L’enseignement en France
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L’enseignement des SES sur les deux années est dense et aborde divers sujets au prisme de trois sciences sociales : l’économie, la sociologie et les sciences politiques
Ainsi de nombreux thèmes traitant de questions d’actualité ou posant les bases théoriques des différentes disciplines sont étudiés :
Discipline | Première ES | Terminale ES |
Science économique |
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Sociologie |
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Regards croisés (aborder un objet d’étude en mêlant les disciplines) |
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L’économie peut s’étudier dans différents lieux en ce qui concerne l’enseignement supérieur :
Université :
Chaque université fixe les programme de ses licences d’économie. PEPS-économie s’est donc intéressé, en menant une étudie statistique, aux volumes horaires de chaque matière dans un plaquette d’économie afin de rendre compte du manque de pluralisme :
documents issus de : « L’enseignement de l’économie dans le supérieur : bilan critique et perspectives », L’Économie politique 02/2013
Nous avons donc regardé de plus près les enseignement proposés en L1 par deux universités qui semblent opposées d’après ce graphique : Paris 7 Diderot et Toulouse 1 Capitole. Voici leur programme :
L1 à l’université Toulouse 1 Capitole
issu de http://www.ut-capitole.fr/formations/nos-diplomes/licences/licence-l1-l2-mention-economie-parcours-economie-et-gestion-310345.kjsp
L1 à l’université Paris 7 Diderot
issu de http://www.univ-paris-diderot.fr/DocumentsFCK/deplsh/File/brochures_15_16/brochure_eco_2015.pdf
Les conclusions de PEPS s’avèrent donc bien fondées : peu d’enseignements réflexifs et d’ouverture sont dispensés à Toulouse (juste de l’introduction au droit et de l’histoire économique au premier semestre et aucun au second semestre), la faculté mets donc bien plus l’accent sur les enseignements techniques tels que la micro-économie et la macro-économie, cette dernière n’étant d’ailleurs pas du tout enseignée à Paris 7 en première année. La faculté de Diderot mise sur un premier semestre très pluraliste, qui mêle à la fois la sociologie, le droit et l’économie, en accordant un volume horaire plus important à cette dernière discipline, mais sans en faire de manière réellement quantitative.
CPGE ENS Cachan D2 :
Ces prépas, préparant essentiellement au concours de l’ENS, et dans une moindre mesure aux des écoles de commerce, sont marquées par une faible ouverture disciplinaire et beaucoup d’enseignements adoptant une approche technique de l’économie – pour reprendre la classification de PEPS – comme en témoigne la plaquette d’enseignement ci-contre. Les cours dispensés à l’université dépendent des licences auxquelles sont rattachées les prépas, mais les enseignements restent dédiés à l’économie (comptabilité nationale, histoire de la pensée économique, économie monétaire, microéconomie, statistiques,…).
Nous avons pu interroger Arthur Jatteau lors d’un entretien qu’il nous a accordé et a accepté de revenir sur la création de PEPS. Cet étudiant en 5ème année de thèse est passé par une prépa ENS en D2. Il nous confie une anecdote en revenant sur les enseignements faits en prépa afin de nous montrer comment il en est venu à s’intéresser au pluralisme :
« en 2006, lors d’une manifestation contre le contrat de première embauche, des amies en khâgne me demandaient, “Arthur, toi qui est à Normale en éco, dis nous ce qu’on peut faire“ , mais je ne pouvais pas l’expliquer avec mes connaissances de prépa, j’avais seulement de vieux restes des SES du lycée. Ça a été un déclic pour moi ». Propos recueillis lors d’un entretien que nous avons réalisé.
CPGE ECE :
Ces prépas, axées sur la préparation des concours d’écoles de commerce, ont vu passer quelques économistes renommés comme Frédéric Lordon, ou Dominique Strauss-Kahn. L’enseignement en prépa se veut très généraliste mais comprend tout de même deux heures d’économie approfondie (microéconomie et macroéconomie) par semaine ainsi que six d’ESHMC (économie, sociologie et histoire du monde contemporain) et dix heures de mathématiques et informatique.
