Quelle diffusion du débat auprès des décideurs publics ?
Le phénomène de métropolisation, dont les effets économiques ont été observés par les chercheurs, a intéressé les pouvoirs publics qui se sont décidés à l’institutionnaliser afin de mieux l’encourager. Ainsi, avec la loi MAPTAM, des métropoles comme le Grand Paris ou Aix-Marseille ont été créées afin de favoriser la croissance économique de leur territoire.
Ce phénomène d’institutionnalisation des métropoles, cet encouragement, montre une adhésion à l’idée selon laquelle ces métropoles seraient un moteur de croissance pour leur région. Les discours de justification de la création de ces métropoles reprennent ainsi les thèses développées par Laurent Davezies.
Mais dans le débat public, les questions économiques sont plutôt secondaires, et surtout le rôle de moteur de la croissance des métropoles n’est pas vraiment contesté. Ce sont surtout des questions politiques, notamment de gouvernance, qui monopolisent l’attention.
Un discours économique justifiant la métropolisation peu remis en cause
La métropolisation est donc largement perçue, par nombre de chercheurs et de politiques, comme un processus entraînant une hausse de la productivité. Récemment, l’Etat a décidé d’encourager ce phénomène, espérant une reprise de l’activité économique tirée par les métropoles.
C’est ainsi que la loi MAPTAM (loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles), a été promulguée le 27 janvier 2014, visant entre autres à créer un nouveau statut pour les métropoles afin de permettre aux agglomérations de plus de 400 000 habitants d’exercer pleinement leur rôle en matière de développement économique, d’innovation, de transition énergétique et de politique de la ville. Ainsi, elle dispose que :
La métropole est un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre regroupant plusieurs communes d’un seul tenant et sans enclave au sein d’un espace de solidarité pour élaborer et conduire ensemble un projet d’aménagement et de développement économique, écologique, éducatif, culturel et social de leur territoire afin d’en améliorer la cohésion et la compétitivité et de concourir à un développement durable et solidaire du territoire régional.
Article L. 527-1 de la loi MAPTAMPour Vincent Feltesse, conseiller régional et ex-député engagé sur les questions d’urbanisme et de métropolisation, il s’agit d’une « reconnaissance de la ville et de l’urbain métropolisé par l’Etat comme acteurs majeurs de la dynamique socio-économique nationale ». Avec la loi MAPTAM, la métropole s’affirme dans la sphère institutionnelle et politique.
Comme nous l’a souligné Philippe Martin en entretien (8 mars 2016), il ne s’agit pas de créer des métropoles de toutes pièces : il ne s’agit que d’un statut juridique permettant de favoriser un phénomène économique préexistant. Mais cela a forcément des conséquences en termes de finances publiques, et l’Etat peut avoir une action pour encourager la concentration des activités (par exemple dans l’amélioration du réseau de transports).
La loi MAPTAM a ainsi pu permettre l’émergence de grands projets de métropoles, et parmi eux la Métropole-Aix-Marseille-Provence et le Grand Paris, créées dans cette optique de favorisation de la croissance économique.
Selon Jacques Boulesteix, ancien conseiller municipal de Marseille et ancien président du Conseil de Développement de la Communauté Urbaine Marseille-Provence-Métropole :
« Les grandes métropoles sont les principales créatrices de richesses dans le monde […]. La métropole va structurer l’organisation économique de ce territoire et faire un effet de levier efficace de l’investissement public en se recentrant sur des projets cohérents (transports, recherche, formation…) qui attirent d’autres financements. Je crois à cette mobilisation qui peut faire de la métropole un acteur mondial présent pour la France sur la scène euroméditerranéenne ».
Jacques Boulesteix, article des Echos du 16 septembre 2014Jean-Claude Godin, maire de Marseille, met en avant (dans un entretien accordé Europe 1) que Marseille est plus pauvre que sa périphérie alors qu’elle doit assurer les charges de la ville-centre. Pour lui, ce nouveau découpage représente le moyen d’attirer des richesses, de faire reculer le chômage, et d’améliorer les transports.
Jacques Pfister, président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Marseille Provence (CCIMP), se présente (sur le site de la CCIMP) comme un homme ayant l’ « ambition de positionner Marseille Provence dans le Top 20 des métropoles européennes » (à travers des projets comme Marseille-Provence 2013 par exemple) et comme un « métropolitain convaincu » exhortant le gouvernement et les élus locaux à prendre les « décisions concrètes et courageuses qui permettront l’avènement d’une métropole volontariste et décisionnaire sur le territoire Marseille Provence ». Jacques Pfister fait partie du noyau dur de convaincus que la métropole doit se faire et qu’elle a tous les atouts pour se positionner sur l’échiquier international. Selon lui, « le territoire » doit se construire une image forte de métropole afin d’être la tête de pont économique de l’euro-méditerranée en accroissant ses flux marchands.
En ce qui concerne le Grand Paris, on observe un discours similaire quant aux bénéfices de la métropolisation.
