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Une dévaluation, plus efficace que l’austérité ?

Après deux plans de sauvetages en 2011 et 2012 pour soutenir la Grèce après la crise économique de 2007, et l’accord signé in extremis en août 2015, la crise n’est pas encore terminée pour la Grèce, qui a évité de justesse un Grexit l’été dernier. En effet, la dette grecque représente encore près de 180% de son PIB[1], et l’aide des créanciers n’est pas encore acquise puisqu’elle est conditionnée à la mise en place de réformes pour le système des retraites et sur l’impôt sur le revenu. Elle avait atteint 355 milliards d’euros en 2011 et 317 milliards d’euros en 2014, représentant ainsi « le plus gros défaut de paiement de tous les temps »[2]. Ainsi, pour Marietta Kamaranli, député socialiste, membre du groupe d’amitié parlementaire France-Grèce, « La dette hellène culmine à environ 300 milliards d’euros et établit là un record en la matière au sein de l’Union européenne ».Se pose alors la question de savoir quelle est la meilleure solution pour la Grèce. Ainsi, l’accord conclu en août 2015 imposait à la Grèce un certain nombre de réformes, comme celle de la TVA, une réforme fiscale, une autre des retraites, la mise en place de coupe quasi automatique en cas d’excès budgétaires et le respect des différents traités européens. A termes, Athènes devra également mettre en place une réforme du marché du travail et un renforcement du système Capture d’écran 2016-05-19 à 09.59.47financier, alors que le taux de chômage dépassait les 25% de la population active. Les plans d’austérité que la Grèce a subis n’ont été réussis qu’à deux reprises dans l’histoire[3] d’après Jessica Berthereau. Ces politiques d’austérité doivent ainsi permettre à la Grèce de réduire son déficit et de diminuer sa dette en coupant notamment dans ses dépenses, pour pouvoir retrouver la croissance, condition nécessaire à une sortie de la crise. Elles doivent également permettre de rassurer les marchés d’après Olivier Chemal, chef économiste d’Alef. Ainsi, pour lui, « l’Irlande, le Portugal ou encore le Lettonie ont dû assumé des plans d’aides qui les ont conduits à l’austérité et voient de nouveau la croissance aujourd’hui : la Grèce a bénéficié de beaucoup plus de soutien et ne s’en sort pas. Comment ces pays accepteraient une restructuration de la dette grecque ? ». Il rejoint ainsi Jean Claude Juncker, Président de la Commission Européenne, qui affirme qu’il « n’est pas question de supprimer la dette grecque. Les autres pays de la zone euro ne l’accepteront pas ».[4] En effet, des pays comme l’Espagne, l’Irlande ou le Portugal ont également dû subir d’importantes cures d’austérité, atteindre des objectifs ambitieux et connu un chômage important et ont su retrouvé un certain dynamisme économique et la croissance. Ils refusent que la Grèce échappe à ce traitement qu’ils ont dû subir et réclament ainsi le maintien des politiques d’austérité et le respect des mesures et objectifs fixés par la troïka[5]. Pour Werner Sinn, chef de l’Insitut Ifo de Munich, ces mesures permettraient de rendre les exportations depuis la Grèce plus compétitives et bon marché. L’économie grecque serait ainsi elle-même plus compétitive, condition également nécessaire à une sortie de la crise d’après lui. Angela Merkel, chancelière allemande, partage cet avis : ainsi, d’après elle, la Grèce doit tenir ses engagements vis-à-vis de ses créanciers et se plier aux exigences de la troïka[6]. Le Ministre de l’Economie allemand, Sigmar Gabriel, réclame quant à lui des « propositions conséquentes qui aillent au-delà de ce à quoi le gouvernement grec s’est dit prêt à aller »[7].

