Qu’est-ce que le biochar ?
On pourrait commencer par définir le biochar, ou bio-charcoal, par une traduction possible de ce terme anglais : charbon à usage agricole.
La définition donnée par Johannes Lehmann professeur à l’université Cornell (New York), spécialiste des sols et promoteur du biochar , est la suivante :
Produit carboné microporeux résultant de la thermo-dégradation de la biomasse (matières organiques) en l’absence d’oxygène (pyrolyse). Il est distingué du charbon de bois (obtenu par carbonisation) à usage énergétique par son orientation à être utilisé comme amendement du sol (Lehmann J. Cornell University. 2009).
Pour faire simple, on peut décrire le biochar comme un carbone solide, obtenu principalement par pyrolyse de matière organique, c’est-à-dire décomposition de résidus forestiers (ou de copeaux de scierie par exemple) par la chaleur en l’absence d’oxygène. C’est un produit artificiel d’origine végétale, qui prend la forme de fragments noirs de petite taille. Il est utilisé pour l’amendement des sols.
Terres noires, terres vertes
Historiquement, le biochar s’inspire de terres noires retrouvées en Amazonie et dont les propriétés, notamment en matière de fertilité des sols, défient toute concurrence. C’est le fruit de décennies de travail agricole des civilisations locales, disparues brutalement et sans laisser de traces sur le secret de cet or noir de l’agriculture. Ces terres sont connues sous le nom de Terra Preta, elles forment un sol qui peut atteindre un mètre d’épaisseur, composé d’un mélange des sols présents ainsi que de petites particules de charbon de bois, de cendres de bois minérales et de matière organique humifiée. Les rendements de production de ces sols, 3 à 4 fois supérieurs aux autres sols locaux, attestent d’une fertilité surprenante, mais qui pourrait s’expliquer par un fort taux de Carbone >9% au lieu des 0,5% voisins .
Ces conclusions dérivent de travaux exercés par divers scientifiques et groupes de recherche, notamment le pionnier Wim Sombroek, qui étudie la terra preta de manière scientifique en 1966, dans son ouvrage Amazon Soils. Il collabore ensuite avec Bruno Glaser de l’université de Bayreuth en Allemagne, et concluent quant à l’intérêt de l’amendement de biochar dans les sols. En 1992, Sombroek publie son premier travail sur le lien entre la terra preta et la séquestration du carbone dans les sols. Selon les recherches de Glaser, un hectare de terra preta contient 250 tonnes de carbone contre 100 pour des terres semblables mais non améliorées.
Johannes Lehman, président du conseil d’administration d’IBIInternational Biochar Initiative, un lobby militant pour le biochar, a travaillé avec les deux scientifiques. Il estime qu’une création et une utilisation judicieuses de terres noires permettraient de stocker jusqu’à 9,5 milliards de tonnes par anLehmann, J., Gaunt, J. & Rondon, M. Mitigation Adapt.Strateg. Global Change 11, 403–427 doi:10.1007/s11027-005-9006-5 (2006).
C’est plus que ce qui est émis aujourd’hui en matière de combustibles fossiles.
Carbone négatif
Le biochar serait comme un descendant artificiel de ces terres exceptionnelles, en tant que produit riche en carbone, bien que sa composition soit variable selon la nature de la biomasse utilisée et du processus de pyrolyse.
La formation du biochar par pyrolyse des résidus végétaux implique que ces résidus sont non décomposés par voie naturelle (où ils auraient émis du CO2). De plus, insérer dans les sols du biochar, produit résistant à la décomposition, permet de stocker ce carbone rendu solide : enfoui sous terre il ne saurait s’ajouter aux gaz à effet de serre. On parle de bilan carbone négatif.
Ces avantages sont repris par Efion Rees, dans le journal L’Ecologiste« Alors que la combustion lente de la biomasse rejette peu de dioxyde de carbone, le carbone de la matière organique obtenue reste dans un état très stable dans le sol ». De même, le groupe International Biochar Initiative, lobby promouvant les avantages du biochar écrit sur son site que « le biochar est un outil puissant et simple pour combattre le changement climatique ».
