Terra Preta : la base du débat
L’intérêt récent pour le biochar trouve ses racines dans la terre noire de l’Amazonie ou Terra Preta. Cette terre a été découverte dans les années 60. Sa très grande fertilité a alors interpelé les scientifiques. Des archéologues comme W. G. Sombroek ont mené des recherches sur place Terra Preta – ¿manejo orgánico de los suelos? Brasil, W. Sombroek (comunicación personal) et ont trouvé des restes de poteries, de la matière organique sous forme de carbone solide, du compost végétal et animal et des signes que cette terre avait une origine humaine . Tous les acteurs en font le point de départ de l’intérêt pour le biochar. En effet, si l’on s’intéresse à l’ocurrence du mot « terra preta » dans la presse scientifique, où tout du moins dans le corpus scientifique que nous avons analysé avec Gargantext, on voit qu’effectivement Terra Preta est au coeur des problématiques liées au biochar :
L’IBI et les associations pro biochar (Pro Natura, Biochar Funds,…) attachent également une importance toute particulière à la Terra Preta. Ils estiment en effet que cette terre est fertile du fait de l’ajout de charbon d’origine biologique et que le modèle est reproductible et pourrait être une solution pour régénérer les sols épuisés par l’agriculture industrielle et pour fertiliser les sols pauvres d’Afrique par exemple. Selon Benoît Lambert les images satellites ont permis d’estimer que 2-3% de la surface de l’Amazonie était recouverte de terre noire.
Cependant Mae-Wan HoMae-Wan Ho est une généticienne. Co-fondatrice et directrice de the Institute of Sciences in Society (ISIS), qui lutte contre l’utilisation de biotechnologie, elle a fait un Ph.D. en Biochimie à l’Université d’Hong Kong et Biofuel Watch considèrent que la « Terra Preta n’est pas du biochar », en effet la part de biochar contenue dans les sols d’amazonies « ne seraient qu’un élément, qu’un petit élément parmi beaucoup d’autres » « Charcoal would have been one element, one small element of it, one of many parts » (Almuth Ernsting, interview mai 2015) . En effet c’est la complexité du mélange qui donnerait au sol de Terra Preta son incroyable fertilité -qui n’est pas niée- et sa longévité. Mais c’est cette complexité qui empêcherait de refaire cette terre noire, parce que nous ne connaissons pas exactement sa composition, et parce qu’elle s’adapte très bien aux sols et au climat de l’Amazonie mais rien ne prouve que dans des sols de compositions initiale et d’environnement différent cette terre aurait la même fertilité et la même stabilité dans le temps.
L’estimation de l’âge de Terra Preta fait elle-même débat, en effet elle permettrait d’avoir une durée minimale de la stabilité du biochar. Si Sombroek parlait en 2001 d’une datation carbone qui avait estimé l’âge du sol comprise entre 1 780 et 2 260 ans, ProNatura parle de parcelles datant de 8000 av JC., soit aux prémices de l’agriculture, Biofuel Watch parle de 500 et 2500 ans d’ancienneté, Mae-Wan Wo date les installations de 450 avant J.C. à 950 après J.C. On voit donc clairement qu’il y a une difficulté de dater cette terre et que les estimations varient beaucoup selon les acteurs, et leur convictions sur le biochar.
Le biochar, quels effets sur le sol ?
Un fertilisant ?
Les acteurs s’accordent à dire qu’il ne s’agit pas d’un fertilisant. Ainsi dans sa lettre au parlement britannique en réponse aux différents articles écrits par Biofuelwatch qui s’opposent au biochar ( Biochar for Climate Change Mitigation: Fact or Fiction?, February 2009, Biochar Fund Trials In Cameroon Hype And Unfulfilled Promises by B Ndameu and Biofuelwatch, Novembre 2011), IBI écrit « Biochar itself is not a fertilizer« , Laurens Rademakers, président de Biochar Fund, dit lui même lors d’une interview « Biochar is not really a fertilizer in the strict sense of the word. It is, however, a soil (structuring) element that helps maintain the natural fertility of the soil, or reduces a soil’s depletion rate. In this sense, biochar can replace the need for some fertilizer. Ours and others’ field trials demonstrate that biochar often functions as effectively as an organic or an inorganic fertilizer. But in practice, it is always good to mix biochar with organic fertilizers. ». Pour Benoît Lambert les expériences malheureuses du biochar sont dûes à une mauvaise utilisation de celui-ci. il préconise en effet de mélanger le biochar avec du compost (« charger le boichar ») pour que celui-ci ait des effets positifs dès le début. En effet « le biochar a l’effet d’une éponge« , donc s’il n’est pas chargé il absorbe les matières organiques et l’eau contenu dans le sol au détriment de la plante.
