L’orthophonie désigne la rééducation du langage oral, en particulier de la prononciation, et écrit, selon la définition que donne le Petit Robert. L’orthophonie, c’est donc avant tout de la pratique. Pour autant, les orthophonistes ont une formation théorique assez large, qui touche de très près l’apprentissage de la lecture : parmi les cours de la formation classique d’un orthophoniste, on trouve des cours de psychologie, de physiologie, de sciences du langage (phonétique et linguistique), de pédagogie, de langage oral (développement, pathologies et rééducation) et langage écrit et de rééducation de retard de langage.
Notons la part croissante des neurosciences dans la formation des orthophonistes, matière qui s’est beaucoup renouvelée et enrichie depuis trente ans (on pourra lire à ce sujet l’interview de Madame d’Huart, orthophoniste de formation). Si les neurosciences n’ont pas encore une nette influence sur la façon de rééduquer les patients, qui, elle, évolue moins rapidement, elles donnent à l’orthophonie une ouverture considérable sur la recherche. Ainsi peut-on voir des liens étroits entre neurosciences et orthophonie, avec notamment des personnes à double formation comme Sylviane Valdois (neuropsychologue et orthophoniste).
Si les orthophonistes ne sont pas des experts pointus comme les chercheurs en sciences cognitives, il ne faut pas pour autant leur contester une certaine légitimité dans le débat sur les méthodes de lecture.
En effet, l’orthophoniste est médecin : il a beau ne pas pouvoir affronter la racine des maux qu’il diagnostique, il en voit pourtant les effets. Il finit par se faire une idée sur les causes des maladies qu’il rencontre, car ses patients viennent le voir régulièrement ; il se forge une opinion phénoménologique, pragmatique, qui se fonde sur des observations pratiques et sur la validation d’hypothèses scientifiques. Voilà pourquoi son point de vue est si intéressant ; son diagnostique apparaît comme un verdict ultime, pour la survie des méthodes analytiques en particulier. Ces dernières se retrouvent en effet souvent sur le banc des accusés, montrées du doigt par certains parents comme les seules coupables de la dyslexie de leur progéniture.
En plus de tout cela, l’orthophoniste occupe une place de choix dans le débat : il apporte un œil extérieur, un certain recul, puisqu’il n’est ni théoricien, ni linguiste ; il n’est pas plongé au cœur du problème de la lecture ; dans la grande entreprise de l’élaboration de méthodes de lecture, il travaille au service après-vente. Il est aussi une sorte d’intermède entre les parents et l’instituteur.
Toutefois, il s’agit de rester prudent quant aux affirmations et prises de position des uns et des autres. Car l’orthophonie, c’est avant tout de la rééducation. Il y a de multiples explications possibles pour les troubles de la lecture, et il est a priori et a posteriori difficile pour un orthophoniste d’accuser une méthode de lecture, en s’appuyant sur des arguments solides et scientifiques.
Depuis les débuts de l’orthophonie, les praticiens de cette médecine utilisent une méthode synthétique, celle à entrée phonique, pour apprendre à lire aux enfants en difficultés. Ainsi, les enfants dyslexiques ou dysphasiques apprennent à lire uniquement avec cette méthode.
Parmi les troubles d’acquisition de la lecture diagnostiqués par les orthophonistes, nombreux sont ceux qui dépendent uniquement des prédispositions de l’enfant, si bien que le choix de la méthode de lecture apparaît comme une cause possible parmi beaucoup d’autres.
Parmi les principaux troubles de la lecture, on peut citer la dyslexie, qui est largement médiatisée et souvent utilisée comme argument contre la méthode analytique.
Il ressort que de multiples causes peuvent expliquer un trouble d’apprentissage de la lecture, et que la pédagogie n’est pas seule sur le banc des accusés. Les prédispositions de l’enfant entrent en compte, ainsi que son environnement, ce qui rend l’analyse de ces troubles beaucoup plus complexe.
Nous avons parlé de « l’orthophoniste » comme d’une seule entité. Pourtant, au sujet des méthodes de lecture, les orthophonistes ne s’accordent pas en tout.
Après plusieurs années d’observation et d’enquête, l’orthophoniste Catherine Toste se prononce publiquement en faveur d’une méthode synthétique. Pendant dix ans, elle affirme avoir vu se succéder dans son cabinet des centaines d’enfants ne lisant pas correctement et avoir pris des notes à ce sujet, répertoriant erreurs et difficultés. C’est ce qui l’a conduit à écrire un livre, Vous avez dit : « LECTURE » ?. Dans ce livre, elle dénonce ce qu’elle appelle la « non-méthode » (les méthodes analytiques) qu’elle juge être la première cause des difficultés de ses patients, et propose une méthode préventive proche de la méthode synthétique à entrée phonique, basée sur la vue, l’articulation, l’écoute et la signification
Ajoutons que l’orthophoniste engagée a signé la pétition contre la politisation du débat sur la lecture, soutenue par le collectif SOS Éducation. En cela elle rejoint l’opinion de la FNO.
La Fédération Nationale des Orthophonistes (FNO), regroupement d’orthophonistes, a émis en décembre 2005 un communiqué de presse pour expliquer quelle était sa position dans le débat sur les différentes méthodes de lecture.
Dans ce document, la FNO rappelle que les orthophonistes, « professionnels de santé, interviennent au niveau des soins, dans le domaine des pathologies de la lecture et dans la prévention de ces troubles. […] » Elle souligne qu’« il n’existe à ce jour, aucune étude menée par des orthophonistes, validée scientifiquement, mettant en évidence des liens de causalité entre méthodes de lecture et pathologies du langage écrit. »
Il existe pourtant des études d’orthophonistes à ce sujet, tel le mémoire d’Émilie Bernard intitulé Apprentissage de la lecture au CP : méthode synthétique versus méthode mixte. Mais la FNO ne les prend pas en compte.
Ainsi, la FNO se dédouane des prises de position de certains orthophonistes : « les affirmations d’orthophonistes sur les supposés effets de la méthode de lecture dite « globale » n’engagent que ces professionnels, à titre tout à fait individuel […] et ne constituent pas une caution scientifiquement reconnue. »
Pourtant, on ne peut pas véritablement dire qu’émergent des prises de position marquées parmi les orthophonistes dans le débat public. Les orthophonistes, de manière générale, ne veulent pas rentrer dans ce débat trop politique ; ils se bornent à défendre la méthode qu’ils appliquent, et qui leur est propre, celle synthétique à entrée phonique, et qui concerne uniquement leurs patients. Cependant, certains orthophonistes se posent la question de savoir si elle ne peut pas être élargie à tous les élèves de CP (cf. l’étude d’Émilie Bernard).