Interviews
Du fait de notre sujet, de nombreuses possibilités s’offraient à nous. Nous avons essayé de contacter des acteurs diversifiés, pour pouvoir couvrir toutes les positions possibles vis-à-vis de notre problématique. L’idée était d’avoir le plus d’avis et points de vue possible en ce qui concerne les conséquences et les différents scénarios possibles en cas de Grexit, et de ne pas se restreindre aux professionnels économiques et aux politiques ou aux journalistes. La vision des populations concernées semble en effet primordiale pour avoir le regard des différents acteurs sur le problème.
Jean Marc Daniel, économiste, professeur associé à l’ESCP Europe et directeur de rédaction de la revue Sociétal. Diplômé de l’Ecole polytechnique et de l’ENSAE, il assure aujourd’hui des cours à ESCP Europe, au Corps des mines, tout en étant chroniqueur au journal Le Monde, sur BFM Business et directeur de la revue Sociétal. Il est notamment cité dans l’article “Et si l’Europe osait le Grexit” publié dans L’Opinion le 07/07/2015 et dans l’article “Explosion de l’euro, le jour d’après : ce qui se passerait si la monnaie unique disparaissait brutalement (et avec le dossier grec, ce n’est pas de la science-fiction…)” publié sur le site Atlantico le 09/02/2015. Il y explique les conditions à remplir pour qu’en cas de Grexit, la Grèce de se relève du choc que cela représenterait. Notamment, il énonce plusieurs scénarios envisageables en cas de Grexit, ce qui rentre parfaitement dans le cadre de notre problématique.
Jérôme Creel, directeur du Département des Etudes de l’OFCE / Sciences Po et professeur associé d’économie à ESCP Europe – Sciences Po. Il a obtenu le grade de Docteur en Economie à l’Université Paris-Dauphine en 1997, et ses travaux concernent la macroéconomie européenne et notamment les politiques économiques liées à l’union monétaire, plus particulièrement celles concernant la zone euros. Dans l’article du 16/01/2010, publié dans le journal Le Monde, Les Européens ne doivent pas laisser tomber les Grecs, il y explique5 ans avant que le Grexit devienne envisageable et envisagé, que la seule responsable de la crise grecque est l’Europe et y expose les conséquences d’un possible Grexit.
Jean Yves Archer, économiste et fondateur du cabinet Archer. D’abord analyste financier à la Smeci (groupe Lazard Frères), il fonde ensuite la société Cluny, spécialisée dans la restructuration d’entreprises et la sauvegarde de l’emploi, puis travaille comme commissaire aux comptes de 2001 à 2011, pour enfin fondé en 2012 le cabinet Archer. Il essaye également de prévoir les scénarios envisageables en cas de Grexit. Son opinion pourrait permettre de contrebalancer le point de vue des économistes du monde académique, puisqu’il appartient au secteur privé.
Mariatta Karamanli, personnalité politique française d’origine grecque, présidente du groupe d’amitié France-Grèce, siégeant à l’Assemblé Nationale au sein du groupe Socialiste, membre de la commission des lois et de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne. Outre le point de vue politique, ses origines et ses contacts nous ont permis d’en apprendre plus sur la manière dont une partie de la population grecque a vécu la crise et a perçu le Grexit.
Extraits :
Nous : Vous aviez dit que vous êtes contre un Grexit, que ça conduirait à un enchainement de dévaluation-inflation, et que ça ne serait même pas véritablement possible ? Votre position a-t-elle évolué depuis juin 2015 ?
Jean-Marc Daniel : Sortir la Grèce de la Zone Euro a pour but de faire dévaluer. La question qui se pose est la réalisation pratique de la réalisation et l’intérêt de la dévaluation. Sur la dévaluation, vous avez un discours non-économique c’est de considérer que la Grèce n’est pas assez compétitive et que dévaluer lui permettra d’exporter. Or le problème n’est pas de savoir si la Grèce va exporter ou pas, le problème de la Grèce est un problème de déséquilibre de sa balance des paiements courants, sachant que la Grèce est pourtant intégrée à une zone monétaire qui est en excédent dans sa balance des paiements courants. Au moment où s’est posée la question de la crise grecque, s’est posée la question de la Californie par exemple. […] Dans la situation de la Grèce, si on avait diminué le déficit extérieur, le secteur exportateur aurait certes fait des bénéfices, mais la question est de savoir si cela va améliorer la situation du budget.
La deuxième chose est qu’on peut alors faire de l’inflation, donc la valeur nominale des rentrées fiscales augmente puisque la valeur de la monnaie diminue, alors que la valeur nominale de la dette reste la même. Mais l’inflation peut vite augmenter de façon incontrôlée et on est alors obligés d’augmenter les taux d’intérêts pour lutter contre l’inflation. On passe alors d’une politique d’austérité par les impôts, qui est celle que les institutions ont voulu imposer, par une politique monétaire. Dans les deux cas on a une politique d’austérité, sauf que l’outil de la politique d’austérité change.
Nous : Quels impacts a eu et a la crise des migrants sur la question du Grexit et la coopération européenne ? ce qui pose la question de la position de l’Europe et de la Troïka sur ce point.
Marietta Karamanli : Les crises de la Grèce, ce sont des crises européennes qui dans un environnement complexe et dans un pays fragile ont des effets dramatiques. Il y a une crise économique qui date de 2008. Il y a une crise migratoire qui s’est amplifiée depuis 2015. 84 % des demandeurs d’asile qui ont gagné l’Europe par la mer en 2015, et 92 % depuis début 2016 sont passés par la Grèce, d’après les Nations unies. L’Union européenne par la voix de son commissaire chargé des migrations et des affaires intérieures a reconnu que « la Grèce se trouve sous une énorme pression et que la situation n’est pas facile ». La poursuite/l’aggravation que la crise [des réfugiés] fait peser sur les perspectives de l’économie grecque engendre un nouveau facteur de risque de déclin”, avance Yannis Stournaras le Gouverneur de la Banque centrale grecque. Le 27 avril 2016 selon les données officielles de l’Organe interministériel de coordination pour la gestion de la crise des réfugiés, le nombre des réfugiés et migrants se trouvant en Grèce était de 53.855 personnes. Au moins 30.000 à 40.000 réfugiés resteraient en Grèce pour une longue période. Selon le commissaire chargé des questions migratoires, M. Dimitri Avramopoulos « La décision sur les relocalisations est contraignante et les Etats-membres ont l’obligation morale de la mettre en œuvre ». A ce jour, seules 1 441 personnes ont été relocalisées. Il s’agit donc d’une obligation non respectée ne serait-ce qu’à concurrence de 1%, étant donné que l’accord de l’année dernière portait sur la répartition proportionnelle de 160.000 réfugiés parmi les pays européens. La fameuse dette morale européenne n’a pas encore été exécutée à hauteur de 1%.