Le biochar est un composé carboné qui modifie les propriété des sols, mais ses effets sont-ils réellement bénéfiques ?
Rendements observés
Pour Guy Reinaud il n’y a pas de publication sérieuse qui remette en question l’efficacité du biochar Interview réalisée en janvier 2015 , il reconnaît qu’éventuellement sur les terres riches les hausses de rendement soient moins spectaculaires mais pour lui le biochar ne peut avoir que des effets positifs sur les rendements. Sur le site de ProNatura les résultats de cultures avec biochar dans le monde entier, sur différents sols et différents cultures sont tous positifs avec des hausses de rendement souvent supérieures à 50%, on multiplie même les rendements par 7.5 au Cambodge, sur une culture de choux en ajoutant 100 tonnes de biochar par hectare. En climat tempéré c’est en Australie que l’on trouve la plus grosse élévation de rendement avec +170% sur une culture de blé. Ces résultats vraiment très impressionnants justifient l’action de cette association dans les pays du sud afin de lutter contre la faim dans le monde.
Références à des publications scientifiques types concernant les principales cultures du Sénégal.
TYPE DE CULTURE | AUTEURS | LOCALISATION | TYPE DE SOLS | QUANTITÉ DE BIOCHAR (T/HA) | AUGMENTATION DE RENDEMENT %) |
---|---|---|---|---|---|
Riz | Asai et al. | Houay-Khot, Nord du Laos | upland | 8 | 70% |
Riz | Steiner et al. | Manuas, Brésil | xanthic ferralsol / laterite | 11 | 73% |
Riz | Masulili et al. | Sungai Kakap, Indonesia | acid sulphate soil | 10 | 93% |
Riz | Zaitun et al. | Empretring, Indonesia | – | 10 | 57% |
Canne à sucre | Chen et al. | Okinawa, Japan | shimajiri maji (clay) | 7,2 | 78% |
Tomate | Effah et al. | Kade, Ghana | forest ochrosol | 7 | 177% |
Cotton | Reddy | Midjil Mandal, Andrha Pradesh, India | alkaline | 3,75 | 100% |
Choux | Carter et al. | Siam Reap, Cambodia | sandy acidic | 100 | 750% |
Maïs | Major et al. | Llanos Orientales, Colombia | savanna oxisol | 8 | 71% |
Maïs | Major et al. | Llanos Orientales, Colombia | savanna oxisol | 20 | 140% |
Maïs | Kimetu et al. | Vihiga, western Kenya | highly degraded ultisol | 6 | 71% |
Peanut | Islami et al. | Malang, Indonesia | clay loam | 15 | 54% |
Niébé | Tagoe et al. | Gifu, Japan | sandy loam | – | 146% |
Oignon | Pro-Natura | Sénégal | – | 10 | 50% |
Source : http://www.pronatura.org/
A l’inverse Almuth Ernsting, co-présidente de Biofuelwatch considère qu’aucune étude scientifique n’apporte la preuve de l’efficacité du biochar. Interview réalisée en mai 2015 Dans le rapport fait avec B Ndameu sur les résultats d’une expérience au Cameroun l’association déclare « there is no peer-reviewed field study showing that biochar amendments are capable of raising soil fertility for longer than slash-and-burn farming ». Si elle reconnaît qu’il peut y avoir des effets positifs dans les premiers temps, il n’y a pas de preuve que les résultats durent sur le long terme. Des études montrent en effet que le biochar a pu avoir des conséquences négatives sur les rendements. Ainsi United States Department of Agriculture fait mention dans son rapport d’Octobre 2011 de telles expériences : « Kishimoto and Sugiura (1985) reported biochar additions at 5 t ha-1 decreased soybean yields by 37%, while 15 t ha-1 decreased yields by 71%. In southeastern Pennsylvania, Mikan and Abrams (1995) found negative response of vegetation in older (more than 100-year-old) charcoal hearth areas due to presence of charcoal. Tree density and basal area were reduced by 40% in charcoal hearth locations compared to non-hearth areas ». Dans ces trois cas loin d’avoir un effet miracle, le biochar a eu des effets négatifs.
