- M. Sivardière, pouvez nous décrire en quoi consiste la FNAUT et quel est votre rôle ?
Je suis président bénévole de la FNAUT, qui est la Fédération Nationale des Associations des usagers du Transport. Il s’agit d’une fédération d’associations locales ou régionales – il y en a environ 150 : je représente en tout 40 000 personnes. Tous les modes de transport et tous les aspects du transport – à la fois sociaux, économiques et écologiques. Nous intervenons par lobbying auprès des ministères, dans des colloques, dans les médias : nous voulons faire connaître nos idées. Quelles sont-elles ? Nous constatons que les modes de transport les moins écologiques sont dominants : les voitures sont nombreuses en ville, les camions restent un mode de transport dominant, de même que nous prenons encore beaucoup l’avion. Ce que la FNAUT souhaite, c’est maîtriser la circulation aérienne et routière et développer les alternatives – telles que le vélo, les transports collectifs en ville, et le train pour les déplacements plus long – de par le choix des infrastructures et des incitations fiscales. En somme, nous donnons une opinion sur le choix des infrastructures afin d’implanter une mobilité durable : chaque mode doit payer économiquement et écologiquement ce qu’il doit à la communauté.
- Qu’est-ce qui vous a mené à étudier le péage urbain?
La circulation automobile en ville est très importante. Des progrès depuis environ 15 ans ont eu lieu dans les grandes villes, par exemple le développement du tramway à Grenoble – que je connais bien et dont nous avons été les promoteurs – dont l’introduction a créé une sorte de choc psychologique. Ce qui est assez impressionnant avec le tramway, c’est que toutes les catégories sociales de la société sont représentées dans le tramway. Ces progrès se manifestent également par la réintroduction du vélo, qui est le moyen adapté au milieu urbain.
Ces efforts faits dans le cadre des plans de déplacement et aménagement urbain (après la loi Lepage 1995) ont eu un effet positif mais cela ne suffit pas. Il y a encore beaucoup trop de voitures avec toutes les nuisances associées: les mesures ne suffisent pas. Il faut provoquer un changement de comportement de la part des automobilistes, un nouveau choc. L’avenir est à réfléchir et il faut prendre des décisions rationnelles.
- Et quel est votre avis sur la question ?
Le péage urbain correspond à la philosophie de notre fédération. Dans les villes où le péage a été introduit, il y a eu un effet immédiat de découragement des automobilistes allant jusqu’à 20% de diminution du trafic ; les exemples les plus marquants sont ceux de Londres, Milan et Stockholm. Un cercle vertueux est ainsi amorcé : le péage urbain rapporte de l’argent aux collectivités qui réutilisent cet argent pour développer les modes de transport collectif mais également pour financer les installations. D’une part, le péage urbain décourage la circulation automobile et d’autre part il finance les transports collectifs.
- Peut-on réellement dire que le péage urbain de Londres est un succès et est efficace ? Il y a de trop nombreuses exemptions, la congestion du trafic augmente à nouveau, …
C’est un succès car la circulation a baissé. Si la circulation augmente à nouveau, il faut augmenter le prix du péage. Le prix ne doit pas être pris au hasard. Il y a un choix à faire entre maximiser la diminution du trafic et maximiser les revenus du péage.
- L’impulsion permettant de créer un péage urbain doit-elle venir des collectivités locales ou du gouvernement selon vous ?
Pendant très longtemps, les élus nous disaient qu’ils étaient pour le péage urbain et qu’ils attendaient un changement dans la législation pour pouvoir implanter un péage urbain jusqu’au moment où la loi Grenelle 2 a été votée et a légalisé le péage urbain. Mais le problème des élus est qu’ils veulent être réélus. Des maires qui se sont battus pour le péage urbain ne l’installent pas car ce n’est pas populaire. Les collectivités locales n’ont pas de courage.
Le problème est également que, dans cette loi, le péage urbain n’est autorisé que pour les agglomérations de plus de 300 000 habitants (c’est-à-dire environ 15 villes en France). Ce qu’on attend de l’Etat c’est qu’il légalise le péage urbain dans toutes les villes. Il faut le tenter, c’est rationnel de le faire. De plus, on connait les effets pervers du péage urbain, on peut les prévenir et tout le monde finira par être content.
