Les risques d’accidents

 

Les recherches de Ron Fouchier et Yoshihiro Kawaoka posent le problème des risques d’accidents. Est-il raisonnable de créer un virus transmissible entre humains et potentiellement dangereux ? Il pourrait se diffuser malencontreusement et mener à une pandémie digne des plus grands films catastrophe. C’est ce que nous allons étudier ici.

 
Ron Fouchier et Yoshihiro Kawaoka
Yoshihiro Kawaoka et Ron Fouchier
 

Le problème de la sécurité des laboratoires

 

Les recherches en laboratoire ne sont jamais sans risque. Même avec des mesures de sécurité drastiques, il existe toujours des brèches, ce qui peut laisser craindre le pire : une propagation accidentelle du virus. Comme le précise le journaliste Yves Sciama en citant un rapport américain de janvier 2014 , « la probabilité d’accident annuel […] par laboratoire [BSL] et par an est de 0,2 % » (Voir l’article en ligne). Ce 0,2 % est loin d’être négligeable.

 

Néanmoins, Marc Lipsitch précise dans le même article que « les gros risques à faible probabilité sont une des choses les plus difficiles à gérer pour l’esprit humain ». Cela est visible à travers les mesures de sécurité prises lors de ces recherches. Au lieu d’utiliser le niveau maximal BSL4 (Biosafety Level), réservé à la manipulation des agents biologiques les plus mortels, le niveau inférieur BSL3+ a été employé. Voici un tableau exposant, en anglais, les différents niveaux de sécurité BSL et leurs implications.

 

Tableau explicitant les différences de niveau de sécurité BSL Source : http://healthsafety.etsu.edu/img/modules/biosafety/BSLsTable.PNG

Employer le niveau BSL3+ au lieu du niveau maximal augmente donc la probabilité d’accidents. Le scientifique Lynn Klotz, membre du Centre américain pour le contrôle et la non-prolifération des armes, précise en 2012 qu’il existe un risque de 80 % pour que le SRAS, le H5N1 ou la variole (étudiés dans 42 laboratoires BSL3+) « s’échappe » d’un de ces laboratoires en 13 ans. (http://thebulletin.org/unacceptable-risks-man-made-pandemic). Il réitère son analyse en 2014 et aboutit aux mêmes conclusions (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4128296/).

 

En clair, il serait donc très risqué de manipuler ces virus dans ces laboratoires. C’est ce qui a poussé 56 scientifiques à co-signer le 18 décembre 2013 une lettre au Président de la Commission Européenne José Manuel Barroso, laissée sans réponse. Dans cette lettre, rédigée en premier lieu par Simon Wain-Hobson, chercheur à l’Institut Pasteur, les scientifiques ont mentionné le risque élevé posé par ces recherches.

“The probabilities of a lab accident that leads to a global spread of an escaped mutated virus are small but finite, while the impact of global spread could be catastrophic.”

http://www.nature.com/polopoly_fs/7.14586!/file/vaccine%20foundation%20letter.pdf

 

Des risques avérés

 

On peut s’interroger sur ces réactions quelque peu virulentes à l’égard des recherches menées sur le virus H5N1 : se justifient-elles ? Il semble que les risques avancés par les scientifiques dans cette lettre à José Manuel Barroso ne soient pas irréels. En effet, pas plus tard que le dimanche 13 avril 2014, l’Institut Pasteur (Paris) a annoncé par le biais d’un communiqué la perte de 2349 tubes contenant des fragments du SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère). (voir pour cela l’article de Sciences et Avenir). Ces tubes, conservés au sein d’un congélateur de l’institut, n’ont jamais été retrouvés. L’Institut Pasteur a précisé que, fort heureusement, leur potentiel infectieux était nul : rappelons qu’en 2003, 800 personnes sont décédées du SRAS du fait d’une pandémie en Chine.

 

Cet incident a permis de mettre au jour des dysfonctionnements au sein de l’Institut, relayés par Mediapart. L’Agence du médicament et de produits de santé (ANSM) a entre autre été prévenue de la perte des tubes au bout de deux mois, et les congélateurs n’étaient pas sécurisés, d’après la note confidentielle transmise à Mediapart.

 

Cet événement est loin d’être unique. En effet, comme les précisent les 56 scientifiques au sein de leur lettre à M. Barroso, Des incidents à répétition ont eu lieu ces dernières années au sein de laboratoires, et ce, sans que l’on puisse les dénombrer avec certitude. En Europe, il n’existe ainsi aucun compte officiel. Aux États-Unis, en revanche, 395 accidents potentiels se seraient produits entre 2003 et 2009, ce qui a encouragé les opposants à Fouchier et Kawaoka à réagir.

 

« Despite significant improvements in research laboratories during the last decade, there is no such thing as « zero risk ». In this context, the potential for accidental release of a hazardous pathogen is real, not hypothetical, as demonstrated by an alarming increase in the number of potential and actual release events in laboratories working with high-threat pathogens. The number of potential and actual release events in Europe has not been recorded. However, between 2003 and 2009 the United States Centers for Disease Control and Prevention (CDC) recorded 395 domestic potential release events in laboratories working with high-threat pathogens. In Asia, three cases of laboratory-acquired SARS infections were reported in 2003, one in Singapore, one in Taiwan, and one in Beijing. »

(http://www.nature.com/polopoly_fs/7.14586!/file/vaccine%20foundation%20letter.pdf)

 

D’autres accidents ont eu lieu auparavant et ont été l’objet de controverses que nous ne détaillerons pas ici (pour plus d’informations, voir notamment l’article de Slate). Face à ces risques avérés, Simon Wain-Hobson nous a précisés lors d’un entretien qu’il était nécessaire de mettre en place « des lignes rouges » pour réguler le travail des scientifiques manipulant des virus dangereux : les conséquences d’un accident seraient dévastatrices selon lui. Il précise également qu’il y a un besoin de consensus : la communauté scientifique devrait davantage discuter et réguler ses travaux, et tout spécialement ceux relevant du « Dual Use Research of Concern ».

« The Dual Use Research of Concern issue, particularly in our Internet age, needs far more debate. Even though the risk of an error or a lab accident may be small, the consequences could be catastrophic. For this work to proceed, there needs to be a clear consensus based on an open discussion that the benefits outweigh the risks. Judging by the controversy, a consensus is clearly lacking. »

(http://journal.frontiersin.org/article/10.3389/fpubh.2014.00077/full)

 

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