Quels sont les mécanismes moléculaires conduisant à la cancérisation ?
Les cancers sont connus et décrits dans la littérature générale et médicale depuis fort longtemps mais ce n'est que depuis 1975, avec les travaux de Dominique Stehelin, de Varmus et Bishop (ces deux derniers ont été nobélisés pour cette découverte) que l'on a pu démontrer formellement que le cancer était une maladie de l'ADN.
Les travaux qui ont découlé des découvertes initiales de Stehelin, Varmus et Bishop, ont permis de montrer que dans une cellule, quelques gènes jouent un rôle clef. Ce sont ces gènes qui lorsqu'ils sont altérés vont entraîner la cancérisation. On les appelle des oncogènes. Les oncogènes sont donc des gènes tout à fait normaux au départ, indispensables à la vie de la cellule, mais qui subissent des altérations conduisant soit à modifier la fonction de la protéine qu'ils servent à fabriquer, soit à en modifier la quantité exprimée.
Dans sa vie, une cellule "compte" en permanence les signaux qui lui disent de se reposer (quiescence), de se différencier (pour donner une cellule avec une fonction très spécialisée comme un neurone ou une cellule musculaire), de se suicider ou de se diviser. Ces signaux lui viennent de son environnement tissulaire et sont relayés jusqu'à l'ADN par un réseau chimique très complexe. Cette structure en réseau permet de mettre en place de nombreux systèmes de contrôle des voies de transmission de ces signaux à l'intérieur de la cellule. La cellule intègre alors les signaux parfois contradictoires qu'elle reçoit et "prend sa décision" sur son avenir. Si elle reçoit par exemple plus de signaux de division que de signaux de quiescence, elle entre en mitose et se multiplie.
Si une cellule est amenée à "croire" en permanence que son environnement lui demande de se diviser alors que ce n'est pas le cas, un cancer s'initie. Des mutations dans quelques gènes clefs qui contrôlent la division cellulaire sont ainsi capables dans certains cas de leurrer la cellule. En réalité, il est le plus souvent nécessaire que plusieurs gènes soient conjointement déréglés pour que la cellule se cancérise. Si un seul gène est muté, les mécanismes de compensation permis par la structure en "filet de pêche" des voies de transmission des signaux permettent le plus souvent d'amortir et d'absorber en quelque sorte le dérèglement. En 25 ans des progrès considérables ont été accomplis pour comprendre le fonctionnement de ce filet, les molécules qui le compose et comment l'ensemble est régulé.
Malheureusement, dans un cancer cliniquement détecté, il est très rare que l'on puisse dire quel événement moléculaire a initié le cancer. Les cellules cancéreuses ne sont pas stables et dérivent génétiquement assez rapidement rendant l'identification de l'oncogène initialement atteint difficile. Ce phénomène ralentit énormément les avancées dans la recherche contre le cancer.
Cette cellule « mutée », plus grosse et irrégulière, perd ses caractéristiques et notamment ses capacités d'apoptose, elle devient donc immortelle. Elle se multiplie sans cesse, donne naissance à de nouvelles cellules qui à leur tour, se multiplient… A partir d'une seule cellule maligne et après 20 doublements cellulaires (une cellule en donne 2, puis 2 en donnent 4…), on obtient déjà un million de cellules tumorales, soit environ un milligramme de tissu malin. Si rien n'est fait, cette progression se poursuit. La masse de tissu tumorale augmente, elle se vascularise en sécrétant des molécules qui provoquent la formation de nouveaux vaisseaux sanguins (angiogénèse). Ceux-ci lui apportent les nutriments et l'oxygène nécessaires à sa croissance.
Ces cellules envahissent progressivement les tissus voisins, atteignent les ganglions et se propagent par la circulation sanguine et lymphatique. Elles peuvent alors se fixer dans d'autres organes, s'y multiplier et former des métastases dans le foie, les os, les poumons, le cerveau, les reins…
Il existe plus d'une centaine de cancers, définis en fonction de la cellule initiale dont ils sont issus. Une meilleure compréhension des différents mécanismes et des molécules impliqués dans leur développement a d'ores et déjà permis la mise au point de nouveaux médicaments. Ce sont par exemple les « anti-angiogéniques », qui bloquent les mécanismes par lesquels les tumeurs créent de nouveaux vaisseaux. L'idée est « d'assécher » la tumeur. Privée de nourriture, elle se nécrose.