A l’inverse, pour Henry Sterdyniak, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques, il y a différentes stratégies possibles : « La première : les pays de l’Eurozone continuent à emprunter pour la Grèce sur les marchés financiers à des taux très faibles (de l’ordre de 1%), réduisent l’austérité imposée à ce pays et soutiennent un plan Marshall de relance productive qui lui permet de retrouver une croissance satisfaisante (5% en valeur), la dette redevient viable. La deuxième: les pays de l’Eurozone imposent à la Grèce un calendrier drastique de remboursement, l’austérité budgétaire maintient la Grèce en récession, la dette continue d’augmenter par rapport au PIB, une crise éclate tous les six mois »[8]. Ainsi, loin de faire l’unanimité, la solution politique retenue, à savoir l’austérité, est vivement critiquée, Capture d’écran 2016-05-19 à 10.00.30et pas uniquement par la Grèce, qui le vit comme une humiliation imposée par l’Allemagne, mais plus généralement par l’Europe. Ainsi, pour Grabiel Colletis, professeur à l’Université Toulouse I, « en l’absence de restructuration, la dette grecque ne va cesser de croître, renforçant sa dépendance au plan d’aide européen et plongeant le pays dans la spirale infernale de la dette »[9]. Tout comme Henry Sterdyniak, il énonce donc l’idée que l’austérité, loin de relancer la croissance, ne peut aboutir qu’à une aggravation de la situation économique grecque. Ce dernier évoque d’ailleurs une dernière solution : « La dernière solution: les pays de l’Eurozone acceptent une forte décote de la dette grecque (de l’ordre de 90% du PIB), ils doivent enregistrer cette perte, mais il n’est pas certain que cela permette à la Grèce de revenir sur les marchés financiers, ni de retrouver la croissance ». Ainsi, nombre d’économistes prônent non pas une politique d’austérité comme possible solution à la crise, mais un allégement de la dette grecque. C’est notamment le cas de Kostas Vergopoulos, professeur émérite des sciences économiques à l’Université de Paris VIII, pour qui les programmes de sauvetage ne font que réduire la capacité grecque de remboursement. L’unique solution saine, d’après lui, serait d’assurer la croissance économique grecque, soit « par la suppression pure et simple d’une partie importante de cette dette, soit en accordant un allongement important des délais de remboursement avec une période d’état de grâce et une baisse des taux d’intérêt ». Ainsi, « les leaders européens devront tôt ou tard accepter une nouvelle restructuration de la dette, ce qui occasionnera des pertes pour le contribuable mais c’est le scénario le moins pire pour la zone euro et la France » d’après Christopher Dembik, économiste chez Saxo Banque. En effet, un allégement de la dette grecque ne serait pas sans conséquence pour les pays Européens. Sur le graphique ci-contre, extrait du site Le Monde, une réduction de la dette grecque 1.4entrainerait des pertes pour un certain nombre d’états européens, à hauteur des différents prêts qu’ils ont accordé à la Grèce. Cependant, pour Sophie Mametz, économiste chez Inter Expansion Groupe Humanis, le débat n’est pas là : elle soutient en effet la mise en place d’un « plan Marshall », tout comme  Henry Sterdyniak , pour créer de la croissance, permettre une restructuration de la dette publique et un allongement des échéances de remboursement et ainsi limiter les conséquences économiques sur l’Europe de la crise grecque, malgré ce coût pour les Etats européens[10].

Un dernier point de vue s’oppose aux deux précédents. Pour Gérard Leclerc, l’austérité est destructrice[11] : ainsi, l’économie grecque s’est par exemple contractée de 25% par rapport à 2009[12]. Ainsi, le FMI lui-même a reconnu avoir mal évalué les conséquences de l’austérité sur la croissance grecque[13] au début de la crise par exemple. Ce qui vaut pour la Grèce vaut aussi pour l’Irlande et l’Espagne, qui ont respectivement vu leur dette publique passé de 73% à 88% et de 106% à 125% du PIB à la suite des cures d’austérité imposées les créanciers[14]. Ses politiques ont certes réussi à ramener le budget à l’équilibre, d’après Gérard Leclerc, mais ont entrainé une accélération de l’endettement, aboutissant à l’exact contraire du résultat escompté, en provoquant une chute du pouvoir d’achat et un chômage de masse. C’est pourquoi, face à l’ampleur de la dette grecque, certains économistes prônent Capture d’écran 2016-05-19 à 10.01.06non pas une restructuration de celle-ci, qui reporterait uniquement le problème à plus tard, mais une dévaluation de la monnaie. Ainsi, cela permettrait à la Grèce d’améliorait sa compétitivité d’après Jacques Sapir[15]. Ainsi, une dévaluation entrainerait certes dans un premier temps une inflation importante, et donc une baisse des revenus, mais Pascal de Lima, économiste et enseignant à Sciences-Po, affirme que la reprise serait rapide, tout comme elle l’a été en Argentine, et qu’elle entrainerait une augmentation de la production et des exportations, ainsi que le développement du secteur agricole et touristique, et donc un gain global de compétitivité[16]. Jean-Marc Daniel, économiste et professeur associé à l’ESCP Europe et directeur de rédaction de la revue Sociétale, ajoute que cette inflation permettrait de réduire la dette grecque[7]. En pratique cependant, la faiblesse de l’économie grecque pousse Georges Prévélakis à douter d’un tel scénario. En effet, l’industrie grecque est très peu développée, tout comme son agriculture, et la dévaluation aurait très peu d’effet sur la compétitivité externe du fait de ces trop faibles exportations. Le risque est également de connaître l’hyperinflation[17], c’est-à-dire une inflation non contrôlée, qui aurait des conséquences sociales dramatiques et de lourdes conséquences économiques : chômage de masse, perte de compétitivité, baisse des salaires, du pouvoir d’achat… Ainsi, pour Marietta Kamaranli, « en cas de sortie de la zone euro, le pays aurait dû et devrait, après l’austérité, affronter un choc de pauvreté : payer avec une monnaie valant peut-être un tiers de moins que l’euro ses importations, notamment son énergie et les biens manufacturés importés. »