En 2006 il y a eu une expérience menée à proximité de Manaus au Brésil pour essayer de quantifier les effet du biochar, des fertilisants organiques et minéralisés sur la fertilité du sol et les rendements ; et évaluer la capacité du biochar à garder la matière organique et les éléments nutritifs. Il y a eu deux plantes cultivées, du riz et du sorgho. L’expérience a donné lieu à deux analyses opposées, elle a duré un an et se base sur les résultats de quatre récoltes consécutives. Cinq champs étaient cultivés différemment : le premier a été fertilisé avec des fientes de volaille, le second avec du compost, le troisième avec de la litière forestière, le quatrième avec du biochar, le cinquième avec des engrais minéralisés et la parcelle témoin. Mae-Wan Ho conclut de cette étude que le biochar n’a pas toujours des effets positifs sur les sols, elle publie son analyse sur le site de Institut of Science In Society. Elle relève surtout que c’est le champ qui a été fertilisé par les fientes de volaille qui a enregistré les meilleurs rendements (12.4tonne/ha) sur les quatre récoltes et qui restait le plus fertile au terme à la fin de l’expérience, il était suivi par le champ avec du compost (quoique avec un rendement deux fois plus faible) alors que les champs alimentés avec du biochar, la litière forestière et le champ témoins n’ont pas donné de rendements très importants. Pire, le mélange biochar et compost diminue le rendement de 40% comparé avec le compost tout seul, elle finit en concluant que seules les fientes de volailles ont permis d’enrichir les sols en phosphate et en potassium, ce qui est un résultat cinglant pour les pro-biochar. A l’inverse la conclusion du rapport de l’expérience (menée par Christoph Steiner, Wenceslau G. Teixeira, Johannes Lehmann, Thomas Nehls Jeferson, Luis Vasconcelos de Macêdo, Winfried E. H. Blum, Wolfgang Zech ) est beaucoup plus positive pour le biochar. Même si les sols fertilisés avec du fumier sont restés fertiles à la fin des quatre récoltes, ils ont vu leur teneur en azote et en potassium diminuer. En revanche il met en avant le fait que le biochar a montré sa capacité à garder un sol fertile quand on lui rajoutait de l’engrais, surtout en comparaison avec les engrais chimiques, et il permettait bien mieux de stocker le carbone dans le sol, n’enregistrant qu’une perte de 4-8% à comparer avec les 27% perdus par le champ avec le fumier, le compost et la litière. La conclusion de ce rapport et donc que le biochar est réfractaire à la décomposition et que mélangé avec des fientes de volaille il pourrait s’apparenter à la terre noire, mais qu’il faut mener plus de recherches afin d’optimiser l’amélioration des caractéristiques du sol.
Néanmoins les rendements ne sont que la partie visible des effets que le biochar a sur la terre, en effet il modifie les caractéristiques du sols de différentes manières.
Du biochar pour changer les sols ?
Le biochar présente une structure alvéolaire très développée, pour Benoît Lambert c’est ce qui lui fournit sa capacité à absorber l’eau « à la manière d’une éponge », le Dr David A. Laird va plus loin en disant que cette structure microscopique lui permet de « retenir les nutriments, l’eau, les cations et les anions » « retain nutrients, water, cations, and anions », http://biocharfarms.org/farming/ . RITTMO Alsace a chiffré à +18% la capcité de rétention d’eau dans le sol. Cependant dans Effects of biochar on water retention in the Interreg Biochar: climate saving soils field trials, dans le cadre du InterregIVB North Sea Region Programme, une étude a montré que « l’utilisation de biochar à un taux de 20 tonnes/ha (soit 0.5% de la matière organique contenue dans le sol) n’avait pas d’effet sur l’approvisionnement en eau de la culture » Application of biochar at a rate of 20 tons per ha (equivalent to 0.5% soil organic matter) had no effect on the crop availability of water. En revanche s’il est mis en assez grandes quantités dans le sable, le biochar joue un rôle dans la rétention d’eau.