Ainsi, Philippe Martin, conseiller du Ministre de l’Economie, nous expliqua en entretien que :
Il y a plusieurs mécanismes qui entraînent des gains de productivité dans le phénomène de métropolisation. Déjà sur le marché du travail, cela permet un meilleur matching entre l’offre et la demande d’emploi. Le marché du travail devient plus riche et dynamiques. De plus il y a une réduction des coûts de transactions car les entreprises sont plus proches physiquement. Et enfin si des entreprises dans le même secteur sont proches, il peut y avoir des externalités positives, des flux de savoirs et savoir-faire entre elles. Philippe Martin, conseiller du Ministre de l’Economie, 8 mars 2016
L’article L. 5219-11 du Code général des collectivités territoriales, qui traite de la création du Grand Paris, dispose que « La métropole du Grand Paris est constituée en vue de la définition et de la mise en œuvre d’actions métropolitaines afin d’améliorer le cadre de vie de ses habitants, de réduire les inégalités entre les territoires qui la composent, de développer un modèle urbain, social et économique durable, moyens d’une meilleure attractivité et compétitivité au bénéfice de l’ensemble du territoire national ». L’objectif principal est bien indiqué, ici, comme étant « une meilleure attractivité et compétitivité au bénéfice de l’ensemble du territoire national ».
Pour Bertrand Lemoine, historien, le Grand Paris est appelé à être « la locomotive de l’économie nationale ». Il insiste sur sa très grande productivité et son importance dans la redistribution des revenus collectés aux autres territoires. Selon lui, la métropole améliorera ces performances en supprimant les couches administratives et en permettant la coordination des activités. La métropole constitue selon lui une bonne échelle pour assurer une cohérence facilitant le développement économique. Laurent Davezies parle quant à lui du Grand Paris comme le « joker de l’économie française ».
Sur ce graphique montrant les sources journalistique les plus récurrentes quant au thème de métropolisation, on observe que les journaux nationaux dominent. C’est intéressant, car cela signifie que même lorsque l’on envisage des métropoles de province, leur développement économique est considéré comme étant un enjeu pour le pays dans son ensemble.
On observe donc une large adhésion à l’idée que ces métropoles vont tirer leur région vers le haut, qu’elles seront un moteur de croissance certain qui favoriseront le développement économique de tout un territoire. Ce discours institutionnel et politique reprend ainsi le discours scientifique d’acteurs comme L. Davezies qui affirment qu’il faut encourager les métropoles pour favoriser le développement économique, pour ensuite redistribuer au reste du territoire.
On observe que, dans le débat public, ces conclusions économiques font consensus. Les arguments de développement économique, de création d’emplois et de croissance semblent intégrés par beaucoup d’acteurs, qu’ils soient politiques, économiques ou civils. La métropolisation, définit par son potentiel économique, n’est pas remise en question.
Ce document (obtenu grâce à Europresse) donne un aperçu des mots-clefs qui ressortent fréquemment dans les articles de presse portant sur la métropolisation. Parmi ces mots-clés, nous voyons bien que le thème « politique et gouvernement » prédomine. C’est le point central des débats publics.
Les préoccupations sont surtout centrées autour de questions ou querelles politiques, notamment de gouvernance. Ainsi, pour le Grand Paris, les questions de gouvernance ont été au centre des préoccupations et des luttes politiques, l’exécutif prônant une métropole forte et se heurtant à des collectivités locales jalouses de leur autonomie et incapables de s’accorder sur une vision commune. La question de la démocratie est au centre des débats, certains estimant que la démocratie est bafouée, captée par les administrations, les grands groupes et quelques élus.
En ce qui concerne Aix-Marseille, le débat concernant la gouvernance a été extrêmement virulent. La maire d’Aix-en-Provence, Maryse Joissains-Masini, s’est violemment opposée à la création de la métropole, pour des raisons qui apparaissent purement politiques : elle clame ainsi qu’elle « ne peu[t] laisser l’avenir de ce territoire magnifique entre les mains de prédateurs » (dans une lettre adressée au préfet S. Bouillon), qu’ « un ministre et un maire font un coup de force » mais aussi qu’ « on ignore la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Et tout ça parce que Jean-Claude Gaudin est aux abois. Il veut faire main basse sur les finances du pays d’Aix pour remplir ses caisses. Mais comment va-t-il gouverner ? C’est impossible à tenir. Il n’y a que des opposants » (en réaction à la création de la métropole Aix-Marseille le 1er janvier 2016). 109 maires de département de la communauté urbaine sur 119 se sont opposés au projet.
De plus, beaucoup d’acteurs sont très suspicieux et méfiant quant à l’implication de l’Etat dans la création des métropoles. Se pose également la question des inégalités à l’intérieur du territoire métropolitain, qui peuvent s’avérer fortes, comme par exemple entre Paris intra-muros et certains communes de banlieues, ou entre des communes riches d’Aix-en-Provence et les quartiers nord de Marseille.
Si le débat controversé quant à l’utilisation des indicateurs afin de mesurer les effets économiques de la métropolisation remet en cause le processus d’institutionnalisation, cette discussion n’est pas reprise par les décideurs publics qui entrent néanmoins en désaccord sur d’autres problématiques.
Pour terminer votre balade urbaine, et finir par un panorama des principaux points de la controverse nous vous invitons à lire notre synthèse !
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