Le programme d’ESHMC semble développer une approche à la fois sociologique, historique et économique des grands thèmes abordés, se rapprochent ainsi des souhaits de PEPS-économie
CPES de PSL : Le Cycle Pluridisciplinaire d’Etudes Supérieures, crée par Henri IV et PSL, propose une filière SESJ (sciences économiques, juridiques, et sociales) au sein de laquelle se trouve un cursus d’économie. Réalisé en trois an, comme pour une licence, le cycle propose une spécialisation progressive d’année en année. La première année est la plus pluridisciplinaire puisqu’elle permet d’étudier, à coté de l’économie : les mathématiques, le droit, la sociologie, l’histoire, la géographie ou la philosophie. En deuxième année, les étudiants se spécialisent et peuvent combiner différentes majeures avec l’économie :
- économie-droit
- économie-sciences sociales (sociologie, sciences politiques et anthropologie)
- économie-mathématiques
- économie-histoire
- économie-philosophie
Les élèves peuvent en plus prendre des options comme la géographie (dans la lignée du courant émergeant qu’est la Nouvelle Economie Géographique), les sciences cognitives (utilisées pour la recherche en économie comportementale),..
En troisième année, les étudiants ont le choix entre une pure filière économique et une filière mêlant l’économie et les sciences sociales. Cette formation originale n’accueillant encore que peu d’étudiants, a donc réussi le pari du pluralisme disciplinaire, et méthodologique dans une moindre mesure. Néanmoins, en ce qui concerne le pluralisme théorique, il semble plus compliqué à mettre en place : les théories mainstream sont toujours plus enseignées que les théories alternatives.
Bien que les masters menant à des postes liés à l’économie puissent se faire dans divers établissements (écoles d’ingénieurs, de commerce, ENS,…), nous concentrons ici notre analyse sur les masters dispensés à l’université.
Aucune étude comme celle menée par PEPS pour les licences n’a été réalisée au niveau master, mais la controverse se pose toujours : il n’y a qu’à prendre l’exemple de l’Ecole d’Economie de Paris (PSE) dont le crédo est « La science économique au service de la société ». Ainsi, dans une interview, Thomas Piketty, un des membres fondateurs de l’institution déclarait :
« A l’Ecole d’économie de Paris, nous essayons de développer une approche plus sociale, historique, en utilisant les outils techniques de façon parcimonieuse, et en partant des faits et des questions de fond. » propos issus de l’article du Monde « Thomas Piketty : « je regrette l’absence de pluridisciplinarité »
Or, Arthur Jatteau, lui même ancien élève de la PSE, disait lorsque nous l’avions interrogé, que malgré tout, la pluralisme n’y était pas suffisant. Il avait cependant le mérite d’exister dans un paysage académique où il était surtout absent jusqu’alors.
La PSE s’inscrit néanmoins dans une perspective pluraliste puisqu’elle porte le label « Ouvrir la science économique » ayant pour objectif de dépasser les limites rencontrées par le paradigme dominant présentant l’individu comme rationnel ; et ce, à travers 5 domaine de recherche différents :
- mondialisation et développement
- inégalité et économie publique
- économie et sciences sociales
- fondements des comportements individuels, stratégiques et sociaux
- marchés et organisation
En outre, Sophie Jallais, économiste et membre de l’AFEP, est, avec le sociologue Bertrand Reau, responsable du master « Chargés d’études économiques et sociales » de Paris 1 qui propose cinq enseignements thématiques permettant un dialogue entre l’économie et la sociologie :
- Famille et conditions de vie et insertion (méthode d’évaluation des politiques sociales, sociologie de la famille)
- Protection sociale (macroéconomie, sociologie, protection sociale et insertion)
- Santé (économie de la santé, sociologie des malades et du système de santé)
- Travail et emploi (organisation et conditions de travail, sociologie du travail et de l’emploi)
- Ville et logement (économie du logement, sociologie de l’habitat et des politiques urbaines)
Néanmoins, ces formations ne sont que quelques cas rares où la volonté de pluralisme se fait entendre dans un pays où la tradition porte plutôt sur les ingénieurs économistes. En effet, parmi les sept jeunes économistes économistes français mis en avant par le FMI, cinq ont un double cursus en mathématiques (ou physique) et économie. Roger Guesnerie rappelle cependant que :
« le niveau en mathématiques dont à besoin l’économiste est variable d’un sujet à l’autre. »
issu du site d’Autisme-Economie
Emmanuelle Bénicourt et Bernard Guerrien, qui a enseigné la micro-économie pendant 30 ans, sont très critiques vis-à-vis de cette matière. En effet, dans leur article Y-a-t-il quelque chose à garder dans la microéconomie, ils suggèrent que l’économie devrait être positive (partir du monde tel qu’il est) et non normative (dire ce qu’il devrait être de l’économie et l’ajuster à cet objectif) et affirment que :
« Abandonner la microéconomie des manuels – la théorie néoclassique peut parfaitement être « racontée » de façon littéraire dans un cours d’histoire de la pensée économique – ne veut pas dire qu’il faut se désintéresser de l’économie au niveau « micro », celui des individus et des entreprises. Bien au contraire. Les ménages et les entreprises existent – ce sont même les acteurs essentiels de l’économie. Mais il faut partir de ce qu’ils sont et non de ce qu’on aimerait qu’ils soient, pour permettre le traitement mathématique, comme le fait la microéconomie des manuels. » issu de Y-a-t-il quelque chose à garder dans la microéconomie
Rappelons, de plus, que la micro-économie est une des matières dont le poids est le plus important en licence, son caractère « abstrait » ne semble donc pas poser problème aux universités qui fixent les matières dispensées, ni aux économistes qui continuent de l’utiliser. Force est de constater qu’ils sont même récompensés pour leur travaux prometteurs dans cette discipline, c’est la cas de Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014.
