Célia : Notre première question, assez générale, ce serait : à qui on prescrit des antidépresseurs ? Comment est-ce qu’on diagnostique un dépressif, et comment fait-on la différence entre une dépression passagère et une dépression chronique, pour laquelle on aurait plus tendance à prescrire des antidépresseurs ?
MDD : Alors, le diagnostic est clinique, forcément. C’est-à-dire qu’on utilise… dans le discours de la personne qui vient nous parler, on décrypte un certain nombre de signes, dans son comportement aussi, et c’est un ensemble d’arguments, je vous les préciserai plus tard si ça vous intéresse, qui permettent de retenir le diagnostic de dépression. Mais il n’y a pas d’examen complémentaire qui permet de le confirmer, c’est-à-dire que ça ne se voit pas sur un scanner ou un électroencéphalogramme ; il n’y a aucun examen paraclinique qui authentifie la maladie.
Célia : Donc c’est uniquement basé sur le comportement du patient et ses réponses ?
MDD : Voilà, son discours, son comportement, ses propos… enfin, c’est redondant avec le discours. Et sinon… je crois c’est à peu près… c’est l’essentiel de la clinique en psychiatrie, le comportement et le discours.
Célia : Et du coup, est-ce qu’il faut quand même attendre un certain nombre de rendez-vous avant de diagnostiquer la dépression et de dire : “dans ce cas-là, il faudrait un suivi, ou des antidépresseurs” ?
MDD : Alors, il y a deux façons de faire. Parfois, on a le diagnostic d’entrée de jeu, parce que les symptômes sont sévères, majeurs, et ils sont tous là, du coup, on n’a pas trop d’illusions sur le diagnostic. Mais quand on rencontre quelqu’un pour la première fois, et souvent, pour les gens, venir voir un psychiatre, c’est quelque chose de compliqué, auquel ils ont du mal à se résoudre, même encore maintenant, même s’il y a une médiatisation du travail, et… c’est peut-être moins tabou qu’avant, mais ça reste compliqué, comme démarche, et en fait, moi, ça m’arrive, dans une première consultation, si je considère que le traitement est utile et nécessaire, d’en parler comme d’une éventualité en insistant sur le fait que ça va être difficile de s’en passer, et si je sens que la personne n’est pas ouverte à cette option-là, ça peut m’arriver de m’abstenir de prescrire dans un premier rendez-vous.
Marie-Alix : D’accord, donc tu tiens vraiment compte de la vision du patient pour…
MDD : Oui, parce que sinon, si on n’a pas une… il vaut mieux attendre un petit peu, à mon avis, pour avoir une adhésion au choix, que de prescrire alors que la personne n’est pas dans une disposition d’accepter le traitement et de le prendre, du coup.
Amar : Est-ce que vous avez une grille d’évaluation, des paramètres qui vous permettent de diagnostiquer, ou est-ce que vous le faites à partir de certains critères que vous connaissez a priori ?
MDD : Ce n’est pas a priori, on les apprend ! Les critères sont au groupe de trois. Il y a d’abord ce qu’on appelle les conduites instinctuelles : le sommeil, l’appétit, la libido. Le deuxième groupe de critères, c’est l’inhibition psychique et motrice, parce que la dépression entraîne un ralentissement des fonctions à la fois psychiques et motrices : c’est souvent des gens qui se meuvent lentement, qui ont un faciès qui est figé… bon, qui est souvent triste, mais… Au niveau psychique, l’inhibition, c’est plus des difficultés à réfléchir, à faire de l’humour, à retrouver des choses par la mémoire, ce genre de choses. Et la troisième catégorie de symptômes, c’est la tristesse de l’humeur. C’est souvent des gens qui ont des ruminations tristes, qui pensent que la vie ne vaut pas le coup, que s’ils n’étaient pas là, ce serait mieux, etc…
Du coup, c’est ces trois classes de symptômes-là qui sont des éléments diagnostiques.
Amar : D’accord, donc c’est assez bien structuré.
