Une ou des agricultures ?

Avant de parler des propriétés du Biochar relatives à l’agriculture, il serait intéressant de se pencher en premier lieu sur les problèmes rencontrés dans les différents types d’agricultures qui légitiment pour ses défenseurs, l’utilisation de biochar comme amendement des sols.

Selon Marcel Mazoyer « Mondialement reconnu comme l’un des meilleurs spécialistes de la question agricole, [il] fut notamment l’ancien Président du Comité du Programme de la FAO (1983-1993) et le successeur de René Dumont à AgroParisTech […] » – source  on ne peut parler d’une agriculture mais plutôt des agricultures « Dès l’origine, ces derniers se sont diversifiés à un point extrême dans leurs modes de culture : on se figure aisément l’étendue des différences de toutes natures que présentent alors la culture du riz et du soja dans la Chine du Nord d’une part, la culture du maïs, des haricots et du coton au Mexique d’autre part. La culture du blé, de l’orge, du pois et du lin au Proche Orient, ou encore la culture du taro en Papouasie, peuvent également être citées en exemple pour achever d’illustrer cette variété. Ainsi, l’agriculture se caractérise par la pluralité depuis ses débuts, en dépit d’un modèle alimentaire commun aux grandes civilisations. » – source . De fait, il est tout de suite intéressant de se demander pour quel type d’agriculture sont reconnus les vertus et les reproches faits au biochar.


L’homme au centre de l’agriculture ?

Le Larousse donne pour définition de l’agriculture l’ensemble des travaux dont le sol fait l’objet en vue d’une production végétale. On remarque d’emblée que l’ensemble des travaux n’est pas nécessairement produit par la main de l’homme, « on ne peut pas traiter les sols comme si c’était une usine, c’est vivant ! » nous fait remarquer Benoît Lambert.Fondateur de Génération Biochar et acteur dans le débat sur l’utilisation du biochar. Pour en savoir plus sur Benoît Lambert, aller dans l’onglet Intervenants

D’ailleurs, Claude BourguignonClaude Bourguignon est un ingénieur agronome français, réputé pour ses travaux et expériences sur la microbiologie des sols. Docteur es-sciences et fondateur du LAMS : Laboratoire d’Analyse Microbiologique des Sols, il travaille en France, mais aussi en Europe, en Amérique et en Afrique. Il est parmi les premiers, dans les années 1970, a avoir alerté sur la dégradation rapide de la biomasse et de la richesse des sols en micro-organismes et en champignons microscopiques, ainsi que sur la perte d’humus et de capacité de productivité des sols agricoles européens, ou des sols auxquels on appliquait les mêmes méthodes en climat tropical ou subtropical. Il a contribué à développer des techniques alternatives qui se sont avérées très efficaces, mais qui demandent une bonne technicité et connaissance du fonctionnement écologique des sols. Il est aussi directeur et fondateur du LAMS qui produit des analyses chimiques, écologiques et biologiques des sols agricoles, afin d’aider les agriculteurs ou leurs gestionnaires à obtenir de meilleurs rendements, par une meilleure connaissance et prise en compte du fonctionnement des sols. le souligne dans la vidéo ci-dessous, c’est bien la microfaune présente dans le sol qui permet de le rendre riche et propice à la culture de plantes.  Dans cette vidéo, Claude Bourguignon nous explique en détail le fonctionnement du sol et se demande « pourquoi l’homme casse les sols alors que la nature sait les faire pousser pendant des milliers d’années ». La réponse qu’il nous donne est liée à la microfaune présente dans le sol. La faune épigée (sous la surface de la terre) et la faune endogée (plus en profondeur) permettent de « nettoyer » le sol pendant que les champignons produisent de l’humus nécessaire à la fertilisation des sols. Il en conclut que « le système sol-plante est fermé dans la nature » .

Finalement, le biochar apparaît pour ses défenseurs comme un bon compromis pour limiter l’action de l’homme sur les sols tout en garantissant de hauts rendements agricoles. Ainsi, Pro Natura publie dans son rapport sur l’utilisation du biochar au Sénégal des augmentations de rendements de certaines cultures atteignant 750% pour 100 tonnes de biochar épandus par hectare. De même, le site internet de Pro Natura affirme que l’utilisation de biochar permet d’augmenter de 40% la population de champignons mycorhiziens, champignons essentiels à la création d’humus tel que le souligne « Cette faune [épigée] va manger tous ces bouts de bois […] et va faire des crottes […] : de la matière organique broyée en éléments très très fins, qui va permettre aux seuls organismes au monde qui sont capables d’attaquer la lignine qui sont les champignons […], d’attaquer ces crottes et de les transformer en humus » Claude Bourguignon dans la vidéo précédente.