C’est ainsi que le biochar fut mentionné à la conférence de Copenhague, en 2009, comme un des outils à utiliser pour lutter contre l’augmentation des gaz à effet de serre. En effet, plusieurs évènements concernaient le biochar. Par ailleurs le lobby IBI était présent, et l’on comptait Johannes Lehman.
Un nombre croissant de groupes soutient le biochar, tandis que des nouvelles entreprises se chargent de produire du biochar. Ainsi de CoolTerra, biochar produit par l’entreprise CoolPlanet Energy Systems. Le biochar, bien qu’il revienne cher à la fabrication, s’avère être, selon les membres de CoolPlanet, un marché important“We believe the potential global market for CoolTerra could be measured in millions of tons annually.”. Pour cela il faut le promouvoir et le financer. D’où la présence de groupes comme IBI, le principal lobby en faveur du biochar, Pacific Northwest Biochar Working Group, ou ProNatura en France.
Si les promoteurs du biochar se situent souvent dans les pays industrialisés (Etats-Unis, Canada, Suisse en particulier), d’autres voient son intérêt en Afrique, comme le Congo Basin Forest Fund, initiative lancée par les gouvernements britannique et norvégien, pour la protection des forêts tropicales uniques de l’Afrique centrale ainsi que leur biodiversité et services écosystèmiques, qui a accepté en 2009 un projet belgo-congolais (Biochar Fund) pour promouvoir le biochar au Congo« Finalement, le biochar aide à résoudre un problème clé chez les pauvres populations dans les tropiques : le manque d’accès à l’énergie moderne, propre et renouvelable. La plupart des ménages du Congo rural utilisent de petits feux de bois pour cuisiner et pour se réchauffer. Cette forme traditionnelle d’utilisation de l’énergie exerce des pressions sur les ressources forestières comme elle est basée sur la combustion inefficace de la biomasse. Non seulement ce processus émet-il des quantités considérables de gaz à effet de serre, il est aussi responsable de la pollution de l’air à l’intérieur. C’est un phénomène qui, selon l’Organisation mondiale de la Santé, conduit à la mort prématurée d’environ 2 millions de femmes et d’enfants chaque année. En progressant vers un système basé sur le biochar, on peut résoudre ce problème. ».
Principe de précaution VS témérité ?
La présence d’un lobby américain en faveur du biochar à Copenhague été critiquée, pour son impartialité, par certaines organisations ou groupes moins enthousiasmés par les promesses que semble proposer le biochar, tel l’organisme Biofuel Watch, déclarant à l’époque que le « lobby agro-industriel arrive à Copenhague ». De tels groupes, mais aussi des institutions publiques, tel le Comité scientifique français de la désertification, restent méfiants face aux promesses du biochar, arguant qu’elles sont le résultat d’études basées sur des terres noires aux propriétés certes fascinantes mais qui restent mystérieuses. En conclure qu’elles sont les mêmes que celles d’un biochar artificiellement construit serait alors un peu téméraire. Sans contester les résultats donnés par les études de Lehman, ils considèrent que la littérature, certes nombreuse, se base très souvent sur ces résultats et qu’il serait plus rigoureux de croiser les sources avant de crier au miracle.
Ce à quoi la journaliste américaine Emma Marris répond dans Nature : “The enthusiasts need to be more down to earth; but the policy people might benefit from getting their hands dirty.”
La majeure partie des scientifiques s’accordent ainsi pour considérer le biochar comme une solution, mais pas comme la solution : il faudra quand même combiner une diminution des émissions de GES pour lutter contre la pollution atmosphérique. Sinon, comme le pointe Jacques Henno dans les Echos, « ces techniques [de lutte scientifique contre les changement climatique] ne sont qu’un pis-aller : pouvons-nous nous contenter de transmettre le problème du réchauffement aux générations futures ? ».
Nous pouvons désormais comprendre en quoi le biochar pourrait, selon ses défenseurs, permettre de lutter contre le réchauffement climatique et ses effets. Le biochar, retenu en tant que solution pour stocker du carbone dans les sols n’est cependant pas la méthode la plus populaire. Afin de comprendre pourquoi des débats ont lieu sur son utilisation, il faut se pencher sur sa médiatisation dans le temps et dans le monde pour savoir s’il s’agit d’une méthode pertinente.