L’optimisation : une méthode discutable employée par les constructeurs
Les tests complémentaires réalisés sur les véhicules diesel à la suite du scandale Volkswagen ont tous montré des différences importantes entre les émissions mesurées lors des tests d’homologation et les émissions mesurées en conditions réelles, que ce soient pour les tests réalisés pour la commission royale, par l’UFC-que-choisir ou encore par le club automobile allemand ADAC. Cependant on ne peut pas pour autant parler de “triche” ou de “fraude” pour tous les constructeurs présentant ces différences.
En effet, la réglementation écrite par la commission européenne impose des normes, c’est à dire des taux d’émission de gaz à effet de serre et de particules polluantes, à respecter lors de l’homologation de véhicules neufs sur le banc à rouleaux réalisé selon le cycle NEDC. Mais du côté des constructeurs comme des homologateurs ou des associations environnementales, on pointe du doigt des imprécisions du cycle qui donnent aux constructeurs des libertés pour les tests et expliquent partie les différences obtenues.
Or tous les chiffres publiés par les constructeurs en Europe sont issus de mesures faites selon le cycle NEDC. Par conséquent, selon l’ONG européenne Transport&Environnement, tous les constructeurs optimisent les paramètres non fixés par le cycle (réglages du moteur et aérodynamisme) pour obtenir les meilleurs mesures d’émission possibles. Par exemple, des pneus surgonflés, du lubrifiant pour le moteur ou un alternateur débranché permettent de réduire ces émissions. Les constructeurs peuvent également homologuer un véhicule avec option en faisant passer les tests à son équivalent sans option, ce qui peut grandement influencer les résultats.
« On met du Scotch sur les portières, un lubrifiant super puissant dans le moteur, on enlève le rétroviseur droit et on surgonfle les pneus »
ironise Jean Thévenon, responsable transport et mobilités durables à la FNE. C’est par exemple en partie par ce procédé que Renault et Ford ont justifié les dépassements d’émission obtenus lors des tests réalisés par la commission Royal.
Pourtant, ces techniques d’optimisation sont légales selon les autorités gouvernementales dans la mesure où elles ne sont pas explicitement interdites par la réglementation actuelle. Comme l’explique Béatrice Lopez de Rodas, directrice de l’organisme d’homologation français Utac-Ceram
« [L’optimisation] est permise par les textes en vigueur et pratiquée, par conséquent, légalement : des tolérances sont admises pour certains paramètres d’essais »
On parle dans ce cas d’optimisation et non de fraude.
Un second contournement « légal » des lois
En fait, tant que l’action d’un constructeur pour les tests d’homologation ne va pas à l’encontre d’un quelconque texte de loi, celui-ci ne peut pas être incriminé pour fraude. Et l’imprécision du cycle NEDC n’est pas le seul point exploité par les constructeurs qui creuse l’écart entre les émissions sur banc et les émissions réelles.
En particulier, nous avons vu que les logiciels d’invalidation étaient interdits par la législation européenne. Mais le législateur européen prévoit une clause d’exemption stipulant à propos de l’interdiction de dispositifs d’invalidation que
« Cette interdiction ne s’applique pas lorsque le besoin du dispositif se justifie en terme de protection du moteur »
C’est là toute l’ambiguïté de la législation dont profitent les constructeurs suspectés de fraude mais qui restent, aujourd’hui, non condamnés. Il arrive en effet dans certaines conditions que le système de dépollution endommage le moteur ou soit lui même endommagé. C’est pour cette raison que les constructeurs introduisent souvent des logiciels d’invalidation dans les systèmes de dépollution, qui désactivent les systèmes de dépollution dans certaines conditions, lorsque cela endommage le moteur.
En fait, l’utilisation de logiciels d’invalidation semble être généralisée puisque sur les onze constructeurs ayant fait l’objet de contrôles dans le cadre de la commission Royal, huit (Fiat Chrysler Automobile, Ford, Mercedes, Opel, Nissan, PSA Peugeot Citroën, Renault, Toyota) invoquent l’utilisation de logiciels d’invalidation destinés à protéger le moteur ou la sécurité des usagers.
Le cas technique de Renault
L’étude de la documentation technique de Renault a permis de comprendre son recours à un logiciel d’invalidation. La technique utilisée ici est celle de la fenêtre thermique. Le système EGR (Exhaust Gas Recirculation), qui fait recirculer les gaz brulés, est censé réduire de 85% les émissions de NOx, gaz dangereux pouvant entrainer des complications respiratoires et cardio-vasculaires.