 

Augmenter le rendement agricole au détriment de la qualité des sols ?

L'agriculture mécanisée productiviste : un danger pour les sols ? (source : www.volganet.ru)
L’agriculture mécanisée productiviste : un danger pour les sols ? (source : www.volganet.ru)

Dans cette optique, l’agriculture moderne a exploité l’éventualité de produire beaucoup sur n’importe quel type de sol pour augmenter la rentabilité économique, en développant des engrais chimiques essentiellement composés des trois éléments que sont l’azote, le phosphore et le potassium (couramment appelée la base NPK) parmi les 51 éléments recensés dans le sol selon Benoît Lambert. l’INRA dénonce notamment des baisses de l’ordre de 20% des rendements agricoles et des « performances économiques pas optimales » si l’on arrête la labour pour favoriser la microbiologie des sols au détriment de la consommation d’engrais chimiques.

En revanche, selon Benoît Lambert le labour « épuise les sols très rapidement, ça les détériore ». Cette technique permet d’enfouir les résidus végétaux sous la surface du sol pour favoriser leur décomposition mais a le fâcheux inconvénient de libérer tous les gaz enfouis dans le sols qui permettent de fertiliser chimiquement et naturellement le sol, notamment le carbone. De plus, Claude Bourguignon souligne dans la vidéo ci dessus que « la grande bêtise de l’agriculture c’est que le labour met la matière organique sous les racines », ce qui facilite la contamination des nappes phréatiques par les éléments minéraux qui ne sont plus récupérés par les racines des arbres.

Selon Benoît Lambert, « il faut [donc] au moins                 arrêter le labour et remettre des plans de couverture à l’automne pour recouvrir les sols et le biochar est un des outils si on veut relancer l’agriculture sur des bases saines et arrêter la désertification parce que nous avons déjà perdu plus de 50% des sols cultivables »

Pour ses propriétés de régénération des sols ventées notamment par US Biochar Initiative Une association à but non lucratif qui promeut la production et l’utilisation du biochar à travers la recherche, la politique, la technologie et le savoir-fairecomme « l’augment[ation du] rendement des cultures, l’enrichi[ssement du] sol et la prote[ction de] l’eau », le biochar pourrait permettre de soigner les sols agricoles déjà détériorés.


Une agriculture pour nourrir les hommes ?

La croissance de la population mondiale amène à se poser des questions sur l’agriculture de demain pour assurer à chacun une quantité suffisante de nourriture pour se nourrir. Si les grands groupes agro-industriels comme Monsanto, leader mondial de l’OGM, préconisent des solutions liées aux biotechnologies (OGM), le biochar pourrait être selon ses défenseurs une solution pour nourrir les hommes et produire en quantité suffisante. En effet, Popular Science  Une revue mensuelle américaine de vulgarisation scientifique s’est penché sur cette question de « l’avenir de l’agriculture » et en conclut (en septième solution) que l’utilisation de biochar pourrait non seulement réparer les 25% de terres dégradées par les activités humaines, mais aussi aider à lutter contre la faim dans le monde.

D’ailleurs cette vidéo d’une conférence TEDTED est une entreprise à but non lucratif consacrée à la diffusion d’idées, généralement sous la forme de courtes conférences, Wae Nelson montre comment fonctionne la microstructure du biochar. Wae Nelson, un ancien ingénieur passionné de biochar, nous prouve l’utilité de ce fertilisant naturel. Selon lui, un gramme de biochar représente 9000 pieds carrés de surface dans les alvéoles qui contient, ce qui représente presque la surface de 2 terrains de football. Tout végétal ayant besoin de nutriments, d’eau et de micro organismes, le biochar constitue une solution pour stocker les deux premiers et favoriser le développement des micro organismes tant en qualité qu’en variété. C’est pourquoi les Amérindiens l’ont utilisé pour fertiliser les sols Amazoniens et se nourrir.  


 

Une agriculture durable dans le temps ?

La Terra Preta : l’ancêtre du biochar ? (source : Wikipédia-téléversé par Hispalois-01/05/2008)

On a découvert qu’à l’autre bout du monde, dans la forêt amazonienne, les amérindiens utilisaient il y a 800 ans un procédé de combustion des déchets végétaux sans air, ceci afin de créer un fertilisant. Connu sous le nom de Terra Preta, c’est ce principe qui a servi d’exemple pour la production du biochar Dans son Expert Commentary, Christoph Steiner, de l’institut de la Science et de la Géographie des sols à l’université de Bayreuth (Allemagne), affirme que « l’évidence que la Terra Preta ait été faite par l’homme, et donc la possibilité de transformer un des sols les plus infertiles en un des sols les plus fertiles a inspiré la recherche sur le charbon [Biochar]« . On y retrouve la même problématique de concilier de hauts rendements avec un sol pauvre. Cependant, compte tenu du peu de surface cultivable en Amazonie, les Amérindiens ont produit un fertilisant à la fois efficace et durable pour nourrir les sols. Si bien que d’après International Biochar Initiative, ces sols ont été déterrés et vendus comme terreau sur le marché brésilien.

