Bien que le biochar soit considéré comme une solution intéressante pour lutter contre le réchauffement climatique, celui-ci est peu connu du grand public et peu médiatisé par rapport aux autres techniques employées pour diminuer les gaz à effet de serre.
Nous allons donc maintenant étudier l’évolution de l’intérêt pour le biochar dans le temps et dans l’espace. Nous utiliserons pour cela deux outils : le logiciel Gargantext et l’outil Google Trends permettant de connaître la fréquence à laquelle un terme a été tapé dans Google et donc de renseigner la popularité de ce terme. Les nombres figurant sur les graphiques obtenus avec Google Trends indiquent la quantité de recherches effectuées pour un terme donné, par rapport au nombre total de recherches effectuées sur Google au cours de la même période. Ils ne correspondent pas au volume de recherche absolu, car les données sont normalisées et présentées sur une échelle de 0 à 100. Chaque point du graphique est divisé par le point le plus élevé et multiplié par 100. Lorsque nous ne disposons pas de suffisamment de données, le chiffre 0 s’affiche.
D’un point de vue temporel, le biochar a connu un pic de popularité en 2009, comme le montre le graphique ci-dessous. C’est donc suite à la conférence de Copenhague, fixant des objectifs ambitieux de lutte contre le réchauffement climatique, que le biochar fait réellement son apparition comme solution potentielle.
Or être une solution potentielle implique nécessairement l’existence d’études scientifiques pour établir l’intérêt réel de cette nouveau solution. C’est pourquoi il est particulièrement intéressant d’étudier plus précisément le nombre de publications scientifiques relatives au biochar. Grâce à Gargantext, nous avons ainsi pu analyser un corpus d’articles scientifiques (1) et observer la distribution de leur date de publication :
On constate donc que le nombre de publications scientifiques relatives au biochar était très faible avant 2008, puis est devenu plus conséquent en 2009 et a augmenté dans les années suivantes. A partir de 2009, on observe donc un intérêt croissant pour le biochar, à la fois dans la presse généraliste et sur internet (comme le renseigne la courbe obtenue sur Google Trends) mais également dans la sphère scientifique (comme le montre l’augmentation de publications scientifiques à ce sujet). Cependant, si l’on compare la popularité du biochar (courbe bleue) à d’autres techniques utilisées pour lutter contre le réchauffement climatique, le photovoltaïque par exemple (courbe rouge), on constate que le biochar est extrêmement peu médiatisé.
Ce phénomène peut s’expliquer par le fait que le biochar est une technologie récente, pour Guy Reinaud, président de ProNatura, « il y a un cycle de 10 ans avant que l’innovation ne rentre dans la société ». Entretien réalisé en janvier 2015 {end-toolip}. Ce laps de temps correspond au temps nécessaire pour que cette nouvelle technique soit testée et reconnue scientifiquement et acceptée par la société.
Dans le cas du biochar, nous nous trouvons encore dans ce temps de latence. On comprend alors pourquoi certaines organisations, comme Biofuelwatch, font appel au principe de précaution. Selon Almuth Ernsting, les données scientifiques seraient pour l’instant insuffisantes pour montrer l’efficacité réelle du biochar d’une part et pour s’assurer que celui-ci n’aurait pas d’effets néfastes sur l’environnement d’autre part. Elle explique en effet dans son rapport Biochar for Climate Change Mitigation: Fact or Fiction? (February 2009) : « In order for ‘biochar’ to be properly deemed a ‘carbon sink’, two conditions must be fulfilled: First, we must be sure that the carbon in the charcoal will not end up being broken down and emitted to the atmosphere as carbon dioxide. Second, we must also be sure that adding charcoal does not cause large quantities of the pre-existing carbon in the soil to degrade and release CO2. Neither can be guaranteed at present. »
L’intérêt pour le biochar, bien que récent, est pour autant relativement stable et tout aussi important que l’intérêt porté aux autres techniques que stockage de carbone. En comparant la popularité du terme « biochar » à celle du terme « carbon storage » dans Google Trends, nous voyons bien que des méthodes de séquestration de CO2 existaient avant l’apparition du biochar. Après la conférence de Copenhague en 2009, la popularité des deux termes suivent la même évolution, montrant l’intérêt important porté au biochar parmi les différentes solutions de stockage de CO2.
D’un point de vue spatial, la question du biochar n’est pas présente de façon homogène sur tout le globe. Les pays impliqués sont principalement l’Australie, le Canada et les Etats-Unis, comme le montre la répartition suivante :
On peut également s’intéresser à la distribution géographique au début du biochar (2009) :
On constate donc que ce sont les Etats-Unis qui se sont majoritairement intéressés au biochar à ses débuts. Ceci peut s’expliquer par la présence du lobby américain International Biochar Initiative, dont le but est de promouvoir la production, la commercialisation et l’utilisation du biochar. Pour faire entendre sa voix, cette organisation, regroupant des organismes de nombreux pays différents, a déjà organisé {tooltip}plusieurs conférences internationales{end-texte}en Australie en 2007, au Royaume-Uni en 2008 et au Brésil en 2010, permettant ainsi la diffusion du biochar dans d’autres pays.
Le développement de cette technologie s’accompagne également d’une évolution de son utilisation. Au départ, le biochar est apparu comme solution innovante de lutte contre le réchauffement climatique. Il est cependant maintenant associé à une autre problématique : celle de la fertilité des sols. En effet, si l’on compare la popularité des termes « soil » (courbe bleue) et « carbon » (courbe rouge) associés au terme « biochar », on constate bien que la problématique liée aux sols est devenue prépondérante dans la question du biochar et paraît donc actuellement plus présente que la problématique environnementale
Si on s’intéresse à nouveau à notre corpus scientifique sur Gargantext, nous pouvons également constater la présence de la problématique liée à l’agriculture, sur le graphique suivant :
Ce graphique permet de représenter des clusters de mots reliés par des liens de co-occurrence. On oberve donc bien la présence du cluster « carbon sequestration », lié à la problématique environnementale mais aussi deux autres clusters principaux « terra preta » et « soil organic », qui relèvent quant à eux de la problématique de la fertilité des sols. Il convient donc maintenant de s’intéresser à l’utilisation du biochar dans l’agriculture comme fertilisant naturel.
Après cette étape sur la médiatisation de cette technique de stockage de CO2, on comprend que pour de nombreux acteurs il ne s’agit pas de la méthode la plus efficace et pertinente pour lutter contre le réchauffement climatique. En revanche, il semblerait que de plus en plus d’acteurs s’intéressent à ses effets en tant qu’amendement des sols. Le biochar pourrait-il donc devenir une solution pour réparer les sols et proposer un nouveau type d’agriculture ?
(1) Les articles scientifiques constituant le corpus ont été collectés sur Web of Science. Les équations de recherche utilisées sont : « biochar Canada », « biochar Africa », « biochar Australia », « biochar geo engineering », « biochar desertification », « biochar Terra Preta », « biochar stability erosion », « biochar deforestation ».