MDD : En fait, il y a aussi des échelles, mais je ne les pratique pas. Mais il y a des échelles diagnostiques… Après, certaines fois, ça peut arriver, quand on pose la question à quelqu’un : “Est-ce que vous avez des idées suicidaires ?”, qu’il vous dise non, et en fait on se rend compte, dans la façon dont il répond, qu’il dit non dans un sens normatif ou conformiste, mais on sent que ça a dû lui traverser l’esprit, par exemple. Ca, c’est des choses auxquelles on est sensible quand on est présent dans l’entretien, et puis avec la pratique, de pouvoir être attentif à ce qui se dit d’intraverbal…
Célia : Oui, clairement, il ne faut pas prendre uniquement ce qui est dit par le patient, il faut quand même un certain temps pour distinguer le vrai du faux, et savoir si lui-même est conscient de ce qu’il traverse, et capable de l’assumer.
MDD : Tout à fait.
Marie-Alix : Et du coup, le diagnostic ne se fait jamais à la fin du premier rendez-vous ?
MDD : Des fois, si, si on a une symptomatologie très parlante, avec des symptômes dans les trois groupes que je vous ai décrits, le diagnostic, des fois, on peut le faire… même, des fois, on le fait d’emblée. Après, ça arrive de passer à côté d’un diagnostic même si les symptômes sont patents. Dans les dépressions graves, le déni peut être très fort ; moi, ça m’est arrivé de me faire avoir et de ne pas entendre la gravité… parce que le patient est peu connecté à ses émotions, à ses affects, et il peut avoir tendance à vous servir un discours tout fait où il vous explique que tout va bien.
Célia : Et dans ces cas-là, quand est-ce qu’on se rend compte que, justement, tout ne va pas bien ? C’est juste qu’au bout d’un moment, la façade commence à…?
MDD : Parfois, il y a quand même une forte inhibition psychomotrice, ou parfois, on se rend compte que… bon, parfois, c’est la famille qui témoigne que ça ne va pas, et le sujet lui-même a du mal à en témoigner, en rendre compte. Ca arrive aussi…
Amar : Et donc, le diagnostic est fortement relié au ressenti que vous avez par rapport au patient ?
MDD : Oui, je pense que c’est quand même éminemment subjectif. Alors, j’ai des collègues qui vous diront que non, mais je pense qu’on écoute avec ce qu’on est, qu’on est attentif avec ce qu’on est, avec ce qu’on a appris, et avec l’expérience. Mais c’est un ensemble de choses… mais je pense que c’est subjectif.
Amar : Donc le diagnostic reste assez subjectif pour vous.
MDD : Oui, il y a une dimension, quand même. Même si la clinique est quand même… c’est assez clair, quand même, l’organisation que je vous ai donnée, mais on n’a jamais les symptômes comme ça, dans une classification. On les décrypte dans le comportement, dans l’attitude et dans les propos.
Marie-Alix : Mais du coup, est-ce que tu crois que les généralistes sont suffisamment formés et ont suffisamment d’expérience pour pouvoir, eux aussi, prescrire des antidépresseurs, alors qu’ils n’ont pas de telles prescriptions à faire tous les jours, enfin, ils ont quand même beaucoup moins d’expérience que les psychiatres ?
MDD : Et tu me poses la question pour quoi ?
Marie-Alix : Est-ce que, du coup, ils sont suffisamment aptes à prescrire ?
MDD : Mais le sens de ta question, c’est quoi ?
Marie-Alix : On se demandait s’il y avait peut-être une surprescription ou une mauvaise prescription d’antidépresseurs, qui serait due au fait que beaucoup de gens peuvent en prescrire, et on se demandait si les généralistes, justement, ne manquaient pas d’expérience à ce sujet.
MDD : Je pense que ça dépend des généralistes, mais en France, on est des très gros consommateurs de psychotropes, donc on peut penser qu’il y a quand même une surprescription.
Marie-Alix : Et du coup, tu crois que c’est dû à quoi, si les généralistes ne sont pas en cause ?
MDD : Un ensemble de choses… Peut-être qu’il y a un accès aux soins psychiatriques qui n’est pas assez aisé… Mais ça m’ennuie un peu de vous répondre comme ça, parce que c’est une question un peu… il y a déjà la réponse dans ta question, en gros.
