Un débat qui tient un rôle important dans la presse scientifique et généraliste sur le biochar est la question de son origine. La méthode de création du charbon vert reste la même : on effectue une pyrolyse, combustion sans oxygène, de biomasse, c’est-à-dire de matière organique d’origine végétale. Mais il existe alors plusieurs biochars selon la provenance de cette biomasse, et comme le fait remarquer le site de Pro Natura, « tous les biochars ne sont pas efficaces de la même façon ». Et, à l’instar du récent débat à propos des biocarburants de première génération par exemple, on peut comprendre aisément les arguments des opposants aux biochar: peut-on vraiment se permettre d’enfouir des ressources alimentaires sous le sol? Doit-on déboiser les forêts pour laisser place à des monocultures consacrées seulement à la pousse de biomasse pour le biochar ?
Cette problématique de la matière première se retrouve dans de nombreux débats et il est notamment le point central du duel que se livrent deux catégories d’associations : des associations pro-biochar d’un côté, représentées par IBI, International Biochar Initiative, et Biochar Fund Biochar Fund est une association crée en 2008 dont les activités s’organisent autour de la lutte contre la faim dans le monde, la déforestation, le changement climatique et l’accès à l’énergie. Pour en savoir plus, consulter cette page notamment, et des associations « analysant les nouvelles technologies et leur impact sur l’environnement et la société » (description de EcoNexus EcoNexus affirme sur son site internet qu’il « existe d’importantes lacunes dans les connaissances sur le biochar » et que les arguments en faveur du biochar son souvent « peu détaillés ». ) et contre l’utilisation du biochar, représentés par EcoNexus, Biofuelwatch et Almuth Ernsting, son co-directeur. Rentrons donc en détail dans ce débat en analysant plusieurs exemples.
Le Cameroun, un cas où la matière première pose problème :
Le cas du Cameroun est le plus représentatif du débat qui existe entre ces deux types d’associations. De 2008 à 2010, Biochar Fund fournissait du biochar à plus de 1500 fermiers camerounais, par l’intermédiaire de Key Farmers, une association locale. Ce projet avait pour but de booster les rendements des fermiers qui n’ont que leur culture pour vivre mais également de démontrer les avantages du biochar sur le terrain.
La biomasse utilisée pour fabriquer du biochar :
Dès Novembre 2011, Biofuelwatch et le camerounais Anthony Ndameu publient conjointement un rapport, “Biochar Fund Trials In Cameroon Hype And Unfulfilled Promises”. S’ils critiquent les résultats de l’expérience, ils dénoncent également la provenance du biochar et le manque de transparence sur sa production par Key Farmers et Biochar Fund. En effet, des arbres alentours auraient été utilisés pour créer du biochar : « Le test a également utilisé du bois collecté de zones cultivées à proximité » (p.16). Ce bois étant de l’acajou, « souvent utilisé par les menuisiers pour fabriquer des biens ménagers de haute valeur », on peut comprendre rapidement que cette expérience les a privé de leur matière de travail. Dans un pays où la déforestation est déjà une problématique majeure, ces associations craignent que les propriétés du biochar poussent les agriculteurs à renouveler d’effort pour raser les forêts.
Face à ce problème majeur, le docteur Mae-Wan HoMae-Wan Ho est une généticienne. Co-fondatrice et directrice de the Institute of Sciences in Society (ISIS), qui lutte contre l’utilisation de biotechnologie, elle a fait un Ph.D. en Biochimie à l’Université d’Hong Kong nous met en garde dans un article de The Permaculture Research Institute. Selon elle, « la quantité de O2 disparaît plus vite que ne croît la quantité de CO2, aussi bien sur terre qu’en mer ». Ainsi donc, « transformer des arbres en charbon pourrait être le moyen le plus sûr de provoquer une crise d’oxygène que nous ne pourrions jamais réparer ».
Les méthodes de pyrolyse :
D’autre part, le processus de pyrolyse pose problème étant donné qu’il se ferait sans récupération d’énergie et serait donc très énergivore : « aucune énergie crée à partir de ce processus n’a été utilisée ». Biofuelwatch dénonce alors un projet qui n’a pas pour vocation de s’implanter durablement dans le pays mais dont le but est de « populariser le biochar pour peu de frais ». Les barils utilisés durant l’expérience en témoignent : « la plupart des barils qui ont été utilisés pour produire le biochar étaient hors d’usage » et durant la réaction « un peu d’air » rentrait par des trous faits sur les barils. Le rapport nous dit également que l’expérience n’a duré que trois ans et a été abandonnée par la plupart des fermiers.