Vidéo explicative du système de dépollution: cliquez ici
Ce système fonctionne de paire avec un piège à NOx qui à des températures très basses ou très hautes s’encrasse et engage fortement la longévité du moteur. Ainsi, Renault a installé un logiciel qui limite le taux de recirculation des gaz et donc l’efficacité de l’EGR dès que la température est trop haute (supérieure à 35°C) ou trop basse (inférieure à 17°C) afin de protéger le moteur des effets secondaires du système de dépollution. C’est ce qu’on appelle une fenêtre thermique.
Le problème est qu’en Europe, la température moyenne excède rarement les 17°C: ce système réputé ultra performant n’est donc que très peu actif au cours de l’année, et les taux d’émissions réels du véhicule sont donc bien supérieurs à ceux mesurés sur banc d’essai, où la température est optimale pour le fonctionnement de l’EGR. Le logiciel creuse donc encore l’écart entre les émissions sur banc et les émissions réelles.
Le cas technique de Fiat
Pour ce constructeur, la technique est différente: le système de dépollution installé sur les véhicules Fiat fonctionnant au diesel n’est complètement efficace que pendant 22 minutes environ, sachant que la durée des tests effectués sur les véhicules n’est que de 20 minutes.
Les consommateurs, trompés comme les homologateurs
D’un point de vue pénal, l’optimisation et l’utilisation de logiciels d’invalidation qui protègent le moteur est totalement légale, bien que sa légalité soit remis en question par certains acteurs (voir Des logiciels pour frauder ?). Mais qu’en disent les consommateurs, à qui revient la responsabilité de conduire un véhicule plus polluant en vérité qu’il ne l’est indiqué sur la fiche technique du véhicule? Si les enjeux de protection du moteur sont une justification valable du point de vue pénal, les consommateurs ainsi que les associations de consommateurs voient clairement une tromperie du consommateur et entreprennent des actions de lutte. La tromperie est définie par l’article L213-1 du code de la consommation :
« quiconque, qu’il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l’intermédiaire d’un tiers :
1° Soit sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ;
2° Soit sur la quantité des choses livrées ou sur leur identité par la livraison d’une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l’objet du contrat ;
3° Soit sur l’aptitude à l’emploi, les risques inhérents à l’utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d’emploi ou les précautions à prendre. »
Dans les cas étudiés ci-dessus, d’une part la tromperie est morale, puisque le consommateur pensait acheter un véhicule relativement écologique tandis que le système de dépollution n’est en fait pas fonctionnel. D’une autre, il y a une tromperie économique puisque le système de dépollution, lui, est compris dans le coût du véhicule. Il se dégage donc une toute nouvelle dimension de l’affaire, cette fois jugée du point de vue du consommateur et non de la norme en vigueur. Ainsi même si la pratique est légale du point de vue des normes d’émission, elle ne l’est pas nécessairement du point de vue des informations données.
Par ailleurs, les véhicules vendus ne sont pas conformes à la réglementation Euro VI en vigueur, par conséquent ils ne devraient pas être autorisés à circuler. Cependant, ce point est extrêmement ambigu dans la mesure où l’infraction ne peut pas être reprochée au consommateur, lui même trompé par le constructeur. Seront-ils autorisés à circuler dans leurs véhicules non conformes, ou devront-il faire appliquer des modifications afin de respecter les taux d’émission légaux? D’après François Carlier, responsable du Secrétariat national au CLCV, il ne pourra pas être interdit de circuler dans les véhicules déjà achetés; un certain pragmatisme mènerait à la conclusion qu’il faut contraindre les consommateurs à faire adapter leur véhicule aux frais du constructeur, mais malheureusement aucune loi ne permet d’obliger les automobilistes à faire cette démarche. A l’heure actuelle, seuls des courriers ont été envoyés aux consommateurs, les invitant à faire réviser leurs véhicules sur la base du volontariat, nous a expliqué Charlotte Lepitre.
Quand y a-t-il fraude alors ?
Il est toutefois bel et bien possible de frauder, c’est à dire de ne pas respecter les lois. C’est ce qu’a montré Volkswagen, seul constructeur dont la triche a été avérée et reconnue jusqu’alors. Dans le cas de Volkswagen, la triche repose sur l’utilisation de logiciels invalidants qui ne se justifie pas par la protection du moteur.
Lire aussi: Et aux yeux des consommateurs ?
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Sources :
Bourbon, J.-C. (2015, septembre 23). L’affaire Volkswagen: « il faut revoir les méthodes d’homologation des voitures ». La Croix.
Compte Rendu Entretien FNE
Compte-rendu entretien CLCV. (2017, mai).
Les ventes de Volkswagen plombées par le scandale du diesel et la Chine. (2016, janvier 8). Le Monde.fr.
Massemin, E. (2016, janvier 22). Le système de contrôle de la pollution automobile est totalement défaillant. Reporterre.
Verdevoye, A.-G., & Bergerolle, E. (2017, février). Anti-pollution: Renault et Fiat nous ont-ils trompés? Challenges.