Installer un péage constitue, quoi qu’il en soit, un certain obstacle au concept global de liberté de circulation. Si pouvoir accéder au centre d’une ville en voiture nécessite de payer, il est indéniable que les usagers les plus démunis auront beaucoup plus de mal à supporter des coûts plus importants pour leur transport que les plus aisés[1].
« En reprenant les catégories grossières de «riches» et «pauvres», on peut dire que les pauvres (qui parcourent moins de kilomètres-personnes et sont nettement moins nombreux à avoir une voiture) paient pour les coûts externes générés davantage par les riches »[2]
Il reste désormais à savoir s’il est possible de contrer ces inégalités sociales et si oui, si les mesures mises en place permettent réellement de rétablir une certaine équité.
D’autre part, le péage urbain différencie deux espaces : celui situé à l’intérieur du péage et celui situé à l’extérieur. Ceci pose alors la question de l’inégalité spatiale : le péage urbain crée-t-il des disparités économiques entre l’intérieur et l’extérieur du péage ?
Dans le cas d’un péage de type cordon, parmi les automobilistes qui continuent à utiliser les routes, ceux à forts revenus bénéficient davantage de la réduction de trafic que ceux à faibles revenus. Le péage de type cordon est en effet la pire solution pour les individus à faible revenu, puisque, selon ses détracteurs, il discrimine par l’argent.
De plus, le péage de type cordon présente l'inconvénient de rompre le principe d’égalité républicaine : à Londres, par exemple, ceux habitant à l’intérieur de la zone de péage ne sont pas soumis aux mêmes taxations que ceux vivant à l’extérieur de celle-ci, ce qui crée des inégalités supplémentaires. "Ce qui m’embête particulièrement dans le péage urbain, c’est que cela divise la société. Pour nous, l’écologie punitive va dégouter les gens de la considération écologique. En instaurant un péage urbain, on va fracturer la société. Pouvoir tous librement circuler avec les mêmes droits, ce qui fait qu’on fait société. (Jean-Noël Aqua, élu communiste à la ville de Paris)"[3]
D’autre part, il est présenté dans l’étude de Souche, Mercier et Ovtracht[1] comme un obstacle à l’activité économique – voire par les plus virulents critiques de la Gauche française comme responsable d’un « apartheid territorial » puisqu’il prive les commerces du centre d’une partie de leurs clients motorisés, gêne les entreprises installées en centre-ville et constitue un obstacle aux échanges entre ville et banlieue. Mettre un péage autour d'une ville équivaut pour beaucoup à refouler les moins fortunés et à les cantonner en banlieue de manière «socialement discriminante». Ainsi, la communauté urbaine de Nantes juge que « pour que la ville reste un lieu ouvert, de partage et de mixité, d'autres mesures conjuguant écologie et justice sociale sont possibles ».
En outre, si la zone centrale est exemptée de péage pour les personnes résidant à l’intérieur du cordon, les conditions de vie pour celles-ci sont nettement améliorées. En revanche, pour les zones situées bien à l’extrémité, on note une forte détérioration des conditions de vie puisque les personnes y résidant doivent s'acquitter du péage et ils doivent en plus subir une augmentation du trafic en périphérie de la ville ce qui est conforme à l’expérience du péage urbain de Stockholm.
En revanche, la solution de taxation en fonction des émissions de CO2 semble être la solution la plus avantageuse pour les personnes démunies. En effet, les véhicules émettant le plus de dioxyde de carbone sont les véhicules les plus puissants qui sont majoritairement détenus par des automobilistes aisés.
Des études économiques et sociologiques ont été menées par les scientifiques Souche, Mercier et Ovtracht[4] sur la ville de Lyon et un éventuel péage urbain. Leurs résultats montrent qu’un péage de 2€/jour nécessiterait de faire gagner 11 minutes de trajet par jour aux utilisateurs afin que cela n’engendre pas de pertes financières pour ces derniers.
Outre l’inégalité spatiale régnant entre l’intérieur et l’extérieur du cordon précédemment évoqué, ces études montrent que l’installation d’un péage urbain dégraderait les conditions des populations localisées près de la frontière du péage et amélioreraient celles des personnes situées loin du cordon.
En revanche, plus on considère une personne dont le domicile est éloigné de la ville, plus celle-ci gagne de temps pour rejoindre la ville et donc plus son accessibilité est améliorée.
Si les résidents de la ville sont exemptés de péage, une hausse de tarif doit s’imposer aux non-résidents pour conserver la même réduction de tarif, ce qui crée des inégalités spatiales et sociales fortes.
Ainsi l’étude de cas sur la ville de Lyon concluait que l’accessibilité après instauration du péage serait différente de celle avant son instauration mais qu’aucune conclusion sur une augmentation globale ne peut être retiré.
