L’Europe avec ou sans l’UE ?
Le 27 avril 2016, dans une interview au journal allemand Die Zeit, le ministre français de l’Economie, Emmanuel Macron[1], a mis en garde contre une disparition de l’Union Européenne, faute d’une refonte du projet.
“Il y a eu une génération (de dirigeants) qui a fondé l’Europe, une deuxième qui l’a développée. Puis ont suivi ceux qui ont été confrontés à la crise financière et aux nouveaux risques internationaux. Ils se sont montrés responsables et ont fait de leur mieux. Mais pour l’Europe, compte tenu des défis mondiaux auxquels elle est confrontée, une nouvelle ère s’ouvre à présent. Si l’Europe ne réagit pas, elle disparaîtra.”
La question du Grexit cristallise une grande partie de ces défis, comme le prouve la controverse très étendue qu’elle soulève. En effet, elle implique les marchés financiers mondiaux, les flux migratoires, ainsi que les crises et les guerres toujours plus proches de l’Europe et qui créent ces millions de réfugiés. Mais aussi la montée des populismes, des élans nationalistes et la rupture de la croissance.
Flux migratoires et crise des mirants en 2015
Source carte : http://www.midilibre.fr/2015/09/05/migrants-comprendre-la-crise-europeenne-en-3-mn,1209155.php
La controverse pourrait alors être formulée ainsi : les pays de l’Europe n’iraient-il pas mieux sans l’Union Européenne ?
Le parti de la Liberté (PVV) néerlandais a une réponse à cette question : oui, les néerlandais iraient mieux sans l’Union. Marcel de Graaf député européen du PVV et co-président avec Marine Le Pen du groupe de l’Europe des nations et des libertés affirme : “Une enquête que nous avons commissionnée démontre que les Pays-Bas se porteraient mieux en dehors de l’UE. Sa sortie représenterait un gain de 10.000 euros par an pour chaque famille“.
Néanmoins, il ne faut pas penser que seuls les tenants des partis d’extrême-droite nationaliste estiment que l’Union Européenne n’est pas à la hauteur. Jean-Marc Daniel, économiste et professeur à l’ESCP Europe, nous a ainsi déclaré au cours de l’interview que nous avons mené avec lui, qu’actuellement, les économies de chacun des pays européens iraient mieux sans l’Union Européenne.
Néanmoins, l’économiste Jean-Yves Archer rappelle que la question ne peut être envisagée que sous le prisme de l’économie. C’est aussi ce que font de nombreux acteurs que ce soit en revenant aux causes de post-guerre mondiale qui ont conduit au lancement du projet ; ou que ce soit en mettant en exergue les problématiques communes qui ne peuvent être traitées sans une coopération très importante entre les Etats européens.
Les partis europhobes comptent utiliser la vague de mécontentement grandissante dans les électorats européens et profiter ainsi du débat sur le Grexit ayant eu lieu en 2015 et plus encore de celui sur le Brexit qui a lieu actuellement. L’euro-député britannique indépendante a déclaré le 29 janvier dernier[2] :
“Le Brexit devrait être un événement historique et devrait avoir un effet domino sur les autres, ainsi d’autres pays seraient encouragés à suivre cette voie”
Il est certain que le résultat du référendum du 23 juin quel qu’il soit aura des répercussions de long-terme sur l’Union Européenne. Dans tous les cas, le simple fait qu’il ait bien lieu va légitimer selon Jean-Yves Archer les revendications des partis eurosceptiques dans toute l’Europe, à commencer par la France. Ces partis revendiqueront des référendums au nom de la démocratie et il est fort probable que d’autres référendums auront lieu après celui sur le Brexit, qui suit lui-même le référendum grec du 9 juillet 2015 qui avait été tellement mis en parallèle avec le Grexit.
Certes ces référendums ne sont pas encore programmés dans l’immédiat. Mais supposons, dit Jean-Yves Archer, que les Britanniques décident de quitter l’Union. « Cela ne se ferait pas du jour au lendemain », dit-il. Il y aura alors de nombreuses négociations qui aboutiront certainement selon lui à une situation dans laquelle Londres préservera sa situation de partenaire économique et commercial privilégié avec le continent, tout en ne perdant que le droit de vote dans les Institutions européennes, ainsi que les divers inconvénients financiers qui vont de pair avec celui-ci.
Il est donc fort à parier que dans quelques années, les peuples européens constatent une survie, voire un florissement de l’économie britannique, ce qui ferait alors, estime Jean-Yves Archer, exploser la popularité des partis et idées eurosceptiques voire europhobes dans une grande partie des pays européens. Jean-Yves Archer a ainsi cité la France, mais aussi les Pays-Bas, l’Italie, la Grèce et la Pologne, et paradoxalement peut-être, l’Allemagne.
Pour Jean-Marc Daniel, les Allemands ne veulent plus de l’Union telle qu’elle est et qui ne fait que les tirer vers le bas économiquement. Au cours de l’interview, nous avons ainsi parlé de la lettre ouverte publiée le 9 juillet par Yanis Varoufakis dans le Gardian dans laquelle l’ancien ministre des Finances grec accusait l’Allemagne d’avoir pour but de s’attaquer en réalité au modèle social de la France. Jean-Marc Daniel estimait alors que c’était en effet une possibilité et actait en tout cas le « ras-le-bol » du gouvernement allemand des positions du gouvernement français. Le problème étant qu’Angela Merkel ne serait pas prête à assumer politiquement le coût de la remise en cause par l’Allemagne même de l’Union Européenne telle qu’elle est. Selon lui, il serait ainsi favorable à l’économie allemande de quitter l’euro pour retourner à nouveau au Deutsch Mark qui pourrait être élargi aux pays germanophones et culturellement proches de l’Allemagne. Cette solution, que d’aucuns surnomment MittelEuropa, dans laquelle l’Union Européenne disparaitrait presque complètement et muterait en laissant les pays d’Europe du Sud, dont probablement la France, sur le banc, serait ainsi très économiquement avantageuse pour l’Allemagne qui s’inscrirait alors dans une zone monétaire qui conviendrait aux critères de la théorie des zones monétaires optimales, tout en récupérant sa souveraineté sur sa monnaie.
Il est cependant également fort possible du fait des blocages, notamment juridiques, très forts qui empêcheraient un scénario de déliquescence de l’Union, que l’UE survive dans ses Institutions actuelles. Ce qui ne signifie pas que l’avenir de l’Union soit radieux. L’éditorialiste du Financial Times Wolfgang Münchau estime ainsi [3]:
“La chute de l’UE ne constitue pas la menace principale car c’est un processus techniquement très difficile. Mais c’est une faible consolation. Le danger réel est ce que l’UE pourrait disparaitre avec le temps et se transformer en une construction illusoire”[1] Emmanuel Macron met en garde contre une “disparition de l’Union européenne. Europe 1. 27/04/2016
[2] Les europhobes lancent à Milan une attaque en règle contre l’UE. AFP. 29/01/2016
[3] MÜNCHAU, Wolfgang. Two big mistakes that ruined Europe. Financial Times