L’efficacité d’un antidépresseur est nécessairement relative : elle dépend du paramètre que l’on cherche à optimiser. Il faut pouvoir dire par rapport à quoi un antidépresseur est efficace ou non. Ainsi, pour de nombreux chercheurs, les effets des antidépresseurs doivent être ramenés à ceux du placebo, c’est-à-dire une « Préparation dépourvue de tout principe actif, utilisée à la place d’un médicament pour son effet psychologique, dit « effet placebo » » (Larousse). Ils ont mené un grand nombre de travaux, basés sur l’étude statistique de cohortes représentant diverses populations (adolescents, personnes âgées…). L’efficacité relative du traitement vis-à-vis du placebo est alors quantifiée par l’évolution du diagnostic du patient (via le HDRS notamment) et par des outils statistiques (prenant notamment en compte “l’effet de taille”) permettant de quantifier l’impact relatif de l’antidépresseur utilisé par rapport au placebo. Différentes agences comme la FDA (Food and Drugs Administration) aux Etats-Unis et le NICE (National Institute for Clinical Excellence) en Grande-Bretagne mettent alors en place des seuils d’efficacité par rapport au placebo des antidépresseurs. Toute molécule dépassant ce seuil est considérée comme “efficace”.
L’un des acteurs les plus influents dans le domaine de la comparaison de l’efficacité des antidépresseurs et des placebos est Irving Kirsch, chercheur et professeur en psychiatrie. Il a défendu pendant des années l’idée que les antidépresseurs n’étaient pas plus efficaces que des placebos. Bien que les antidépresseurs de type ISRS aient eu des autorisations de mise sur le marché dans la plupart des pays, Kirsch n’a cessé de remettre leur efficacité en cause.
Pour pouvoir être prescrits aux patients, les nouveaux antidépresseurs doivent faire l’objet d’une approbation de la part des autorités compétentes (telles que la FDA ou le NICE). Leur jugement se base sur les résultats d’essais cliniques, et l’efficacité des substances est déterminée par le taux de rémission des patients, mesuré par une amélioration sur l’échelle de Hamilton. Or, cela peut créer un effet de seuil :
Dichotomising scores into remission and non-remission creates an artificial boundary, with patients just over the cut-off score often being clinically indistinguishable from those just under the cut-off. (1)
Kirsch remet ainsi en cause les critères de mise sur le marché des antidépresseurs : une différence minime sur le score HDRS peut pousser une large partie des patients du « bon côté » du critère, et ainsi emporter la décision de mise sur le marché. Ce fait est démontré par Kirsch sur le graphique ci-dessous. La traitement est dit efficace, si le changement de la moyenne est de plus de 12 points sur l’échelle de Hamilton. Selon cette mesure, 50% des patients prenant les antidépresseurs et 32% des patients utilisant le placebo guérissent. Par ailleurs, la différence entre les moyennes des deux graphes est seulement de 1 point, une minuscule fluctuation pourrait donc perturber la proportion des groupes. Kirsch précise que la coïncidence des moyennes avec le critère de validation (12.5, 11.5 et 12 respectivement) est souvent le cas pour ces études :
Qui plus est, le NICE impose une différence de 3 points avec le placebo pour tous les nouveaux antidépresseurs. Kirsch et son équipe ont publié en 2005 une première méta-analyse d’un grand nombre de tests cliniques publiés par la FDA, dans laquelle ils montrent qu’en moyenne l’amélioration n’est que de 1.7 points. Plusieurs ISRS sont donc inefficaces, selon cette étude (2) .
L’étude a été unanimement critiquée par les industries pharmaceutiques et par d’autres chercheurs en psychiatrie, pour son faible nombre d’essais pris en compte, mais surtout parce qu’elle ne prenait pas en compte un facteur essentiel : la sévérité initiale de la dépression (baseline severity). Cela a ainsi conduit Kirsch et son équipe à réaliser une seconde méta-analyse (3), incluant cette fois-ci des données non publiées. La conclusion de leur étude est édifiante : pour les dépressions moyennes (HDRS >18), il n’y a aucune différence avec le placebo ; pour les dépressions sévères (HDRS>23), la différence n’est pas cliniquement significative ; pour les dépressions très sévères (HDRS>28), elle commence à l’être, mais cela est davantage dû à une diminution de l’effet placebo qu’à une augmentation des effets de l’antidépresseur. L’étude conclut donc qu’il ne faudrait prescrire des antidépresseurs à la plupart des dépressifs qu’en ultime recours.
Les résultats de Kirsch ont été confirmés par d’autres études, notamment celle de Turner et Rosenthal, en 2008 (4) . La seule différence entre l’article de Kirsch et le document de Turner et Rosenthal était dans la conclusion : Kirsch conclut à l’inefficacité des antidépresseurs, tandis que Turner et Rosenthal remettent en cause la limite d’efficacité imposée par le NICE en affirmant que les substances étudiées sont efficaces, mais moins significativement que la limite imposée. C’est le problème des critères d’efficacité qui ne peuvent être que relatifs, et non absolus.