Il est difficile de distinguer clairement certains pédagogues des linguistes, puisqu'ils ont souvent suivi un itinéraire semblable ; Mme Charmeux, après avoir suivi des études théoriques, en est venue à la formation des enseignants dans les IUFM. Cependant, elle n'a jamais exercé elle-même. Ce n'est pas le cas de M. Meirieu, qui a été lui-même instituteur, puis professeur en collège et lycée, avant de se tourner vers les sciences de l'éducation. Il n'a pour sa part pas d'expertise reconnue en linguistique, mais traite de questions pédagogiques plus générales (en particulier, le collège unique, ou l'émulation dans la classe). Il joue cependant un rôle dans la controverse sur les méthodes de lecture, dans la mesure où les différentes approches sous-tendent une certaine vision de l'enseignement et de la pédagogie.
Mais au-delà des personnalités médiatiques, il importe de reconnaître le rôle des enseignants en exercice : ce sont eux qui en définitive mettent en pratique les préceptes théoriques, donnent vie aux méthodes des manuels. En tant que tels, ils ne sont que peu représentés dans les média : les figures de Messieurs Meirieu et Brighelli se présentent comme leur porte-parole, mais sans doute certains ne se reconnaissent-ils ni dans le discours de l'un, ni dans celui de l'autre. La voix des enseignants se fait néanmoins parfois entendre sur les forums de discussion, tel celui des cahiers pédagogiques ou du site vousnousils. Ils font part de leurs difficultés quotidiennes, qu'ignorent selon eux les « théoriciens utopistes » ; à ce propos, l'hypothèse de la « volonté d'apprendre » qu'avancent les pédagogies Freinet ou idéovisuelle est vivement dénoncée dans le contexte actuel comme aberrante.
Les enseignants appellent de leurs voeux une vision pragmatique ; leur participation aux forums de discussion montre qu'ils sont prêts à prendre en compte les progrès de la recherche dans leur pratique, mais ils ont mal vécu les pressions exercées par M. de Robien, perçues comme arbitraires. M. Darcos a d'ailleurs rectifié la ligne politique, et s'est présenté comme le juge des résultats ; la liberté des méthodes est à nouveau instituée en principe, dès lors que les programmes sont respectés. Gageons que ces éléments sont de nature à apaiser le débat avec les enseignants en exercice.
Il n'en reste pas moins que ces mêmes enseignants reprochent souvent à ceux qui parlent en leur nom, comme M. Meirieu, d'ignorer la situation actuelle, ou de proposer une vision aberrante de la pédagogie, trop moderniste. Il existe en effet plusieurs courants de pensée parmi les instituteurs, et les positions ne sont pas homogènes. Cette situation est caricaturée médiatiquement par l'opposition entre Messieurs Brighelli et Meirieu, mais recouvre une réalité bien plus complexe, qui se noue sur le terrain, au quotidien, dans les classes.
Malgré le désir et la nécessité d'une évaluation pratique des méthodes de lecture, celle-ci n'a jamais été menée de manière suivie, à une échelle suffisamment représentative. Il existe sans doute des réticences politiques, mais aussi locales à une telle entreprise, qui dégagerait de bons établissements, de bonnes pratiques pédagogiques, de bons enseignants, et d'autres, moins bons. Entre les revendications et la pratique, il reste donc sans doute de nombreuses réticences à vaincre.