
Etablissement public français spécialisé dans les recherches en démographie et les études de population en général.
a été autorisé à demander le lieu de naissance et la nationalité des parents.
En revanche, en 2009, la question sur la couleur de peau a dû être retirée de l'enquête « Trajectoires et Origines »…
De plus, la CNILCNIL : Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés
Autorité administrative indépendante exerçant ses missions en vertu de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 a constaté que la France devait « améliorer son appareil statistique » et qu'il fallait faire « progresser la connaissance de notre société » afin de « mieux lutter contre les discriminations ». Pour cela, elle a formulé des recommandations dont en voici quelques-unes que l'on peut trouver sur son site de la CNILCNIL : Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés
Autorité administrative indépendante exerçant ses missions en vertu de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 :
La France s'oppose ainsi à d'autres pays tels les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne où les statistiques sont autorisées. Pourtant, ce dernier a une histoire assez proche de nous, notamment en ce qui provient de l'ancien empire colonial, et a fini par autoriser les statistiques ethniquesStatistique ethnique n.f. : Toute collecte de données concernant l’appartenance ethnique des individus. au cours de ces 30 dernières années. Aujourd'hui, elles ne sont quasiment plus remises en cause.
«
l’abandon des classifications raciales [aux Etats-Unis] reviendrait à ne plus saisir l’un des principes essentiels de stratification de la société étatsunienne, et par conséquent à perdre l’intelligibilité des mécanismes producteurs d’inégalités massives.
»
ASAASA : American Sociological Association
(voir Introduction – Contexte actuel pour plus de détails)
La volonté affirmée de Nicolas Sarkozy au début de son mandat, de mettre en place une mesure de la diversité, l’a conduit à envisager une modification de cette loi qui empêche les statistiques.
Un premier projet de loi sur l’immigration, l’intégration et la diversité soumis en 2007 avait été rejeté par le Conseil Constitutionnel. Il visait à légaliser les statistiques ethniquesStatistique ethnique n.f. : Toute collecte de données concernant l’appartenance ethnique des individus., mais rentrait selon le Conseil en conflit avec l’article 1er de la Constitution, auquel nous nous intéressons.
Nicolas Sarkozy a cependant demandé en 2008 à Simone Veil
Simone Veil est une femme politique française, née en 1927, et qui a échappé à la mort dans le camp d’Auschwitz-Birkenau. Membre de l’Académie Française, elle est à l’origine du célèbre rapport Veil concluant que la loi de 1978 sur les statistiques ethniques n’avait pas à être modifiée. de diriger un comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution, dans le but de déterminer si une modification serait légitime ou non. Cependant, le rapport Veil qui en est ressorti a rejeté cette proposition. Sans condamner les statistiques ethniquesStatistique ethnique n.f. : Toute collecte de données concernant l’appartenance ethnique des individus., il considère qu’il existe déjà des moyens suffisants pour obtenir des informations dans le cadre d’études de lutte contre les discriminations.
Depuis, les tentatives menées en faveur des statistiques ethniquesStatistique ethnique n.f. : Toute collecte de données concernant l’appartenance ethnique des individus. n’ont pas porté sur une modification de la loi elle-même, mais sur une interprétation de ses propos. Le rapport Héran du COMEDDLe Comité pour la Mesure et l’Evaluation de la Diversité et des Discriminations, a été institué par Yazid Sabeg à la demande du président de la République en mars 2009. De fait, ce comité a été créé pour contrer le rapport Veil ayant émis un avis négatif sur les statistiques ethniques les considérant comme anticonstitutionnelles. Le principal fruit de l’activité de ce comité est le rapport Héran, favorable aux statistiques ethniques., remis en 2010 par Yazid Sabeg
Né en 1950 en Algérie, Yazid Sabeg était commissaire à la diversité et à l'égalité des chances auprès du Premier Ministre (François Fillon) jusqu’à très récemment. C’est en tout cas l’auteur d’un projet concret et complet sur l’introduction des statistiques ethniques, précisant, semble-t-il, restrictions et précautions à prendre. au gouvernement, rend légitime les statistiques sous certaines conditions. Il a tout de même suscité de nombreuses réactions qui dénonçaient une tendance « ethno-raciale », comme le dit Jean-François Amadieu
Jean-François Amadieu est un sociologue français. Il est le directeur de l'Observatoire des discriminations, qui procède à des testings afin de réaliser les premières mesures scientifiques des différentes discriminations à l'embauche en France. Fondateur de la CARSED, il est très clairement opposé aux statistiques ethniques. dans une interview pour le Journal Libération
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