Une entrée dans l’UE critiquée
Avant de se plonger dans les causes de la crise grecque, il convient dans un premier temps de revenir sur l’adhésion de la Grèce à la zone euro, adhésion déjà elle-même controversée. Ainsi, loin d’être acquise, la place de la Grèce dans l’Europe est remise en cause.
Ainsi, pour Georges Prévélakis, professeur des Universités, Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), lorsqu’en octobre 2009, Georges Papandréou, nouveau Premier ministre grec, décide de révéler la situation réelle de la Grèce devant les difficultés qu’elle rencontre, c’est parce que le gouvernement grec admet ne pas pouvoir tenir ses promesses électorales et stabiliser l’économie grecque. Ainsi, la Grèce a fourni en 2000 de fausses statistiques sur sa situation économique, divisant par exemple par 2 le chiffre de son déficit publique[1] et avait malgré tout en 2005 la dette publique la plus élevée de la zone euro. D’autre part, toujours d’après lui, son économie reposait, et repose toujours, essentiellement sur des secteurs fragiles, comme le tourisme, et le taux de croissance élevé de la Grèce sur la période 2000-2007 s’expliquait par une logique de rente, c’est-à-dire un afflux de capitaux européens notamment. C’est donc en 2009 que, pour Georges Prévélakis, les faiblesses de l’administration grecque ainsi que la corruption ont été révélé publiquement et que « l’omerta » a été « brisée »[2], alors que les faiblesses de la Grèce étaient déjà connues, puisqu’en 2004, une première procédure avait été mise en place par la Commission Européenne forçant le gouvernement grec à prendre des mesures pour réduire son déficit et réduire l’inflation, la plus élevée de la zone euro.
La question qui se pose alors d’après Georges Prévélakis est de savoir comment, malgré cette situation économique difficile et connue, puisqu’en 2004 déjà, le rapport d’Eurostat, l’office statistique européen, fait savoir que les chiffres avancés pour intégrer l’Europe avaient été falsifiés alors qu’en 2002, la Commission Européenne pointe du doigt « un risque sérieux de dérapage budgétaire »[3], la Grèce a pu intégrer l’Union Européenne. Pour lui, la Grèce est « marginale » pour ceux qui pensent l’Europe autour de son « centre franco-allemand », et elle est différente « dans sa nature des autres Etats de l’UE ». En effet, il considère que les institutions politiques grecques se rapprochent de celle des pays du Moyen Orient et d’Afrique du Nord, dans lesquelles l’Etat-nation a été « importé », et où les institutions politiques sont « fragiles », et où « l’Etat de droit, la solidarité nationale face aux intérêts particuliers […] la neutralité de l’administration {…] ont été des apports externes », contrairement aux autres pays européens de l’époque. Loin de « l’image d’une nation modèle berceau de la démocratie », la Grèce n’aurait alors jamais du rentrer dans l’Union Européenne, même pour la « symbolique européenne » ou pour des raisons politiques. Cependant, pour Sia Anagnostopoulou, professeur d’histoire à l’université Pandeion d’Athènes et députée de la gauche radicale Syriza, la Grèce est « le seul pays de culture et de principe européen dans un bassin menacé au nord, par une montée des nationalismes dans les Balkans, au sud, par un recul démocratique des pays d’Afrique du Nord et, à l’est, par une Turquie en voie de radicalisation religieuse et un proche Orient à feu et à sang »[4]. Loin de rapprocher la Grèce a un pays se rapprochant de par sa culture et son histoire aux pays d’Afrique du Nord par exemple, elle considère que « Dans un environnement dévoré par les nationalismes et les extrémismes religieux, la Grèce est, et doit rester, un rempart contre la barbarie et continuer à porter le modèle de la civilisation européenne ». D’autre part, ce sont bien des raisons politiques et symboliques qui ont amené à l’adhésion de la Grèce à l’UE : d’après Philippe Busquin, membre de la Commission Européenne en 2000, « C’était un acte politique d’élargir un peu plus l’Union monétaire ». Ainsi, d’après lui, « L’Union monétaire était considérée comme la continuité de l’intégration européenne » et la Grèce était européenne. « Sans doute, l’Europe a-t-elle fait un pas vers la Grèce sans être certaine que la structure suivrait. Elle avait réussi ce pari lors de l’adhésion de l’Espagne en janvier 1986 »[3]. Enfin, si Georges Prévélakis dénonce ces chiffres truqués, d’autres[5] font remarquer qu’à l’époque, la Grèce n’était pas la seule dans cette situation : ainsi, si grâce au service de la banque américaine Goldman Sachs, la Grèce a pu échanger sa dette a un taux fictif pour la réduire à 2% du PIB[6], nombre de pays membres sont à l’époque favorables à une zone euro élargie, et tendent donc à assouplir les critères. C’est le cas de la France notamment : ainsi, Giscard d’Estaing se félicitait en 2000 d’avoir été aux côtés de la Grèce à la fois lors de son adhésion à la CEE en 1981 et lors de l’adoption de l’euro. D’autre part, Rome a lui aussi utilisé ce moyen pour ramener sa dette à 3% du PIB, dans les mêmes conditions, sans qu’aucun ne remette en cause sa place au sein de l’UE.[7] Au cours de notre entretien avec lui Jean-Marc Daniel, économiste et professeur à l’ESCP Europe a lui aussi fait référence à une acrobatie de comptabilité qui a fait descendre la dette française à moins de 3% du PIB lors de l’adhésion à la Zone Euro.
Graphique représentant le ratio Dette/PIB de la Grèce de 1970 à 2014
Source : base de données Ameco établi par la Commission Européenne
Enfin, si le déficit grec avait été jugé dans un premier temps trop excessif pour qu’elle puisse adhérait à l’UE, il s’avère que pour la Commission Européenne, la Grèce a prouvé son sérieux en réussissant notamment à stabiliser sa dette comme l’illustre la période 2000 sur ce graphique. C’est pourquoi, Pedro Solbes, commissaire chargé des Affaires économiques et monétaires, arrive à faire valider le rapport de convergence lors de la réunion du 3 mai 2000 du CE, qui permet à la Grèce d’adopter l’euro dès le 1er janvier 2001.
[1] Chiffre issu de l’article sur la Grèce du site touteleurope.eu, groupement d’intérêt économique financé entre autre par l’Etat français.
[2] PREVELAKIS, Georges. La crise grecque. Un poignard dans le dos de l’Europe ?. Confluences Méditerranée, 2015, numéro 94, page 155 à 166.
[3] LAMFALUSSY, Christophe. Comment la Grèce a roulé l’Europe. La Libre.be. juin 2011.
[4] GUILLOT, Adéa. Les risques géopolitiques d’un Grexit. Le Monde. juillet 2015.
[5] BRETEAU, Pierre ; LAURENT, Samuel ; DAMGE, Mathilde. Des Grecs dépensiers ou malhonnêtes… le tour des idées reçues. Le Monde. juillet 2015.
[6] Quand Goldman Sachs aidait la Grèce à tricher pour 600 millions d’euros. La Tribune. mars 2012.
[7] Que savait Mario Draghi de l’arrangement des comptes de l’Italie pour entrer dans la zone euro. La Tribune. juin 2013.