Comment les promouvoir ?

Alors ? Où est-ce que la bataille fait rage ? Sur le plan législatif ? Dans la bataille sur l’enseignement, sur les médias, sur la diffusion ? 

Si l’on parle souvent de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires pour sa possible inconstitutionnalité, il est aussi important de comprendre son rôle dans la sauvegarde des langues régionales. Ratifier la Charte consiste en fait à s’engager sur un certain nombre de mesures visant à promouvoir les langues régionales, choisies dans une liste de mesures possibles, comme l’explique le linguiste Alain Viaut :

«La Charte ne saurait être une panacée et certains États ont déjà acquis sans elle une expérience éprouvée dans la gestion de leurs langues régionales ou minoritaires. En revanche, elle représente une garantie minimale de la mise en application d’un certain nombre de mesures connues et validées, élaborées tant par des spécialistes que par des politiques, propres à assurer un aménagement linguistique de base ou plus développé, autrement dit un standard en la matière.» [2]

La Charte n’est donc pas le seul moyen de sauvegarder les langues régionales, c’est pourquoi le blocage de son processus de ratification en France n’empêche pas des propositions de lois plus concrètes, d’être élaborées par certains parlementaires engagés en faveur des langues régionales.

L’un de ces parlementaires est le député du Morbihan Paul Molac, qui avait proposé en décembre 2015 une «loi relative à l’enseignement immersif des langues régionales et à leur promotion dans l’espace public et audiovisuel». Cette loi concerne trois domaines : l’éducation, les médias et la signalétique. Selon lui, ce sont les trois domaines essentiels pour développer l’utilisation des langues régionales :

«Vous allez la sauver à partir du moment où les gens la parlent. […] Donc quelles sont les choses de la vie courante ? Il y a l’école bien sûr, et c’est là que l’on peut apprendre un certain nombre de choses et donner une bonne formation aux enfants. L’enseignement bilingue est pour moi une bonne formation, parce qu’il permet de développer les capacités langagières dans deux langues et puis trois et ensuite quatre.» [3]
«Ensuite vous avez la culture, c’est pour ça que vous avez besoin des médias. Donc quelle place on donne aux langues régionales dans les médias et comment? Ça me paraît important.» [4]
«Ensuite la signalétique permet de voir directement qu’il existe une langue. Parce qu’autrement, quelques fois dans nos langues régionales aujourd’hui, qui ont été un peu exclues de toute vie publique, on pourrait penser finalement qu’en Bretagne par exemple, personne n’a jamais parlé breton.» [5]

Il semble aujourd’hui y avoir un consensus sur le fait que les médias, l’éducation et la signalétique sont les trois domaines prioritaires. La loi le Houérou qui a été votée en janvier 2017 concernait à nouveau ces trois domaines.

Bien entendu, de nombreuses initiatives en faveur des langues régionales peuvent être prises au niveau local sans attendre de nouvelles lois, que ce soit par des associations ou les communautés locales.  On peut penser à des manifestations culturelles ou à des publications en langue régionale par exemple.  Cependant, il existe selon les députés en faveur des langues régionales une insécurité juridique qui peut freiner les initiatives des communautés locales, comme l’expliquait Paul Molac en commission des lois le 29 novembre 2012 :

«Prenons par exemple le livret de famille bilingue. Une mairie le fait, d’autres mairies se posent la question. Le conseil constitutionnel dit que de toute façon le français fait foi mais qu’on peut faire une traduction. Puis, on s’aperçoit qu’il y a un juge qui dit que ce n’est pas possible, que c’est contraire à la Constitution. On est dans une insécurité qui fait que l’on n’avance pas.» [6]
«Il y a une insécurité juridique, on n’a pas de vision. Comme l’État est très en retrait par rapport à ça, ce sont les régions qui globalement disent : « Il y a un problème, on est sollicités par nos concitoyens et donc on fait quelque chose ». Aujourd’hui, la situation avance dans un certain nombre de régions.» [7]

Pour ces députés, il manque donc un cadre législatif global qui permettrait d’opérer plus sereinement au niveau local.

La sauvegarde des langues régionale passe donc par sa diffusion, sa visibilité et sa légitimation. Les domaines mis en jeu : juridique, éducation, médias… sont développés respectivement dans les parties Une longue bataille juridique, L’enseignement des langues régionales et Médias et culture.

 

Nous voilà à la fin d’un chapitre. Nous allons à présent essayer de comprendre quels sont les principes de la République auxquels s’opposent les langues régionales. Pourquoi tant de débats ? Pourquoi font-elles peur ?

 


[1] Templin T., Seidl A., Wickström B. et Feichtinger G. , Optimal language policy for the preservation of a minority language, 2015

[2] VIAUT A., Apport et réception française de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, 2002

[3], [4], [5] Entretien avec Paul Molac, 11/04/2017

[6], [7] Commission des lois : Table ronde sur les implications constitutionnelles de la question de la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Intervention de Paul Molac, 29/11/2012

[8], [9], [10], [11] BLANCHET P., La politisation des langues régionales en France, 2002