Marie-Alix : Peut-être que la surprescription n’est pas due aux généralistes, en fait…
MDD : D’abord, je ne pense pas que ce soit dû à eux seuls. Et puis, je pense aussi qu’il y a un manque de psychiatres… En réfléchissant, je me dis que si on essaye de développer, il y a plein de choses qui doivent empêcher l’accès aux psychiatres : on n’est pas très nombreux, ça fait longtemps que c’est une spécialité qui est peu choisie… en plus, les CMP sont débordés de travail, et les gens ont une réticence à aller consulter, c’est évident…
Marie-Alix : Donc c’est vrai qu’ils préfèrent parfois aller voir directement leur généraliste, qui leur inspire plus confiance…
MDD : Il y en a, oui. Et puis, ta question me semble… c’est un peu rapide de répondre comme ça. Je pense qu’il y a des raisons pour lesquelles il y a des excès de prescription d’antidépresseurs. Il y a même des gens… le lobby pharmaceutique a sans doute son compte, ils ont des politiques avec des représentants médicaux qui vont solliciter les médecins, et ça a son efficacité aussi. Et puis, il y a des gens qui te disent… tu vois, qui le réinterprètent dans l’histoire des générations précédentes, des deux guerres mondiales récentes. C’est des hypothèses sociologiques, je ne sais pas ce que ça vaut et on ne peut pas le prouver. Mais cette question d’une grosse consommation de psychotropes, je pense que ça ne peut pas se réduire à… si on répond à ta question comme ça, je pense que c’est très réducteur de la complexité de la question. Je pense que tu n’as pas le temps de poser la question “Pourquoi y a-t-il tant de gens sous antidépresseurs/psychotropes », mais répondre que les médecins généralistes ne sont pas assez formés pour prescrire, ça laisse de côté plein d’autres dimensions des raisons pour lesquelles il peut y avoir cette grosse consommation. Je ne sais pas si j’ai été claire… Et encore, je ne suis pas exhaustive, il y a des gens qui te disent qu’il y a une espèce de culpabilité qui reste de la Shoah, de la collaboration… il y a une dimension historique, il y a plein de…
Célia : Par rapport à ça, est-ce que ça veut dire que vous avez des collègues qui ont remarqué une augmentation dans le nombre de patients dans les dernières années, ou alors qu’il y a plus de consommateurs chez les personnes d’un certain âge, qui ont vécu la seconde guerre mondiale, etc…?
MDD : Bon, c’est une hypothèse, ce que je vous dis, il ne faut pas le prendre pour argent comptant… Ce serait plus quelque chose qui se transmettrait entre les générations, vous voyez, ce n’est pas que le fait d’avoir vécu la guerre qui ferait ça. Ce serait quelque chose qui se transmettrait dans l’inconscient collectif. Mais c’est une hypothèse, ce n’est pas vérifié. Après, ce que je peux vous dire, c’est que quand il y a un événement traumatique, comme par exemple l’attentat de Charlie Hebdo récemment, ça a des répercussions à l’échelle individuelle chez les gens, dans une dimension de souffrance qui est manifeste dans leur discours. Je ne sais plus si j’ai un exemple à vous donner, mais je sais que récemment, j’ai été surprise par quelqu’un qui me disait qu’il avait souffert, alors, ce n’était pas les attentats de Charlie Hebdo, c’était un autre truc… si ça me revient à l’esprit, je vous le repréciserai. Mais j’y repensais par rapport…
Célia : A, justement, les tendances…?
MDD : Oui.
Célia : Sinon, une autre chose dont vous avez parlé et qui nous intéresse, c’est l’industrie pharmaceutique. C’est assez opaque pour nous qui ne sommes pas dans le monde de la médecine et qui ne sommes pas des patients… enfin, même les patients, ça doit être assez opaque pour eux aussi. Quel rôle est-ce qu’ils jouent dans la prescription d’antidépresseurs ?
MDD : C’est difficile de répondre parce que je ne sais pas exactement comment ça fonctionne… Mais je crois quand même que les représentants qui viennent, c’est des représentants commerciaux, qui ont des techniques de com’… Je n’en reçois plus actuellement, mais j’en voyais au début de mon exercice, et j’en ai vu quand j’étais interne, ils passent dans les hôpitaux.
Marie-Alix : Ils viennent voir directement les gens qui sont susceptibles de prescrire des médicaments ?
MDD : Oui, tout à fait.
Marie-Alix : Il n’y a pas du tout d’influence au niveau du patient ?
