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La zone euro irait-elle mieux sans la Grèce ?

Au-delà de savoir si la Grèce irait mieux sans l’euro, certains envisagent le Grexit d’une façon plus large, en se demandant si ce dernier ne serait pas bénéfique pour la zone euro. La zone euro étant une zone monétaire, ses membres devraient partager une similarité globale dans leur économie afin qu’ils aient les mêmes intérêts et que des situations de conflit comme celles ayant opposé Angela Merkel à Alexis Tsipras ne se produisent pas.

Néanmoins, une grande part de la crédibilité et de la force de l’Euro s’est construite sur son caractère irrémédiable. Expulser un pays, ne serait-ce pas s’engager dans une voie inconnue aux répercussions potentiellement dévastatrices ? Ainsi d’après Joseph Stiglitz, en cas de Grexit, « la monnaie européenne perdrait toute crédibilité aux yeux des marchés, car elle serait perçue comme un mariage de raison que l’on peut rompre à loisir. Tandis que la solidarité européenne exploserait sous la pression des opinions publiques nationales. L’effet domino serait alors inévitable et s’étendrait à l’Espagne et au Portugal qui sont très fragiles »[1]

Un des objectifs de l’euro était de créer une zone monétaire optimale (ZMO), il s’agit d’une zone géographique partageant la même monnaie afin de maximiser son économie, théorisé par Robert Mundell. Les avantages d’une ZMO sont de permettre un transfert plus facile des capitaux, marchandises et des hommes. Une union monétaire est soumise à des chocs asymétriques. Ce sont des événements ayant un impact économique différent selon les pays, comme dans le cas de la Grèce par exemple. Un tel choc est néfaste pour l’économie entière de la zone car les pays ou régions internes à une telle zone ne peuvent appliquer de politique monétaire pour y remédier. C’est pourquoi une zone monétaire doit pouvoir gérer ses chocs asymétriques pour pouvoir être optimale.[2]

Cependant, cette zone monétaire optimale est remise en cause. D’après Laurant Martinet, « L’union monétaire préalable à l’union politique, telle qu’elle a été conçue, pose problème. Tous les pays ne peuvent pas avoir la même politique économique ».[3]

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http://www.euractiv.fr/section/europe-sociale-emploi/news/face-au-grexit-la-solidarit-europeenne-n-est-pas-flagrante/

Ainsi selon de nombreux acteurs, le cas de la Grèce est vu comme un élément perturbateur. Son économie est trop différente de celle des autres pays de la zone euro. Les gouvernements de nombreux pays souhaitent une plus grande discipline de la part de la Grèce pour pouvoir rester dans la zone Euro comme l’annonce Wolfgang Schäuble[4]. La Bulgarie, voisin de la Grèce mais non membre de la zone euro émet des doutes quant à son entrée dans la zone vis-à-vis de la situation de la Grèce : « tant que la zone euro ne se discipline pas, je ne vois aucune raison de de se presser d’y entrer » annonce son premier ministre Boyko Borissov.

Les populations aussi sont divisées sur la question, par exemple en Allemagne un sondage YouGov annonce que 58% des allemands seraient pour une sortie de la Grèce de la zone euro[5], ce qui pousse Angela Merkel à devoir se battre pour garder la Grèce, d’autant plus que son gouvernement n’est pas uni sur le sujet.

Cependant les nombreux échanges réalisés avec et sans le gouvernement grec pour trouver des accords vis-à-vis de la Grèce démontrent l’envie des gouvernements des pays de l’Europe de maintenir sa position au sein de la zone :

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Sommet du G7 où se discutait le problème grec. Euractiv France et AFP (Source : allemagne.diplo.de)

« L’Union européenne est prête à aller très loin pour trouver un compromis avec le gouvernement grec », a assuré en parallèle dans un entretien au journal allemand Welt am Sonntag le président du Parlement européen, Martin Schulz.

Mario Draghi, le patron de la BCE a lui-même annoncé que son institution entreprendrait « whatever it takes » pour empêcher un défaut de la Grèce et assurer sa pérennité dans la zone euro. Cette annonce a permis de calmer les marchés quant à la condition de la Grèce. Bien que cette phrase ait pu être un coup de poker, elle démontre sa volonté de garder la Grèce.[6]

Du côté des économistes et chercheurs, les avis sont aussi divisés, mais on constate tout de même un semblant de consensus en faveur d’un maintien de la Grèce dans l’euro. Le Figaro dans un article a rassemblé l’avis de nombreux économistes sur la question de la sortie de la Grèce. Sur les 18 interrogés, seul trois d’entre eux étaient favorables à une sortie. Ainsi selon Jean-Marc Daniel, professeur associé à l’ESCP Europe : « pour l’Europe : cela traduirait un échec lourd de la construction européenne, créant un précédent qui fragiliserait non seulement l’Europe en tant que projet politique mais aussi sur le plan économique. Les différences de taux d’intérêt qui étaient inexistantes en 2007 se tendraient à nouveau, menaçant l’équilibre financier des pays d’Europe du sud, notamment l’Italie. ».

Un des points qui ressort est la nécessité de requérir des réformes du côté de la Grèce comme l’on fait d’autres pays lors de la crise comme l’explique Emmanuelle Taugourdeau, chargée de recherche CNRS, membre associé à PSE : « L’Europe doit rester ferme et demander à la Grèce des propositions de réformes économiques soutenables mais ne doit pas s’enfermer dans des considérations purement comptables.»

D’un autre coté certains économistes préconisent une sortie de la Grèce, premièrement de manière assez punitive du fait que la Grèce ne montre pas de volonté de faire d’efforts comme pour Nicolas Lecaussin directeur de l’IREF (institut de Recherches Economiques et Fiscales) : « Malgré les aides massives reçues – 130 milliards d’euros depuis 2012 – les dirigeants grecs n’ont même pas mis en place un cadastre, qui n’existe pas dans ce pays ! »

Il en va ensuite du sort de la zone euro elle-même. Sa crédibilité risque d’être mise à mal : « Il en va de la crédibilité de la zone euro et aussi de sa viabilité pour les mois et les années à venir. » annonce Marc Touati, président du cabinet ACDEFI. De plus, selon Nicolas Lecaussin, la Grèce coûte trop cher aux contribuables alors que son apport économique au PIB n’est que très faible : « on estime à 339 milliards d’euros la somme totale reçue par les Grecs depuis 34 ans » ; « rappelons que le pays ne représente que 2% du PIB de l’Union européenne et surtout que son attitude est terriblement injuste envers d’autres pays (Espagne, Portugal, Irlande…) de la zone euro qui, en échange des aides, ont accepté de faire des réformes très sévères afin de redresser leur économie. Donc, le Grexit serait tout à fait justifié. De même que le fait de rendre l’argent aux contribuables européens… »[7]

 

[1] STIGLITZ, Joseph. Les conséquences d’un Grexit. Mediapart, juin 2016
[2] Zone monétaire optimale, wikipedia.org
[3] MARTINET, Laurant. L’Europe a plus à craindre un Grexit que la Grèce. L’express-l’expansion, juin 2015
[4] GODIN, Romaric. Zone Euro : qui a le plus à perdre d’une sortie de la Grèce ? La Tribune. 11/02/2015.
[5] FLAUSCH, Manon. CANDAU, Marion. Face au Grexit, la solidarité européenne n’est pas flagrante. EurActiv.fr. 3 juillet 2015.
[6] Les petits secrets de Mario Draghi. Le Monde Économie et Entreprise. 17/11/2014
[7] RABREAU, Marine. Grexit ou pas Grexit, ce qu’en pense les économistes. Le Figaro. juillet 2015.