Contexte juridique

Comme toute controverse, l’influence des facteurs environnementaux sur le cancer est un sujet qu’il est bon de replacer dans le contexte historique et politique auquel il appartient, pour pouvoir comprendre au mieux l’enjeu de ce débat. Ainsi, dans un premier temps, nous exposons les grandes étapes historiques de la lutte contre le cancer, tant en matière de découvertes scientifiques que d’actions politiques, puis abordons le sujet sous un angle juridique, pour finir par une présentation du contexte politique et culturel actuel entourant cette controverse.

ASPECT JURIDIQUE :

La relation controversée entre les facteurs environnementaux et le cancer donne lieu à de plus en plus de procès au fur et à mesure que la recherche scientifique avance. Parmi les conflits les plus médiatisés figurent notamment ceux causés par l’utilisation d’amiante.

En effet, depuis l’interdiction de l’amiante en 1996, et la jurisprudence de février 2002 de la Cour de Cassation sur la « faute inexcusable » de l’employeur, les procédures devant les TASS (Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale) se sont multipliées : près de 10 000 en dix ans. De nombreuses entreprises doivent s’attendre à être mises en causes dans les années qui viennent, avec des conséquences financières susceptibles de mettre en danger leur équilibre financier. Aux Etats-Unis de nombreuses entreprises ont fait faillite face aux demandes d’indemnisations qu’elles ne pouvaient plus payer.

Dans plusieurs pays européens, la justice traque à présent les responsables d’entreprises qui n’ont pas ou pas suffisamment informé leurs travailleurs des risques liés à cette exposition. Dans les procès récents contre des industriels de premier plan, ces derniers continuent à prétendre qu’ils en ignoraient les dangers.

Affaire Alstom Power Boiler :

La société Alstom Power Boilers, filiale d’Alstom, et un ex-directeur d'usine ont été lourdement condamnés en première instance pour avoir exposé à l'amiante d'anciens salariés du site de Lys-lez-Lannoy, dans le Nord.

En 2006, le tribunal de Lille avait condamné la filiale du groupe Alstom à payer, outre 75.000 euros d'amende, 1,5 million d'euros de dommages et intérêts aux 150 salariés parties civiles, pour avoir "mis en danger la vie d'autrui" sur l'ancien site de fabrication de chaudières, entre 1998 et 2001.

La condamnation de l'entreprise en première instance était une première dans une affaire d'amiante non pas pour un dommage réalisé, puisque certains salariés parties civiles n'avaient pas encore déclaré de maladie, mais pour l'exposition à un risque.

"Entre 1998 et 2001, les salariés n'ont pas été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante comme les prélèvements d'atmosphère effectués à l'époque par des organismes indépendants l'ont démontré. Le tribunal de Lille n'en a pas tenu compte" a affirmé Me Cornut-Gentille, avocat du directeur de l'usine à l'époque.

Affaire Eternit :

L’histoire de la multinationale suisse est révélatrice de la stratégie des entreprises sur l’amiante. Elle préfigure une situation que les entreprises françaises de l’amiante pourraient devoir affronter dans un avenir proche. Eternit fabrique et commercialise des produits de toiture et des éléments de façade spécialement étudiés pour répondre aux besoins techniques, esthétiques et économiques des constructions de maisons neuves et de leur rénovation.

Mais cette entreprise, implantée aujourd’hui dans 72 pays, est aujourd’hui rattrapée par son passé. Elle doit faire face à près de 3 000 plaintes émanant des anciens salariés de sa filiale italienne, et de victimes de la pollution environnementale qu’elle a généré par son exploitation de l’amiante. Environ 1400 décès ont déjà été recensés parmi les ouvriers de ses 4 usines italiennes et la population des villes voisines. La ville la plus touchée est Casale Monferrato, où se situe la plus grande mine d’amiante d’Europe de l’ouest, exploitée jusqu’il y à 20 ans par Eternit.

Au terme de 5 ans d’instruction, un grand procès pénal va avoir lieu à Turin d’ici fin 2008. Il fait suite à la mise en examen des propriétaires et actionnaires d’Eternit : le Suisse Stephan Schmidheiny et le baron belge Louis de Cartier de Marchienne. Ces derniers risquent des peines de douze ans de prison et des amendes de plusieurs milliards d’euros (1,5 million d’euros d’amende par décès). Pour la première fois en Europe, ce ne sont plus de simples directeurs d’usine qui comparaîtront, mais de hauts dirigeants. Cette action judiciaire pourrait avoir des répercussions internationales sous l’impulsion des associations de victimes qui se regroupent pour mener des actions collectives à l’échelle européenne.

Aujourd’hui Stephan Schmidheiny, 5ème fortune suisse, vit au Costa Rica, et pas moins d’une dizaine d’avocats travaillent pour lui à plein temps. Côté victimes, la constitution du dossier a nécessité 20 ans de travail et repose sur des éléments de preuve très précis.

En 2006, alors que la multinationale est confrontée aux pressions croissantes des associations, Eternit a créé une fondation privée assurant la gestion d’un fond destiné aux victimes de l'amiante. Le Comité suisse d’Aide et d’Orientation des Victimes de l’Amiante (CAOVA), estime que cette démarche d’Eternit ne vise qu’à éviter des procès.

Face à l’ampleur des dégâts causés par l’amiante, les protagonistes s’arc-boutent sur leurs intérêts particuliers, reproduisant les mécanismes qui ont conduit au désastre. Mais les données économiques du problème font que le jeu est contraint. Ce qui est donné aux uns est forcément pris aux autres. D’une phase d’expansion générée par l’« or blanc », on passe à une période de gestion de crise.