- Pensez-vous qu’il faille aller encore plus loin ?
Une solution plus durable est à trouver. Le péage urbain est à mettre en place en plus de la politique traditionnelle du plan de développement urbain. Le problème est qu’aujourd’hui, avec les politiques en place, la circulation continue d’augmenter. Cela doit être fait dans le cadre d’une certaine transition énergétique.
- Un péage urbain dans Paris est-il vraiment nécessaire à l’heure où la plupart des congestions se situent déjà majoritairement en périphérie de la ville ?
La région parisienne est effectivement un peu particulière. On pourrait peut-être envisager un péage dans les zones périurbaines.
- Quel serait, selon vous, le terrain le plus adapté pour un péage urbain ?
Dans quel type de ville l’instaurer ? Il faut déjà qu’il y ait des modes corrects de déplacements collectifs et le renforcer lors de l’instauration du péage urbain. Il faut de plus une configuration géographique qui s’y prête. Prenons l’exemple de la ville Besançon : elle est implantée à l’intérieur d’une boucle du Doubs et donc la zone d’un éventuel péage est bien délimitée géographiquement. Il en est de même pour Grenoble. De plus, de bons transports collectifs doivent être disponibles à la base. A Londres, par exemple, 500 bus supplémentaires ont été nécessaires.
- Ne pensez-vous pas que l’ère de l’automobile est en passe d’être révolue, que le péage urbain n’est pas qu’une solution temporaire alors qu’il serait temps de trouver d’autres solutions plus durables ?
Dans l’esprit de la FNAUT, le péage urbain vient en plus des politiques de plan de déplacement urbain tels que réduire la capacité des voiries et du stationnement, augmenter le prix de stationnement. Nous réclamons des expérimentations afin, comme vous le dites, de faire baisser la circulation automobile. Ce que coûtent les accidents à la sécurité sociale n’est pas pris en compte dans les coûts de l’automobile en ville et pourtant il est conséquent.
- Que pensez-vous de l’acceptabilité du péage urbain ?
Ceux qui sont le plus susceptible de ne pas être content de son implantation sont majoritairement les pauvres et les automobilistes. Il y a deux obstacles au sein de la population : l’automobiliste qui pense qu’il est la « vache à lait » - ce qui n’est pas vrai puisqu’on doit prendre en compte les coûts externes – et ceux qui pensent qu’il va y a avoir une augmentation des inégalités – dont le raisonnement est faux car l’accès à la ville pour les usagers peut être fait autrement et qu’on peut générer des exceptions économiques comme les artisans, etc. Enfin, il y a différents types de péages : ceux de zone (on paye quand on circule dans la zone comme à Londres) et les péages cordons (comme à Stockholm, où l’on doit payer quand on franchit la zone). Il y a donc de nombreux paramètres qu’il est possible d’adapter.
- Pensez-vous réellement que cela ne peut pas créer des inégalités ?
Le péage urbain fait payer le riche qui veut absolument prendre sa voiture. A l’inverse un « pauvre » qui n’a pas les moyens de choisir pas son lieu de résidence, qui subit des nuisances sonores et écologiques et n’a pas de voitures a tout à y gagner. De plus, les revenus générés permettent d’investir dans les transports collectifs ce qui est bon pour tout le monde. Tout le monde a intérêt à voir diminuer la circulation et les pauvres pourraient voir leur mobilité améliorée.
Les pénalisés seront en revanche les membres de la classe moyenne périurbaine. Mais ceux-ci peuvent se rabattre sur une gare de banlieue : l’automobiliste fait alors des économies. Le coût de la perte du temps lié à un transport en voiture est également à estimer. Par exemple à Grenoble, tous les matins, il y a des embouteillages gigantesques et cela entraîne un manque de fiabilité sur le temps de déplacement.
Pour terminer, il existe de nombreuses autres mesures que l’on doit rapidement instaurer : renforcer les lignes d’autobus, créer des voies prioritaires sur les autoroutes, renforcer les dessertes périurbaines et la liste est encore longue.