Avec cette photo ProNatura veut montrer que le biochar favorise la croissance des végétaux et en particulier celle des racines. L’étude menée par Christophe Naisse dans Potentiel de séquestration de carbone des biochars et hydrochars, et impact après plusieurs siècles sur le fonctionnement du sol va dans ce sens également, en effet le chercheur de l’Université Pierre et Marie Curie, « En créant des conditions de plus grande fertilité, et en stimulant la synthèse de production racinaire (Spokas et al., 2010), on peut émettre l’hypothèse qu’un apport de biochar à long terme pourrait augmenter les apports de matières organiques par la végétation au sol ». Dans le même ordre d’idée, IBI défend le fait que le biochar favoriserait l’activité microbienne dans les sols favorable à l’agriculture « Biochar stimulates the activity of a variety of agriculturally important soil microorganisms », http://www.biochar-international.org/biochar/faqs . Dans sa thèse Effet de l’amendement en biochar des sols biologiques pour une culture de tomates sous serre : Rétention en nutriments, activité biologique et régie de fertilisation, Sara Laurin-Lanctôt observe également une hausse de l’activité microbienne dans les sols, mais elle met en parallèle ses résultats à court terme avec ceux à long terme de deux autres études en 2011 et 2012 qui n’ont pas abouti à une différence significative entre un sol amendé et un sol non amendé. Le biochar peut également stimuler l’activité microbienne du sol qui est essentielle dans le cycle des nutriments (Laird et al., 2010). Les études effectuées à court terme ont montré des résultats positifs significatifs sur les paramètres microbiens du sol telles la croissance et la biomasse microbienne, la respiration microbienne du sol et le taux de minéralisation nette contrairement aux études à long terme qui n’ont observé aucune différence entre un sol amendé et non amendé en biochar (Castaldi et al., 2011; Quilliam et al., 2012; Zavalloni et al., 2011). Par ailleurs, l’une de ces études a montré qu’une deuxième application en cours de culture (le double de la quantité de départ ajoutée en cours de culture) de biochar au sol a eu un effet significatif positif sur les paramètres microbiens (croissance et colonisation mycorhizienne) et la qualité du sol (Quilliam et al., 2012)
Des études montrent que le nombre de vers de terre contenus dans le sol diminue lorsque l’on y met du biochar, dans sa thèse Sara Laurin-Lanctôt montre cet effet sur un échantillon. Or les vers de terre sont importants dans l’agriculture pour assure la qualité des sols. Cependant dans sa même thèse, Sara Laurin-Lanctôt mentionne une autre étude réalisée en 2011 : « D’autre part, Weyers et Spokas (2011) affirment que plusieurs études ont observé un impact négatif du biochar sur l’abondance en vers de terre sur une courte période de temps tandis que sur le long terme, l’impact sur leur abondance est nul ». La raison pour laquelle il y a moins de vers de terre en présence du biochar est mal connue.
Du biochar aux biochars
Johannes Lehmann parle de plus en plus de biochars au pluriel, en effet selon la matière organique que l’on pyrolyse et la manière dont on la pyrolyse, on n’obtient pas le même biochar à la fin et ses propriétés sont différentes. Ainsi Vicky Lévesque dans son projet de doctorat a cherché à « Développerun biochar de qualité et favorable à la croissance des plantes et des microorganismes ».
Grace à ces graphiques il semblerait que le biochar obtenu à partir du pin pyrolysé à 700°C permette de favoriser la croissance des salades dans le cadre de cette expérience. Cependant pour Almuth Ernsting le sol et ses mécanismes sont trop différents et complexes pour que nous puissions généraliser une technique comme le biochar. Guy Reinaud pense également que « le biochar n’est pas une technique maîtrisée » mais il est favorable à ce que le ce soit à travers l’expérimentation et les interventions locales que se mettent en place les techniques adaptés de pyrolyse de biochar.
Nous avons pu voir quels sont les débats liés aux effets du biochar. Certains sont d’accord pour dire que c’est une solution extraordinaire pour lutter contre le réchauffement climatique et fertiliser les sols, alors que d’autres restent plus prudents en remettant en cause les capacités de fertilisant du biochar ou sa permanence en tant que réservoir de carbone. Il est donc intéressant de se demander pourquoi le carbone nous pose-t-il tant problème ?