MDD : Au niveau du patient, non, et puis la publicité est interdite. A la limite, il y en aurait si la publicité était autorisée en France, mais ce n’est pas le cas. Ca l’est dans d’autres pays… Par contre, je sais que j’avais lu dans… je suis abonnée à la revue Prescrire, qui est une revue qui travaille indépendamment des labos, qui se finance à partir des abonnements. Ils disent que quand on est interne, qu’on reçoit des cadeaux (stylos, post-it, etc…), ça influence nos choix. Ils le font avec enquête à l’appui… moi, je n’ai jamais eu l’impression que ça m’influençait, mais…
Célia : Après, peut-être que sur un échantillon plus large, il y a une tendance…
MDD : Oui,voilà, statistiquement, peut-être qu’on n’est pas sensible de la même façon selon la personnalité qu’on a, je ne sais pas…
Il y a plein de façons de faire. Quand il y a un nouvel antidépresseur qui sort, ils laissent des échantillons gratuits à la pharmacie de l’hôpital, donc les médecins hospitaliers ont tendance à prescrire. Et après, ça se répercute en ville, ça a des effets comme ça, ça fait évoluer les habitudes de prescription des hospitaliers d’abord, et puis après, ça se répercute sur les médecins de ville, parce qu’un traitement qui a été institué, qui marche, on ne le change pas…
Célia : On n’a pas tendance à prendre des risques.
MDD : Non, mais c’est compliqué, la psyché… l’effet des antidépresseurs est très complexe…
Célia : Surtout, ça varie d’un patient à l’autre, non ?
MDD : Ouais, enfin… C’est vrai que changer de traitement, c’est quand même un peu complexe, et du coup, un traitement qui marche, on n’a pas tendance à le changer, encore plus quand on est médecin généraliste, si le patient va mieux, sort avec un traitement, on reconduit le traitement, ça, c’est clair…
Amar : Alors justement, comme il y a beaucoup de traitements et beaucoup d’antidépresseurs, on s’interrogeait aussi sur l’efficacité réelle ou supposée des différents antidépresseurs qu’on peut proposer, parce qu’on a déjà discuté avec quelqu’un qui était plutôt psychothérapeute, et qui contestait un peu l’efficacité intrinsèque des antidépresseurs, et qui disait que beaucoup d’antidépresseurs n’avaient pas plus d’effet qu’un placebo, par exemple.
MDD : Ouais, mais ça, ça me semble quand même discutable.
Amar : On voulait savoir ce que vous pensiez de l’efficacité…
MDD : Non, les antidépresseurs sont efficaces. Je relisais des trucs, c’est en 1957 que sont sortis les premiers antidépresseurs, et en fait, ils ont été découverts parce que dans les sanatoriums, on traitait les tuberculeux avec des antibiotiques qui, pour certains, se sont révélés avoir une action antidépressive qui a été remarquée parce qu’il y avait certains patients qui étaient pas bien et d’autres qui avaient plus de…
Amar : D’accord, donc c’est de là que ça vient, en fait.
MDD : C’est de là que ça vient, oui. Les premiers, c’est comme ça qu’ils ont été découverts. Après, il y a d’autres classes de médicaments, et ça, je ne sais pas comment ils ont été… si ils dérivent des premiers ou s’ils ont été découverts autrement, je ne sais pas. Mais du coup, ça a un effet clinique patent puisque c’est comme ça qu’on les a découverts.
Célia : Du coup, on n’était pas du tout dans une optique : “On va essayer de trouver quelque chose qui va pouvoir remédier à la dépression”.
MDD : Oui, voilà, c’était pas du tout ça, c’est dans l’autre sens que ça s’est passé. Et puis quand même, moi, dans ma pratique, je vois bien que c’est efficace.
Amar : Mais les antidépresseurs ont quand même évolué depuis 57, maintenant, on utilise des antidépresseurs qui sont des inhibiteurs de sérotonine, et c’est ceux-là qui sont contestés.
MDD : Alors, il y a certaines molécules qui ne sont pas efficaces. Du coup, j’ai repris mon truc de Prescrire… Et il y en a pour lesquelles l’efficacité n’est pas supérieure à d’anciens antidépresseurs, mais les effets indésirables sont graves, potentiellement, et du coup, ils considèrent que la balance bénéfice/risque est défavorable.
Amar : Donc il y a des molécules qui ne sont pas du tout conseillées ?
MDD : On ne va pas dire comme ça… Dans les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, il y en a qui sont très performants, et que j’utilise…
Amar : Il y en a différents types, alors ?