La majorité des entreprises concernées par la question de l’amiante tente de mettre une chape de plomb sur leur passé, en niant les responsabilités, en contestant les faits. Si elles parviennent encore aujourd’hui à préserver leurs intérêts financiers en limitant la « casse » liée aux réparations des maladies de l’amiante, leur image et leur réputation en reste lourdement entachée. Mais combien de temps pourront-elles encore, sous l’impulsion de dirigeants parfois peu scrupuleux, contenir le surgissement de ce passé peu reluisant, tout en s’abreuvant de discours convenus sur le développement durable ?

Outre l’amiante, d’autres facteurs environnements peuvent, selon certaines études scientifiques, être une cause de cancer. Et des scientifiques de plus en plus nombreux, appelés des « lanceurs d’alerte », montent au créneau afin de dénoncer des entreprises apportant un risque pour la santé. Ces lanceurs d’alerte font de ce fait de plus en plus souvent l’objet de procès pour diffamation.

Ainsi, vendredi 14 mars, un lanceur d’alerte, Véronique Lapides, doit comparaître devant le Tribunal Correctionnel de Créteil en tant que présidente de l’association Collectif Vigilance Franklin (CVF).

Le CVF a lancé une alerte sanitaire en 2001, suite à l’apparition d’un excès de cas de cancers chez des enfants de l’école maternelle Franklin Roosevelt, située sur l’ex-site de l’usine Kodak à Vincennes. Malgré une pollution avérée, aucune mesure de dépollution du site n’a été entreprise, alors que cela a été fait sur un autre site Kodak à Sevran. En 2006 le CVF, cosignataire d’un tract mettant en cause la Préfecture et la Mairie pour leur refus de prendre leurs responsabilités quant à la nécessaire dépollution du site, est assigné en justice pour diffamation par le Maire de Vincennes.

Cependant d’autres produits peuvent être source de cancer, et donc être sujets à des conflits de santé, voire à des procès, en particulier les produits utilisant les ondes électromagnétiques, qui concernent de beaucoup de procès et font l’objet d’une vaste politique.

L’association Grappe (Groupe Régional d’Actions contre la Pollution Phytosanitaire de l’Eau) entreprend une action en justice contre l'État belge pour non respect de notre droit constitutionnel à la protection de notre santé et à un environnement sain. La plainte a été déposée fin novembre 2007.

Les applications civiles utilisant les ondes électromagnétiques pour la télécommunication sans fil sont de plus en plus nombreuses : téléphone portable, téléphone sans fil d'intérieur, réseau sans fil Wifi. L'UMTS, le GSM de 3e génération et le WiMax, le Wifi à haut débit et à grande portée, se pointent... Donc pour très bientôt et partout, le son, l'image, la photo et l'accès à internet. Et ce n'est sans doute pas fini.

La pollution par les ondes électromagnétiques artificielles, une des plus grandes pollutions actuelles, est invisible et inodore. Et ses effets sont encore peu évidents pour la population. Cependant, beaucoup d'études scientifiques réalisées à ce jour concernant l'impact sur la santé des micro-ondes sont loin d'être rassurantes. En plus des effets thermiques déjà reconnus, ces études mettent en évidence des effets biologiques et sanitaires.

Aujourd'hui, la seule réglementation existante pour faire face à ce problème, est l'AR du 10 août 2005, pris en application de la loi du 12 juillet 1985 qui est relative à la protection de l'homme et de l'environnement contre les effets nocifs et les nuisances provoqués par les radiations non ionisantes, les infrasons et les ultrasons. Cet arrêté se borne à fixer la norme pour les antennes émettant des ondes électromagnétiques entre 10 MHz et 10 GHz. Il autorise des densités de puissance pour les fréquences de 900 MHz à environ 2000 MHz pour l'UMTS. Les valeurs données par cet arrêté sont mille fois plus élevées que celles recommandées par bon nombre de scientifiques aujourd'hui.

Pour Grappe, cet arrêté est donc tout à fait inadéquat selon les connaissances actuelles, ne respecte pas la loi de 1985 et ne tient aucun compte du principe de précaution et de notre droit constitutionnel à la protection de notre santé et à un environnement sain (art. 22 /23). C'est pourquoi, en mai dernier, Grappe a fait le projet d'intenter une action en justice contre l'Etat belge.

Bien que les études épidémiologiques portant sur l'incidence du cancer en liaison avec une exposition aux micro-ondes pulsées des téléphones portables ou des antennes-relais soient relativement peu nombreuses vu le temps de latence de cette pathologie et la diffusion récente de la téléphonie sans fil, on dispose à ce jour de premiers résultats suffisamment fiables pour affirmer qu'ils confirment les craintes émises depuis de nombreuses années par des médecins et des scientifiques indépendants.

Et le nombre de procès relatifs à la téléphonie risque encore d’augmenter avec la récente et historique décision de la Cour Suprême du 1er novembre autorisant des procès de masse de la part consommateurs contre les manufacturiers de téléphones mobiles et les fournisseurs de services, ou en d'autres termes les opérateurs, et pour ne citer qu'un fabricant mis en avant : Nokia.

Notamment le message suivant, du représentant des associations de consommateurs, Harley Thomas Howell du cabinet Howel & Gately, qui risque d'avoir des conséquences incalculables : « le fait que le téléphone mobile soit un produit soumis aux règlements (normes), n'affecte en rien son statut de produit de consommation.»

Si la recherche scientifique ne permet pas pour l’instant d’apporter dans tous les cas des preuves irréfutables de la contribution de certains facteurs environnementaux, certains éléments permettent de conclure sur la culpabilité d’une entreprise face aux consommateurs. Et les gouvernements, dont les lois sont souvent inadaptées à l’évolution de la science et des techniques, peuvent elles-aussi faire l’objet de procès.