Le problème de la construction du quota
Comment a t-on envisagé la représentation de la femme dans le passé, a t-on toujours prôné les quotas ou est ce une revendication récente ? La réponse est ni l’un ni l’autre.
LA PARITÉ INTRA PARTISANE
Les premières a avoir revendiqué les quotas sont des militantes du Parti Socialiste, en 1973. En effet, elles souhaitent garantir une présence minimale des femmes parmi les cadres de leur parti sur les listes de candidature aux élections. Mais cette revendication ne fait déjà pas l’unanimité, pas même parmi les femmes. Yvette Roudy, dans un entretien avec Laure Bereni (que l’on peut retrouver dans la thèse de cette dernière ) nous dit ceci : « Dans cette bataille [des quotas], que j’ai menée au sein du PS, toutes mes amies ne me suivaient pas. J’avais deux trois amies qui étaient très féministes, c’était le petit noyau du Mouvement Démocratique Féminin, qui remontait aux années 60, Marie-Thérèse Eyquem et Colette Audry. Colette Audry ne m’a pas soutenue pour le quota. Elle y était même théoriquement hostile. [...] On avait des discussions mais elle trouvait que ce n’était pas une bonne idée. Ce n’est pas une idée noble les quotas, vous comprenez. Ce n’est pas une idée noble, ça fait penser aux quotas laitiers. » [Entretien avec Yvette Roudy, Paris, 5 décembre 2002]
Pour la première fois, 30% des femmes présentées à une élection nationale sont des femmes
Toutefois, les choses changent au sein du parti. En effet, la direction du PS met en place un quota de 10% de femmes à tous les échelons de l’organisation ainsi que pour les scrutins de listes en 1974. Il est donc très intéressant de voir que la première fois que l’on parle de quotas on ne parle pas de quota national, imposé par le pouvoir législatif, mais de quota mis en place par un parti précis, en son sein. Durant les années qui suivent, ce quota évolue et passe de 10 à 30% en 1978. Grâce à cela, le PS présente pour la première fois 30% de femmes lors d’une élection d’ampleur nationale. Des militantes de droites tentent de reprendre ces revendications, en demandant des quotas progressifs et temporaires, mais cela n’aboutit pas.
Une idée : l’instauration de quotas temporaires
On constate donc que les militants dans les années 70 se limitent à réclamer des dispositifs intra partisan. Mais à la fin des années 70, ce mouvement de revendication prend une autre ampleur puisque la ministre déléguée à la condition féminine, Monique Pelletier, dépose un projet de loi disposant qu’un quota sexué de 20% sera appliqué sur les listes aux prochaines élections municipales. Sa proposition vise à imposer « des mesures d’ordre volontariste et temporaire » qui s’efforceront de « vaincre les pesanteurs actuelles et d’obliger les partis et formations à favoriser les candidatures féminines ». Nous nous permettons de souligner le caractère temporaire de ces mesures car cela nous permet de voir que chaque quota a des caractéristiques propres, la construction du quota diffère en fonction des périodes, comme nous le verrons plus loin. Mais le projet de loi, bien qu’adopté par l’Assemblée nationale, n’a jamais été discuté au Sénat.
Des promesses non tenues
L’imposition d’un quota de 30% sur les listes électorales figurait parmi les 110 propositions de François Mitterrand, sous la pression de certains groupes féministes lors de la campagne présidentielle. Au début, la question des quotas est mise de côté, elle ne figure pas dans le projet de loi dans lequel elle devait apparaître. Mais finalement, un député a déposé un amendement qui fixe un quota de femme sur les listes de candidats aux municipales à 25%. L’amendement est adopté, mais le conseil constitutionnel l’a annulé en se fondant sur l’article 3 de la Constitution (relatif à la souveraineté).
Cet échec constitutionnel a été un coup très dur pour les quotas. Il marque même l’arrêt de la revendication des quotas, puisque peu à peu on voit les acteurs se tourner vers une nouvelle question : la parité.