Face à cela Benoît Lambert répond que maintenant la pyrolyse c’est « des méthodes modernes avec le recyclage des gaz synthétiques […] on brûle les gaz à l’intérieur d’une bouilloire […] qui a très très peu d’oxygène à l’intérieur, […] et donc ce procédé qu’ils appellent « exogène » […] accélère la production de charbon de bois et on arrive à produire sans pollution ». Cette méthode moderne permet de créer du biochar en sept heures alors que la méthode traditionnelle ne le permettait qu’en sept jours. Cette méthode est donc beaucoup moins énergivore.
Bien sûr, on trouve de nombreux articles qui, au contraire de Biofuelwatch, vantent les résultats de l’expérience et notamment celui de Chris Goodall, repris par IBI sur son site web. Selon lui, la totalité de la biomasse utilisée pour la création du biochar repousse en 6 ou 7 ans.
L’Australie et le Brésil : le bambou résout les problèmes de déforestation ?
En Australie, Kerrie O’Neill de BambooBusy a essayé une méthode de captation à base de biochar fabriqué avec du bambou. Il a pour cela investi dans un four à faibles émissions de CO2 pour convertir du bambou en biochar.
Face aux arguments de Mae-Wan Ho qui disaient qu’il valait mieux s’occuper de la baisse du taux de O2 dans l’atmosphère plutôt que l’augmentation du taux de CO2 et par conséquent que la création de biochar impliquait la déforestation, on peut citer un rapport de l’AIDIC, l’Association Italienne d’Ingénierie Chimique. Ce rapport, écrit à l’Université de Campinas à Sao Paulo stipule que l’utilisation de bambou pour fabriquer du biochar « est une alternative aux arbres natifs ou reboisés ». L’association en conclue que « le biochar de bambou présente des propriétés appropriées pour son utilisation comme source d’énergie et pour des applications agricoles ».
Char O’Brien, la directrice de Bio Bamboo Une association militant l’utilisation massive de bambou pour lutter contre le réchauffement climatique, va même plus loin en disant que Mae-Wan Ho a fait des études pour montrer que le bambou « peut également se développer dans les pires sols su monde », il s’agit d’une « plante pionnière » idéale dans le cas d’un besoin rapide de reforestation. Elle annonce que selon les Nations Unies, « le bambou peut restaurer les sols appauvris ».
Avec le bambou, les débats liés à la déforestation pour produire du biochar sont donc inexistants. Le bambou pousse trop vite pour parler de déforestation, il produit de l’oxygène en quantité suffisante et permet de réaliser du biochar.
Vers un biochar « durable » :
Le biochar doit s’inscrire dans un cycle durable. C’est ce manque de vision à long terme que critiquent les associations qui militent contre l’utilisation du biochar.
Il existe des exemples d’utilisation durable du biochar à grande échelle, c’est le cas du Canada. Le charbon vert est créé à partir de bois mort que le pays a en grande quantité (plus de 300 millions d’hectares de forêts, soit le troisième pays le plus boisé). En effet, Benoît Lambert nous confie lors de notre interview que les forêts canadiennes regorgent de bois morts -regroupés en tas de bois de plusieurs mètres de haut- et que ce bois est couramment brûlé Une méthode appelée le « burning » pour laisser place à la reforestation. Cette biomasse non revalorisée est donc utilisée de plus en plus pour la création de biochar par pyrolyse. Les techniques de pyrolyse sont bien installées, l’énergie en surplus est récupérée.
Cette question du biochar durable apparait dans un rapport publié en Octobre 2009 par Biofuelwatch et EcoNexus « Agriculture and climate change: Real problems, false solutions » dans lequel les associations critiquent l’utilisation du biochar. La réponse de IBI, « Biochar Misconceptions and the Science » présente un grand intérêt dans le cadre de notre étude. On y apprend en effet les différentes critiques faites par Biofuelwatch et EcoNexus et les réponses apportées par IBI. On apprend alors les conditions d’utilisation d’un biochar propre et durable. IBI annonce qu’il crée du biochar à partir de déchets de biomasse, qui sans revalorisation serait abandonné (on parle alors d’épandageL’épandage est une technique agricole consistant à répandre divers produits sur des zones cultivées, forêts, voies ferrées, marais.) ce qui relâcherait le CO2 à l’intérieur. Il assure également la possibilité pour de petits agriculteurs d’utiliser des machines propres pour créer du biochar à petit échelle. Enfin, la production du biochar peut être liée à une co-production de pétrole de synthèse. Ce n’est qu’en inscrivant le biochar dans un cycle durable et respectueux de l’environnement que les associations pourront promouvoir le biochar pour soigner le sol. Sans quoi ils s’exposeront aux critiques des opposants.
Nous venons de voir que parfois l’approvisionnement en matières premières pour la création de biochar pouvait priver la région de ressources naturelles nécessaires à son développement. Cependant, il faut maintenant se pencher sur les effets observés par les différents acteurs pour peser le pour et le contre de cette méthode de fertilisation des sols.