Des langues menacées ?

Alors elles disparaissent ou pas ces langues ?

Les langues régionales de France métropolitaine sont-elles condamnées à disparaître à plus ou moins long terme ? Cette question pourrait faire l’objet, à elle seule, d’une étude de controverse complète tant les acteurs sont divisés à ce sujet.

L’UNESCO, organisation internationale chargée entre autres de la protection des langues, recense sur le territoire métropolitain 24 langues régionales et a défini une échelle permettant de quantifier les menaces pesant sur les langues [1]. Sur ces 24 langues, aucune ne pourrait être considérée comme hors de danger : cinq sont rattachées à la catégorie des langues «vulnérables», cinq autres à celle des langues «en danger». Quant aux 14 restantes, on les voit comme «sérieusement en danger», ce qui signifie que

« la langue est parlée par les grands-parents ; alors que la génération des parents peut la comprendre, ils ne la parlent pas entre eux ou avec les enfants.»[1]

Si les données de l’UNESCO sont relativement aisées à trouver, nous avons pu constater la difficulté d’avoir accès à des données chiffrées précises diffusées par le gouvernement français. Le dernier recensement mené à grande échelle, analysé ensuite par l’INED (Institut National d’Études Démographiques) remonte en effet à 1999 [2], il n’a été que superficiellement complété par un rapport commandé par le Ministère de la Culture en 2013 [3]. Le rapport de 1999 faisait déjà apparaître la faible transmission familiale des langues régionales : prenons l’exemple des langues d’oc, des langues que plus d’1 600 000 adultes déclarent avoir pratiqué habituellement ou occasionnellement dans leur enfance avec au moins un de leurs parents. Ils ne sont qu’environ 250 000 à avoir transmis ces langues à leurs enfants. La situation est la même pour la majorité des langues régionales étudiées, et ce constat est confirmé par le rapport de 2013 :

«75 % des adultes qui parlaient une langue régionale ou étrangère à la maison pendant la petite enfance ne s’expriment plus qu’en français, uniquement en français pour 42 % d’entre eux, tout en s’exprimant occasionnellement dans leur langue régionale ou étrangère pour 33 % d’entre eux.»[3]

Des études locales confirment ces données : par exemple, on «estime à 42 % le nombre d’habitants qui « parlent » aujourd’hui l’alsacien, alors que le recensement de 2002 avait comptabilisé 62 % d’habitants qui « maîtrisaient » le dialecte alsacien». [3]

Ainsi, tous les rapports convergent vers le même point : le nombre de locuteurs des langues régionales est en train de diminuer. Mais ces langues sont-elles dès lors menacées d’une disparition prochaine ? C’est véritablement sur ce point qu’apparaissent les divisions.

Le secrétaire de la FLAREP, fédération regroupant les associations locales promouvant les enseignements de et en langues régionales, nous a fait part, au cours d’un entretien mené le 11 mai 2017, d’un point de vue alarmiste sur la question, et pointe dans ses remarques la passivité de l’État sur la question :

«Il est prévu que certaines des langues régionales disparaissent au XXIème siècle en raison des politiques hostiles, voire des pressions, sur le terrain.»[4]

Cette situation est due, toujours selon lui, à  de «très faibles transmission familiale [et] usage dans la société» et à une absence de «cadre administratif qui pourrait permettre l’utilisation des langues [régionales]». Ce point de vue est partagé par Yann-Ber Piriou [5]. Le rapport de 2013 [3] montre aussi qu’il est possible que la mobilité géographique ait accéléré ce déclin.

La transmission des langues régionales repose donc actuellement essentiellement sur l’éducation. Depuis le début des années 2000, de nombreuses mesures ont été prises pour développer des enseignements en langues régionales. Cet aspect sera développé dans la partie sur l’éducation. Les filières concernées connaissent beaucoup de succès, et, pour certains, comme Daniel Lefeuvre, cité dans un article du Figaro de juin 2008 [6], cela suffit à clore le débat :

«Non seulement ces langues ne paraissent pas menacées, mais encore, contrairement à ce qu’on veut faire croire, la République a mis en place un dispositif d’enseignement leur donnant une vigueur nouvelle.»

puisque le nombre d’élèves participants a connu «une hausse de 60%» entre 2001-2002 et 2007-2008.

Le recensement de 1999 [2] et le rapport Caron de 2013 [3] font clairement état d’une dimension supplémentaire : la situation diffère significativement d’une langue à l’autre. Ainsi, si certaines langues régionales, comme le corse ou l’alsacien, parviennent à garder une certaine vitalité, ce n’est pas le cas d’autres langues, parmi lesquelles le flamand et le franco-provençal.

 

Bon résumons : le fait que les langues régionales sont toujours en danger fait débat. Mais pourquoi est-ce que pour certaines le gouvernement ne fait rien ?


[1] Atlas des langues en danger dans le monde, 2010

[2] INSEE, Enquête Famille 1999

[3] MINISTÈRE DE LA CULTURE, Redéfinir une politique publique en faveur des langues régionales et de la pluralité linguistique interne, 2013

[4] Entretien avec Alà Baylac–Ferrer, 11/05/2017

[5] Entretien avec Yann-Ber Piriou, 7/06/2017

[6] Lefeuvre D. Les langues régionales sont- elles vraiment menacées ? , juin 2008