Mais un tel scénario de retour à une monnaie nationale pose des questions pratiques de mise en place qu’a soulevé notamment Jean-Marc Daniel au cours de l’interview que nous avons mené avec lui. Il estime ainsi qu’il y a un risque réel pour que l’économie ne fonctionne plus qu’en “cash”, utilisant l’euro plutôt que la nouvelle monnaie qui serait alors mise en place. Ce scénario de passage d’une grande partie de l’économie grecque dans la clandestinité, notamment le secteur touristique par exemple, aurait des conséquences désastreuses sur les rentrées fiscales de l’Etat grec du fait de la fonte des revenus liés à la TVA.

Loin de faire l’unanimité, les mesures prises pour trouver une solution à la crise grecque sont donc très controversées. Ainsi, pour Henri Bodinat président de Time Equity Partners, « L’Europe et FMI ont inventé le remède qui aggrave le mal »[18]. Pour lui, la dévaluation permettrait la relance de la croissance mais la zone euro ferme cette voie aux grecs. Les politiques d’austérité imposent, quant à elles, une déflation, et diminuent ainsi le pouvoir d’achat et donc la consommation… Se pose alors la question du rôle de l’Europe et de l’euro dans cette crise, d’autant plus que Grabiel Colletis assure que « Les créanciers imposeront de nouvelles politiques d’austérité jusqu’à une sortie inévitable de l’euro »[19]

 

[1] Deux projets de loi, sur les retraites et l’impôt sur le revenu, débattus au Parlement grec, Le Monde, mai 2016
[2] CORRIAT, Benjamin. La crise grecque, une faillite européenne ? publicsenat.fr. juillet 2015.
[3] Les Echos, mai 2010
[4] Interview : Junker : “La Grèce doit respecter l’Europe”. Le Figaro. 29/01/2015.
[5] Situation budgétaire délicate pour 11 pays de l’UE-CE. Reuters économique. janvier 2016.
[6] DUCOUTIEUX, Cécile. REVAULT D’ALLONES, David. STROOBANTS, Jean-Pierre. La nuit où les Européens ont évité le « Grexit », Le Monde
[7] INCHAUSPE, Irène. Et si l’Europe osait le Grexit ? L’Opinion. juillet 2015.
[8] BENASSY-QUERE, Agnès. FIORENTINO, Marc. STERDYANIK, Henry. VERGOPOULOS, Kostas. Si sa dette est non viable, quelles solutions envisager pour la Grèce ? Le Figaro. juillet 2015.
[9] COLLETIS, Gabriel. Le Grexit est en marche. La Tribune. 18/07/2015.
[10] DUCOURTIEUX, Cécile. GUILLOT, Adéa. Grèce, le scénario du défaut de paiement se précise, Le Monde, juin 2015
[11] BENASSY-QUERE, Agnès. FIORENTINO, Marc. STERDYANIK, Henry. VERGOPOULOS, Kostas. Si sa dette est non viable, quelles solutions envisager pour la Grèce ? Le Figaro. juillet 2015.
[12] MARANS, Daniel. L’économie de la Grèce prise en tenaille entre austérité et crise des réfugiés. Huffingtonpost. février 2016
[13] BEST, Ivan. Le FMI révise ses calculs : l’austérité nuit beaucoup plus que prévu à la croissance. La Tribune. novembre 2012.
[14] RENIER, Romain. Les pays qui ont appliqué l’austérité ont vu leurs dettes publiques exploser. La Tribune. juillet 2013.
[15] SAPIR, Jacques. Tribune – Sapir : derrière la crise grecque, l’explosion de l’euro ? Marianne. mai 2011.
[16] PLASSARD, John. Grèce : les conséquences d’une sortie unilatérale de l’euro. La Tribune. mai 2015.
[17] GODIN, Romaric. Zone euro : qui a le plus à perdre d’une sortie de la Grèce ? La Tribune. février 2015.
[18] DE BODINAT, Henri. Le point de vue : comment l’euro a tué la Grèce. Les Echos. juillet 2012.
[19] COLLETIS, Gabriel. Le Grexit est en marche. La Tribune. juillet 2015.