Le problème est n’est pas tout à fait le même pour les manuels de l’enseignement secondaire, même si le MEDEF considère qu’ils sont « teintés de marxisme » et que les analyses microéconomiques liées au monde de l’entreprise ne sont pas assez développées. En effet les programmes de SES sont totalement détachés des mathématiques donc cela ne permet pas aux élèves de faire le lien entre les outils statistiques vus en cours de mathématiques et l’économie et donc de transposer une notion abstraite en une notion concrète. La question sous-jacente est alors celle des rédacteurs. Qui doit rédiger les manuels de SES des bacheliers ES ?
Pour cela, ils préconisent d’intégrer des chefs d’entreprises parmi les auteurs de manuels d’économie et de rendre obligatoire l’étude de l’entreprise et son rôle dans la création des richesses, et rejoint ainsi le point de vue du MEDEF. L’IREF pense enfin qu’il serait judicieux de présenter des portraits d’entrepreneurs qui ont réussi afin de donner envie aux élèves de s’investir dans le monde de l’entreprise, voire de créer la leur après leurs études.
« Contrairement à ce qui est insinué, les enseignants connaissent eux aussi le monde des entreprises privées et, réciproquement, diriger une entreprise ne fait pas nécessairement de vous un connaisseur du monde économique dans sa complexité, et encore moins un pédagogue. » Propos issus du site de l’APSES
De plus, l’APSES regrette la séparation entre l’économie et les sciences sociales dans les manuels : déjà en 2011, lorsque Marjorie Galy était présidente de l’Apses, elle a rappelé que les programmes de SES étaient de moins de moins pluralistes, si bien que seuls 4 chapitres sur 33 étaient des « regards croisés » (matière mêlant l’approche économique et sociologique pour étudier un même sujet).
Intégrer des chefs d’entreprise à la rédaction des manuels ne pourrait pas résoudre ce problème de pluralisme que Marjorie Galy évoque puisque seuls les enseignants de SES ont une double compétence, à la fois en sociologie et en économie, garante du pluralisme.
Conclusion :
Il semblerait que le manque de pluralisme se pose à l’université – à l’exception de quelques licences – et en prépa ENS. Seules les prépas ECE font preuve de pluralisme mais elle ne concernaient que 6905 élèves en 2011. De plus, très peu d’élèves de prépa ECE se destinent à devenir économistes ou enseignants, se seront plutôt de futurs dirigeants d’entreprises (voir le schéma de l’interdépendance des champs). Le problème du manque de pluralisme est néanmoins bien fondé puisque la quasi-totalité des étudiants en économie passent par une licence.
En ce qui concerne le pluralisme théorique, il peut être difficile d’évaluer sa portée de manière pertinente, puisque selon les enseignants, il peut revêtir différentes formes. En effet, des enseignants peuvent présenter plus certains courants économiques que d’autres, voire adopter un regard plus ou moins critique vis à vis des théories qu’ils enseignent, selon leur position idéologique.
Néanmoins, il convient de souligner que ce manque de pluralisme s’inscrit dans la lignée de la tradition française des ingénieurs économistes. En effet, nombreux sont les économistes issus de formations d’ingénieurs, Jean Tirole, en est le parfait exemple. Cette tradition est, là encore, étroitement liée la politique : les hauts postes de l’Etat ont, depuis le XIXème, été notamment occupées par des ingénieurs – corps des Mines et corps des Ponts et Chaussées en premier lieu – car traitaient à l’origine des questions relatives aux travaux publics. Cette tradition s’est confirmée avec l’attribution des prix Nobel à deux polytechniciens : Maurice Allais en 1988 et Jean Tirole en 2014.