MDD : Non, mais il y a différentes molécules. Vous avez des noms ?
Amar : En fait, on s’intéressait surtout aux ISRS, mais on n’est pas des spécialistes, on ne s’est pas penchés…
MDD : Dans ce groupe-là, il y a des molécules qui sont très valables, comme la paroxétine, par exemple, le deroxat, ou alors le Prozac, son nom pharmacologique m’échappe… Ca, ce sont des médicaments qui sont, enfin, que je prescris très régulièrement. Ce sont des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, et ils sont efficaces, ils sont bien tolérés souvent…
Amar : Et vous constatez dans vos prescriptions qu’ils sont efficaces ?
MDD : Oui, dans mes prescriptions, mais aussi pendant mon internat à l’hôpital.
Amar : Vous avez pu constater qu’ils avaient des effets positifs.
MDD : Oui. Enfin, un effet antidépresseur. Donc vous ne pouvez pas mettre en cause tous les ISRS, après, il y a certaines molécules qui sont sorties plus récemment, certaines indiquées dans le sevrage tabagique, qui sont effectivement… dont la balance bénéfices/risque n’est pas positive, même s’ils ont un effet antidépresseur qui est, disons, équivalent aux anciens, dans la mesure où ils ont des effets indésirables qui sont graves, il vaut mieux privilégier d’anciennes molécules qui n’ont pas ces inconvénients-là plutôt que de faire courir au patient le risque que pour un bénéfice équivalent, il puisse avoir un de ces effets indésirables graves qui sont des hépatites ou des syndrômes de Lyell-Johnson, c’est une sorte de réaction immunologique de l’épiderme, et on se retrouve comme les grands brûlés, avec plus de… voilà. Donc comme c’est des effets indésirables qui sont graves, ils sont rares mais quand ils surviennent, c’est très grave, il vaut mieux privilégier les anciennes molécules qui n’ont pas ces inconvénients-là pour une efficacité comparable. Mais du coup, les IRS, on ne peut pas mettre toutes les molécules dans le même… il y en a qui sont très efficaces et il y en a d’autres qui ont un profil d’activité qui est moins intéressant, voire pas… dans la revue Prescrire, ils les contre-indiquent, enfin, ils disent “balance bénéfices/risques défavorable”… En général, ils se positionnent, ils disent qu’il ne vaut mieux pas les utiliser.
Célia : Je voulais aussi savoir si on prescrivait les antidépresseurs différemment en fonction de si la dépression était la maladie elle-même, si je puis dire, ou si c’était juste un symptôme d’une autre maladie. Est-ce que dans ce cas, il y a une différence de prescription, ou bien dépression implique prescription d’un certain antidépresseur ?
MDD : C’est la clinique qui décide… Parfois, il y a des gens à qui j’aurais peut-être prescrit, mais qui s’investissent dans un travail de parole de façon significative, et ils sentent que la parole leur fait du bien, ils sont dans une dynamique de revenir, et du coup, parfois, on sursoit aux médicaments. Parce que c’est vrai que, on l’entendait au début, le diagnostic il est quand même, il y a une dimension de subjectivité, il n’est que clinique, on ne peut pas le confrmer ou l’infirmer par un examen complémentaire. Du coup, c’est vrai que parfois, on peut voir les gens très très mal dans un premier rendez-vous parce qu’ils n’en peuvent plus, qu’ils se sont résolus à venir au bout du compte parce qu’ils souffraient tellement que c’était insupportable, et puis la semaine d’après, quand on les revoit, le fait d’avoir parlé, d’avoir vidé leur sac, ça va mieux. Du coup, ça repondère la décision de traitement qu’on avait pu prendre la première fois. Et dans ces cas-là, je ne prescris pas, j’attends de voir. C’est pour des raisons différentes, l’exemple que je vous ai donné tout à l’heure, c’était plus quelqu’un qui arriverait, qui ne serait pas prêt à prendre le traitement, et on se laisse un peu le temps, on envoie un peu des ballons-sondes, et on attend un petit peu qu’il se fasse à l’idée qu’on ne va pas pouvoir faire autrement. Et puis à l’inverse, parfois, dans un premier entretien, on peut quand même avoir une symptomatologie assez parlante, et puis qu’elle ne se confirme pas dans les entretiens suivants.