C’est ce que prétend faire le biochar : il y a « très peu » de rejet de carbone dans l’atmosphère selon Benoît Lambert, car le biochar « est issu d’un processus de pyrolysation » et « avec des méthodes de pyrolyse aujourd’hui qui n’ont rien à voir avec ce qu’on faisait il y a trente ans ». Le biochar répondrait donc à ce critère de durabilité  en tant que fertilisant comme la Terra Preta, et conférerait donc à l’agriculture un aspect durable dans le sens où « le biochar a un effet permanent. C’est le même biochar qui amasse des prix aujourd’hui, la terra preta qui a cinq mille ans…il n’y a rien qui a bougé, c’est le même : donc vous ne l’utilisez qu’une seule fois, vous n’en mettez qu’une seule fois ça a un effet permanent. » (Interview de B. Lambert, 2015).


 Une agriculture sans fertilisants ?

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L’agriculture biologique : une solution pour nourrir correctement tout le monde ? (source : Wikipédia-Elina Mark)

Selon Sara Laurin-Lanctôt, l’agriculture biologique  est un « système de production qui maintient la santé des sols, des écosystèmes et des gens et qui se base principalement sur une vision minimaliste des intrants et de l’impact sur l’environnement ». Cependant, cette agriculture doit être désormais développée à l’aide de fertilisants, contrairement à « l’agriculture biologique classique », version aujourd’hui « dépassée » comme le souligne Benoît Lambert car « elle ne peut pas se limiter simplement au fait de ne pas utiliser de produits chimiques il faut vraiment que l’on nourrisse les sols ; si on ne nourrit pas les sols c’est certain qu’on produira beaucoup moins que l’agriculture à base conventionnelle, à base de produits chimiques ».

Selon Benoît Lambert, l’agriculture biologique moderne doit utiliser des fertilisants naturels et respectueux de l’environnement en parallèle de techniques de productions qui prennent soin du sol pour « revenir » vers un système semblable au système agro-sylvo-pastoral Système d’agriculture conciliant production animale et végétale grâce à la présence d’arbres. (cf Glossaire)  développé en France au 19 ème siècle. Le biochar serait donc pour lui le candidat idéal pour fertiliser les sols. Cependant, le rapport sur le biochar de Martine DoraisMartine Dorais est chercheuse en agronomie. Originaire des Cantons de l’Est, Martine a fait ses études agronomiques à l’Université Laval, en travaillant l’été à Agriculture et Agroalimentaire Canada. Puis, poussée par la curiosité et les bourses d’études, elle fait un PhD en physiologie des cultures en serre sous éclairage artificiel, le but étant de cueillir le poivron et la tomate douze mois par année. C’est lors de ses études postdoctorales à Vancouver que Martine a découvert le bio de l’université de Laval, intitulé « Le bio en serre : mirage ou réalité ? » fait état (p.12) d’une baisse de productivité pour les cultures de laitues Le rapport indique en effet que la culture de salades avec sol « bio » produit en moyenne des salades pesant 165 g par plant contre 132 g par plant pour le sol « bio+biochar«  cultivées sous serre avec une terre à base de biochar…Le rapport de Claudine Ménard, de la même université, va même plus loin en annonçant les résultats observés en fonction du type de biochar et en conclut (p.12) que l’apport de biochar est « néfaste » pour les cultures et que seul le biochar mélangé dans le sol depuis longtemps pouvait avoir un effet positif !

Il est donc délicat dans ce type d’agriculture de juger de la pertinence de l’utilisation de biochar comme amendement des sols. Si pour certains son utilisation permettrait de laisser de côté les engrais chimiques, d’autres montrent qu’il a certes été prouvé que « le biochar augmente la biomasse microbienne et le cycle des nutriments » Rapport de Sara Laurin-Lanctôt de l’université Laval au Canada intitulé « Effet de l’amendement en biochar des sols biologiques pour une culture de tomates sous serre : Rétention en nutriments, activité biologique et régie de fertilisation«  mais qu’il ne permet pas d’augmentation des rendements agricoles si son utilisation est découplée d’autres fertilisants.


Après s’être penché sur la place du biochar dans l’agriculture d’aujourd’hui, il est important de se demander à partir de quoi est fait le biochar et quels sont exactement les effets observés après son utilisation sur un sol.flèche

Les vertus de cette terre sont souvent discutées voire réfutées…mais pourquoi ?