Variation de l'accessibilité au centre-ville de Lyon pour des habitants de différentes zones dans le cas de l'implantation d'un péage urbain de type cordon[4]
La diminution du trafic est un facteur influençant également la perception des inégalités. Plusieurs études[1][2][4] effectuées entre autres par le Laboratoire d'Economie des Transports ont montré que dans le cas d’une faible réduction de trafic (de 10 à 20%) les automobilistes les plus pauvres perdent bien plus que les plus riches, mais que l’inverse est vrai pour une forte réduction de trafic.
Nous venons de voir que la question des inégalités liées à l’installation d’un péage urbain est controversée et que certains aspects peuvent jouer en faveur d’un rééquilibrage des égalités de transport pour les différentes catégories sociales. Voyons désormais quelle place dans le débat sur le péage urbain joue la question du développement des transports.
Remonter en haut de la pageUne étude menée par un groupe de travail mandaté par la Confédération Suisse[3] montre que la contribution aux péages urbains est bien plus importante pour les personnes aisées. En revanche, l’équité d’un péage urbain n’est déterminée que par la manière dont sont reversés les revenus d’un tel péage.
L’installation d’un péage urbain peut s’accompagner d’une politique de développement des transports en commun si les revenus générés le permettent. "Le péage urbain fait payer le riche qui veut absolument prendre sa voiture. A l’inverse un « pauvre » qui n’a pas les moyens de choisir son lieu de résidence, qui subit des nuisances sonores et écologiques et n’a pas de voitures a tout à y gagner (Jean Sivardière, président de la FNAUT)."
Parmi ceux qui utilisent le plus les transports en commun, la majorité sont des personnes à faibles revenus. Et parmi les personnes les moins aisées, dans le cas d’un péage urbain, celles qui continuent à utiliser leur voiture perdent beaucoup plus que celles qui se déplacent via les transports en commun.
Si nous considérons que les revenus du péage sont entièrement dédiés à la réduction des coûts des transports en commun, deux thèses s’opposent sur la situation des personnes à faibles revenus.
La première consiste à dire que la mesure du péage urbain est subordonnée à la création d'une offre de transports collectifs pour absorber le report de trafic, ce qui aurait pour effet « d'aider vraiment les plus pauvres, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas de voitures » (Louis Nègre, UMP).
La seconde considère que la réduction des coûts des transports augmenterait les inégalités et les plus démunis seraient encore une fois perdants. En effet, puisque les coûts des transports publics sont plus bas, plus de personnes les utilisent et donc les prix du péage urbain ont besoin d’être moins élevés pour mener à une réduction de trafic de x%. Les classes moyennes et supérieures peuvent alors à nouveau prendre leurs véhicules et circuler de manière plus confortable. "Si on installe un péage urbain, une certaine qualité de vie va pouvoir être accessible par les riches et non par les pauvres. Certes, on ne va pas toucher les plus pauvres ou les plus exploités puisque ceux-ci ne disposent déjà pas de voiture, mais ce sont les catégories populaires qui vont en pâtir. Les classes moyennes ont l’impression de payer pour tout le monde et cela ne fait que dégrader le vivre ensemble."
Remonter en haut de la pageEn somme, la notion d’équité, au centre de la controverse sur le péage urbain semble très délicate à analyser. De plus, la notion d’équité est reliée à l’acceptabilité par le concept de justice.
En effet, ceux qui utilisent souvent la voiture et qui seraient tarifiés plus chers sont plus opposés à l’introduction d’un péage urbain qu’ils considèrent comme injuste (la régulation par la tarification de la congestion aux heures de pointe est par ailleurs le principe jugé le plus injuste).
De plus, la situation socio-professionnelle, le niveau de diplôme et l’usage ou non de la voiture, jouent clairement un rôle dans la perception individuelle des principes de régulation.
Enfin, c’est la recherche de l’équité verticale qui pousse à prêter plus d’attention aux plus faibles économiquement.
Remonter en haut de la page1. Souche Stéphanie et al. « Péage urbain et (in)justice perçue : un obstacle à l'expérimentation en France ? »,Revue française d'économie, 2011/2 Volume XXVI, p. 149-176.
2. Dominique Hartmann Le péage routier, facteur d’inégalité sociale ? Le Temps, 2007, n°2810.
3. Benjamin Bureau & Matthieu Glachant. Distributional effects of road pricing: Assessment of nine scenarios for Paris. Science Direct (Part. Transportation Research), 19/02/2008, 995-1008.
4. Souche Stéphanie, Mercier Aurélie, Ovtracht Nicolas.Evaluation of the impacts of urban road pricing on social and spatial inequalities: the Lyon case study (France). Transportation Research Board, 2013