L’OUBLI DES QUOTAS, LA NAISSANCE DE LA PARITÉ
En effet, en 1992 émerge la revendication de la « parité » définie comme une « égalité parfaite » dans les assemblées élues par Françoise Gaspard, Anne Le Gall et Claude Servan-Schreiber dans Au pouvoir, citoyennes ! Liberté, Egalité, Parité. La parité est donc vue comme une alternative à l’impasse des quotas, même si la parité n’est en réalité qu’un quota à 50%. On voit donc qu’il y a un jeu sur le vocabulaire : on laisse le quota de côté, pour utiliser un terme qui est plus fort en définitif, puisque le quota n’a pas encore jamais été jusqu’à 50% : le terme de parité. Toutefois il va falloir du temps avant que ces revendications soient légitimées, car au début les femmes qui défendent la parité ne sont pas écoutées.
En 1995, si la question de la représentation politique réapparait dans les préoccupation du « féminisme d’Etat »(terme de Laure BERENI dans Des quotas à la parité : « Féminisme d’État » et représentation politique (1974-2007)), elle se limite à des dispositifs incitatifs et ne se traduit pas par la proposition d’un dispositif contraignant du type quota. Cette période est toutefois marquée par le début de la légitimation des revendications, avec notamment la création de l’Observatoire de la parité. Gisèle Halimi, rapporteur de la commission pour la parité entre les femmes et les hommes au sein de l’observatoire a achevé un rapport en 1996. Militant, il préconise des « mesures législatives et/ou constitutionnelles instaurant les principes d’un quota ou d’une parité ». Toutefois, l’Observatoire n’a qu’un rôle symbolique aux yeux des hommes politiques, et les ministères ne veulent pas du rapport de Gisèle Halimi.
La révision constitutionnelle : un moyen d’ancrer l’objectif de l’égalité entre les hommes et les femmes
La « parité institutionnalisée » (BERENI et REVILLARD) commence à partir de 1999, grâce à la révision constitutionnelle et au vote des lois sur la parité en politique. En effet, le 8 juillet 1999 une révision constitutionnelle ajoute à l’article 3 de la Constitution de 1958 la disposition suivante « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives » et prévoit que les partis doivent « contribuer à la mise en œuvre » de ce principe (art. 4). Par cette modification, le Parlement dit avoir voulu mettre fin à la sous représentation des femmes dans la vie politique française (site officiel de l’Assemblée Nationale).
Les années 2000 ou l’élaboration de lois en faveur de la parité
A la suite de cette révision constitutionnelle, plusieurs lois ont été adoptées faisant application de ce principe. La loi du 6 juin 2000 tend à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux, celle du 10 juillet 2000 réforme les modes de scrutin des sénatoriales qui applique le principe de la parité à l’élection des sénateurs au scrutin de liste à la proportionnelle, dans les départements où sont élus trois sénateurs et plus (attention, ceci a été limité aux département où sont élus plus de quatre sénateurs le 30 juillet 2003). On observe que la modification constitutionnelle a pour conséquence une modification des scrutins de nombreuses élections, et cela va d’ailleurs se poursuivre les années suivantes avec notamment la loi du 11 avril 2003 relative à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu’à l’aide publique aux partis politiques et celle du 31 janvier 2007 tendant à promouvoir l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.
La parité est donc limitée à un cadre précis, celui du scrutin, mais l’Assemblée nationale, via son site internet, affirme elle même que « L’application du principe de parité s’est globalement traduite entre 2003 et 2009 par une sensible amélioration de la représentation des femmes parmi les élus. Néanmoins, cette amélioration reste insuffisante et apparaît, à bien des égards, conditionnée par la nature du scrutin auquel les candidates peuvent prendre part ».
LE RETOUR DU QUOTA
C’est pourquoi le retour de la politique des quotas apparaît comme un signal fort. Car c’est à cette période que la députée que nous avons rencontré, Madame Zimmermann a commencé à travailler sur la lois imposant des quotas pour les femmes, et a notamment du pour cela réviser la constitution, par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui réaffirme solennellement le principe d ‘égalité entre les femmes et les hommes par son inscription à l’article 1er de la Constitution.