Après, pour les dépressions secondaires, je ne suis pas sûre que ce soit fondamentalement différent au niveau de la prescription. Peut-être que dans ce cas-là, ça a tout son sens d’être dans une écoute psychothérapeutique, parce que c’est souvent des gens qui souffrent dans leur corps, si c’est une maladie… Je ne sais pas à quoi tu pensais quand tu disais dépression secondaire, mais…
Célia : Par exemple, dans un trouble bipolaire, on va avoir tendance à avoir des phases dépressives, et du coup, ce serait une sorte de dépression qui dépend d’un autre problème.
MDD : Non, dans le cas d’un trouble bipolaire, au contraire, on appelle ça les dépressions endogènes, par opposition aux dépressions exogènes, où c’est plus une cause extérieure à l’individu (deuil, séparation…). Au contraire dans les dépressions endogènes, ce n’est pas secondaire.
Célia : Mais dans ce cas, est-ce qu’il y a une différence dans la prescription ?
MDD : C’est difficile de raisonner en termes généraux, parce que c’est à chaque fois un cas particulier. Mais disons que souvent, dans les dépressions endogènes, les dépressions qui sont liées aux troubles bipolaires, ou à la maladie maniaco-dépressive, c’est plus une indication de traitement médicamenteux, c’est rare qu’on puisse faire sans. Après, dans les dépressions exogènes, quand les causes sont des événements de la vie qui sont venus affecter la personne, le traitement peut être nécessaire, parfois, une thérapie, ou les deux associés.
Amar : Justement, pour ce qui est de faire ou non un traitement médicamenteux ou une thérapie, on se demandait, au niveau des causes de la dépression : il y a beaucoup de gens qui pensent que la dépression a avant tout des causes biochimiques, notamment tout ce qui tourne autour de la sérotonine, mais il y en a d’autres, notamment les psychothérapeutes, qui pensent que ce serait plutôt comportemental, lié à l’environnement et pas du tout biochimique. On aimerait savoir ce que vous pensez, si c’est lié à un manque de sérotonine, ou si c’est plus environnemental.
MDD : L’un n’exclut pas l’autre !
Amar : Il peut y avoir plusieurs causes ?…
MDD : Non, mais des événements avec des conséquences biochimiques, parce que de toute manière, on est des êtres de chimie.
Amar : Des événements qui influent sur…
MDD : Sur notre chimie cérébrale, oui. Ce n’est pas une hypothèse, c’est comme ça que ça marche ! On ne peut pas dissocier les deux. C’est pour ça qu’il ne faut pas être dans un truc arbitraire… On ne peut pas dissocier les deux, si vous voulez, on est des êtres de chimie, c’est indéniable, les antidépresseurs sont efficaces, c’est indéniable, quoi que vous en ait dit ce psychologue, mais on est quand même des êtres de parole, et forcément que les événements qu’on rencontre dans la vie nous impactent, nous blessent ou nous construisent… Mais du coup, il ne faut pas opposer les deux, en fait. Il faut considérer que c’est deux lectures différentes d’un même phénomène, probablement.
Amar : Et du coup, pour ce qui est de la psychothérapie et des gens qui pensent qu’il vaudrait mieux soigner sans avoir recours aux molécules, qu’est-ce que vous en pensez ?
MDD : Je pense que c’est une bataille qui est stérile. Il faut mettre tous les moyens dans le sens d’aider la personne.
Célia : Pour relier ça à ce que vous disiez tout à l’heure, on n’a pas forcément besoin des antidépresseurs, parce que, vous l’avez dit vous-même, certains patients, juste le fait de parler leur permet d’aller mieux, mais il ne faut pas les exclure.
MDD : Voilà. Et à l’inverse, ça m’est arrivé de recevoir des gens pour lesquels la parole avait un… je me souviens d’une jeune femme qui était assez engagée dans le fait de venir, et au bout de 5-6 semaines, elle n’allait pas mieux, j’étais assez inquiète pour elle, eh bien je lui ai prescrit un antidépresseur, puis avec l’antidépresseur et en continuant à venir me parler, elle est allée mieux au bout de 1 an et demi – 2 ans. Mais j’ai changé mon fusil d’épaule, je ne pensais pas qu’elle aurait besoin d’un antidépresseur, mais la parole seule ne me semblait pas être assez efficace, et c’est l’association des deux qui l’a été.
FIN DE L’ENTRETIEN