La d�finition qui nous est donn�e par le Petit Robert est, � bien des niveaux, extr�mement instructive : il s'agit d'un � ouvrage didactique pr�sentant, sous un format maniable, les notions essentielles d'une science, d'une technique, et sp�cialement les connaissances exig�es par les programmes scolaires. � On voit ainsi se dessiner deux notions fondamentales pour un manuel scolaire :
la facette didactique et la conformit� aux programmes fix�s par l'Education Nationale.
Le manuel n'est pas le seul outil dont dispose aujourd'hui un enseignant, mais c'est le plus souvent son principal auxiliaire p�dagogique. Il s'agit en effet d'un objet de m�diation essentiel entre ma�tre, �l�ves et parents ; en quelque sorte, le manuel est la vitrine d'un enseignement, le t�moin aupr�s des parents de la p�dagogie mise en place par l'instituteur.
S'il est au cour d'un dispositif p�dagogique vari�, le manuel scolaire ne doit pas pour autant constituer le cour m�me de la m�thode d'apprentissage de la lecture : l'enseignant s'en sert comme support, mais il lui appartient de mettre en place les activit�s didactiques menant � l'�veil et � l'acquisition des concepts de lecture.
C'est � Jules Ferry que les enseignants fran�ais doivent de pouvoir librement et collectivement choisir leurs manuels. En 1880, la France fut le premier pays au monde � confier � au personnel enseignant lui-m�me l'examen et le choix des livres que la libre concurrence des �diteurs met � jour incessamment �.
Il n'existe ainsi pas d'organe de contr�le ou d'habilitation des manuels, dont le contenu est r�gi par la libre concurrence de march� qui s'exerce entre les �diteurs priv�s. Le minist�re de l'Education Nationale ne peut intervenir que pour interdire les ouvrages contraires � la Constitution, la morale ou les lois, comme, par exemple, ce pourrait �tre le cas si l'ouvrage comportait des propos � caract�re antis�mite ; dans les faits, cette censure n'a jamais eu lieu de s'exercer.
N�anmoins, les �diteurs de manuels s'efforcent de suivre les Instructions Officielles �manant du minist�re et de les mettre en application: on peut constater une r�elle correspondance entre les circulaires de l'Education Nationale et les nouveaux ouvrages propos�s par les �diteurs. Ainsi, r�cemment, de nombreux manuels ont vu le jour en r�ponse aux Instructions Officielles de Jack Lang en 2002 ; on peut citer notamment le cas de Lire avec L�o et L�a, publi� en 2004 chez Belin, ou de Super Gafi, publi� en 2003 chez Nathan.
Les auteurs de manuels sont choisis par les �diteurs.et r�ciproquement. La r�daction d'un manuel est aujourd'hui un travail d'�quipe pour tenter d'assurer la compl�mentarit� des comp�tences, aussi bien p�dagogiques que scientifiques. Des corps de m�tiers aussi vari�s que l'orthophonie, la neuropsychologie, l'inspection de l'Education Nationale et la sph�re enseignante sont ainsi concern�s par cette r�daction.
L'usage d'un manuel de lecture est-il indispensable ? Cette question est encore pos�e aujourd'hui, certains p�dagogues et linguistes jugeant les manuels de lecture beaucoup trop directifs et leur pr�f�rant une d�marche plus personnelle, propre � chaque instituteur. Ainsi, d�j� en 1883, Jules Ferry incitait les ma�tres � se s�parer de cet outil : � Le livre est fait pour vous et non vous pour le livre ; vous pouvez vous r�server de choisir dans diff�rents auteurs des extraits destin�s � �tre lus et appris. �
Freinet notamment d�fendait cette vision selon laquelle les manuels n'ont pas de raison d'�tre et que les enseignants se doivent d'utiliser d'autres objets. Cela suppose �videmment que l'enseignant constitue ses propres fiches, ce qui prend un temps consid�rable. De plus, ses assises th�oriques doivent �tre tr�s nettes et pr�cises
Pour l'�l�ve, l'absence de manuel emp�che de voir o� il va ou de le montrer � d'autres, et notamment � ses parents qui n'ont ainsi aucune id�e de l'enseignement qu'il suit ; le ma�tre doit donc compenser ce manque par un dialogue beaucoup plus construit avec les parents d'�l�ves et une communication beaucoup plus efficace.
Toutes ces raisons expliquent que, dans les ann�es 1970, une bascule s'op�re, qui conduira � la situation actuelle o� 84,2% des enseignants d�clarent se servir d'un manuel de lecture ainsi que d'outils p�dagogiques compl�mentaires comme des albums, des vid�os.
La libre concurrence des �diteurs permet � chacun des enseignants de choisir librement le manuel qui lui semble le plus adapt�, sans contrainte d'aucune sorte. N�anmoins, cette profusion d'ouvrages pr�sente un autre versant : face � des ouvrages tr�s divers et qui se r�clament tous de l'application des Instructions Officielles, quel choix faire et comment juger de leur efficacit� ?
La m�me question se pose pour les parents d'�l�ves. Ainsi peut-on voir fleurir sur Internet des sites comparant les m�rites de tel ou tel manuel et les publications traitant de ce th�me ; citons � titre d'exemple Apprentissage de la lecture, M�thodes et manuels de Luc Maisonneuve ou la revue semestrielle bims (Bulletin d'Information sur les Manuels Scolaires) qui propose une analyse des processus mis en place par les derniers manuels parus, afin d'�clairer les parents d'�l�ves inquiets.
On saisit ainsi les enjeux sous-jacents : pour convaincre les parents d'�l�ves et les p�dagogues qu'un manuel est efficace, il est essentiel que ses auteurs soient l�gitim�s par l'Education Nationale ou, du moins, aient un minimum de bagages p�dagogiques ; la question des illustrations et des exemples dont est pourvu le manuel est �galement centrale (voir � ce propos l'�tude critique d'Eveline Charmeux sur Lire avec L�o et L�a).
Les manuels scolaires �tant le premier lien, et celui le plus visible, avec les m�thodes d'enseignement mises en place par l'instituteur, ils sont les premi�res victimes des critiques adress�es � leur encontre, en tant que leur digne repr�sentant. C'est pour cela qu'elles suscitent une pol�mique aussi virulente. Les critiques adress�es � la m�thode Boscher par exemple ne sont r�ellement explicables que par le statut embl�matique de ce manuel vis-�-vis de la m�thode synth�tique.
Le d�bat entourant les manuels de lecture est, ainsi, � bien des �gards, repr�sentatif de celui, plus large, des m�thodes de lecture.