2011 est donc marqué par un retour des quotas, mais sous une forme qui n’avait jamais existé auparavant : un quota législatif, voté par le parlement, et qui a vocation de réformer la sphère économique. La loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle impose un quota de 40% de femmes dans les conseils d’administrations. Toutefois, il faut noter que le texte adopté est assez loin de la proposition de loi élaborée par Madame Zimmermann. Certes, le cœur du projet de loi, le quota de 40%, est resté, mais le nombre de sphères auxquelles il s’applique s’est réduit. Initialement, la députée proposait également de favoriser l’égal accès des femmes au sein des conseils d’administration et de surveillance des entreprises du secteur public, d’accroître la part des femmes parmi les candidats présentés par les organisations syndicales, de poser le principe de parité entre les sexes pour la constitution des listes aux élections prud’homales.
L’extension des quotas
Si la loi de 2011 ne touche pas un champ aussi large que Madame Zimmermann l’espérait au départ, il faut noter qu’une autre loi est tout de même venue la prolonger peu de temps après. La loi Sauvadet du 12 mars 2012, étend les quotas à la fonction publique par son article 52 qui stipule que « La proportion de personnalités qualifiées de chaque sexe nommées en raison de leurs compétences, expériences ou connaissances administrateurs dans les conseils d’administration, les conseils de surveillance ou les organes équivalents des établissements publics non mentionnés à l’article 1er de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public ne peut être inférieure à 40 %. Cette proportion doit être atteinte à compter du deuxième renouvellement du conseil d’administration, du conseil de surveillance ou de l’organe équivalent intervenant à partir de la promulgation de la présente loi. »
Quotas et parité, le ticket gagnant ?
Toutefois, on remarquera que la parité est de retour ces jours ci, avec le projet de loi de la Ministre des droits des femmes Madame Vallaud Belkacem. Ce projet de loi a pour but de faire progresser l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, lutter contre la précarité, protéger les femmes victimes de violences et enfin d’assurer une juste représentation des femmes dans la société. Sur ce dernier point, la Ministre souhaite prendre des mesures pour généraliser la parité, en sanctionnant plus durement les partis politiques qui ne respecteraient pas la parité aux élections législatives ou encore en étendant le principe de représentation équilibré à tous les établissement publics. On peut donc remarquer que le projet de loi cherche à rendre les sanctions plus lourdes en cas de non respect de la parité. Or la sanction est un élément fondamental du quota pour Marie-Jo Zimmermann notamment, car sans cela, la loi ne serait pas appliquée, il n’y aurait pas d’avancés. On peut donc constater que le gouvernement actuel n’est pas de la même tendance politique que le gouvernement sous la législature précédente, qui avait voté l’imposition des quotas, mais qu’il y a une certaine continuité dans les politiques pour l’égalité entre les femmes et les hommes. On peut également remarquer que le dossier de presse du projet de loi de Najat Vallaud Belkacem souligne la loi de 2011, et semble même la valider, comme si le but de son projet était d’aller dans le prolongement des quotas.
En conclusion, on constate que l’on ne peut pas séparer la genèse du quota de celle de la parité car on voit bien que les deux se répondent, à certains moments l’un remplace l’une et à d’autres les deux méthodes se complètent. Il faut donc suivre une approche chronologique pour percevoir les différentes manières d’aborder le quota suivant les époques : alors que dans les années 70 on l’abordait plutôt comme un outil temporaire, aujourd’hui les personnes qui défendent le quota, comme Marie-Jo Zimmermann, ne veulent pas entendre parler de quota temporaire et veulent des quotas contraignants et voués à toucher de plus en plus de sphères dans la société, afin de forcer les individus à intérioriser la parité, à la mettre en place, jusqu’au jour où la société n’aura plus besoin de ces quotas. De plus, lorsque l’on parle de quotas, il faut donner quelques explications sur celui ci. Quel quota ? Car on voit que certains sont instaurés au sein des partis sans aucune obligation législative, d’autres sont votés au niveau national, certains sont temporaires, d’autres sont permanents, certains sont presque cachés, c’est le cas lorsque l’on parle de parité au lieu de promouvoir un quota à 50% .